La société juive à l’époque de Jésus-Christ

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La Galilée à l’époque du Seigneur

Distinction établie entre la Galilée et la Judée. — La Mishna et le Talmud de Jérusalem ont été composés à Tibériade. — Sentiments des Pharisiens pour la Galilée. — Prière d’un célèbre Rabbin. — Le Rabbin Jamaï. — Caractère particulier de la Galilée. — Territoire. — Distinction établie entre la haute et la basse Galilée. — Safed. — Aspect de la Galilée supérieure. — La route des grandes caravanes. — Fertilité de cette province. — Ses villes, ses villages, sa population. — Son industrie. — Nazareth. — Cités célèbres. — Idées et dictons des Rabbins sur ce sujet. — Distinctions qui séparent la Judée de la Galilée dans le domaine théologique. — Caractère des Galiléens. — La mer de Tibériade.

« Si quelqu’un désire devenir riche, qu’il se dirige vers le nord ; s’il recherche la science, qu’il vienne au sud de la Palestine. » Tel était l’axiome que l’orgueil des Rabbins aimait à répéter pour établir la distinction entre la richesse matérielle de la Galilée et la connaissance supérieure de la Tradition, qu’ils réclamaient pour la Judée proprement dite. Hélas, elle ne fut pas longue, la période au terme de laquelle la Judée fut dépouillée de cette grandeur douteuse. Les académies durent se transporter dans le nord, et finirent par s’établir près du lac de Genésareth, dans cette ville même de Tibériade qui, pendant un certain temps, avait été considérée comme impure. Certes, l’inflexible histoire révèle les châtiments qui tombent sur les peuples. — « L’histoire des nations est la Némésis qui châtie leurs iniquitésa. » Et n’est-ce pas un fait singulièrement significatif que la collection des lois et des traditions juives revêtues de la suprême autorité au sein du peuple d’Israël, la Mishna, le Talmud de Jérusalem soient sortis d’une ville qui était, à l’origine, une cité païenne, bâtie sur le sol d’un ancien cimetière abandonné ?

a – « Die Weltgeschichte ist das Weltgericht » (Schiller).

[Il y a deux Talmuds — celui de Jérusalem, et celui de Babylone — pour le texte de la Mishna. Le Talmud de Babylone est de beaucoup plus récent que celui de Jérusalem, et ses traditions tout autrement imprégnées de superstitions et d’erreurs de toute espèce. En ce qui concerne l’histoire, le Talmud de Jérusalem a une valeur et une autorité bien supérieures à celui des écoles orientales.]

Mais aussi longtemps que Jérusalem et la Judée furent le centre de l’instruction juive, aucun terme de mépris n’était trop fort pour exprimer la superbe insolente avec laquelle un Rabbiniste, dévot observateur des règles de la loi, regardait ses coreligionnaires du nord. La parole méprisante de Nathanaël (Jean 1.26) : « Peut-il venir quelque chose de bon de Nazareth ? » était un axiome courant de l’époque, et la réprimande adressée à Nicodème par les Pharisiens (Jean 7.52) : « Informe-toi, et considère qu’aucun prophète n’a été suscité de la Galilée », était rendue plus mordante encore par la question : « Es-tu aussi Galiléen ? » Il n’y avait pas seulement ici la conscience de la supériorité dont la population de la ville — comme on avait l’habitude de nommer ceux qui demeuraient à Jérusalem — aimait à se prévaloir vis-à-vis de ses parents de la campagne. C’était un mépris offensant, exprimé parfois avec une grossièreté incroyable et une absence absolue de délicatesse et de charité, mais toujours avec un sentiment profond de la dignité dont on était soi-même revêtu. La parole : « O Dieu, je te rends grâce de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes » (Luc 18.11), semble le soupir naturel du Rabbinisme, entouré des illettrés et de tous ceux qu’il suppose placés à un rang religieux ou intellectuel inférieur. La parabole du pharisien et du publicain elle-même n’a pas pour but unique de condamner cette prière, mais de caractériser l’esprit du Pharisaïsme, se manifestant à l’heure même où l’homme s’approche de Dieu, et foule les saints parvis. « Ce peuple qui ne connaît pas la loi, — (c’est-à-dire la loi de la tradition) est exécrable. » Tel était, au fond, le sentiment de mépris que les Rabbins avaient pour les opinions populaires. Les Pharisiens eussent volontiers exclu ce « peuple de la terre » non seulement des relations habituelles avec ceux qui avaient la science de la tradition, mais du droit de déposer comme témoins. Chose incroyable ! ils appliquaient, même aux mariages contractés avec ces illettrés, des passages tels que celui du Deutéronome 27.21b « maudit soit l’homme qui a commerce avec la brute ».

b – Qu’on lise, si l’on désire connaître jusqu’où s’étendait l’orgueil Pharisaïque dans son mépris des populations de la campagne, le passage Pes. 49. a et b.

Penserait-on peut-être que ces opinions expriment les idées extrêmes du Pharisaïsme, qu’on médite dans ce cas l’enseignement que nous donnent deux faits, pris au hasard, l’un dans la vie religieuse, l’autre dans la vie ordinaire. On ne peut découvrir de parallèle plus exact avec la prière du pharisien de la parabole, que le suivant : Un Rabbin célèbre, nous dit le Talmud (Jer. Ber. IV : 1), avait coutume chaque jour, en quittant l’Académie, de prier en ces termes : « O Seigneur, mon Dieu et le Dieu de mes pères, je te rends grâce de ce que tu as fixé mon lot parmi ceux qui visitent assidûment les écoles et les synagogues, et non parmi ceux qui fréquentent le théâtre et le cirque. Les uns et les autres nous travaillons et nous veillons, moi pour hériter la vie éternelle, et eux la destruction. »

L’autre exemple, emprunté aussi à un ouvrage des Rabbins, est plus révoltant encore, si possible. Le Rab. Jannaï, dit-on, étant en voyage, fit la connaissance d’un homme qu’il supposait son égal. L’heure venue, son nouvel ami l’invita à dîner, et plaça libéralement devant lui les vivres et la boisson nécessaires. Mais des soupçons inquiétants surgissaient déjà dans l’esprit de Jannaï. Il commença donc à éprouver son hôte en lui posant quelques questions sur le texte de l’Écriture, sur la Mishna, les interprétations allégoriques, et enfin sur les doctrines du Talmud. Hélas ! sur tous ces points, le voyageur ne put donner au docteur de la loi de réponse pleinement satisfaisante. Le dîner s’achève ; et Jannaï qui, pendant tout ce temps, avait sans doute manifesté la hauteur et le mépris d’un docteur, régulièrement promu à cette dignité, à l’égard des personnes sans lettres, invita son hôte, selon l’usage, à prendre la coupe de bénédiction et à rendre grâce. Suffisamment humilié, par l’épreuve à laquelle il avait été déjà soumis, celui-ci répliqua avec un mélange de respect oriental, et de modestie juive : « Que Jannaï lui-même rende grâce dans sa propre maison. » En tout cas, observa le Rabbin, vous pouvez vous joindre à moi pour cela. L’hôte y ayant consenti, Jannaï ajouta : « Un chien a mangé du pain de Jannaï. »

Cependant l’impartiale histoire porte sur les habitants de la Galilée un jugement tout différent de celui de la Synagogue. Elle se plaît à relever les détails mêmes de leur caractère, qui les rendaient méprisables aux yeux des chefs du peuple d’Israël.

Le nom de la province de Galilée peut être rendu par celui de circuit, puisqu’il dérive d’un verbe qui signifie « se mouvoir en rond ».

[Galil en hébreu signifie cercle, et ce nom fut appliqué dans l’origine à vingt villes situées autour de Kedesh-Naphtali. Salomon les avait données à Hiram en retour des services que ce dernier lui avait rendus, en faisant porter à Jérusalem les bois de charpente nécessaires à l’érection du temple. Hiram, dans l’excès de son mécontentement, appliqua à ces cités le nom de Cabul qui signifie repoussantes. On dirait que la destinée de la Galilée a été d’être toujours l’objet du mépris des hommes. Ce dédain était entretenu dans l’esprit des Juifs par le fait que ce district, dès les premiers temps, fut le séjour d’une population mélangée d’Israélites et de païens. Aussi la distinguait-on du reste de la province par le nom de Galilée des Gentils. (C. p. Juges 4.2 ; Ésaïe 9.1 ; Matthieu 4.13 ; 1 Maccabées 5.15-27). Voy. Farrar. o. c. p. 40. (G.R.)]

Elle occupait le territoire de quatre tribus. Issachar, Zabulon, Nephtali et Asher. On trouve déjà ce nom dans l’Ancien-Testament (Josué 20.7 ; 1 Rois.9.11 ; 2 Rois 13.29 ; 1 Chroniques 6.76, et tout spécialement Ésaïe 9.1.). A l’époque de Jésus-Christ elle s’étendait au nord, jusqu’aux possessions de Tyr d’un côté, et de la Syrie de l’autre. Limitée au sud par la Samarie et le mont Carmel à l’occident, elle avait pour bornes, du côté de l’orient, le district de Scythopolis (dans la Décapole). De ce côté même, le Jourdain et le lac de Genésareth constituaient sa frontière générale. C’est dans la Galilée que l’on trouve les lieux auxquels s’attachent tant de souvenirs illustres. Ici, les montagnes de Guilboa, témoins éternels de la défaite d’Israël et de Saül, le petit Hermon, le Thabor, le Carmel, et le champ de bataille le plus vaste de la Palestine, la plaine de Jezréel. Le Talmud et Josèphe la divisent en haute et basse Galilée, séparées, selon les Rabbins, par le district de Tibériade considéré comme la Galilée moyenne (Shev. IX : 2). Le signe, qui pour eux distingue la haute et la basse Galilée, nous rappelle l’histoire de Zachée. La première commence au point « où les Sycomores cessent de croître ». Cette espèce de figuier ne doit pas être confondue avec notre sycomore. Toujours vert et très délicat, il est incapable de résister aux rigueurs de l’hiver (Psaumes 78.47). Il ne croissait que dans la vallée du Jourdain, ou dans la basse Galilée, jusqu’à la côte de la mer. La mention de cet arbre peut donc nous aider à fixer la localité où les paroles de Luc 17.6 furent prononcées par le Sauveur. Les Rabbins mentionnent Kefar Hananjah, probablement la moderne Kefr-Anan, au nord-ouest de Safed, comme étant la première ville de la Galilée supérieure. Safed était réellement « une cité située sur une hauteur » et, comme telle, devait être sous les yeux du Seigneur, lorsqu’il prononça le sermon sur la montagne (Matthieu 5.14). Le Talmud la désigne sous le nom de Zephath. Il nous apprend que c’était l’une des stations d’où l’on pouvait transmettre le signal de la lune nouvelle. Ce signal, donné par le Sanhédrin dans la ville de Jérusalemc, indiquait le commencement de chaque mois. Il était communiqué à toutes les villes par des feux allumés, de montagne en montagne, à travers tout le pays, et bien loin à l’orient aux Juifs dispersés au milieu des Gentils.

c – Voyez mon livre : Le temple, ses ministres et son culte au temps de Jésus-Christ, p. 170, 251.

Dans la partie montagneuse de la Galilée supérieure, les scènes que l’œil pouvait contempler étaient pleines de magnificence. L’air y ranimait les énergies de l’organisme. C’est ici le théâtre de l’une des parties du drame du Cantique de Salomon (Cantique des cantiques 7.5). Mais ses grottes et ses châteaux-forts, aussi bien que son territoire marécageux, offraient un asile aux malfaiteurs, aux proscrits et aux chefs de tous les révoltés. Quelques-unes des personnalités les plus dangereuses dont l’histoire nous a conservé les noms, tiraient leur origine des montagnes Galiléennes. Lorsqu’on pénétrait un peu plus au cœur de cette province, la scène changeait complètement. Au sud du lac Merom, où ce qu’on nomme le pont de Jacob traverse le Jourdain, on arrive à la grande route des caravanes, qui unissait Damas, du côté de l’Orient, au grand marché de la ville de Ptolémaïs, située sur les côtes de la Méditerranée. Quelle activité, quelle vie sur cette voie aux jours du Seigneur ! Que d’entreprises commerciales diverses elle facilitait et combien de bras étaient occupés par cet incessant trafic ! Tout le jour, passaient sur ce chemin de longues files de chameaux, de mules, d’ânes chargés des richesses de l’Orient, et destinées aux lointaines contrées de l’Occident, ou bien apportant le luxe des pays occidentaux aux régions les plus éloignées du Levant. Dans ces interminables convois, on remarquait des voyageurs de toutes les nationalités, Juifs, Grecs, Romains, qui habitaient les contrées orientales. Les relations continuelles avec les étrangers, le passage de tous ces hommes appartenant à d’autres peuplades, rendaient presque impossible en Galilée l’esprit d’étroit bigotisme qui caractérisait la Judée.

Nous voici dans la Galilée proprement dite. Il est difficile de concevoir une plus belle et plus fertile régiond. C’était bien là le pays où Asher devait baigner ses pieds dans l’huile, comme s’exprimait le Deutéronome (Deutéronome 33.24). L’huile du pays, nous dit-on, coulait comme une rivière, et l’on ajoutait qu’en Galilée il était plus facile de cultiver une forêt d’oliviers, que d’élever un seul enfant en Judée. Le vin, quoique moins abondant, était riche et généreux. Le blé y croissait dans des plaines étendues, particulièrement aux environs de Capernaüm. On y cultivait aussi le lin Le prix de la vie y était beaucoup moins élevé qu’en Judée, où une mesure coûtait, disait-on, autant que cinq en Galilée. Quant aux fruits ils étaient excellents, et c’est probablement par un effet de la jalousie des habitants de Jérusalem qu’on défendait aux Galiléens d’en vendre durant les fêtes célébrées dans la ville sainte, de peur que les pèlerins ne pussent dire : « Nous ne sommes venus que pour savourer les fruits de la Galilée. » (Pes. 86)

d – Voir des détails intéressants sur la fertilité de l’ancienne Palestine, dans le Quaterly Statement of the Palestine Exploration Fund. Jul. 1876. p. 120-132.

Josèphe nous décrit ce pays en termes vraiment enthousiastes. Il n’avait pas moins de 240 villes ou villages, nous dit-il, et le plus petit d’entre eux comptait au moins 15 000 habitants. Exagération vraiment énorme, qui aurait rendu cette province deux fois plus peuplée que le territoire le plus populeux de l’Angleterre ou de la Belgique. On l’a assimilée parfois aux districts manufacturiers de ce premier pays. Cette comparaison ne peut s’étendre qu’au fait de la vie commerciale qui y était intense, bien qu’on y trouvât aussi diverses industries, des poteries variées et des teintureries. Des hauteurs de la Galilée l’œil se reposait sur des ports remplis de vaisseaux marchands. Aux pieds du voyageur c’était la mer dont l’azur était sillonné de blanches voiles. Sur le rivage, et à l’intérieur du pays s’élevait la fumée des fourneaux dans lesquels on fondait le verre. Le long de la grande route défilaient d’interminables caravanes. Aux champs, dans les vignes, au milieu des vergers, tout était mouvement et activité. La grande route traversait directement la province ; elle y pénétrait par le pont de Jacob, touchait à Capernaüm, descendait à Nazareth, et suivait la côte de la mer. La dernière de ces localités avait ainsi l’avantage d’être placée sur la voie qui servait à rattacher, par le trafic, les contrées de l’Occident et celles de l’Orient.

Autre détail qui est, chose étrange, assez peu connu des écrivains chrétiens. Les livres des Rabbins nous montrent que Nazareth était l’une des stations des prêtres Juifs. Ceux-ci étaient divisés en 24 classes, dont l’une était toujours occupée à l’accomplissement des fonctions lévitiques dans le temple. Les prêtres qui devaient être employés à ces offices, se rassemblaient dans certaines villes d’où ils montaient ensemble au temple de Sion. Ceux qui étaient dans l’impuissance de s’y rendre employaient la semaine en jeûnes et en prières offerts pour le bien de leurs frères. Nazareth était l’un de ces centres lévitiques. Ainsi, par une significative coïncidence, il y passait et les hommes dont la vie était absorbée par le commerce des biens de ce monde, et ceux dont l’existence s’écoulait à l’ombre des autels de Jéhovah.

Nous avons parlé de Nazareth ; il peut être intéressant de dire un mot des autres localités de la Galilée que mentionne le Nouveau-Testament. Le long du lac, du côté du nord s’élevait la grande ville de Capernaüm. Près d’elle se trouvait Chorazim dont le froment était si renommé, que, si cette ville eût été plus rapprochée de Jérusalem on l’eût employé à l’usage du temple (Men. 85. a). Puis venait Bethsaïde, dont le nom « maison des poissons » indiquait le commerce ordinaire. C’est à Capernaüm que Mathieu était assis à la recette des impôts (Matthieu 9.9).

[Il y avait deux Bethsaïde, l’une à l’est du Jourdain, Belhsaïde Julias dont il est parlé Luc 9.10 ; Marc 8.22 ; l’autre sur le bord occidental du lac de Galilée, le lieu de naissance d’André et de Pierre. (Jean 1.44. Voy. aussi : Marc 6.43 ; Matthieu 11.21 ; Luc 10.13 ; Jean 12.21.)]

Au sud de Capernaüm, voici Magdala, la ville des teinturiers, le séjour de Marie Madeleine (Marc 15.40 ; 16.1 ; Luc 8.2 ; Jean 20.1). Le Talmud nous parle de ses boutiques, de ses tissus de laine, de sa grande richesse, comme aussi de la corruption de ses habitants. Tibériade, qui avait été fondée peu de temps avant Jésus-Christ, est mentionnée incidemment dans le Nouveau-Testament (Jean 6.1, 23 ; 21.1). En ce temps-là, c’était une ville splendide mais principalement païenne, dont les magnifiques édifices formaient un saisissant contraste avec les demeures plus modestes des habitants. A l’extrémité sud du lac, s’élevait Tarichée, ville de pêche, d’où les poissons conservés étaient exportés dans des barils (Strabon 16.2). C’est ici que pendant la guerre avec Rome, eut lieu une espèce de bataille navale, qui se termina par un horrible carnage. Les Romains ne firent aucun quartier ; les eaux du lac furent rougies par le sang d’innombrables victimes, et les côtes empestées par leurs cadavres tombés en putréfaction.

A Cana, en Galilée, on retrouvait le lieu de naissance de Nathanaël (Jean 21.2) où Jésus-Christ accomplit son premier miracle (Jean 2.1-11). Rapproché du second signe dont ce lieu fut le témoin, lorsque les Gentils goûtèrent le vin du nouveau royaume pour la première fois (Jean 4.46-47) il acquérait une signification toute particulière. Cette petite ville était située à trois lieues au nord-nord-est de Nazareth. Mentionnons enfin Naïn, une des places de la Galilée les plus avancées vers le sud, et non loin de l’antique Endor.

Nous ne saurions être surpris que le souvenir des premiers chrétiens, que les Rabbins nous ont conservé, s’attache principalement à faire revivre les scènes de la Galilée. Ainsi, dans l’âge apostolique même, ces derniers font mention de cures miraculeuses accomplies, au nom de Jésus, par un certain Jacob de Chefar — Sechanja (en Galilée). Un des Rabbins s’oppose avec violence dans une certaine occasion, à une tentative semblable, et le patient meurt pendant la discussion. Les docteurs de la synagogue nous parlent également, et à maintes reprises, des disputes qui s’élèvent entre eux et des chrétiens instruits. Ils nous indiquent aussi les rapports qu’ils ont eus avec des croyants Hébreux. Il y a plus encore. Quelques-uns nous montrent les traces de la diffusion générale des doctrines nouvelles. Nous voyons un docteur Galiléen, à Babylone, exposant la science de la Merkabah, ou des doctrines mystiques contenues dans la vision du chariot divin par Ezechiel ! Chose curieuse ! cette exposition contient certainement des éléments qui se rapprochent beaucoup des doctrines chrétiennes du Logos, de la Trinité, etc… On a cru retrouver aussi des conceptions trinitaires dans la signification attachée au nombre trois par un docteur Galiléen du IIIe siècle : « Béni soit Dieu, disait-il, qui a donné les trois lois (le Pentateuque, les Prophètes, et les Hagiographes) à un peuple composé de trois classes de personnes (les prêtres, les lévites et les laïques) par celui qui était le plus jeune des trois (Marie, Aaron et Moïse) au troisième jour (de leur séparation Exode 19.16) et dans le troisième mois. » Une autre assertion d’un Rabbin de Galilée se rapporte à la résurrection. Elle est loin d’être claire, mais elle peut contenir une application chrétienne. Enfin selon la Midrash, cette expression : « le pécheur sera pris par elle » (La femme ; Ecclésiaste 7.26) s’applique soit au Rabbin chrétien Jacob, que nous avons désigné tout à l’heure, soit aux chrétiens en général, soit à Capernaüm par une allusion évidente à la foi nouvelle qui s’y était répandue. Nous ne pouvons poursuivre plus loin l’étude de ce sujet intéressant. Il nous suffira d’ajouter que les pages que nous avons citées, et d’autres encore, mentionnent les efforts faits par des chrétiens Juifs pour répandre leurs doctrines, en dirigeant le culte public, dans la synagogue. Dans ces livres mêmes, il est manifeste que ceux qui les ont écrits ont eu quelque contact avec la secte immorale et hérétique des Nicolaïtes.

[Apocalypse 2.15. — Voyez aussi le volume savant de M. Neubauer : La Géographie du Talmud p. 1 86. s., comparez Derembourg : L’histoire et la géographie de la Palestine p. 347-365.]

La connaissance que nous avons des hommes de la Galilée nous explique l’empressement avec lequel ils accueillirent l’Évangile. N’en cherchons point la cause dans le fait que cette province fut la scène principale de l’activité et des enseignements du Seigneur, aussi bien que le séjour originel de ses premiers disciples. Il ne faut pas la demander non plus à cette circonstance que les fréquentes relations, établies entre ses habitants et les étrangers, devaient aboutir à éloigner les préjugés étroits, tandis que le mépris des disciples des Rabbins pour eux relâchait nécessairement les liens qui les unissaient au strict Pharisaïsme. Non, mais en étudiant le caractère de la population, tel que Josèphe et les docteurs d’Israël eux-mêmes nous la décrivent, nous retrouvons en eux une race généreuse, pleine d’élan, d’un patriotisme ardent ; une population active, éloignée des spéculations oisives, ou des distinctions subtiles de la logique et de la théologie, pleine de conscience et de sérieux.

Les écrits des sages de la synagogue nous font connaître aussi certaines différences qui, dans le domaine moral, séparaient les Juifs de la Galilée de ceux de la Judée. Nous n’avons pas à les rappeler ici, mais nous pouvons affirmer, sans aucune hésitation, que les premiers montraient plus de piété pratique et sérieuse, plus de sévérité dans leur vie, et moins d’attachement servile à ces distinctions pharisaïques qui dépouillaient la loi de son essence même. D’un autre côté, le Talmud accuse les Galiléens de négliger les traditions, de se mettre à l’école aujourd’hui d’un docteur, demain d’un autre (peut-être parce qu’ils n’avaient, pour les instruire, que des Rabbins de passage, et point d’Académie fixe). Enfin il les tient pour incapables de s’élever jusqu’à la hauteur des distinctions et des explications subtiles du rabbinisme. Nous savons de plus, par Josèphe, et par le Nouveau-Testament lui-même, que leur sang chaud les poussait facilement à s’irriter, et qu’ils vivaient dans un état de rébellion chronique contre Rome (Luc 13.2 ; Actes 5.37).

Leur mauvaise prononciation des mots hébreux, ou plutôt leur manque d’habileté pour énoncer les gutturales formait un constant sujet de railleries et de reproches amers de la part de toutes les classes des habitants de la Judée, puisque les serviteurs mêmes, dans la cour du grand-prêtre, pouvaient dire à Pierre : « Certainement tu es aussi de ces gens-là, car ton langage te trahit. » (Matthieu 26.73) Cette remarque, pour le dire en passant, nous montre que la langue ordinairement usitée en Palestine était l’Araméen et non le Grec. Josèphe décrit enfin les Galiléens comme des ouvriers solides et des. hommes courageux. Le Talmud avoue même (Jer. Cheth. IV : 14.) qu’ils se souciaient plus de l’honneur que de l’argent.

[Les Galiléens substituaient dans leur prononciation une lettre à une autre, le Thau, par exemple au Schin. Leur organe était rude et indistinct, aussi n’étaient-ils pas autorisés, dans les synagogues, à faire les lectures consacrées. (Lange. Matthieu 26.73) Les Talmudistes racontent, en se raillant d’eux, une infinité de malentendus comiques auxquels leur mauvaise prononciation donnait souvent lieu. C’est ainsi qu’à l’exclamation d’un Galiléen ses auditeurs répliquaient en se moquant : « Désires-tu du vin pour ta soif, de la laine pour te vêtir, on un âne pour te servir de monture ? » Parce que le provincial de la Galilée prononçait le mot hébreu qui signifie : il dit, comme celui qui désignait la laine et le mot vin comme celui qui, en hébreu, indiquait l’humble monture du Samaritain. (Nork : Rabbin. Quellen p. CLXXXII). (G.R.)]

Mais la province vers laquelle notre pensée se reporte toujours, c’est celle qui entoure son lac enchanteur. Sa beauté, sa végétation merveilleuse, ses produits des tropiques, sa richesse, sa nombreuse population ont été souvent décrits. Selon les Rabbins, le nom de Génésareth dérive d’une harpe, parce que les fruits des rivages de ce lac étaient aussi doux que le son de cet instrument. Quelquefois ils l’expliquent par le sens de jardins des princes, à cause des belles villes et des jardins verdoyants qui l’entourent. Mais pour nous, lorsque notre esprit nous ramène vers la mer de Galilée, nous ne pensons ni à ses champs, ni à ses vergers fertiles, ni aux flots bleus de ce lac admirable, entouré d’une ceinture de collines, ni aux villes actives, non plus qu’aux voiles blanches qui se dessinent sur ses ondes. Notre cœur y cherche les traces de Celui dont les pieds divins en foulèrent les rives, qui répandit, dans ces quartiers, la semence de la vérité, qui y agit et y pria pour nous, pauvres pécheurs ; vers ce Fils de la dilection du Père, qui marcha sur ses flots et calma ses tempêtes ; vers ce Jésus qui, même après sa résurrection, y eut avec ses disciples de si touchants entretiens. Il nous place aux pieds du Maître divin dont les derniers discours prononcés sur ces bords aujourd’hui si paisibles, nous parviennent revêtus d’une grâce toute particulière et d’un charme irrésistible. L’écho de ces paroles touchantes frappe nos oreilles. Elles s’appliquent à nous aussi, et lorsque nous jetons un regard inquiet sur le monde, elles semblent nous redire : « Que t’importe ? Toi, suis-moi. » (Jean 21.22)

[Le Nouveau-Testament nous entretient si souvent des pêcheurs du lac de Galilée, qu’il est intéressant de savoir que la pêche était permise à tous, sans restriction. D’après le Talmud c’était là un des dix commandements laissés par Josué. (Baba Kama, 80. 6). Le mot biblique de Chinnereth ou Chinneroth (Nom.24.11, et ailleurs) vient nous disent les Rabbins de harpe (chinnor) et sa forme ultérieure, geuessar, selon eux, de gener-sarim, jardin des princes. Le nom biblique est réellement celui de bassin, de sorte qu’il est difficile de le faire dériver de la ville de Genussar, comme le pense M. Neubauer. (ut. supra, p. 23 et ailleurs.)]

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