L'AVORTON DE DIEU

Le martyre de saint Paul selon les Actes de Paul

Il m'a paru utile de mettre sous les yeux du lecteur le récit de la mort de Paul tel que la présentent les Actes de Paul. De nombreux fragments subsistent de ce texte apocryphe du IIe siècle. Les plus anciens ont été publiés en 1698 à Oxford. On en connaît aujourd'hui quarante-huit manuscrits dont onze ont permis la savante édition de l'ouvrage Ecrits apocryphes chrétiens (1997) sous la direction de François Goyon et Pierre Geoltrain.

L'importance historique des Actes de Paul a été souvent soulignée : ils ont recueilli des traditions orales qui permettent de préciser l'image que se faisaient de Paul, moins d'un siècle après sa mort, les chrétiens de l'époque.

On pourra également juger des raisons qui ont fait expulser les Actes de Paul du recueil des textes reconnus comme canoniques. Parallèlement à des informations que l'on peut considérer comme acceptables, l'auteur se laisse aller à un « merveilleux » qui a d'évidence rebuté les auteurs de la sélection définitive. Le meilleur exemple en est sans doute le lait qui coule du cou de Paul décapité et surtout le trop audacieux parallélisme avec la mort et la résurrection de Jésus.

Le texte que l'on va lire provient d'une version syriaque des Actes de Paul qui recèle des détails absents d'autres manuscrits. L'acquisition (1896) par la bibliothèque universitaire de Heidelberg de papyrus trouvés en Haute-Egypte en a permis la publication. Il a fait l'objet d'une traduction par Fr. Nau (Revue de l'Orient chrétien, 1898).

Mes chers amis, Luc de Judée et Tite de Dalmatie demeuraient à Rome et attendaient que Paul vint auprès d'eux. Après avoir échappé à la mer, Paul arriva à Rome avec le centurion qui avait été envoyé avec lui de Césarée auprès de l'empereur César. Notre-Seigneur l'avait promis quand il apparut à Paul et lui dit : « De même que tu m'as rendu témoignage à Jérusalem, tu me rendras témoignage à Rome. » Alors Néron n'était pas à Rome. Paul prit donc une maison à la campagne[1] en dehors de la ville et y demeura jusqu'à l'arrivée de l'empereur, qui était parti au loin, pour témoigner devant lui.

[1] Dans la traduction du texte à partir de quatre manuscrits grecs par Willy Rordorff, on lit : « aussi loua-t-il, en dehors de Rome, une grange ».

Luc, Tite et les frères qui avaient été convertis par la prédication de Pierre vinrent trouver Paul à sa demeure. Celui-ci en les voyant fut rempli d'une grande joie, il prêcha continuellement la parole divine et beaucoup d'hommes entrèrent dans l'Eglise de Dieu. La renommée de Paul se répandit dans toute la ville de Rome parce qu'on y racontait les signes, les prodiges et les miracles que Dieu faisait par ses mains. Il guérissait toutes les maladies, et beaucoup d'hommes de la maison de Néron crurent au Messie, grâce à la prédication de Paul ; Rome était dans l'allégresse, et on se rassemblait jour et nuit autour de l'apôtre pour entendre ses saintes paroles.

Au bout d'un temps assez long, Néron revint à Rome. Il avait un jeune échanson nommé Patrocle qu'il aimait beaucoup. Ce jeune homme, entendant parler de Paul, sortit de la ville un soir pour aller entendre près de lui la parole de Dieu. Paul était déjà entouré d'une foule nombreuse qu'il instruisait ; aussi Patrocle, ne pouvant approcher, monta sur le toit d'une haute maison d'où il pouvait entendre les paroles de l'apôtre. Elles lui plurent beaucoup ; mais comme la prédication fut longue et dura jusqu'après le milieu de la nuit, le diable, qui haït le bien, fit tomber Patrocle dans un profond sommeil, puis le poussa et le jeta à terre. Le jeune homme fut tué sur le coup, et l'Empereur apprenant sa mort, fut affligé et saisi d'une profonde tristesse, car il l'aimait beaucoup.

Paul, voyant en esprit ce qui se passait, dit aux foules qui l'entouraient : « Mes frères, notre adversaire le démon a voulu nous tenter ; au-dehors de cette assemblée vous trouverez un jeune homme mort, apportez-le près de moi. » Quatre frères sortirent, trouvèrent l'enfant comme l'avait prédit Paul et l'apportèrent près du saint apôtre. Quand ils reconnurent que ce mort était Patrocle, ils furent très troublés, parce qu'ils savaient que l'empereur Néron l'estimait beaucoup. Alors Paul dit à la foule : « Ne vous effrayez pas, mes frères, mais priez et suppliez Notre Seigneur Jésus Christ d'avoir pitié de nous et de ressusciter ce jeune homme ; voici l'heure de montrer notre foi. » La foule entendant cela s'apaisa et invoqua Notre Seigneur Jésus avec larmes et supplications. Aussitôt le jeune homme se réveilla et sortit de la mort comme d'un sommeil, et le peuple, voyant ce prodige, loua le Dieu Messie et fut confirmé dans la foi. Paul envoya Patrocle près de son maître, l'empereur Néron.

Néron, comme nous l'avons dit, était affligé de la mort du jeune Patrocle. Dès son lever, il se rendit au bain et avant qu'il en sortit, Patrocle revint et se tint prêt à servir à table comme de coutume, car l'Empereur ne l'avait pas encore remplacé. Quand il sortit du bain, ses serviteurs vinrent et lui dirent : « Seigneur, Patrocle vit, il a repris son office et se tient comme d'habitude près de la table de Ta Majesté. » Quand Néron vit Patrocle, il se réjouit beaucoup et lui dit : « Tu es donc vivant ? » puis il ajouta : « Qui t'a ressuscité ? » Et l'enfant, plein de foi et de confiance dans le Messie, répondit : « C'est Jésus Christ, roi éternel, qui m'a ressuscité. » L'empereur Néron ajouta : « Ce roi doit donc régner toujours et détruire tous les royaumes de la terre ? » Patrocle ouvrit la bouche et dit : « Il détruit tous les royaumes de la terre et du ciel et demeure seul pour l'éternité ; il n'y a personne en dehors de lui, aucune parole n'est au-dessus de la sienne, et aucun royaume ne peut éviter sa main. » Néron, à ces paroles, le frappa au visage et dit : « Toi aussi, Patrocle, tu crois qu'il est roi ? » Et Patrocle répondit à César : « Oui, je crois aussi en lui, car il m'a ressuscité. » A ces paroles, quatre eunuques que l'Empereur aimait beaucoup et qui le servaient dans son palais, nommés Barsabas, Justus, Festus et Cestus s'avancèrent et dirent : « Nous aussi, dès maintenant, nous sommes les soldats de ce roi éternel, Notre Seigneur Jésus Christ, vrai Dieu. »

L'empereur Néron fut alors saisi d'une rage violente ; il les fit punir de divers supplices et les fit jeter en prison. A cette occasion, il fut rempli de colère et ordonna dans sa fureur que tous ceux qui se diraient les soldats de ce roi éternel, qui est Jésus Christ, seraient tués par le glaive. Aussitôt que cet édit fut sorti de la bouche de l'empereur, les satellites et les soldats se répandirent dans toute la ville de Rome, arrêtèrent beaucoup de ceux qui croyaient en Jésus Christ et les amenèrent enchaînés. Paul était avec eux ; les soldats l'avaient arrêté avec les autres sans le connaître et les conduisirent tous devant l'empereur. Les regards de tous étaient dirigés sur le saint apôtre Paul, et cette direction de tous les regards vers lui montra à Néron qu'il était Paul, le soldat du Messie. Néron le fit approcher et lui dit : « Tu es bien, ô homme, un soldat de ce grand roi éternel ? » L'apôtre saint Paul répondit : « Je suis le serviteur du grand roi Notre Seigneur Jésus Christ, notre Dieu. » L'Empereur lui dit : « Voilà que tu es enchaîné et en mon pouvoir, dis-moi pourquoi tu es venu dans mon empire et dans ma capitale, ainsi que Pierre mis à mort par ordre d'Agrippa, afin d'y séduire des soldats pour votre grand roi éternel ? »

Saint Paul lui répondit devant tout le peuple : « César Néron, sache et comprends bien que ce n'est pas seulement dans ton empire que nous prenons des soldats pour notre grand roi, mais dans tout l'univers, car Notre Seigneur nous a ordonné de ne fermer à personne la porte de sa bonté afin que tous les hommes puissent entrer dans la vie éternelle. Il te faudra aussi devenir un soldat de notre grand roi dont le royaume ne peut périr, tandis que ta richesse et ta puissance ne subsisteront pas et ne peuvent te sauver, si tu ne commences pas à adorer et à révérer notre grand roi éternel qui te donnera le royaume et la vie éternelle. Il arrivera nécessairement qu'il jugera tous les peuples à la fin des temps, il donnera la vie éternelle à tous ceux qui ont cru en lui ; quant à ceux qui n'ont pas cru, il les condamnera avec les pécheurs à la géhenne et aux souffrances éternelles. »

L'empereur fut empli de colère en entendant ces paroles ; il n'en crut aucune et ordonna de brûler vivants tous ceux qui croyaient en Notre Seigneur Jésus Christ. Quant à Paul, il le condamna, selon la loi des Romains, à avoir la tête tranchée. Deux centurions furent chargés de le frapper et de lui trancher la tête, l'un se nommait Longus et l'autre Cestus. Ils emmenèrent Paul au milieu d'une foule nombreuse qui l'accompagnait devant et derrière pour voir la fin de son illustre martyre. Il leur parlait et des fleuves de paroles de vie sortaient de lui, comme il est écrit.

Ce jour-là, par l'opération de Satan, une quantité innombrable de ceux qui croyaient en Notre Seigneur fut mise à mort dans la ville de Rome. Car nombreux étaient ceux qui avaient cru en Notre Seigneur Jésus Christ après la prédication de Pierre et Paul. Une foule nombreuse se rassembla à la porte du palais de l'Empereur en criant : « César Néron, tu as fait périr la force de Rome ! » En entendant cela, César défendit aux soldats de tuer encore les chrétiens, aussi ramena-t-on Paul devant lui. A sa vue, le tyran fut irrité de ce que les soldats ne l'avaient pas tué. Paul lui dit : « Dans ce siècle périssable, je ne vis que pour mon roi, mon maître et mon Dieu Jésus Christ, mais quand tu m'auras coupé la tête, je t'apparaîtrai, afin que tu connaisses que je ne suis pas mort, mais que je vis pour mon roi et mon Seigneur Jésus Christ qui viendra juger les vivants et les morts et rendra à chacun ses œuvres bonnes ou mauvaises. » A ces paroles, l'empereur César fut enflammé de colère et fit signe aux deux centurions d'emmener Paul et d'exécuter la sentence qui avait été portée contre lui.

Ces deux officiers, Longus et Cestus, emmenèrent aussitôt Paul devant l'Empereur pour lui couper la tête. Durant la route, ils demandèrent à Paul : « Où est ce roi auquel tu crois, dans lequel tu as confiance et espoir et qui te défend de t'attacher aux dieux des Romains ? » Le saint apôtre Paul leur dit : « O hommes qui êtes enfoncés dans la plus profonde erreur et ne tirez aucun avantage de vos peines, préservez-vous contre le fer qui viendra sur tout l'univers et brûlera tous les méchants comme vous qui n'ont pas servi leur bon maître et Dieu Jésus Christ oublié dans le monde ! Car nous ne sommes pas, comme vous le croyez, les soldats d'un roi de la terre, mais nous sommes les serviteurs et aussi les soldats de ce roi du ciel dont la gloire ne sera pas détruite et dont le royaume ne cessera pas, qui est le roi puissant et honoré de l'univers, dont la puissance n'a pas de bornes et qui viendra à la fin des temps pour juger tout le monde. Heureux alors ceux qui auront cru en lui, car il leur donnera la vie éternelle. » A ces paroles les centurions furent saisis d'une grande crainte ; ils tombèrent aux pieds de Paul et le supplièrent en ces termes : « Nous t'en prions, aide-nous, et rends-nous le service de nous apprendre à être les serviteurs fidèles de ton Dieu, nous te laisserons fuir et aller où tu voudras. » Mais Paul répondit : « Je ne suis pas un mercenaire ou un serviteur qui fuit son maître, mais un serviteur loyal de mon Seigneur et de mon roi Jésus Christ. Quand je devrais mourir je ne fuirais pas, comme vous me le conseillez, mais je vis pour mon roi éternel que j'aime, je vais vers lui et j'entrerai avec lui dans la gloire de son Père. » Les centurions lui dirent : « Et comment pourrons-nous revivre, quand nous aurons été mis à mort ? » Telles furent les paroles de Longus et de Cestus.

L'Empereur envoya deux autres centurions pour voir si Paul était tué ; ils le trouvèrent vivant et le saint apôtre leur dit : « O hommes, soldats de l'erreur, croyez au Dieu vivant qui ressuscitera du tombeau pour la vie éternelle tous ceux qui croient en lui. » Les centurions répondirent : « Si quand tu seras mort nous te voyons revivre, nous croirons à ton enseignement. » Ils retournèrent ensuite près de l'Empereur et lui dirent que Paul vivait. Or Cestus et son camarade Longus demandaient à Paul la guérison de leur âme. Paul leur répondit : « Si le Seigneur le veut, allez demain avant l'aube au tombeau où l'on aura placé mon corps ; vous y trouverez en prière deux hommes nommés Luc et Tite, et je serai au milieu d'eux, ils vous donneront le signe du Messie Jésus, notre vrai Dieu. » Et Paul se tourna vers l'Orient et pria en hébreu, puis quand il eut fini sa prière, il prêcha à la foule la parole de Dieu et beaucoup crurent au Messie. Or Paul était d'un extérieur agréable, sa figure rayonnait la gloire du Messie et il était aimé de tous ceux qui le voyaient.

Quand l'Empereur apprit des deux centurions qu'ils avaient trouvé Paul vivant, il s'irrita et aussitôt envoya un autre officier cruel pour couper la tête de saint Paul et en toute hâte. Paul tendit la tête sans mot dire à ce bourreau qui la trancha sans miséricorde et, ô prodige admirable que Dieu accomplit dans le corps pur de son saint apôtre ! il sortit de son corps du lait avec le sang qui jaillit sur les habits du bourreau qui avait coupé sa tête vénérée. A la vue de ce prodige la foule qui l'entourait se mit à louer Dieu et beaucoup crurent en Notre Seigneur Jésus Christ.

Le bourreau retourna près de l'Empereur qui était alors entouré de tous les princes de Rome et raconta ce prodige. A ce récit tous furent saisis d'une grande crainte. A la neuvième heure saint Paul fut révélé en esprit et apparut à l'Empereur et à tous les philosophes et chefs d'armée qui entouraient son trône. Il dit à l'Empereur : « César Néron, voici Paul le soldat du roi éternel, je ne suis pas mort, mais je vis pour le roi éternel notre Seigneur et notre Dieu Jésus Christ. Pour toi, tu seras accablé de maux sans nombre, parce que tu as répandu le sang de beaucoup d'innocents, et cela s'accomplira contre toi sous peu de jours... » Quand Paul eut cessé de se faire entendre et eut disparu, l'Empereur, comme tous ceux qui l'entouraient, fut saisi d'une grande frayeur, aussi ordonna-t-il de délivrer tous ceux qui croyaient en Notre Seigneur Jésus Christ.

Or l'échanson Patrocle avec les quatre eunuques Barsabas et ses compagnons, et les centurions Longus et Cestus, serviteurs de l'Empereur, allèrent dès le matin au tombeau de saint Paul comme il le leur avait dit. En approchant du tombeau ils trouvèrent deux hommes qui priaient et virent au milieu d'eux l'apôtre Paul dans une grande gloire sans fin. Quand Luc et Tite virent approcher les serviteurs de l'Empereur, ils furent saisis d'une crainte humaine et s'enfuirent, mais ceux-ci coururent après eux et leur dirent : « Ne craignez rien de nous. Nous ne vous voulons pas de mal, mais nous demandons que vous nous donniez la vie éternelle, comme Paul qui prie maintenant au milieu de vous nous l'a promis hier. » A ces paroles Luc et Tite se réjouirent beaucoup, ils parlèrent aux serviteurs la parole de Dieu et leur donnèrent le signe du Messie Jésus, le roi éternel, notre maître, et ils furent de véritables chrétiens.

Or la tête du bienheureux apôtre saint Paul fut tranchée pour le nom de Notre Seigneur Jésus Christ, vrai Dieu, dans la grande Rome, le troisième jour avant les calendes de juillet selon les Romains. Ce qui fait chez les Egyptiens le 5 du mois d'abib et chez les Syriens le 29 khaziran, c'est-à-dire le même jour et le même mois que saint Pierre, prince des apôtres, trois ans après son départ de ce monde, sous l'empereur Néron ; notre Seigneur, notre Dieu et notre Sauveur étant Jésus Christ auquel gloire, honneur, adoration et puissance avec son Père bon et béni et avec l'Esprit vivant et saint, maintenant, et dans les siècles des siècles.

Fin du martyre du saint élu et apôtre Paul. Que sa prière nous aide !

chapitre précédent retour à la page d'index