Théologie Systématique – II. Apologétique et Canonique

1.1. Possibilité ontologique du fait surnaturel

La définition générale du fait surnaturela ne soulèvera guère de discussion :

a – Voir la brochure de M. F. Godet : Conférences apologétiques, IV. Le surnaturel biblique, 1869.

« Par miracle, écrit Strauss, on entend généralement un événement qui, inexplicable par l’action et l’enchaînement des causalités finies, apparaît comme une intervention immédiate de la causalité supérieure infinie ou de Dieu, dans le but de réaliser dans le monde l’essence (?) et la volonté de Dieu ; tout spécialement d’y introduire un envoyé divin, de le conserver en vie, de le diriger, et en général de l’accréditer chez les hommes. Tantôt cette opération miraculeuse est le fait de l’envoyé divin revêtu pour le cours de sa mission d’une force qui lui est prêtée, tantôt c’est Dieu même qui brise la chaîne des faits naturelsb. »

bDas Leben Jesu Wunderbegriff.

« J’entends toujours par le mot le surnaturel particulier, dit M. Renan, l’intervention de la Divinité en vue d’un but spécial, le miracle, et non le surnaturel général, l’âme cachée de l’univers, l’idéal, source et cause finale de tous les mouvements du mondec. »

cVie de Jésus.

Nous ne comprendrons pas non plus seulement dans la catégorie des faits surnaturels les interventions vraies ou prétendues d’une cause supérieure se produisant dans l’ordre matériel, les miracles physiques et extérieurs ; nous y rangerons aussi les miracles pneumatiques, interventions directes et immédiates de la puissance et de l’amour divins dans l’ordre de l’esprit. Cette omission ou cette partialité, que l’on se permet assez fréquemment, a pour conséquence de prêter à l’objection que l’adversaire tire volontiers de ce que le fait surnaturel étant étranger à l’expérience moderne, et soustrait par conséquent à l’investigation scientifique, il se classe inévitablement parmi les produits de l’imagination du passé. N’avons-nous pas précédemment déjà contesté aux sciences naturelles le droit exclusif de connaître des faits, et réservé l’emploi de ce terme dans le domaine des connaissances morales ? Comme donc nous appelons fait d’une manière générale tout ce qui se passe, soit dans l’ordre visible soit dans l’ordre supersensible, et que nous parlons de faits spirituels et moraux avec la même assurance que le positiviste fait les faits matériels, la catégorie du surnaturel doit recevoir de même une extension qui comprenne également les deux règnes de l’esprit et de la nature.

Nous définissons le fait surnaturel, compris dans sa plus grande généralité, comme l’intervention immédiate d’une force supérieure dans le sein d’une nature préexistante, soit physique, soit morale, et tendant à produire des effets qui n’eussent point existé sans l’accession de cette force.

« La considération religieuse du monde, écrit Ritschl, est fondée sur ce que tous les événements de la nature sont à la disposition de Dieu, lorsqu’il veut venir au secours de l’homme. Dès lors les miracles peuvent passer pour des phénomènes naturels extraordinaires (auffallende Naturerscheinungen, auxquels se joint l’expérience des secours de la miséricorde divine, que les croyants doivent considérer comme des signes particuliers de sa sollicitude. Aussi la notion du miracle est-elle en connexion nécessaire avec la foi particulière à la Providence divine, et n’est pas concevable en dehors de cette relation. »

Or le naturalisme repousse a priori et avant tout examen la réalité des faits surnaturels, et semble appliquer à cet objet l’ancien adage scolastique : A non vosse ad non esse valet consequentia. C’est dire qu’il repousse certains dogmes au nom des siens. Ainsi parle de nouveau M. Renan :

« Qu’on ne dise pas que nous supposions a priori ce qui est à prouver par le détail ; savoir que les miracles racontés par les Evangiles n’ont pas eu de réalité, que les Evangiles ne sont pas des livres écrits avec la participation de la Divinité, (les deux négations-là ne sont pas chez nous le résultat de l’exégèse ; elles sont antérieures à l’exégèse. Elles sont le fruit d’une expérience qui n’a point été démentie. Les miracles sont de ces choses qui n’arrivent jamais ; les yeux crédules seuls croient en voir………

Par cela seul qu’on admet le surnaturel, on est en dehors de la science ; on admet une explication qui n’a rien de scientifique ; une explication dont se passent l’astronome, le physicien, le chimiste, le géologue, le physiologiste, dont l’historien doit aussi se passer. Nous repoussons le surnaturel par la même raison qui nous fait repousser l’existence des centaures et des hippogriffes. Ce n’est pas parce qu’il m’a été préalablement démontré que les évangélistes ne méritent pas une créance absolue que je rejette les miracles qu’ils racontent. C’est parce qu’ils racontent des miracles que je dis : les Evangiles sont des légendes. »

Quelques lignes plus loin : « La question du surnaturel est pour nous tranchée avec une entière certitude par cette seule raison qu’il n’y a pas lieu de croire à une chose dont le monde n’offre aucune trace expérimentale. Nous ne croyons pas aux miracles comme nous ne croyons pas aux revenants, au diable, à la sorcellerie, à l’astrologie. Avons-nous besoin de réfuter pas à pas les longs raisonnements de l’astrologue pour nier que les astres influent sur les événements humains ? Non, il suffit de cette expérience toute négative, mais aussi démonstrative que la meilleure preuve directe, qu’on n’a jamais constaté une telle influence. »

M. Renan a répété le même genre d’arguments dans le volume suivant : Les Apôtres : « Une règle absolue de la critique, c’est de ne pas donner place dans les récits historiques à des circonstances miraculeuses. Cela n’est pas la conséquence d’un système métaphysique (?). C’est tout simplement un fait d’observation. On n’a jamais constaté des faits de ce genre. Tous les faits prétendus miraculeux qu’on peut étudier de près se résolvent en illusion ou en imposture. Si un seul miracle était prouvé, on ne pourrait rejeter en bloc tous ceux des anciennes histoires ; car, après tout, en admettant qu’un très grand nombre de ces derniers fussent faux, on pourrait croire que certains seraient vrais. Mais il n’en est pas ainsi. Tous les miracles discutables s’évanouissent. »

Cette façon aisée de se dégager des faits mêmes qui sont en discussion, n’est d’ailleurs pas spéciale à M. Renan. Dans un compte-rendu de la Vie de Jésus de ce dernier, M. Havet continue à tenir à peu près le même superbe langage :

« L’historien se place tout d’abord et se tient constamment dans tout son livre en dehors du surnaturel, c’est-à-dire de l’imaginaire. Non seulement Jésus n’y est pas Dieu, ce dont on voit par les miracles mêmes que ni lui ni les siens n’ont jamais eu l’idée ; mais toute prophétie, tout miracle, en un mot, tout merveilleux est effacé de sa vie. C’est le principe dominant de la vraie histoire comme de toute vraie science — et sans lequel on peut dire qu’elle n’existe pas — que ce qui n’est pas dans la nature n’est rien, et ne saurait être compté pour rien, si ce n’est pour une idée… Je voudrais préciser davantage par un exemple. Le critique ouvre un Evangile, et il y trouve la prédiction précise et circonstanciée de la prise de Jérusalem et de la ruine du temple. Il conclut tout de suite, et sans en demander davantage, que ce livre ou tout au moins cet endroit a été écrit après l’événement, et il tient cela pour acquis, à moins qu’on ne fournisse la preuve du contraire. »

Jusqu’à quel point ces arguments possibles et ces preuves éventuelles risquaient-elles de convertir M. Havet ? c’est ce- qu’il va nous apprendre : « Si l’on n’entre pas dans cette discussion, c’est par l’impossibilité d’y entrer sans accepter une proposition inacceptable, c’est que le surnaturel soit seulement possible. Notre principe consiste à se tenir constamment en dehors du surnaturel, c’est-à-dire de l’imaginationd. »

dRevue des Deux-Mondes, no 1er août 1863.

« La philosophie positive, a dit encore M. Littré, met hors de cause les théologies qui supposent une action surnaturelle. »

Strauss lui aussi, tout allemand qu’il était, et obligé comme tel à sauver du moins les apparences de l’impartialité scientifique, s’est déclaré prêt au contraire à récuser le témoignage le plus direct, s’il s’agissait d’un fait surnaturel ; et il citait à ce propos le dicton des Romains : Je ne croirais pas cette histoire quand ce serait même Caton qui la raconterait.

On aurait pu répondre à Strauss qu’il y a ici plus que Caton.

« Il arrive heureusement, a-t-il écrit, que sur le fait dont il s’agit ici, toutes les conceptions philosophiques, pour autant qu’elles prétendent à la qualité de scientifiques, sont d’accord. Quant au matérialisme, il s’entend de soi que le miracle est pour lui d’une manière absolue un être de raison. Mais le panthéisme lui aussi n’a pas de Dieu au-dessus du monde, pas de Dieu, par conséquent, qui puisse intervenir du dehors dans l’ordre du monde. Les lois naturelles sont pour lui précisément l’essence et la volonté de Dieu, identiques à cette essence dans sa réalisation constante, et affirmer que Dieu pourrait faire quelque chose contre les lois naturelles est pour le panthéisme l’équivalent d’affirmer que Dieu pourrait agir contre les lois de son propre être. »

Nous constatons que le principal ou unique argument articulé par les auteurs que nous venons de citer contre la possibilité du fait surnaturel, est tiré de sa prétendue étrangeté, qui le laisserait sans aucune analogie dans les domaines soumis à notre réflexion ou à nos expériences. Or cette dernière affirmation même, qui en soi, d’ailleurs, n’aurait aucune force probante, subsiste ou tombe avec l’hypothèse évolutioniste, laquelle, faisant dériver par un processus interne tous les ordres et êtres de la nature les uns des autres, et excluant a priori de la catégorie des possibles les deux premiers des miracles : l’existence d’un Dieu personnel et la création du monde, ne saurait se montrer plus accommodante à l’égard de toutes les autres actualisations de la liberté divine ou humaine.

La négation du libre arbitre de l’homme, le déterminisme absolu étendu des activités divines aux activités humaines, tel est en effet le dernier et inévitable corollaire en même temps que le plus décisif critère de la négation absolue du surnaturel : corollaire logiquement nécessaire, disons-nous, car de quel droit accorder à l’homme, être relatif, un pouvoir qui serait refusé à l’Etre absolu ? Et s’il est vrai que Dieu ne soit conçu qu’enserré dans les forces inertes et aveugles de la nature, comment supposer l’homme disposant librement de forces qui lui seraient propres et des forces de la nature qui l’environnent ?

Qu’on suppose admise au contraire la prémisse théiste qui implique l’existence de la liberté en Dieu et dans l’univers ; que, sans refuser de faire au transformisme sa part légitime, on statue entre les trois ou quatre règnes de la nature d’irréductibles intervalles ; qu’on nous accorde une série, si réduite qu’on la suppose, de commencements nouveaux, c’est-à-dire non produits par le concours des forces préexistantes, et posés librement au cours des évolutions de la nature et de l’histoire, je dis que la possibilité et la réalité du fait surnaturel se trouvent par là données l’une avec l’autre.

Et parcourant à grands pas l’échelle des ordres de la nature, passant successivement des plus bas aux plus élevés, j’appelle maintenant surnaturelle la nature organique par rapport à la nature inorganique ; l’animal par rapport à la plante ; l’homme par rapport à l’animal ; en l’homme lui-même, l’âme par rapport au corps, et l’intelligence et la volonté par rapport aux forces aveugles et inertes captées et asservies à des fins librement posées. Que dis-je ? bien loin de reconnaître ce caractère d’ étrangeté suspecte prêté par l’adversaire au fait surnaturel, j’affirme sa fréquence et sa fréquence croissante à mesure que je me rapproche de la sphère où se meuvent l’activité et la liberté humaines, et je n’ai besoin d’en appeler sur ce point qu’à l’expérience la plus ordinaire et la plus incontestée, depuis les merveilles de la vapeur et de l’électricité domptées par le génie, jusqu’à la déviation causée à la force universelle de la pesanteur par la pierre lancée par le caprice d’un enfant.

Or, supposez au terme de cette ascension une volonté supérieure aux forces humaines et aux forces de la nature, intervenant dans le cours des unes et des autres avec une efficacité proportionnelle à la supériorité de son origine, et la possibilité du surnaturel divin est par là démontrée.

Il faut reconnaître que les négateurs de la possibilité du miracle ne se rejettent pas tous sur la faible ressource des sentences a prions tiques et du dédain transcendant. Un des arguments réputés les plus décisifs aujourd’hui en faveur de la conception du mécanisme universel, qui exclut la liberté tout à la fois en Dieu et en l’homme, a été fourni par la physique moderne sous les deux noms synonymes de : loi de la constance des forces, ou de la conservation de l’énergie. On la définit : « La loi selon laquelle la somme des forces vives et des énergies potentielles est constantee ».

e – Par forces vives, il faut comprendre aujourd’hui : énergie cinétique (ThéoTEX).

« La physique a démontré qu’il existe dans l’univers une somme constante de force motrice qu’on appelle l’énergie. De même qu’aucun élément de la matière ne se détruit ni ne se crée, il ne se perd point de force et ne s’en crée pas. Quand vous croyez que la force se perd, elle n’a fait que se transformerf. »

f – Ernest Naville, La Physique Moderne.

On appelle force vive celle qui est actuellement mue, soit qu’elle se produise dans l’action d’un corps sur l’autre, soit que réfugiée dans l’enceinte du corps lui-même, elle en modifie le mouvement moléculaire.

« Nous élevons à une certaine hauteur une masse de’ plomb et nous la laissons tomber sur le sol. Le mouvement visible s’arrête, mais il ne se perd pas, il se transforme. Si le plomb a été suffisamment élevé, il se fond par le choc au moment où il s’arrête. Le mouvement de translation mécanique de la masse s’est transformé en un mouvement moléculaire dans le plomb, et ce mouvement moléculaire a mis en vibration l’éther qui, parvenant à vos organes, vous a donné la sensation de la chaleurg. »

gLibre arbitre, page 223. On eut bientôt fait d’appliquer à l’homme ce principe de mécanique : « Les mouvements du corps humain ne sont jamais que la transformation de mouvements antérieurs provenant des forces de l’organisme, et les forces de l’organisme sont empruntées au monde physique selon des lois nécessaires. La volonté ne peut s’exercer que par des mouvements ; pour qu’elle fut libre, il faudrait qu’elle pût créer un mouvement, ce qui contredirait le principe de la science. » page 224. C’est la liberté divine à l’égard de la nature qui nous intéresse seule ici, et nous n’en appelons à la liberté humaine qu’à titre d’analogie.

Mais il se peut aussi que la force se conserve à l’état d’immobilité absolue, tant interne qu’externe, dont elle ne sortira que par l’enlèvement de la cause qui arrête son expansion ; et dans ce cas, elle est dite virtuelle ou potentielle.

Or on affirme, au nom de la loi de la constance des forces ou de la conservation de l’énergie, l’équivalence du travail engendré par la force vive à celui qui l’a engendrée elle-même.

« Considérez, par exemple, la pierre qui est au sommet de la grande pyramide d’Egypte. Elle a été montée à cette place par le travail des ouvriers, travail qui était susceptible d’être apprécié en kilogrammètres. Qu’on fasse descendre cette pierre le long de la pyramide. Si nous avions des appareils assez précis pour mesurer les mouvements produits, les dégagements de chaleur, d’électricité, etc., nous retrouverions le nombre de kilogrammètres exprimant le travail accompli par les ouvriers, il y a quelques milliers d’années. »

A l’argument que Ton prétendrait tirer contre la possibilité du fait surnaturel du principe de la constance de la force, nous répondons en premier lieu que, fut-il vérifié et mis au-dessus de toute contestation, il n’aurait ni à l’égard de la liberté humaine ni à l’égard de la liberté divine, les conséquences négatives que l’on prétend en déduire ; et nous montrerons ensuite que cette vérification même est loin d’être faite.

Nous disons d’abord que, faisant la concession la plus large possible au principe de la constance de la force, nous n’aurions exclu le fait surnaturel de l’ordre universel que s’il consistait nécessairement et exclusivement dans l’introduction d’une force nouvelle dans le mécanisme de la nature [ou dans le retranchement d’une force existante ; or les analogies empruntées tout à l’heure à l’activité humaine nous montrent des effets méritant déjà le qualificatif de surnaturels, et produits dans le champ de notre expérience par la simple inflexion, la suspension ou l’accélération des cours des forces, qu’elles soient à l’état de forces vives ou potentielles.

Il y aurait donc déjà, selon nous, production d’un effet surnaturel dans le mécanisme de la nature par le simple fait qu’une cause ou volonté supérieure aurait borné son intervention à une déviation de forces, ou aurait fait passer une force vive, actuellement en mouvement, à l’état de force potentielle, soit temporairement immobile, ou vice-versa.

Mais nous n’acceptons point comme un axiome définitivement vérifié la prémisse même de l’argumentationh.

h – Notre opposition n’est point isolée. M. Renouvier conteste l’universalité du principe de la constance de la force, surtout lorsqu’on prétend l’étendre au domaine réservé de l’activité libre Voir La Critique philosophique du 21 août 1873, citée par M. E. Naville, Physique moderne, pages 225 et 226. M. Naville lui-même nous a paru plus décidé pour la négative dans son dernier ouvrage sur le Libre arbitre que dans la Physique moderne.

Que dans le champ restreint ouvert à l’investigation scientifique, le calcul ait pu vérifier l’équivalence absolue de la force acquise et de la force dépensée, nous n’oserions y contredire. Mais qui osera prétendre que cette vérification puisse jamais être poussée jusqu’aux dernières limites de l’univers, et que dans les intervalles des constellations qui se meuvent dans les infinis de l’espace, aucune force ne s’égare sans retour ; qu’aucune ne s’use dans ces gigantesques frottements.

Et surtout, qui osera prétendre qu’à la surface de cette terre même, aucune force ne soit ajoutée ; que la présence de la vie organique, que les générations qui se succèdent dans l’animalité et dans l’humanité ne rendent pas incessamment variable le total des forces et des mouvements existant depuis les origines du monde, ou plutôt de toute éternité, puisque le monde régi par le mécanisme est sans origines ? Et pour finir cette argumentation par un simple appel au sens commun et par la mention d’un exemple concret : qui osera nier que les vastes plaines de l’Amérique du Nord, couvertes d’un peuple de soixante millions d’hommes, ne portent et n’entretiennent une somme de forces actuelles et potentielles inconnue à l’époque où quelques tribus de chasseurs armés de flèches étaient leurs seuls hôtesi.

i – Pour un esprit moderne, la consistance de la pensée de Gretillat se rapproche ici de celle du quatrième état de la matière : le plasma, ou purée. Mais on ne saurait blâmer un littéraire du 19me de ne pas avoir possédé les notions limpides d’énergie et d’entropie, qui sont aujourd’hui familières à tout étudiant en sciences. Par ailleurs la prodigieuse augmentation de la connaissance, caractéristique des temps modernes, et sa diffusion massive, n’empêche pas plus que Gretillat nos évangéliques contemporains de dire des bêtises dès qu’ils s’aventurent dans un domaine qu’ils n’ont pas pris le temps d’étudier sérieusement. C’est ainsi par exemple que certains conférenciers, experts Ph. D. en apologétique, entretiennent la légende d’une seconde loi de la thermodynamique qui s’opposerait à l’existence de toute chose tant soit peu bien rangée dans l’univers. (ThéoTEX)

*

J.-J. Rousseau a écrit : « Un miracle est dans un fait particulier un acte immédiat de la puissance divine, un changement sensible dans l’ordre de la nature, une exception réelle et visible à ses lois. Voilà l’idée dont il ne faut pas s’écarter, si l’on veut s’entendre en raisonnant sur cette matière.

Cette idée offre deux questions à résoudre :

La première : Dieu peut-il faire des miracles ? c’est-à-dire, peut-il déroger aux lois qu’il a lui-même établies ? Cette question sérieusement traitée serait impie, si elle n’était absurde. Ce serait faire trop d’honneur à celui qui la résoudrait négativement que de le punir ; il suffirait de l’enfermer. Mais aussi quel homme a jamais nié que Dieu pût faire des miracles ? Il fallait être hébreu pour demander si Dieu pouvait dresser des tables dans le désert.

Seconde question : Dieu veut-il faire des miracles ? c’est autre chosej. »

jTroisième Lettre écrite de la Montagne.

Ce n’est donc plus, semble-t-il, qu’une question de fait : Dieu étant, et étant un être personnel, a-t-il réellement fait ou voulu faire les miracles qu’il peut faire ?

Pas encore, toutefois ! Entre la question du pouvoir attribué à Dieu de faire des miracles et la question de la réalité historique du fait, se place la question morale, celle de savoir si Dieu a pu vouloir en faire ; si le Dieu tout-puissant peut, sans porter atteinte à sa gloire, déroger aux lois que lui-même a établies ; détourner, suspendre ou arrêter le cours des forces que lui-même a créées ; s’il n’y a pas là une incompatibilité avec la notion d’un Dieu tout sage, tout scient et parfait.

Ceci nous amène à l’objection du déisme qui affirme un Dieu personnel et Créateur, mais nie une Providence gouvernant le monde dans toutes ses parties ; ou qui, à la suite du Vicaire savoyard, se figure Dieu sous l’image d’un roi paterne, qui règne sur ses états sans s’informer si « tous les cabarets y sont bons ».

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