Théologie Systématique – II. Apologétique et Canonique

1. De l’extension de l’autorité canonique des Saintes-Ecritures à des écrits subséquents

Nous demandons d’abord : supposé que la canonicité des Saintes-Ecritures soit un fait démontré et reconnu, nous serait-il permis d’ajouter quelque chose au canon traditionnel des Saintes-Ecritures ? Et ici nous rencontrons trois variétés principales de l’affirmative :

1° Les extensions ecclésiastiques : celles que se permettent les Eglises en attribuant le caractère canonique à leurs propres confessions de foi, comme le font certaines communautés protestantes, entre autres les Eglises luthérienne et anglicane ; ou en attribuant ce caractère à la tradition, comme le fait l’Eglise catholique romaine.

2° Les extensions individuelles mystiques, qui consistent à mettre les manifestations actuelles de l’Esprit-saint au niveau des documents primitifs de la révélation, soit que ces manifestations aient un caractère surnaturel et extatique (Quakers, Irvingiens), soit qu’elles se confondent avec les inspirations individuelles de la conscience chrétienne (Ecole expérimentale).

3° L’extension rationaliste, qui se couvre du nom et du titre de Christianisme libéral, et qui consiste à mettre les manifestations de la raison et de la pensée individuelle au niveau des documents primitifs du christianisme.

L’ancienne dogmatique répondait à la question qui nous occupe en statuant, comme nous l’avons vu, ce qu’elle appelait : integritas Scripturæ sanctæ. Cette formule signifiait que la Sainte-Ecriture que nous possédons était la collection complète et exclusive des écrits inspirés et par conséquent canoniques. Nous nous sommes refusé déjà à souscrire sous cette forme à cette proposition. Il est hors de contestation que nous ne possédons dans le N. T. que le monument très incomplet de l’époque de fondation du christianisme. Il est constant qu’une et probablement deux des épîtres de Paul aux Corinthiens sont perdues, et l’apôtre fait allusion plus d’une fois, dans ses entretiens écrits avec les églises, à des enseignements oraux qui ne nous ont été sans doute que fragmentairement transmis. L’Eglise primitive était plus riche en révélations et en connaissances chrétiennes que l’Eglise postérieure. Elle était plus près de la source qui avait jailli le jour de la Pentecôte ; elle avait à sa disposition des moyens d’information maintenant perdus, sur le fondateur de la religion ; elle possédait dans son sein et sous ses yeux les témoins mêmes que Jésus avait accrédités. Nos documents de la vie de Christ aussi ne sont que fragmentaires, Jean 21.25, et bien d’autres évangiles ou fragments d’évangiles avaient été composés avant ceux que nous connaissons, comme en fait foi l’auteur du troisième, Luc 1.1-3. Supposons donc ce qui n’est point matériellement impossible, qu’il nous fût donné de retrouver l’un ou l’autre de ces documents datant de l’époque primitive ou sortis de la plume d’un apôtre, nous ne voyons pas ce qui pourrait nous empêcher de le ranger dans le canon à côté ou à la suite de ses devanciers, pour autant que la conscience chrétienne lui reconnût les mêmes caractères de pureté et de sainteté.

Ou supposons encore que la tradition orale eût été capable de nous transmettre durant dix-huit siècles, mais sous une forme fidèle et authentique, telles ou telles données sur Christ ou sur la fondation de l’Eglise, tel ou tel fragment de l’enseignement apostolique ; supposé qu’il en ait été dans l’Eglise chrétienne comme aux premiers âges du monde où l’on vivait longtemps et où la mémoire des hommes n’était pas encore surchargée, nous ne saurions voir non plus de quel droit ces traditions orales, fidèles et authentiques, et pour autant qu’elles porteraient les mêmes caractères de pureté et de sainteté que les traditions écrites, n’auraient pas pour nous la même valeur que ces dernières, la même qu’elles avaient encore pour Papias d’après le passage cité dans notre Résumé historique.

Mais nous venons de raisonner sur des hypothèses ou extrêmement improbables, ou déjà positivement exclues par l’événement ; et nous plaçant dans la situation réelle des choses, la question formulée en tête de ce chapitre est celle de savoir si d’autres révélations, d’autres doctrines, d’autres éléments de vérités découvertes au cours de l’histoire, soit par l’effort individuel, soit par l’effort collectif, pourront jamais être ajoutés sous la dénomination du christianisme, au canon actuel des Saintes-Ecritures ; pourront jamais recevoir une valeur normative égale aux documents issus de l’époque de fondation, (la valeur normative de celle-ci une fois admise), que ces additions s’appellent livres apocryphes, symboles ou traditions ecclésiastiques, manifestations individuelles de la raison de la conscience ou de l’expérience chrétiennes.

Réduite à ces termes, la question nous paraît fort simplifiée, ou même implicitement résolue par nos déterminations précédentes sur l’essence de la révélation.

Si, comme nous l’avons établi précédemment, cette essence réside non dans une doctrine, mais dans un fait et dans le fait du salut, et que l’élément doctrinal qui y est renfermé, tout indispensable qu’il paraisse et qu’il soit, n’y figure qu’à titre accessoire et auxiliaire, il ne restera plus qu’à décider si le fait chrétien lui-même est perfectible ou imperfectible, car la perfectibilité du fait étant niée, celle de la doctrine le sera par là même.

Il ne nous sera pas difficile de montrer que tout en se reconnaissant perfectible dans l’histoire, dans son action extensive et intensive dans l’humanité et dans l’individu, la révélation chrétienne se donne pour imperfectible en elle-même. S’il est vrai que la partie spirituelle de l’œuvre de la rédemption a été achevée dans la première apparition de Christ sur la terre, la partie cosmique et universelle de cette œuvre restant réservée à sa parousie, il nous est interdit de prévoir et d’attendre de nouveaux faits rédempteurs dans l’intervalle de ces deux époques, entre le moment où Christ est mort, ressuscité, et, aussitôt que remonté au ciel, a envoyé son Esprit sur le monde et l’Eglise, et celui où il redescendra du ciel visible comme il y était remonté.

Si cela est, on peut déclarer a priori, vu la relation nécessaire précédemment statuée entre la révélation actuelle et la révélation verbale, que toute révélation de vérité salutaire a dû cesser et a cessé avec le fait rédempteur lui-même, et que toute innovation de doctrine soi-disant chrétienne, qu’on prétendrait élever au rang des révélations contemporaines ou immédiatement voisines du fait primitif, ou bien n’était pas vraiment originale, se trouvait impliquée, posée en principe, indiquée, prévue dans la donnée primordiale du christianisme, ou, usurpant la qualification de chrétienne, ne serait que l’excroissance, la surcharge ou la contrefaçon de cette donnée primordiale ; ou enfin, si cette donnée nouvelle était à la fois vraie et originale, c’est qu’elle aurait été communiquée par un procédé magique, nécessaire pour combler ou supprimer la solution de continuité existant entre la révélation primordiale et ces révélations subséquentes. Et si, à l’époque de fondation même, l’Esprit de Christ n’a rien eu à communiquer de son propre fonds, mais simple organe de transmission, se contentait de traduire aux premiers témoins de Christ et à l’Eglise la substance du Christ historique (Jean 16.13-14), à plus forte raison en devait-il être de même à toute époque subséquente.

Nous n’inventons pas ici une règle spéciale au christianisme pour les besoins de la cause. Toute apparition historique, dans l’ordre de la religion ou de la pensée, qu’elle se nomme mahométisme, cartésianisme, hégélianisme ou christianisme, est régie souverainement par la volonté de son fondateur ou de ses fondés de pouvoir, et c’est au nom du droit commun que nous déclarons que tout élément doctrinal, surajouté, au cours de l’histoire, à la donnée chrétienne primordiale, s’il est chrétien, n’est pas nouveau et original ; et s’il est nouveau et original, peut être plus que chrétien, moins que chrétien, mais, étant autre que chrétien, n’est pas chrétien.

Nous avons donc à établir successivement l’imperfectibilité du fait chrétien, attestée par les fondateurs du christianisme ; et comme corollaire de cette première proposition, l’imperfectibilité de la vérité chrétienne contenue dans les documents primitifs du christianisme.

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