La trinité

Introduction

Hilaire en exil

Quand Hilaire est élu évêque de Poitiers vers 350, l’hérésie arienne, condamnée à Nicée en 325, avait peu préoccupé les esprits occidentaux étrangers aux subtilités de la dialectique orientale. Mais le nouvel évêque se verra très tôt impliqué dans le conflit doctrinal qui divisait l’Eglise d’Orient et s’étendra jusqu’en Gaule.

Le fils de Constantin vient de réunifier l’empire de son père. Constance, ayant vaincu l’usurpateur Magnence à Mursa, devient le seul empereur. Ses sympathies vont d’emblée au parti arien et il veut imposer ses opinions aux évêques d’Occident. Dans sa résidence de Sirmium, près de Belgrade en Yougoslavie, l’empereur s’entoure d’évêques déjà acquis à l’arianisme, Ursace, Valens et Germinius. Les synodes d’Arles en 353, et de Milan en 355, ne réussissent pas à faire l’unanimité parmi les évêques d’Occident pour la condamnation d’Athanase d’Alexandrie, défenseur de l’orthodoxie nicéenne et pour l’adhésion à l’arianisme. Saturnin d’Arles et quelques évêques de la Narbonnaise exceptés, l’épiscopat de Gaule fait front commun avec Hilaire, malgré les pressions des émissaires impériaux.

Au début de l’an 356, Saturnin d’Arles convoque un autre synode à Béziers et somme l’évêque de Poitiers de s’y présenter. Absent des deux premiers synodes, c’est à son corps défendant qu’Hilaire se présente à Béziers. Sa position est claire : il adhère pleinement à la foi de l’Eglise et de son baptême. On l’empêche de parler et il se plaint amèrement qu’on présente une image déformée du Christ, en lui refusant l’égalité avec son Père. Il refuse d’adhérer aux propositions hérétiques et quelques mois plus tard, Constance l’exile en Phrygie (Turquie) sans toutefois le déposer de son siège épiscopal.

Durant ses quatre ans d’exil, Hilaire, qui peut circuler librement, prend contact avec les évêques d’Orient, approfondit sa connaissance du grec et s’intéresse aux controverses théologiques.

L’arianisme

Une hérésie est souvent, au départ, une intuition très vive d’un aspect indéniable, mais limité du mystère chrétien qui, en s’approfondissant dans sa ligne propre, en arrive à s’altérer et à mettre en danger la foi elle-même. Tel fut l’arianisme, ce « grand assaut de l’intelligence » qui déchira l’Eglise au IVème siècle.

Arius, prêtre attaché à l’église de Baucale près d’Alexandrie, était un homme intelligent et un dialecticien habile. Il semble avoir été obsédé par la sauvegarde au sein de la Trinité, des prérogatives de Dieu le Père, origine de tout.

Sous l’influence d’Aristote, il partait du concept de l’unité selon lequel l’unité est en dernier ressort la négation même de toute division. D’où l’impossibilité d’admettre que « Dieu », actif dans son unité, puisse l’être en plus d’une personne. Le propre de Dieu est donc d’être unique, inengendré et identique à lui-même, de sorte que le Fils (le Verbe, et en grec le Logos), ne peut être que créé par la volonté de Dieu. Si les Ecritures et la Tradition affirment que le Verbe est coéternel au Père – il y a en Dieu une sagesse, propriété de Dieu lui-même – c’est que le Fils a été créé pour être actif dans le monde.

En effet, Dieu demeure à une distance infinie du cosmos et de l’homme qui en fait partie. C’est le Fils, créé et créateur, qui est entièrement tourné vers le monde. Pour cette raison, Jésus de Nazareth, fils de Dieu, n’a pas besoin d’une âme humaine et toute sa vie, même sa vie morale, doit être interprétée comme la vie du Verbe de Dieu.

La doctrine d’Arius se retrouve en résumé dans ces deux énoncés :

— Dieu le Père est seul Dieu, éternel, inengendré et sans commencement.

— Sa divinité ne peut être communiquée ni partagée.

Le Fils de Dieu est la créature la plus parfaite du Père. Formé du néant, il est l’instrument du Père en vue de la création et peur l’activité de Dieu dans le monde. Il n’est que fils adoptif, en raison d’un parfait accord de volonté avec son Père.

Le dogme de l’église

L’agitation autour des formules ariennes se répandit vite au-delà de l’église de Baucale et d’Alexandrie. Constantin décida donc de convoquer un grand concile pour clarifier la situation. Quelque trois cents évêques – trois ou quatre de l’Occident – se réunirent le 20 mai 325 à Nicée. L’assemblée promulgue la profession de foi suivante :

Un seul Seigneur, Jésus-Christ, Fils de Dieu, seul engendré du Père, c’est-à-dire de la substance du Père,
Dieu de Dieu,
Lumière de la lumière,
Vrai Dieu de vrai Dieu,
Consubstantiel (homoousios) au Père,
Par qui tout a été créé dans le ciel et sur la terre[1]

[1] Dans le Credo, dit « de Nicée – Constantinople » employé dans la liturgie eucharistique. Voir surtout le texte grec et français à l’article « Nicée » (1er Concile de), F.G. Fritz, dans Dictionnaire de théologie catholique, XI, 405.

Pour la première fois dans un concile, l’emploi d’un terme non scripturaire « homoousios », consacre l’effort de la réflexion théologique afin d’expliciter le mystère chrétien.

L’après-concile

Le Concile devait ramener la paix, mais la paix ne revint pas. La formule de Nicée, parce qu’elle laissait dans l’ombre la distinction réelle entre le Père et le Fils et semblait à plusieurs teintée de sabellianisme, divisa plus profondément les évêques entre eux. Dans l’ensemble, lors du bannissement d’Hilaire en 356, la situation était presque inextricable.

Quelques radicaux, les anoméens, comme Aèce d’Antioche, reviennent aux positions d’Arius et enseignent que le Fils n’a « aucune ressemblance avec le Père ». Plus modérés, les homéousiens (distinguer des homoousiens), comme Basile d’Ancyre, emploient la formule ambiguë « le Fils semblable au Père en substance ». Enfin les nicéens, dont Athanase d’Alexandrie est le chef, combattent sans relâche pour maintenir le consubstantiel de Nicée. Au cours des synodes tenus en Orient après 325, les formules de foi s’affrontent dans une controverse parfois violente. Hilaire exagère à peine, quand il écrit : « Dans presque toutes les provinces de l’empire romain, de nombreuses églises sent malades, contaminées par la peste de cette doctrine. » (VI, 1)

Hilaire défend la foi de l’Eglise

De son plein gré, l’évêque de Poitiers décide donc d’écrire son traité, conscient de sa vocation de pasteur qui l’oblige en tout premier lieu à prêcher l’évangile : « Mon penchant intime et les devoirs de ma charge me poussaient à combattre cette erreur, puisqu’en tant qu’évêque de l’Eglise, je me dois au ministère de la prédication évangélique » (VI, 2).

Pour éclairer les évêques d’Occident ignorant les subtilités orientales, Hilaire veut faire connaître l’enseignement traditionnel de l’Eglise sur la divinité du Christ, vrai Dieu et vrai Fils de Dieu, et exposer l’hypocrisie des hérétiques qui font appel aux Ecritures sous prétexte de maintenir l’unité de Dieu, en niant la divinité du Fils.

Analyse du traité

Le traité d’Hilaire, malgré les apparences, ne constitue pas un tout homogène. Il se compose de projets successifs, rattachés tant bien que mal les uns aux autres et qui ne formeront pas une vaste synthèse conforme à notre conception moderne. Une lecture attentive permet de déceler trois parties principales : un exposé de la foi catholique selon la tradition de l’Eglise (livres I-III), la réfutation de la confession de la foi d’Arius (livres IV-VI et la réponse aux objections ariennes (livres VII-XII).

I – EXPOSÉ DE LA FOI CATHOLIQUE (Livres I-III)

Selon toute probabilité, les trois premiers livres ont été écrits entre la fin de l’an 356 et le printemps suivant. Hilaire est alors au fait des hérésies de Sabellius, d’Arius et des arguments des anoméens.

Le livre I sert de prologue à tout le traité. Dans un de ses plus beaux textes, l’écrivain raconte avec ferveur l’itinéraire spirituel qui le conduisit du paganisme au baptême et au ministère épiscopal. Puis il s’élève à une notion très pure du Dieu éternel et tout-puissant, à l’aide des Saintes-Ecritures et tout particulièrement du Prologue de l’évangile de saint Jean (chap. 1-19). Le sommaire des douze livres (chap. 20-36) fut ajouté après coup au livre premier qui se termine par une prière (chap. 37-38).

Le livre II développe la catéchèse sur le Père, le Fils et le Saint-Esprit à partir de la formule baptismale. Le Père est Dieu, « celui de qui tout vient » (chap. 6-7). Le Fils est l’unique engendré du Père, Dieu né de Dieu, « celui par qui tout existe ». Hilaire emploie rarement le mot « Verbe » pour désigner le Fils, comme l’a écrit saint Jean dans son prologue, car les sabelliens parlaient du Verbe comme d’un son de voix, et non d’une personne vivante (chap. 8-27). Le Saint-Esprit, associé au Père et au Fils, est celui qui est donné aux fidèles. Si les mots « esprit » et « saint » sont attribués au Père et au Fils, le Saint-Esprit lui, illumine les croyants, distribue les dons de Dieu, console notre attente, est le gage de notre espérance (chap. 29-35).

Le livre III aborde le Mystère de la naissance du Fils. Les mystères de Dieu sont insondables. Ainsi la parole du Seigneur (moi dans le Père et le Père en moi) en est un exemple caractéristique. L’un est dans l’autre, parce qu’il n’y a pas autre chose dans le Fils que dans le Père. Et en devenant homme, le Fils n’a pas abandonné ses propres attributs (chap. 1-8).

Il en est de même de l’échange de gloire donnée et reçue entre le Père et le Fils, selon Jn 17,1-6. Dans sa prière, le Christ donne gloire au Père, en nous le faisant connaître comme Père et en nous donnant la vie éternelle. Le Père glorifie le Fils devenu homme, en lui rendant la gloire qu’il a auprès de lui avant tous les siècles et en transfigurant son corps dans la résurrection. Cet échange de gloire proclame l’unité de puissance du Père et du Fils, et est aussi impénétrable que la naissance virginale de Jésus et ses apparitions après la résurrection (chap. 9-22).

Pourquoi alors scruter les mystères divins ? Toutes les questions posées sont présomption, tout raisonnement futile. La vraie sagesse est de croire ce que nous ne pouvons comprendre et de mettre notre confiance dans la foi, comme le demande l’apôtre Paul (chap. 23-28).

II – RÉFUTATION DE LA LETTRE D’ARIUS (Livres IV-VI)

La rédaction de cette deuxième partie est terminée vers le printemps de 358. Hilaire fait ses premières armes contre l’arianisme. Son intention est claire : réfuter, point par point, les « impiétés » et les « mensonges » d’Arius contenus dans sa confession de foi adressée à Alexandre d’Alexandrie. Le texte en est donné au livre IV chap. 12-13 et de nouveau au livre VI chap. 5-6.

Dans l’Ancien Testament, le Fils de Dieu agit dans le développement du cosmos et dans l’histoire d’Israël comme mandataire du Père. Il apparaît sous forme humaine comme Dieu (livre IV) et sans être inférieur au Père, il est vrai Dieu comme le Père (livre V). Les deux livres se recoupent presque totalement.

Les témoignages sont nombreux dans le récit de la création et les théophanies :

Création du monde et de l’homme (IV, 15-22 ; V, 4-10) apparition de l’ange à Agar (IV, 23-24 ; V, 11-14)

Abraham au chêne de Mambré (IV, 25-27 ; V, 15) châtiment de Sodome et de Gomorrhe (IV, 28-29 ; V, 16) lutte de Jacob avec l’ange (IV, 30 ; V, 19-20)

Dieu dans le buisson ardent (IV, 32-34 ; V, 21-22)

Dieu sur le mont Sinaï (V, 23).

A la suite de ces commentaires sur les théophanies, les prophètes de l’Ancien Testament déclarent que le Fils de Dieu est vrai Dieu (IV, 35-42 ; V, 25-39).

Les manifestations visibles du Fils, dans l’antique alliance, préfigurent le mystérieux dessein de Dieu révélé dans l’Evangile. Le Fils s’était manifesté sous l’aspect d’un homme aux patriarches ; dans la nouvelle, il naît comme homme dans un corps, du sein d’une vierge (V, 17-18).

Le livre VI fait appel au Nouveau Testament, pour condamner l’hérésie arienne.

Quelle peste que cette hérésie : Les ariens se donnent des airs d’orthodoxie en condamnant les hérétiques des temps passés, afin de faire peser le soupçon de complicité avec ces erreurs, sur la foi catholique, et faire du Christ une pure créature (chap. 1-21).

Pourtant les évangiles enseignent que le Christ n’est pas fils par adoption, mais en raison d’une naissance éternelle (chap. 22-25).

Le Père appelle le Christ « son Fils bien-aimé » et il nous demande de l’écouter, quand le Fils appelle Dieu son Père (chap. 23-25).

De même le Christ, par ses œuvres et ses paroles, démontre qu’il est vrai fils du Père (chap. 26-27). Il déclare être « d’auprès du Père » et « être sorti du Père et envoyé dans le monde ». Sa venue dans le monde se réfère à l’Incarnation. Par sa « sortie du Père », le Fils exprime sa naissance divine qui est non pas coupure du Père en parties, ni diminution ni commencement d’existence, mais naissance parfaite comme Dieu. D’autre part, il y a séparation de l’engendrant et de l’engendré, car le Fils n’est pas le Père (chap. 28-35).

Les apôtres ont bien compris ce mystère et Pierre de proclamer : « Tu es le Christ Fils du Dieu vivant » (chap. 35-38). Et Jean affirme que nul ne peut aimer le Père s’il n’aime pas le Fils (chap. 39-43). Paul rappellera que « le Père n’a pas épargné son propre Fils et qu’il l’a livré pour nous » (chap. 44-45).

Oui, les hérétiques sont des mécréants, de conclure Hilaire, car ils ne croient même pas les autres témoins des paroles et des miracles du Christ (chap. 47-52).

III – RÉPONSES AUX OBJECTIONS ARIENNES (Livres VII-XII)

Au cours de la rédaction du Livre VI, Hilaire juge bon de changer son plan de réfutation point par point de l’hérésie arienne. Cette méthode lui semble trop analytique. Son exposé dans la suite prend la forme d’un enseignement plus positif des vérités de foi rejetées par les ariens. La troisième partie est minée avant le retour d’Hilaire à Poitiers en 369.

Le Christ vrai Dieu (Livre VII)

Le livre VII, dont le plan est assez confus, affirme la foi de l’Eglise en la Divinité du Fils, tandis que les hérétiques se contredisent les uns les autres (chap. 1-8).

L’Ecriture donne au Fils le nom de Dieu au sens strict, car le Verbe est Dieu par sa naissance. Cette naissance divine exige qu’on distingue « être né » et « avoir commencé » ; elle implique le nom, la nature, la puissance et îa révélation de Dieu dans le Christ (chap. 9-16).

La puissance du Christ s’est manifestée dans ses œuvres et le fait que tout jugement lui a été confié par le Père prouve sa Divinité (chap. 17-21).

Les juifs ont mieux compris que les ariens les paroles du Christ qui proclame ce mystère. Du fait de sa naissance, le Fils est dans le Père et le Père dans le Fils, tout comme par analogie l’enfant vient au monde avec les propriétés physiques de son père et une flamme allume une autre flamme de même nature (chap. 17-32).

Le Fils est le vrai chemin pour aller au Père et nous le révéler. Ce serait impossible, si le Fils n’était pas Dieu (chap. 33-41).

L’unité du Père et du Fils (Livre VIII)

L’unité du Père et du Fils n’est pas seulement accord de volonté mais unité de nature (chap. 1-6).

La présence mutuelle du Christ dans les fidèles et des fidèles dans le Christ par le baptême et la foi illustre ce mystère de l’unité de Dieu. Cette expérience ineffable d’unité entre le Christ et les chrétiens se réalise dans l’Eucharistie : « Le Christ est en nous par sa chair et nous sommes en lui… Si nous vivons naturellement par lui selon la chair, comment le Fils n’aurait-il pas naturellement en lui le Père selon l’Esprit ? » (chap. 7-18).

L’Esprit-Saint, envoyé par le Fils d’auprès du Père, manifeste aussi cette unité divine. Il est l’Esprit de Dieu, l’Esprit du Christ et le Paraclet de la Pentecôte, mais il est un seul et même Esprit. Il habite dans les chrétiens et octroie ses dons à l’Eglise. Le Père qui donne l’Esprit et le Fils qui lui aussi donne l’Esprit sont « un seul Dieu et un seul Seigneur » et le Christ est « Dieu au-dessus de tout » (chap. 19-40).

Le Fils est l’image du Père et celui que « le Père a marqué de son sceau ». Or le sceau reproduit la forme parfaite de la figure imprimée en lui. Image parfaite du Père, le Fils l’est par la puissance de ses actions, création et réconciliation des hommes avec Dieu, œuvre conjointe du Père et du Fils (chap. 41-56).

L’infériorité apparente du Christ (Livre IX)

La vie divine en nous repose sur la foi au Christ vrai Dieu et vrai homme. L’Incarnation nous donne l’assurance que nous pouvons nous élever jusqu’à Dieu. Mais les hérétiques se servent à leur profit de certaines paroles du Christ comme homme pour nier la divinité du Christ. Il faut distinguer le langage de Dieu et le langage de l’homme (chap. 1-14).

Le Christ semble se refuser à lui-même les titres de « bon » et de « maître » (Mt 19,16). En fait, il ne rejette pas ces titres pour lui-même, en déclarant qu’ils appartiennent à Dieu seul. Car il est Dieu et sa gloire est inséparable de celle du Père (chap. 15-27).

Le Christ déclare que la vie éternelle est de connaître « le seul vrai Dieu » (Jn 17,3). Le Fils aussi est vrai Dieu. Vu que le Fils seul s’est fait chair et non le Père, l’unité de Dieu semble compromise. Mais l’humanité du Christ a été élevée jusqu’à Dieu et la gloire commune du Père et du Fils, démontrent que les deux sont un seul Dieu (chap. 28-42).

Le Fils ne fait rien de lui-même (Jn 5,19), d’affirmer le Seigneur. Le Christ accomplit les œuvres de son Père, non par contrainte comme un inférieur, mais comme l’égal du Père. La volonté du Fils est libre et en parfaite harmonie avec celle du Père (chap. 43-50).

Le Père est plus grand que le Fils (Jn 14,28). Le Père est plus grand comme inengendré et parce que le Fils a voulu devenir homme, sans cesser d’être Dieu. L’engendrant est plus grand que l’engendré mais l’engendré n’est pas inférieur au Père, car il n’a pas eu de commencement dans l’existence (chap. 51-57).

L’Ecriture affirme que le Père seul connaît le jour et l’heure du jugement (Mc 13,32). Le Christ n’a pu ignorer ce jour qui est son jour ; il possède en lui tous les trésors de la sagesse et de la science (chap. 58-62). L’ignorance du Christ est sage dissimulation de la vérité. Sa parole est langage figuré, comme dans l’Ancien Testament où Dieu semble ignorer certains faits et en connaître d’autres. Le Fils sait tout ce que sait le Père et peut faire tout ce que fait le Père (chap. 63-75).

Les infirmités du Christ (Livre X)

L’Evangile nous décrit le Christ soumis à la crainte, à la tristesse et à la douleur, sentiments indignes du Fils de Dieu selon les ariens (chap. 1-9).

Hilaire en ce cas, établit une sorte d’équilibre entre les mystères d’exaltation et d’humiliation dans le Christ. Il fait appel à l’expérience et distingue passion et douleur. Le sentiment de la douleur a son point de départ dans une lésion corporelle (passion), son siège dans l’âme quelquefois assoupie par des drogues, son explication dans la faiblesse mutuelle de l’âme et du corps viciés par le péché (chap. 14).

Le Christ n’a pas connu notre condition, en raison de l’origine miraculeuse de son corps. Le Fils a assumé de lui-même et par lui-même un corps dans le sein de la Vierge et s’est créé une âme humaine exempte de faiblesses (chap. 15-20). La transfiguration sur le Thabor et la marche sur les eaux sont la manière d’être « naturelle » du corps du Christ. Il n’a pas éprouvé le sentiment de la douleur, comme les martyrs que la foi rend insensibles aux tourments (chap. 45-46).

Le Christ a été triste, non pas à la pensée de la mort, mais jusqu’à la mort, à cause des apôtres. Il a pleuré et éprouvé l’abandon du Père, mais en même temps il a enduré librement sa passion et sa mort « pour nos péchés » et il considérait sa mort comme un triomphe (chap. 36-43 et 46-62).

Sans nier la réalité du corps et de l’âme humaine de Jésus ni la réalité de sa passion et de sa mort, Hilaire se fait ici une conception trop parfaite du Christ souffrant, soutenu dans ses faiblesses par la personne du Verbe.

La gloire du Christ ressuscité (Livre XI)

Le Christ retrouve dans sa résurrection purement et simplement l’éclat qui convient à une personne divine. Il devient « Dieu entier » dans sa chair transfigurée (chap. 1-8).

Le Christ déclare, il est vrai, qu’il « monte vers son Père et notre Père, son Dieu et notre Dieu ». Il le fait en tant qu’homme. Dieu est Père pour le Fils et Seigneur pour le Christ-homme, l’oint de Dieu, notre frère et notre médiateur (chap. 8-20).

Saint Paul déclare que le Christ « à la fin remettra le royaume à son Père et se soumettra à lui ». Le Christ remet le royaume à son Père, mais il ne cesse pas de régner (chap. 25-29). La soumission du Fils au Père et de toutes choses en lui, exprime, au sens propre, la participation du Christ à la gloire du Père dans sa résurrection, dont la transfiguration au Thabor est la figure (chap. 30-38).

Les saints sont le Royaume du Christ qu’il remettra à son Père. Ils sont glorifiés avec le Christ en devenant conformes à la ressemblance du Christ image du Père (chap. 39-45).

Le Fils sagesse éternelle du Père (Livre XII)

Le livre XII réfute l’interprétation arienne du texte des Proverbes : « Dieu m’a créé au commencement de ses voies ».

Le mot « créé » a un sens figuré, tout comme l’expression « engendré de son sein ». Si le Fils est créature, le Père l’est aussi, car ils ont même nature et reçoivent même honneur (chap. 1-10).

Le Fils n’est pas l’ouvrage du Père, comme nous et Israël le premier-né. Sa naissance est éternelle. Le Fils possède tout ce que possède le Père, même l’éternité (chap. 11-24).

On ne peut dire que le Fils n’était pas avant de naître. Alors le Père ne serait pas éternellement Père (chap. 25-40). On ne peut objecter que la Sagesse est la première des créatures. Elle est non seulement ministre du Père pour la création, mais participe aussi au dessein du Père (chap. 41-44). Ainsi « être créé au commencement de ses voies » veut dire que le Christ est apparu sous une figure humaine dans l’Ancien Testament et qu’il est devenu homme dans le Nouveau, pour tracer la voie du salut (chap. 45-51).

Une longue prière termine le traité. Hilaire demande à Dieu le Père de le garder dans la foi au Fils vrai Dieu et à l’Esprit-Saint procédant du Père et envoyé par le Fils (chap. 52-57).

Albertus Martin
Évêque de Nicolet (Canada)

 retour à la page d'index chapitre suivant