Théologie Systématique – III. Prolégomènes et Cosmologie

2. De l’action providentielle considérée dans ses modes supérieurs à la nature

Les anciens dogmaticiens désignaient avec raison cette action divine surnaturelle du nom de miraculum gratiæ, qu’ils opposaient au miraculum naturæ. Car de même que le miracle physique est une intervention divine dans le sein des forces inconscientes de la nature, le miracle moral est une intervention immédiate de la grâce divine dans le sein des forces libres issues de la première création, pour produire des effets qui n’eussent pas eu lieu sans elle. Et de même encore que le miracle physique, à la différence de la première création, se produit dans une sphère limitée, sur un point déterminé de l’organisme général de la nature, le miracle moral ne s’accomplit pas non plus dans l’universalité de la nature morale, mais chez certaines individualités privilégiées et à certaines conditions particulières ; puis, comme toute naissance naturelle est une répétition réduite de l’acte de la première création dans le domaine purement physique et psychique, toute nouvelle naissance opérée par le Saint-Esprit dans une âme est le prolongement de l’œuvre de la seconde création en Jésus-Christ dans la sphère des individualités spirituelles. De même enfin que le miracle physique ne se réalise jamais qu’au sein d’une nature existante qui forme le substratum de l’action surnaturelle elle-même, la grâce dans son action surnaturelle ne supprime point les forces originelles de l’homme ni ne les nie ; elle les augmente, et le cas échéant, les régénère.

L’opportunité, en effet, et la nécessité du miraculum gratiæ se présentent dans deux cas opposés l’un à l’autre : en face d’un progrès à réaliser, ou à la suite d’une chute à réparer.

Dans le premier cas, qui représente le cours normal de l’histoire de l’humanité, interrompu par la chute, il résulte de nos prémisses concernant l’état primitif de l’homme que les forces déposées en lui par l’acte de sa création n’eussent pas suffi à l’accomplissement définitif de sa destinée ; et qu’au cours du développement normal de l’humanité, comme cela s’est produit dans l’existence terrestre du dernier Adam lui-même, une création nouvelle et pneumatique se serait opérée dans le sein de la nature psychique. Pour passer de l’innocence à la sainteté, l’homme aurait eu une effusion surnaturelle de l’Esprit à attendre.

Mais si la nécessité du miracle moral se fût présentée dans le cours même normal du développement de l’humanité, à plus forte raison s’imposera-t-elle dans le cas de la déchéance. Maintenant il ne s’agit plus seulement d’augmenter des forces devenues insuffisantes, mais de restituer des forces perdues, de régénérer celles qui sont détériorées, avant même d’en procréer de nouvelles et supérieures à toutes les précédentes, afin que, selon la norme énoncée par saint Paul : Là où le péché avait abondé, la grâce surabonde (Romains 5.20).

Si donc l’activité divine créatrice est close dans l’ordre physique universel depuis l’avènement du septième jour, elle se continue durant ce jour lui-même par la production incessante de toute âme humaine du néant ; et si encore le miracle a cessé actuellement dans l’ordre physique, il se continue dans l’ordre spirituel par la conversion et la régénération des âmes ; et même il est plus bienfaisant et plus glorieux sous cette seconde forme que sous la première. Ainsi Jésus-Christ place au sommet de l’énumération de ses œuvres messianiques, plus haut même que les résurrections de morts, l’Evangile annoncé aux pauvres, Luc 7.22.

Le christianisme, dès son origine et dans son action permanente et future, réunit en effet ce double caractère d’une restauration de forces perdues : ἀπολύτρωσις, 1 Corinthiens 1.30, et d’une création de forces nouvelles : καινὴ κτίσις 2 Corinthiens 5.17.

L’action divine surnaturelle, soit dans l’ordre physique soit dans l’ordre moral, à ses différents degrés que nous avons décrits, marque la transition de l’activité providentielle générale et conservatrice à l’activité créatrice qui s’est manifestée une seconde fois dans la première venue de Christ, et se manifestera une troisième à la fin du monde.

Le développement de la doctrine du miracle, soit du miracle physique, soit du miracle moral, appartient à la sotériologie et à l’eschatologie d’une part, à la Morale chrétienne de l’autre.

Nous établirons donc comme suit la série des activités divines surnaturelles dans les deux ordres physique et moral :

1° Les miracles de création dans l’ordre purement physique, qui se sont succédé durant les périodes anté-historiques jusqu’à l’apparition de l’homme qui en a été le couronnement.

2° Les miracles physiques dans l’ordre de l’histoire, qui se sont succédé dans l’économie préparatoire jusqu’à la seconde création en Christ, consommation du miracle physique et inauguration du miracle spirituel

3° Les miracles spirituels accomplis dans le sein de l’ordre spirituel, de la résurrection de Christ à son retour.

4° La troisième création, à la fois physique et universelle dans ses effets comme la première et spirituelle comme la seconde.

On peut donc dire que les miracles physiques et spirituels qui se sont succédé à intervalles irréguliers au cours de l’histoire, et dont la résurrection de Christ est le foyer central, n’ont été que les jalons préparatoires de la création divine et universelle qui marquera la fin du sabbat de Dieu.

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