Foi et guérison

Troisième partie : Qui est coupable ?

12. Qui a péché ?

« Ce n’est pas que lui ou ses parents aient péché, mais c’est afin que les œuvres de Dieu soient manifestées en lui. »

Jean 9.3

Jésus n’est jamais distrait ou indifférent lorsqu’il se déplace accompagné de ses disciples. Toute personne dans la peine rencontrée sur sa route est l’objet de sa compassion. Les douze, qui l’observent dans ses faits et gestes, sont chaque fois surpris de le voir s’intéresser à d’humbles inconnus.

Alors qu’il passe près d’une porte de la ville ou du Temple, le Maître s’arrête et attarde ses regards sur un mendiant aveugle de naissance (Jean 9.1-4). A quoi peut-il bien penser ? Intrigués, les disciples s’interrogent :

– Chercherait-il à savoir pourquoi cet homme est né aveugle ?

– Y aurait-il quelque obstacle qui l’empêcherait de lui rendre la vue ?

– Ce malheureux serait-il victime ou responsable de son infirmité ?

– Les siens auraient-ils commis une faute grave pour qu’il soit dans cet état ?

Les disciples, comme la plupart de leurs contemporains, sont persuadés que cette cécité est une punition de Dieu, d’où la question qui jaillit brusquement de douze bouches à la fois :

Qui a péché, lui ou ses parents pour qu’il soit né aveugle ?

Interrogation hautement saugrenue. Je vous le demande ! Cet aveugle pouvait-il pécher avant de naître ? Quoi qu’il en soit, la question de ces hommes est cruelle et déplacée devant ce non-voyant à l’oreille fine. Elle prouve combien leur cœur est sec ; oublieraient-ils qu’à leurs côtés se tient Celui qui opère des miracles et a le pouvoir de rendre la vue aux aveugles ?

Toute épreuve d’une certaine gravité (maladie, infirmité, série de malheurs, mort prématurée…) apparaît, pour beaucoup de personnes aujourd’hui encore, comme le juste châtiment de fautes connues ou supposées.

On croit entendre de braves personnes accuser ainsi le Seigneur :

Mais qu’ai-je fait au bon Dieu pour qu’il s’acharne contre moi et me frappe de tant de maux ?

… Où s’exclamer des personnes scrupuleuses qui cherchent la raison de leur détresse :

Certainement, Dieu me punit !

… Ou soupçonner l’interdit chez autrui en se disant :

Puisque son mal s’éternise malgré les prières de l’Église, c’est qu’un grave interdit retient le bras de Dieu ; pourquoi ce frère tarde-t-il donc à le confesser ?

Ceux qui font de telles réflexions paraissent ignorer combien la bonté et la longanimité de Dieu sont immenses, lui qui ne châtie que très exceptionnellement ; et quand il se décide à frapper, la punition infligée est loin d’être à la mesure de la faute commise.

A la décharge des disciples et des chrétiens qui soupçonnent, il faut admettre que l’Écriture et les faits accréditent l’idée du châtiment lorsqu’une personne est frappée dans son corps ou dans son âme. En effet :

1) Le décalogue utilise le terme de “punition” dans le troisième commandement : « l’Éternel punit l’iniquité des pères jusqu’à la troisième et à la quatrième génération de ceux qui le haïssent » (Exode 20.5).

2) L’Ancien Testament, depuis Adam et Êve, fourmille en personnages qui paient pour des fautes précises. Ici, nous n’avons que l’embarras du choix :

– Marie, la sœur de Moïse, est brusquement atteinte de lèpre pour avoir critiqué son frère et revendiqué une part de son autorité (Nombres 12.10).

– Les fils d’Aaron périssent consumés dans le sanctuaire, eux qui ont osé y introduire du feu étranger, « ce que l’Éternel ne leur avait point ordonné » (Lévitique 10.1).

– Koré disparaît avec tous les siens, tous engloutis vivants dans la terre qui s’ouvre soudain sous eux suite à leur rébellion contre le chef du peuple (Nombres 16.32-33).

– Le roi Ozias a l’audace d’offrir le parfum dans le temple, fonction réservée aux sacrificateurs ; aussitôt, « la lèpre éclate sur son front ». Vivement chassé du sanctuaire, il est contraint d’aller vivre à l’écart jusqu’à sa mort en laissant le pouvoir à son fils (2 Chroniques 26.16-21).

– Le chapitre 28 du Deutéronome énumère les malheurs (famine, stérilité, déportation, pestes, invasions, etc.) qui frapperont “ceux qui n’obéiront pas à la voix de l’Éternel”.

3) Le Nouveau Testament relate le récit de la mort d’Ananias et de Saphira, brutalement foudroyés pour avoir menti à Pierre devant l’Église rassemblée. Peu de temps après, le roi Hérode accepte d’une foule en délire des louanges dues à Dieu seul : aussitôt tombe le châtiment : “un ange frappe” l’orgueilleux monarque qui “expire rongé de vers” (Actes 12.21-23).

L’apôtre Paul avertit les chrétiens de Corinthe en leur signalant que plusieurs d’entre eux sont malades ou décédés pour avoir pris indignement le repas du Seigneur alors qu’ils vivaient notoirement dans le péché (1 Corinthiens 11.30-31).

4) Les faits eux-mêmes semblent donner raison aux disciples puisque de tout temps des multitudes ont payé cher leur inconduite et leurs excès. La maladie, la ruine, une mort prématurée ont eu des causes diverses, bien connues : alcoolisme (cirrhose du foie ; troubles de la vision, delirium tremens…), abus de drogues, déviations sexuelles, excès de table, non respect du repos hebdomadaire, soucis entretenus, l’envie exacerbée, la haine…

Et pourtant, malgré ce qui précède, rien ne m’autorise à voir en toute personne éprouvée un coupable sous le châtiment de Dieu. Le livre de Job a été écrit pour nous garder de nous ériger en juge impitoyable qui accuse gratuitement et calomnie un innocent, ajoutant ainsi une souffrance de plus à sa peine. La réponse de Jésus, citée en exergue, nous sera utile lorsque nous serons tentés de soupçonner un être malade ou infirme, même quand des preuves patentes semblent nous y autoriser.

Les disciples ont eu de tristes prédécesseurs en la personne des trois amis de Job. De la pitié et de bonnes intentions, ces vieillards en avaient à revendre, eux qui venaient de fort loin pour consoler ce grand malade ; eux qui avaient accepté l’inconfort, restant assis à même le sol durant sept jours devant un malheureux qui se tordait de douleur. Ils ont supporté ce triste spectacle vingt quatre heures sur vingt quatre sans ouvrir la bouche pendant toute une semaine (Job 2.13). Chapeau !

Sans doute avaient-ils raison de garder le silence devant tant de souffrance, mais leur mutisme était d’une teneur propre à exaspérer le patriarche qui flairait sans peine la suspicion et la malveillance. Aussi, explosa-t-il soudain, allant jusqu’à maudire le jour de sa naissance (3.1-2). Qu’il est révoltant d’être accusé par ses proches ou ses amis, alors qu’on possède “une bonne conscience devant Dieu” !

Les trois visiteurs observent sans indulgence leur ami effondré ; incontestablement c’est un homme sous le châtiment de Dieu ; la maladie le frappe parce qu’il a péché, c’est évident ; et si l’épreuve atteint de tels sommets sans lui laisser un instant de répit, c’est qu’il a commis des fautes d’une gravité extrême obligeant le Seigneur à déchaîner contre lui toute sa colère. Donc, pas de rétablissement possible et de réhabilitation à attendre aussi longtemps qu’il ne plaidera pas coupable devant l’Éternel et devant les hommes. Excellente théorie, conforme à l’Écriture : Quand le mal est réellement une punition de Dieu, il n’y a pas de guérison à attendre sans humiliation et retour au Seigneur. Les trois amis, pétris de saine doctrine, le savent et l’appliquent aveuglément à un homme que l’Éternel a pourtant qualifié d’intègre et de juste. Comme on peut se tromper !

Pour toi, conseillent ces donneurs de leçons, dirige ton cœur vers Dieu… Éloigne-toi de l’iniquité, ne laisse pas habiter l’injustice sous ta tente, alors tu lèveras ton front sans tache, tu seras ferme et sans crainte, tu oublieras tes souffrances… (Job 11.13-16).

Et pour amener plus sûrement le malade à capitulation, ses amis ne ménagent rien ; les reproches pleuvent, ironiques même. “Ah ! Ah ! Tu n’es plus serein comme tu l’étais dans la prospérité…” :

Tu as fortifié les mains languissantes, et maintenant qu’il s’agit de toi, tu faiblis !

Maintenant que tu es atteint, tu te troubles ! (4.3-5).

Des soupçons, les prétendus amis passent allègrement à la calomnie. Si l’on sait que Dieu traite son serviteur Job d’homme exceptionnel (1.8), on mesure bien vite le caractère odieux de leurs accusations. Jugez plutôt :

Ta méchanceté n’est-elle pas grande ? déclare sans preuve le pieux Éliphaz.
Tes iniquités ne sont-elles pas infinies ?
Tu enlevais sans motif des gages à tes frères,
Tu privais de leurs vêtements ceux qui étaient nus,
Tu ne donnais point d’eau à l’homme altéré…
Tu renvoyais les veuves à vide,
Les bras des orphelins étaient brisés…
c’est pour cela que la terreur t’a saisi tout à coup…

(22.5-11).

Langage ignoble et révoltant.

Comme quoi, certaines notions justes et scripturaires, appliquées mal à propos et sans indulgence, peuvent nous rendre injustes, insupportables et cruels. Dieu permette que nous ayons assez d’amour pour assister celui qui souffre sans nous hasarder à le juger. L’avertissement de Jésus devrait nous y encourager : « Ne jugez pas afin que vous ne soyez pas jugés. Car vous serez jugés vous-mêmes de la manière dont vous aurez jugé, et on vous appliquera la mesure dont vous vous serez servis pour mesurer autrui » (Matthieu 7.1-2).

Questions :

  1. Lorsque vous vous trouvez devant un malade vous arrive-t-il de vous interroger en disant : « Pourquoi ce malade en est-il là ? Pourquoi ne guérit-il pas ? Y a-t-il un motif qui empêche le Seigneur de lui accorder la guérison ? »
  2. Devrait-on se poser de telles questions ? Quel danger courons-nous en voulant trouver à tout prix une réponse à ces “pourquoi ?”
  3. Quelle doit être notre attitude devant un malade qui ne guérit pas malgré l’intercession de l’Église ?

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