Introduction à la dogmatique réformée

Notes annexes

1. Psychologisme régnant dans le second tiers du XIXe siècle, en France. — « Jamais peut-être, depuis la Renaissance, la philosophie ne s’est tenue plus éloignée des sciences que dans le second tiers du XIXe siècle, en France. Attachée encore, sur ce point, à la tradition des Ecossais, l’Ecole éclectique s’était persuadée que la psychologie, complétée par l’histoire de la philosophie et par une vue générale des sciences morales, fournit une base suffisante à une doctrine philosophique. Quant aux sciences dites positives, mathématiques, physiques et naturelles, elles sont du ressort exclusif de ceux qui les cultivent, et le philosophe n’a pas plus à s’en occuper qu’il n’a à craindre d’être inquiété par elles. Il se bornera à les saluer de loin et de haut, à en défendre les principes contre les menaces de l’empirisme, et à leur donner quelques bons conseils de méthode renouvelés de Bacon et de Descartes. »

Page VII s. de l’Avertissement mis en tête du Traité de l’enchaînement des idées fondamentales dans les sciences et dans l’histoire de A. Cournot réédité par L. Lévy Bruhl, en 1922 (Hachette).

2. L’épître de jude et la 2e de Pierre triomphèrent en vertu de leur valeur intrinsèque. Jérôme (de Vit. inlust.) nous dit de la courte lettre de jude : « auctoritatem vetustate jam et usu meruit et inter sanctas scripturas computatur. » Ainsi les critères sont, ici, non l’apostolicité, mais l’antiquité reconnue de l’écrit et son utilité. C’est ce dernier critère seul qui est relevé pour la 2e de Pierre, au témoignage d’Eusèbe. Elle fut mise avec ardeur (έσπουδἀσθη) au rang des Ecritures à cause de sa valeur (χρήσιμος φανἐια). — H. E. VII, 25, 80.

L’authenticité apostolique n’était pas considérée par tous comme un critère indispensable de canonicité. Nous verrons que Denys d’Alexandrie († 265), se plaçant sur le terrain de la foi et de la charité, avait tenté de maintenir la canonicité de l’Apocalypse en l’attribuant à un autre Jean que l’auteur du 4e évangile.

De même, plus tard, le pape Grégoire-le-Grand retiendra la canonicité de l’épître aux Hébreux et renoncera à son origine paulinienne (Jülicher, op. cit. p. 513). Cette attitude sera reprise par Calvin et par la confession de La Rochelle qui ne compte que 13 épîtres de Paul.

3. « Plus d’un point d’ailleurs reste obscur et discutable, par exemple l’extension du canon juif Alexandrin. Les juifs d’Egypte ont-ils reçu les livres deutéro-canoniques, comme l’admet M. Deunefeld ? Il semble difficile de le savoir. Le seul argument dont on dispose à cet égard, et qui est la présence de ces livres dans la Bible grecque, ne paraît guère concluant, car les plus anciens témoins qui nous renseignent sur le contenu de cette Bible sont les manuscrits chrétiens du IVe et du Ve siècle ; nous apprennent-ils vraiment quelque chose sur l’étendue de la Bible chez les juifs Helléniques ? M. Dennefeld lui-même ne se dissimule pas que Josèphe, qui se sert des septante, ne reçoit que le canon restreint de Palestine et Philon, qui loue la même version et parfois aussi s’en sert, ne cite jamais les Deutéro-canoniques. » E. Podechard, Revue des Sciences Religieuses, juillet 1930, p. 498 ss.

4. Nous n’avions pas encore pris connaissance du livre du professeur Gilson sur Christianisme et philosophie quand nous avons ainsi défini la notion catholique de la foi.

Dans notre premier cahier, nous avions décrit cette notion en des termes un peu différents : « d’une manière générale, on peut dire que, pour l’Eglise de Rome, la foi est une pure et simple adhésion intellectuelle à la doctrine de l’Eglise infaillible. »

L’éminent interprète de la pensée médiévale critique cette définition (p. 76 à 79) : un catholique ne croit pas moins immédiatement à Dieu par l’Eglise de Rome, selon lui, qu’un protestant par un synode « réuni n’importe où pourvu que ce ne soit pas à Rome. »

En second lieu, la foi ne serait pas purement et simplement une adhésion intellectuelle, « puisque l’intellect ne croit la parole divine que parce qu’il y est mû par la volonté et… par l’amour. » (D’après S. Augustin et S. Thomas.)

Nous avens dit que la foi est une adhésion à l’enseignement de l’Eglise infaillible parce que nous avions lu dans le catéchisme de Séez que « les fidèles sont obligés de croire tout ce que l’Eglise enseigne, parce que l’Eglise est infaillible. » (Catéchisme de Séez, approbation de Mgr Claude Bardel, Séez, 1904, p. 117. — Nous avons souligné.)

Et maintenant quand un catholique reçoit un dogme, que dis-je, tout ce que l’Eglise enseigne, parce que l’Eglise est infaillible, sa foi se rattache-t-elle aussi immédiatement à Dieu que celle d’un réformé qui reçoit le même dogme de son église, après qu’elle lui a montré qu’il est enseigné dans la Parole de Dieu ? Evidemment non. En vertu de l’infaillibilité de l’Eglise, le catholique est obligé de croire que l’invocation des saints est légitime, même s’il est attiré par l’interprétation réformée de l’Ecriture. Le réformé n’est obligé de la rejeter qu’après que son Eglise l’aura convaincu qu’une telle invocation est contraire à la Parole de Dieu. Et si un concile, même réuni à Rome et présidé par le pape, définit un dogme qu’on puisse prouver par la parole de Dieu, le réformé est tenu de l’accepter, même si son Eglise à lui n’avait pas encore découvert cette vérité.

Il est donc vrai de dire qu’entre la foi du catholique et Dieu il y a l’Eglise infaillible et, concrètement, le pape parlant ex cathedra. L’Eglise essaye bien de démontrer au fidèle que si elle enseigne sa propre infaillibilité elle se fonde sur la parole de Jésus à Pierre, sur les promesses du Christ à l’Eglise.

Mais même si par aventure l’argumentation de Calvin ou de J. Claude lui paraît inattaquable, le fidèle catholique doit croire, malgré tout, à cet enseignement sur l’infaillibilité (« tout ce que l’Eglise enseigne »). Sans doute, il ne croira que parce qu’il croit que l’Eglise a raison en dépit de ce qui lui semble obvie. Ici encore, il ne croit à Dieu que par l’intermédiaire de l’Eglise.

Dans le présent cahier, nous avons ajouté : « pour motif de révélation divine. » Cela est conforme à la définition de la foi et à l’acte de foi du catéchisme de Séez (p. 67) qu’on va lire : « La foi est une vertu surnaturelle par laquelle nous croyons fermement tout ce que Dieu a révélé à son Eglise, parce que Dieu l’a révélé, et que l’Eglise nous l’enseigne. »

« … Et que l’Eglise nous l’enseigne » : ainsi la foi est tellement une adhésion à l’enseignement de l’Eglise que si un catholique recevait tout le dogme, mais qu’il fît abstraction de l’autorité de l’Eglise comme raison de sa créance, se fondant immédiatement et uniquement sur l’autorité de Dieu parlant dans l’Ecriture, il n’aurait pas la foi !

Que la foi soit immédiatement une adhésion à l’enseignement de l’Eglise et médiatement seulement une adhésion à l’autorité de Dieu, cela nous paraît ressortir de l’acte de foi du catéchisme : « Mon Dieu, je crois fermement tout ce que la sainte Eglise catholique, apostolique et romaine m’ordonne de croire ; je le crois, parce que c’est vous, ô vérité infaillible, qui le lui avez révélé. » La foi se présente bien ici comme une adhésion (je crois fermement) à l’enseignement de l’Eglise, comme une réponse à l’ordre immédiat de celle-ci (tout ce que la Sainte Eglise… m’ordonne de croire). Aussi pèche-t-on, en premier lieu contre la foi, toujours d’après le catéchisme, « quand on refuse de croire quelqu’une des vérités enseignées par l’Eglise ».

La doctrine du catéchisme de Paris paraît un peu moins « haute Eglise » que celle du catéchisme de Séez. Encore n’est-ce pas très sûr. Mais si cela était, nous aurions à constater simplement un manque d’unité que nous étions en droit de ne pas supposer.

Mais quoi qu’il en soit, la foi est-elle, d’après l’enseignement catholique, « purement et simplement, une adhésion intellectuelle » (à l’enseignement de l’Eglise) ?

Non, répond notre éminent contradicteur, car Saint Augustin et Saint Thomas lui donnent comme, moteurs la volonté et l’amour. La foi calviniste s’adresse, elle aussi, d’abord à l’intellect.

Réponse : les termes « pure et simple adhésion intellectuelle » n’excluent pas, dans notre pensée, le moteur volonté : il est supposé, ou contraire, par le terme d’adhésion. C’est, nous semble-t-il, toujours par un acte de volonté qu’on adhère. Toute la polémique sur le serf arbitre suppose cela. Mais cette pure et simple adhésion est intellectuelle — et nous consentons à ce qu’on nous fasse dire qu’elle l’est « purement et simplement — quand les raisons théoriques surnaturelles qui la justifient (« Dieu a révélé » « l’Eglise enseigne ») ne sont pas accompagnées d’éléments émotionnels et que l’enseignement reçu dans l’intelligence seule est absent du cœur, où il ne provoque pas d’élan d’adoration, de confiance, d’amour ». Une telle foi est-elle déjà la vertu surnaturelle de la foi pour la théologie romaine ? Oui, sans aucun doute : c’est la fides informis, un assentiment ferme et certain aux vérités révélées sur l’autorité de Dieu et de l’Eglise. (Conc. Vact. sess. III, de fide, c. 3 ; Thomas, S. Theol. II, 2 qu. 2 art. 1. qu. 4 art. 2 ; Bellarm. De justifie. I. C. 4. 6. ; Becanus, Theol. scol. II, 2, tract I, c. 1 s. ; Perrone, Prælect. Theol. V, 1840 p. 251 s.). Cette fides informis correspond à la fides historien, statuée par les théologiens protestants et contestée par les polémistes catholiques. On conçoit qu’avec cette notion de la première des vertus théologales, les catholiques se scandalisent quand on leur dit qu’on est justifié (tenu et réputé pour juste) sola fide.

Aussi, selon eux, pour que la foi devienne justifiante, faut-il que d’informis, elle devienne fides caritate formata, la foi formée par l’amour. Mais il doit bien être entendu que la charitas, l’amour qu’Augustin, Thomas, etc., font intervenir pour que la loi devienne formata est une vertu toute différente de la foi. On ne pèche pas contre la foi quand on pèche contre l’amour.

Nous avons dit que les réformateurs ont profondément modifié le concept de foi. On nous demande alors : qu’est-ce donc qu’il y a dans la foi « calviniste » qui serait absent de la foi catholique ?

La première modification apportée est que la foi (fides informis) n’est plus considérée comme une vertu théologale, ni même proprement comme la foi, mais comme un acte de l’intelligence qui ne conserve l’appellation de foi que par abus. C’est la fides historien. Formellement, un catholique qui n’a que la fides informis et un calviniste qui n’a que la foi historique ne diffèrent pas appréciablement : ils se ressemblent en ceci qu’ils n’ont la foi ni l’un ni l’autre.

La seconde modification porte sur la distinction entre la foi informis et la foi caritate formata. Cette distinction est rejetée. Une chose ne peut recevoir sa forme d’une autre essentiellement distincte et garder sa nature propre. Elle deviendrait autre chose. Le concept de foi est modifié dans ses motifs. Nous avons vu que la foi selon les catholiques a pour raisons la révélation divine dans l’Ecriture et dans l’Eglise (« nous croyons… parce que Dieu l’a révélé et que l’Eglise nous l’enseigne. »). Pour le réformé, la raison unique de la foi est la révélation de Dieu dans l’Ecriture.

Ce n’est que parce qu’il voit l’accord de l’enseignement de l’Eglise avec l’Ecriture qu’il accepte cet enseignement. Si une église se prétendant l’Eglise enseigne quelque chose de manifestement contraire à l’Ecriture, il doit le rejeter. La seule autorité est celle de Dieu parlant dans et par l’Ecriture et l’Ecriture n’est pas seulement la norme unique, mais la source unique de la foi.

Cette différence est peu marquée dans le chapitre où Calvin traite de la foi dans son Justification parce que, de son temps, les théologiens catholiques enseignaient en général que l’adhésion de la foi portait sur le contenu de l’Ecriture (III, 2, 8). Le concile du Vatican ne s’était pas encore réuni et on n’était pas bien d’accord sur le siège de l’autorité.

Le concept de foi est modifié dans sa nature même. Ce n’est plus seulement un assentiment de l’intelligence ; c’est aussi, c’est surtout un assentiment du cœur (§ 8 et 36).

Enfin, il est modifié dans son acte principal. Il est entendu que « si la Parole de Dieu voltige seulement au cerveau elle n’est point encore reçue par foi » (Calvin). Mais il ne suffit pas qu’on ait reçu, même de cœur, la vérité des promesses de grâce et de pardon : l’acte principal de la foi consiste à se les appliquer personnellement. Cela est si vrai que la certitude de la persévérance finale et du salut peut devenir une certitude de foi divine.

On voit qu’en disant que les réformés ont modifié profondément le concept de foi nous n’avons rien exagéré.

De plus, en définissant la foi au sens catholique comme nous l’avons fait, nous n’en avons pas cherché une définition qui nous permît de la rejeter, comme nous en sommes accusé. Nous avons cherché à comprendre les théologiens catholiques et si nous n’avons pas copié une de leurs définitions, c’est parce que nous avons pensé qu’il était préférable de montrer à nos frères comment nous voyons leur théologie, après avoir essayé sincèrement de nous en assimiler la pensée profonde, qui n’affleure pas toujours dans des formules calculées de manière à prévenir des objections.

On nous dit que les définitions données peuvent nuire par leur inexactitude à la réconciliation des chrétiens. Nous croyons, au contraire, qu’elles contribueront à la hâter, parce que la foi réelle des catholiques croyants est formellement si semblable à la nôtre et si différente de la définition de leur théologie présente qu’ils finiront peut-être par sentir qu’il y a quelque chose à y réformer et par se rapprocher des idées sur l’Ecriture des Pierre d’Ailly, des Nicolas de Clémanges et de tant d’autres vieux docteurs que M. Gilson connaît si bien et rappelle souvent avec tant de bonheur.

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