Théologie Systématique – IV. Sotériologie et Eschatologie

4. Du Millenium

Le terme de millénium, pour désigner la période qui s’écoulera entre la première et la seconde résurrection, est formé d’après Apocalypse 20.6, qui fixe à la durée certainement symbolique de mille ans le règne de Christ et de ses rachetés sur la terre. Mais cette donnée, pour être plus précise dans ce passage, n’est point isolée ni unique dans l’eschatologie biblique, comme nous allons en donner les preuves.

Nous distinguons dans ce nouveau cycle prophétique trois sujets principaux, que nous désignons comme suit :

  1. Le règne pacifique de Christ sur la terre ;
  2. La dernière révolte ;
  3. La dernière résurrection.

4.1 Du règne pacifique de Christ sur la terre

Le règne final de Christ sur la terre sera cette période de l’histoire de l’humanité dans laquelle, après la défaite de ses adversaires, Christ exercera son pouvoir bienfaisant et pacifique sur la terre ; et nous croyons qu’entre les insanités chiliastes qui ont compromis cette doctrine, et l’idéalisme transcendental qui la retranche, il y a place pour une conception qui satisfasse au légitime postulat éveillé dans la conscience de l’Eglise par la prophétie biblique.

Le fait dont il s’agit clôt en effet d’une manière nécessaire et normale le développement historique de l’humanité considérée comme le théâtre du royaume de Dieu. Nous indiquons comme les points de repère successifs de ce développement : la promesse faite à Abraham, Genèse 12.2-3 ; les oracles des psalmistes et des prophètes concernant l’établissement final de la royauté messianique jusqu’aux bouts de la terre, Psaumes 2.8 ; 72.10-11 ; Michée 4.1-5 ; Ésaïe 2.1-4 ; 11.6-10 ; 65.17-25 ; Jérémie 31.34 ; Daniel 7.27 ; les paraboles prophétiques de Jésus-Christ (celles entre autres des Vierges et des Talents, Matthieu 25.1-25 ; cf. Luc 19.17-19) ; les promesses faites par lui-même aux débonnaires d’hériter un jour la terre, Matthieu 5.3 ; aux apôtres, d’occuper des places éminentes dans son royaume devenu visible : Matthieu 19.28 ; cf. Marc 10.39-40.

Dès les premiers jours, les apôtres à leur tour ont entretenu l’Eglise de ces lumineuses perspectives en annonçant « ces temps de rafraîchissement et de restauration universelle », où les rachetés de Christ partageront avec lui le pouvoir et l’héritage (Romains 8.17 ), et qui n’attendent pour apparaître que le jour où Christ sera rendu par le ciel à la terre (Actes 3.19). Aussi jaloux cependant de réprimer les exaltations charnelles dans les Eglises nouvelles que le Maître l’avait fait chez ses propres auditeurs, ils mentionnent avec insistance la souffrance et l’humiliation des enfants de Dieu comme le passage nécessaire au triomphe (Romains 8.17 ; 2 Timothée 2.11-12 ; 1 Pierre 4.13).

Cette ère glorieuse ne se confond pourtant pas chez Paul lui-même avec l’éternité. Le fait annoncé : Philippiens 2.9-11, de la reconnaissance universelle de la royauté de Christ, ne peut se placer ni dans l’économie actuelle, où cette reconnaissance n’a jamais eu lieu, ni dans l’économie céleste, où les divisions de l’univers actuel seront abolies. La place du règne pacifique de Christ sur la terre nous paraît marquée assez clairement dans l’eschatologie paulinienne dans l’intervalle de la parousie et de la dernière fin : δεῖ γὰρ αὐτὸν βασιλεύειν ἄχρι οὗ θῇ πάντας τοὺς ἐχθροὺς ὑπὸ τοὺς πόδας αὐτοῦ (1 Corinthiens 15.25). C’est à cette phase également que Paul, à la suite des prophètes de l’A. T., rattache la transformation de cette nature terrestre, jusqu’ici vouée à la corruption et à la vanité, et soupirant elle aussi, à sa manière, après son glorieux affranchissement (Romains 8.21 ; comp. dans Ésaïe ch. 11 et 65, les visions de la nature renouvelée).

Il reste donc dans la prophétie de l’A. T., à la suite de l’accomplissement spirituel qui a eu lieu dans la première venue de Christ, et qui y était certainement compris, un élément non encore accompli, et destiné à en épuiser la portée ; et la réelle confusion des différents horizons de la prophétie de l’A. T. ne saurait avoir pour effet de frustrer indéfiniment tel ou tel des éléments de l’idéal messianique, négligé dans un premier accomplissement, du rôle qui lui est dû dans l’histoire. Il nous est même de plus en plus facile, à nous qui vivons dans l’intervalle de la première venue de Christ et de son retour, d’augurer l’accomplissement complet des promesses divines en partant des expériences que nous en avons déjà faites, et peut-être y avait-il moins de chemin à parcourir de l’état de l’humanité contemporaine des Esaïe et des Jérémie, au degré où le message de l’Evangile l’a portée à cette heure, que de ce dernier point au triomphe universel et définitif du royaume de Dieu, alors que « les armes de guerre seront changées en outils » (Ésaïe 2.1-4) et que les îles les plus éloignées de la terre invoqueront Javeh.

Nous disons enfin qu’il ne serait pas digne de Dieu que cette terre viciée et maudite ne devînt pas une fois au moins, avant d’être comprise dans le dernier cataclysme qui emportera l’univers, le théâtre visible de son pouvoir ; le domaine paisible et incontesté du Messie.

La difficulté principale que présente l’interprétation de toute prophétie avant son accomplissement, c’est qu’il est à peu près impossible d’y faire le départ entre la réalité et la figure, et que nous courons sans cesse le risque ou de matérialiser ce qui n’avait été dit que spirituellement, ou de spiritualiser, d’amoindrir, d’évider des promesses visant des réalités visibles.

Les données scripturaires concernant l’établissement futur du règne visible de Christ sur la terre, renfermées dans les limites qu’une sage réserve nous impose, nous paraissent pouvoir être résumées dans les points suivants :

1° La puissance de l’Antéchrist étant détruite, le pouvoir appartiendra sur la terre à Christ et aux saints glorifiés, qui réuniront en eux les deux qualités de rois, comme représentants de Dieu auprès de l’humanité terrestre, et de sacrificateurs, comme représentants de l’humanité terrestre devant Dieu (Apocalypse 5.10 ; 20.6 ; cf. Jérémie 31.34). Ainsi sera enfin instituée la théocratie universelle et parfaite, où il n’y aura plus ni société civile, ni magistrats, et où les objets même les plus profanes, les sonnettes des chevaux et les chaudières des maisons particulières, seront marqués du sceau direct de la consécration divine (Zacharie 14.20-21).

2° La capitale de ce dernier empire, le seul qui aura été effectivement universel sur la terre, sera l’antique Sion (Ésaïe 2.1-4 ; Michée 4.1-2) redevenue, au sortir de la crise suscitée par l’apparition de l’Homme de péché (Apocalypse 11.8), « la cité bien-aimée » τὴν πόλιν τὴν ἠγαπημένην (Apocalypse 20.9), et le rendez-vous pacifique de tous les peuplest.

t – En nous refusant à identifier cette capitale du royaume terrestre de Christ avec la « nouvelle Jérusalem » qui apparaît seulement après le renouvellement du ciel et de la terre (Apocalypse 21.2). nous répondons à la difficulté soulevée par M. Bruston (1er article précédent, pages 153 et sq.), qui trouve cette Jérusalem future bien mobile.

3° Les barrières qui séparent aujourd’hui le monde visible et le monde invisible étant abolies, il y aura communication ininterrompue entre Christ et l’humanité glorifiée d’une part, et l’humanité terrestre de l’autre, qui, de son côté, fournira incessamment à la première de nouveaux contingents d’élus par voie de transmutationu.

u – Nous sommes d’accord avec M. Bruston que les mots : « Ils régneront sur la terre » (Apocalypse 5.10 n’impliquent pas une résidence matérielle des élus glorifiés sur la terre (ibid., p. 154). Mais il y a plus et autre chose ici qu’une royauté purement spirituelle exercée du haut du ciel, qui ne devrait plus être énoncée au futur, mais au présent, ni être limitée à mille ans.

4° Le Prince des ténèbres étant momentanément enchaîné, il ne restera plus dans l’humanité terrestre au service du mal que le vice spécifique, qui du moins ne sera plus sollicité par une action externe et surnaturelle (Apocalypse 20.2,6 ; comp. Éphésiens 6.12), et sera d’autant plus efficacement combattu par les moyens de grâce portés de leur côté à leur maximum d’intensité.

5° La mort à son tour, déjà vaincue en Christ et dans les saints déjà glorifiés, sera rendue pour un temps inoffensive dans une nature renouvelée (Romains 8.21) et la vie humaine retrouvera la durée des premiers âges de l’humanité (Ésaïe 65.20).

Tels seront les domaines offerts aux saintes activités et aux saintes ambitions des rachetés de Jésus-Christ une fois arrivés à la perfection : provinces mesurées aux capacités acquises et aux services déjà rendus (Luc 19.17,19), propriétés réelles et inaliénables (Luc 16.12), nouvelles fonctions dévolues aux serviteurs reconnus fidèles du Maître, qui seront à la fois leur tâche et leur récompense.

4.2 De la dernière révolte

Comme la phase actuelle du royaume de Dieu, le règne pacifique de Christ sur la terre lui-même sera terminé par une dernière, toute dernière révolte, dont les auteurs, déjà désignés dans une vision d’Ezéchiel (ch. 38), porteront les noms typiques de Gog et de Magog (Apocalypse 20.8). Cette dernière crise nous paraît indiquée chez Paul par les mots empruntés au Psaume 110 : jusqu’à ce qu’il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds (1 Corinthiens 15.25).

On a pu se demander si le triomphe universel remporté par Christ sur la terre n’excluait pas la possibilité d’une semblable catastrophe, et quelle fraction de cette humanité si complètement et si longtemps soumise au pouvoir de Christ, serait capable d’en fournir les éléments.

On a même eu l’idée d’aller chercher jusque dans les planètes ces derniers révoltés auxquels la terre aurait refusé une résidence. Nous croyons pouvoir nous arrêter aux limites de la terre et de l’humanité.

« Le Christ, a écrit M. de Rougemont, ne rencontrera dans son empire aucune autorité qui lui résiste en face, sur la terre aucune nation qui lui refuse ses hommages. Mais le péché est trop enraciné au cœur de l’homme pour en être extirpé par la christocratie.

… L’esprit de révolte couve partout ; le dégoût de la religion s’augmente avec les années après les temps du premier enthousiasme ; une langueur mortelle envahit les extrémités du corps de l’humanité. L’âge de mille ans a, comme tous les âges antérieurs, ses phases de développement, et la vieillesse est arrivée avec son dépérissement. Enfin éclate une rébellion ouverte contre Christ : ce sera la dernièrea. »

aLa Révélation de saint Jean. La dernière révolte, pages 358 et 359.

La liberté rendue de nouveau et pour un temps au Prince de ce monde, sa puissance de séduction s’exerçant de nouveau sur les nations de la terre, christianisées, mais non encore régénérées (ἐξελεύσεται πλανῆσαι τὰ ἔθη), Apocalypse 20.8), voilà quelle sera, d’après la prophétie, la cause occasionnelle de cette crise dernière, suivie d’une dernière et définitive défaite de l’Ange déchu, laquelle préludera elle-même au jugement dernier de toutes les créatures de l’univers.

C’est à ce moment aussi que nous plaçons, d’après l’Apocalypse, la résurrection des méchants.

4.3 Seconde résurrection

Cet événement, mentionné une seule fois dans l’A. T. (Daniel 12.2), une seule fois aussi par Jésus-Christ (Jean 5.29), et une seule fois explicitement par saint Paul (Actes 24.15), est implicitement annoncé : Apocalypse 20.5, et brièvement décrit : Apocalypse 20.13.

C’est dans leurs corps ressuscités, nouvelles et dernières livrées des âmes des justes et des injustes, que tous comparaîtront aux assises suprêmes qui cloront le temps et ouvriront l’éternité.

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