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Sur la mort de Jean-Baptiste

Premier sermon : Hérode et Jean-Baptiste

En ce temps-là, Hérode le tétrarque apprit ce qu’on publiait de Jésus ; et il dit à ses serviteurs : C’est Jean-Baptiste ; il est ressuscité des morts ; c’est pour cela que la vertu des miracles agit en lui. Car Hérode, s’étant saisi de Jean, l’avait fait lier et mettre en prison, à cause d’Hérodias, femme de Philippe son frère ; car Jean lui disait : Il ne t’est pas permis de l’avoir. Et il eut bien voulu le faire mourir ; mais il craignait le peuple, parce qu’on tenait Jean pour un prophète. Or, comme on célébrait le jour de la naissance d’Hérode, la fille d’Hérodias dansa en pleine salle, et plut à Hérode. C’est pourquoi il lui promit avec serment de lui donner tout ce qu’elle demanderait. Elle donc, étant poussée par sa mère, dit : Donne-moi ici dans un plat la tête de Jean-Baptiste. Et le roi en fut attristé ; mais à cause de ses serments et de ceux qui étaient à table avec lui, il commanda qu’on la lui donnât ; et il envoya décapiter Jean dans la prison. Et sa tête fut apportée dans un plat, et donnée à la jeune fille, qui la présenta à sa mère. Puis ses disciples vinrent et emportèrent son corps, et l’ensevelirent ; et ils allèrent l’annoncer à Jésus.

(Matthieu 14.1-12)

Deux choses me frappent dans le récit que nous venons de lire : le martyre de Jean-Baptiste, décapité par Hérode, et la danse de la fille d’Hérodias, qui détermine Hérode à ce crime. Méditons aujourd’hui sur l’histoire de ce martyre, pour y étudier la position du serviteur de Dieu en présence d’un monde « plongé dans le mal ; » et une autre fois, s’il plaît à Dieu, nous méditerons sur les suites de cette danse, pour y étudier le secret caractère des dissipations mondaines.

Avez-vous remarqué le verset dans lequel la mort de Jean-Baptiste est rapportée : « Et il envoya décapiter Jean dans la prison ? » Quelle simplicité ! quelle brièveté ! Reconnaissez ici le langage de la Bible, ce langage qui, sortant du ciel, est élevé au-dessus des agitations et des passions de la terre. Mettez à la place de l’évangéliste un historien ordinaire, et surtout un historien aussi attaché que l’était saint Matthieu à la mémoire de Jean-Baptiste et à la cause pour laquelle il était mort : que de réflexions sur la fidélité du prophète, sur la malice de ses meurtriers, sur la douleur de ses disciples, sur l’indignation du peuple ! Ici, rien de tout cela. Les actions les plus barbares des ennemis de Dieu et les actions les plus sublimes de ses serviteurs sont racontées avec une égale simplicité, parce qu’elles le sont par le Saint-Esprit, que rien n’étonne ni dans la malice des uns ni dans la fidélité des autres, et qui, également incapable de trouble et d’enthousiasme, rapporte les choses tout naturellement comme elles sont.

Mais que de sens dans ce petit verset : « Et il envoya décapiter Jean dans la prison ! » Il peint d’un trait l’histoire de tous les serviteurs de Dieu persécutés par ceux qui ne veulent pas recevoir sa parole. Ce spectacle est aussi ancien que le monde : Abel a ouvert la marche aux persécutés, Caïn aux persécuteurs, et le premier témoin de la foi en a été le premier martyr. Au surplus, martyr n’est que le nom grec d’un témoin, tant cette alliance est étroite. Le Nouveau Testament débute comme l’Ancien : ses deux premiers témoins, Jean-Baptiste et le Seigneur, périssent, l’un décapité par Hérode, l’autre livré par Pilate. Avez-vous jamais réfléchi aux singuliers rapports de ces deux martyrs entre eux ? Jean sortait de la même famille que le Seigneur, et il est mort par des causes pareilles, quelques mois avant lui, au même âge, après avoir exercé son ministère durant le même nombre d’années. Hérode et Pilate étaient tous deux des gouverneurs qui abusèrent, pour opprimer la justice et la vérité, de cette puissance que Dieu leur avait confiée pour les défendre. Tous deux l’ont fait en un temps de grâce : l’un décapite Jean-Baptiste dans une fête de famille, que les princes avaient coutume de marquer par quelque pardon ; l’autre livre Jésus dans une fête religieuse, où il était d’usage de relâcher un prisonnier. Tous deux se sont portés à leur crime sans préméditation, sans passion, sans inimitié personnelle, et en obéissant aux haines d’autrui. Hérode est « très attristé, » et fait décapiter Jean-Baptiste en gémissant ; Pilate tente un mol effort pour sauver Jésus, et le livre « en se lavant les mains. » L’un est mû par la fausse honte, et sacrifie Jean-Baptiste à l’honneur de son engagement téméraire ; l’autre est mû par la peur, et sacrifie Jésus aux inquiétudes de son ambition. Hérode est poussé par sa femme et retenu par le peuple ; Pilate est poussé par le peuple et retenu par sa femme. L’action du premier est un crime domestique, celle du second un crime politique. Mais qu’importent ces différences ? L’un et l’autre cèdent à cette « crainte de l’homme » que l’Esprit de Dieu a si justement appelée « un piège ; » l’un et l’autre fournissent une preuve nouvelle que la faiblesse peut égaler la malice en iniquité ; enfin l’un et l’autre reçoivent dans cette vie un commencement de peine, et d’une manière semblable. Hérode est relégué à Lyon et puis en Espagne, avec cette même Hérodias dont il avait servi la vengeance ; Pilate perd cette place qu’il avait payée du sang du Fils de Dieu, et va mourir à Vienne dans l’exil ; en attendant, ô mon Dieu, « que les trônes soient dressés, que les livres soient ouverts et que les morts soient jugés selon leurs œuvres ! » Là comparaîtront persécutés et persécuteurs en présence de Jésus, siégeant sur son tribunal « pour rendre l’affliction à ceux qui ont affligé son peuple et donner du relâche à ceux qui ont été affligés. (2 Thessaloniciens 1.6-7) »

Hérode appartenait à une famille de princes dont le nom est devenu tristement fameux par leurs entreprises contre le Seigneur et contre son règne. Il y a eu quatre Hérodes. Le premier, Hérode-le-Granda, fit massacrer les petits enfants de Bethléem pour étouffer Jésus au berceau. Le second, Hérode-Antipasb, est celui dont il est parlé dans notre texte, et qui plus tard renvoya Jésus à Pilate après l’avoir indignement outragé. Le troisième, Hérode-Agrippac, fit trancher la tête à l’apôtre saint Jacques, frère de saint Jean l’évangéliste, et il ne tint pas à lui que saint Pierre ne subît le même supplice. Enfin le quatrième, Hérode-Agrippa, nommé dans le Nouveau Testament Agrippad, ne versa pas le sang des serviteurs de Dieu comme les trois autres ; mais il montra devant saint Paul le même esprit qu’Hérode-Antipas devant Jean-Baptiste, et cette espèce d’émotions religieuses qui semble caractériser plus spécialement les grands de ce monde.

a – Roi des Juifs durant trente-sept années, qui finissent à la naissance de Jésus-Christ.

b – Fils du précédent, tétrarque de Galilée et de Pérée durant les quarante premières années de notre ère. On l’appelait roi par compliment.

c – Neveu du précédent et frère d’Hérodias, roi de la Palestine entre l’an 40 et l’an 50. Il mourut, rongé des vers, peu après le martyre de saint Jacques. (Actes 12)

d – Fils du précédent, auquel il succéda, après un intervalle de quelques années.

[« On voit ici, dit Gerlach dans son commentaire sur le Nouveau Testament (Marc 6.5), un exemple remarquable d’un genre d’impression que la parole du salut fait surtout sur l’esprit des puissants de la terre. Une certaine crainte de Dieu, accompagnée d’émotions passagères dont on se plaît même à provoquer le retour, est plus commune chez les personnes haut placées que chez d’autres ; mais c’est chez ces mêmes personnes qu’on rencontre le moins souvent la religion pratique, le renoncement à soi et l’amour de Dieu et du prochain. »]

Hérode-Antipas était un de ces princes qui, sans être très méchants par inclination, font « beaucoup de « choses méchantes (Luc 3.19), » par l’entraînement des mauvaises convoitises et des mauvais conseils. Les traits distinctifs de son caractère paraissent avoir été l’asservissement aux passions charnelles, un mélange de perfidie et de lâcheté, qui lui a mérité de la part du Seigneur le nom de « renard (Luc 13.32), » et surtout un esprit faible et flottant, ouvert à toutes les impressions, sans volonté ni conviction propre.

Il avait épousé la fille du roi Arétase ; mais, consumé d’une flamme adultère pour Hérodias, femme de son frère Philippef, il s’unit à elle secrètement ; et la princesse arabe étant allée cacher sa honte chez son père, Hérodias prit ouvertement sa place. Cette femme ambitieuse échangeait ainsi la vie privée, dans laquelle Philippe avait été relégué par Hérode-le-Grand, contre les honneurs de la souveraineté, et contentait sa propre vanité en même temps que la concupiscence d’Hérode. Pour lui, sans parler de son injustice envers son frère et envers sa première femme, il se rendait coupable d’inceste, d’après la loi de Moïse, qui défendait au frère de s’unir à la femme de son frèreg. Hérode eût violé cette loi en épousant Hérodias, alors même qu’elle eût été veuve ; combien la foulait-il donc aux pieds, en l’enlevant tandis que son mari vivait encore !

e – Roi d’une partie de l’Arabie, le même qui persécuta saint Paul. (2 Corinthiens 11.32) Il remporta une victoire éclatante sur Hérode. Les méchants servent de verge dans la main de Dieu les uns contre les autres.

f – Josèphe nous peint Philippe comme un homme d’un esprit fort doux. Il vivait en simple particulier. Hérodias, qu’il avait épousée, était sa nièce, fille de son frère Aristobule.

g – Excepté quand ce dernier était mort sans laisser d’enfants. (Lévitique 18.16 ; Deutéronome 25.5)

Hérode espérait peut-être que son titre de tétrarque le préserverait d’une censure importune ; mais il ne connaissait pas Jean-Baptiste. Ce fidèle serviteur de Dieu se présente devant le voluptueux tétrarque, lui reproche librement ses crimes et surtout l’enlèvement d’Hérodias, et lui dit : « Il ne t’est pas permis d’avoir la femme de ton frère (Luc 3.19). »

Vraisemblablement, mes chers auditeurs, il ne manqua pas à Jean-Baptiste des amis, et même des amis bien intentionnés, qui combattirent son dessein par les conseils d’une prudence tout humaine. — Qu’allez-vous faire ? Que pouvez-vous dire à Hérode que sa conscience ne lui ait dit avant vous ? Que gagnerez-vous sur l’esprit d’un prince faible, retenu à la fois par la convoitise et par la honte d’une rétractation ? Et cette censure infructueuse, à quoi ne vous expose-t-elle pas ? Craignez tout de l’orgueil d’Hérode, et surtout du ressentiment d’Hérodias. Conservez-vous pour votre famille, pour vos disciples, pour votre ministère ; et sans aller chercher la persécution, renfermez-vous en paix dans une mission où vous avez fait et où vous pouvez faire encore tant de bien. — « Arrière de moi, Satan, tu m’es en scandale ! Car tu ne songes pas aux choses de Dieu, mais à celles des hommes ? » Cette réponse du Seigneur à Pierre peut nous faire juger comment saint Jean aurait répondu à qui l’eût voulu détourner de reprendre Hérode. Son ministère, c’est de presser les pécheurs, grands et petits, de « fuir la colère à venir. » S’il en est à qui personne n’ose parler, c’est une raison de plus pour ne pas leur refuser le seul avertissement peut-être qui puisse se faire jour jusqu’à eux. Et qui sait si Hérode ne l’écoutera point ? La conversion dépend-elle de nos calculs ? et Dieu ne peut-il pas donner à des méchants « la repentance afin qu’ils se réveillent des pièges du Diable, par lequel ils ont été pris pour faire sa volonté ? » Quoi qu’il en soit, « soit qu’ils écoutent ou qu’ils n’en fassent rien, ils sauront pourtant qu’il y a eu un prophète parmi eux (Ézéchiel 2.5). »

Voilà comprendre le ministère de la parole, mes chers frères. Convaincre le monde de péché, c’est l’œuvre du Saint-Esprit, et c’est par là qu’il annonce sa présence. C’est l’œuvre du Fils de Dieu, qui n’a pas été moins imprudent avec les pharisiens que Jean-Baptiste l’a été avec Hérode. C’est l’œuvre des serviteurs de Dieu, et le Seigneur dit à Esaïe : « Crie à plein gosier, ne t’épargne point ; déclare à mon peuple son iniquité, et à la maison de Jacob ses péchés. » Que ce soit donc aussi notre œuvre, ministres de Jésus-Christ. Soyons prudents, sans doute ; mais avant tout soyons fidèles. Et qu’on ne dise pas que cette exhortation est hors de propos dans un temps où nous n’avons à redouter ni la prison ni l’épée. Hélas ! il n’en faut pas tant pour troubler notre faible cœur. Quand il n’y a pas la peur de la prison et de l’épée, il y a la peur de la famille, la peur des amis, la peur du monde ; et que de fois quelqu’une de ces peurs ne nous a-t-elle pas retenus, ô Dieu « qui sondes les cœurs et les reins ! » Ah ! parlons, parlons avec l’esprit et la vertu de Jean-Baptiste, comme il a parlé lui-même « avec l’esprit et la vertu d’Élie (Luc 1.17). » S’il y a quelqu’un près de nous qui vive dans le péché et qui ne sente pas que nous le croyons dans une voie de perdition, nous ne sommes donc pas fidèles, nous ne lui avons donc jamais dit : « Cela ne t’est pas permis. » Il faut que tout en nous prêche tellement la vérité qu’on ne puisse nous approcher sans l’entendre.

Mais s’il dépend de Jean-Baptiste d’avertir Hérode, il n’est pas en son pouvoir de le rendre docile. On peut appliquer à la Parole de Dieu ce qui est écrit du Fils de Dieu : « Elle est une occasion de relèvement pour les uns et de chute pour les autres. » David, repris par Nathan, répond : « J’ai péché contre l’Éternel ; » Ézéchias, menacé des châtiments de Dieu par Ésaïe, se soumet et dit : « La parole de l’Éternel est bonne ; » mais Hérode s’irrite contre Jean-Baptiste et l’enferme dans le château de Machéronte, soit pour châtier son audace, soit pour le réduire au silence. Ainsi Jérémie est retenu en prison par Sédécias, pour avoir dénoncé les jugements de Dieu contre lui et contre son peuple.

Au surplus, on reconnaît ici le caractère faible et irrésolu d’Hérode-Antipas. Selon le récit de saint Matthieu, il semble avoir jeté Jean en prison pour satisfaire sa propre vengeance ; selon celui de saint Marc, il semble l’avoir fait « garder soigneusementh » contre les entreprises d’Hérodias qui « cherchait sa vie. » D’après saint Matthieu, Hérode aurait souhaité de faire mourir Jean, mais il craignait le peuple qui le tenait pour un prophète ; d’après saint Marc, il le tenait lui-même pour un prophète, l’écoutait volontiers, et « faisaiti beaucoup de choses après l’avoir entendu. » Étrange contradiction ! Mais cette contradiction est tout entière dans le cœur d’Hérode. Il croyait, et ne croyait pas ; il voulait, et ne voulait pas ; il haïssait, et il respectait ; il formait des projets de meurtre, et il prévenait l’exécution de ceux d’Hérodias ; il jetait le prophète en prison, et il faisait beaucoup de choses d’après ses conseils. Beaucoup de choses, mais non pas toutes ; voilà le mal, voilà la différence entre l’homme « droit de cœur, » qui n’a qu’une règle, la volonté de Dieu, et l’homme « double de cœur, » qui se consume en efforts pour suivre la volonté de Dieu sans abandonner la volonté proprej. « L’homme double de cœur est inconstant dans toutes ses voies. » Les mêmes fluctuations que les apôtres nous montrent ici dans l’âme d’Hérode, Jérémie nous les fait lire avec une admirable vérité dans celle de Sédécias, qui tantôt emprisonne le prophète et tantôt le consulte en secret, tantôt le livre à toute la cruauté de ses courtisans et tantôt prend des mesures pour le préserver de leur fureur. Que deux historiens eussent raconté cette même histoire en montrant, l’un, Sédécias qui opprimait Jérémie, l’autre, ce même Sédécias qui protégeait ce même Jérémie, ces historiens n’eussent manqué d’accord entre eux que parce que Sédécias n’était pas d’accord avec Sédécias. Plus d’une contradiction que l’on croit apercevoir dans les Écritures prend sa source dans l’esprit de l’homme, et ne se reproduit dans le livre qu’à cause de la fidélité avec laquelle il peint notre cœur.

hMarc 6.20. La plupart des traducteurs rendent par considérer le terme grec que nous rendons par garder soigneusement ; mais cette première interprétation ne peut soutenir l’examen.

i – Monod suit ici la leçon byzantine, ἐποίει (faisait), tandis que les traductions modernes préfèrent l’alexandrine, ἠπόρει (il était perplexe). ThéoTEX

j – L’un veut, l’autre voudrait. L’histoire de Balaam nous peint le caractère, la conduite et la fin de l’homme à double cœur, qui souhaite de servir Dieu, mais sans préjudice de ses intérêts temporels.

Hérode retient Jean-Baptiste en prison et interrompt le cours de son ministère. Chose terrible que d’arrêter un messager de Dieu dans sa marche ! Voici un prophète, et un prophète qu’aucun autre n’a surpassé ; voici un homme que Dieu envoie « pour préparer au Seigneur un peuple bien disposé, » et pour rendre témoignage à « l’Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde ; » voici un homme sur les pas duquel se presse une foule immense (Matthieu 3.5), parmi laquelle il sème à pleines mains la vie éternelle : et vous osez l’enlever à sa mission sainte, et renvoyer à vide tout un peuple affamé de l’entendre ! Ne voyez-vous pas que vous servez les intérêts de Satan ? Ne craignez-vous pas que Dieu ne vous reproche au dernier jour d’avoir traversé ses desseins, et les hommes de leur avoir fermé la voie du salut ? Eh ! qu’importe à Hérode ? Qu’y a-t-il entre cet homme charnel et la parole de vérité ? Pourvu qu’il ait son Hérodias, qu’il soit assis à la table du festin, qu’il contemple une danse exécutée avec grâce, qu’il ne voie point de soulèvement à craindre, et qu’il puisse encore prêter l’oreille, quand il lui plaît, aux conseils du prophète, et les suivre autant qu’il lui plaît, cela ne lui suffit-il pas ?

Mais on espère en vain enchaîner la parole de Dieu avec son serviteur. Jean-Baptiste peut dire avec saint Paul : « Je souffre beaucoup de maux, jusqu’à être mis dans les chaînes comme un malfaiteur ; mais la parole de Dieu n’est point liée (2 Timothée 2.9). » Veuillez-le, ne le veuillez pas, Jean-Baptiste exercera jusqu’à la fin le ministère qu’il a reçu du Seigneur. Que ce soit dans les plaines du Jourdain ou dans le cachot de Machéronte, la position que Dieu lui a faite est la meilleure qu’il eût pu choisir lui-même, et il ne songera qu’à en tirer avantage pour entrer dans les vues de son maître. Il continuera de parler à Hérode avec cette hardiesse qui lui a coûté la liberté, et qui va bientôt lui coûter la vie. Il parlera à ses gardiens, et trouvera peut-être parmi eux quelque geôlier de Philippes, qui n’eût pas eu l’occasion d’entendre l’Évangile si le prophète n’eût été confié à sa garde. Il parlera à ses disciples, puisqu’on leur permet la consolation de le visiter (Matthieu 11.2) ; il leur donnera des soins plus assidus qu’il ne l’a pu faire quand il avait tout un peuple à instruire ; et si par moment il les voit ébranlés, que sais-je ? s’il est peut-être troublé lui-même par sa mystérieuse épreuve, il les enverra demander à Jésus : « Es-tu celui qui devait venir, ou devons-nous en attendre un autre ? »

Que dis-je ? Il parlera jusque dans son silence. Du sein de sa prison, la parole que Dieu lui a mise dans la bouche poursuivra ses persécuteurs. Transportez-vous par la pensée au milieu de la fête qui se célèbre dans le palais d’Hérode. On mange, on boit, on s’enivre, on danse, on s’écrie ; mais ne discernez-vous pas dans ce tumulte une voix muette qui domine toutes les autres ? Et si on ne l’entendait pas, pourquoi cette impatience de l’étouffer ? Jean-Baptiste emprisonné remplit la fête de sa présence importune, et tient comme enchaînés ceux qui l’ont jeté dans les fers. O puissance de la parole de Dieu ! O liberté sainte de ses serviteurs opprimés !

Que si la captivité de Jean-Baptiste lui fournit de nouvelles occasions de prêcher aux autres, ne doutez pas qu’elle ne lui donne aussi de salutaires leçons pour lui-même. Un ministère aussi actif que le sien pouvait le distraire : le voici laissé seul avec Dieu, et libre d’appliquer à son propre cœur cette parole qu’il avait prêchée aux autres. Les grâces qui lui avaient été départies, les succès qu’il avait obtenus pouvaient l’enfler (notre cœur est si misérable ! et un prophète, un apôtre est un homme comme les autres) : le voici mis à l’écart, et instruit que le Seigneur peut faire sans lui cette œuvre qu’il a daigné faire quelque temps par lui. Précieuse retraite, où le prophète est changé en humble disciple et où le Seigneur parle tout seul ! Ainsi Jérémie dans sa prison, ainsi saint Paul à Césarée, ainsi saint Jean dans l’île de Patmos, ainsi Luther dans le château de la Wartbourg, croissaient à l’ombre sous les regards du Seigneur. « Il me retirera dans sa tente au mauvais jour ; il me tiendra caché dans le secret de son tabernacle ; il m’élèvera sur un rocher (Psaumes 27.5). » Remarquez le lien de ces pensées : « Il me tiendra caché, » et c’est alors « qu’il m’élèvera sur un rocher. »

Serviteurs de Dieu, recevons instruction. Quoi qu’on entreprenne contre nos personnes, maintenons la parole de Dieu libre et indomptable. Alors rien ne pourra nuire ni à notre œuvre ni à nous-mêmes, et nous verrons tout conspirer pour servir le Seigneur, et pour servir ceux qui le servent.

Ce n’est pas là ce que s’étaient proposé les ennemis de Jean-Baptiste. On ne peut étouffer sa voix importune ; il faut l’éteindre. Ils saisissent une occasion favorable ; Hérode, circonvenu par de plus méchants que lui, succombe à un faux point d’honneur, et, tout en se condamnant lui-même, « il envoie décapiter Jean dans la prison. »

Décapiter Jean ! Nous disions tantôt que c’est prendre sur soi une responsabilité épouvantable que d’interrompre la carrière d’un prophète ; que dirons-nous donc de le décapiter ? Du moins, quand Hérode enfermait Jean, il laissait une porte ouverte au repentir. Il avait dit au fidèle messager de Dieu : « Pour maintenant, va-t’en ; » mais il pouvait ajouter : « Une autre fois je te rappellerai. » Il ne fallait qu’un moment de réflexion pour qu’Hérode détachât les liens de Jean-Baptiste et le rendît à son ministère. Maintenant, tout est fini : « Les morts ne loueront point l’Éternel (Psaumes 115.17). » Hérode se défiait de lui-même sans doute ; il s’est précautionné à tout jamais contre la tentation d’une bonne pensée. Désormais, voulût-il même rappeler Jean-Baptiste, il ne le pourra plus. Jean-Baptiste « est couché, il se repose, il dort, là où les méchants ne tourmentent plus et où les prisonniers n’entendent plus la voix de l’exacteur ; » il dort avec les Abel, les Naboth, les saint Jacques, en attendant que tu ailles dormir à ton tour avec les Caïn, les Achab, les Hérode-Agrippa ; il dort, « et ne se relèvera plus, et ne sera plus réveillé de son sommeil. » Je me trompe, Hérode ! Jean-Baptiste ressuscitera. Il ressuscitera d’abord dans ton imagination, pour te tourmenter dès cette vie. Au premier bruit des miracles de Jésus, tu diras : « C’est Jean que j’ai fait décapiter ; il est ressuscité des mortsk. » Et puis, il ressuscitera au grand jour que la mer, la mort et l’enfer rendront leurs morts, » et que « les morts, grands et petits, se tiendront devant Dieu, » pour être jugés par la parole du Seigneur ; l’entends-tu, Hérode ? par la parole sortie de la bouche de ta victime !

kMarc 6.16. Ce mot d’Hérode est d’autant plus remarquable que Jean n’avait point fait de miracles.

Mais détournons nos yeux de cette effroyable perspective, et visitons Jean-Baptiste dans sa prison une dernière fois. On frappe à sa porte ; il faut mourir, mourir à l’instant même, seul avec ses bourreaux ; l’ordre du roi est pressant, les convives attendent, le fer est prêt ; et ton âme, « ô prophète du souverain, » est-elle prête aussi ? Ah ! comment celui pour qui tu es dans les chaînes et pour qui tu vas mourir, t’aurait-il oublié ? Si l’heure de ta sentence te surprend, elle te trouve toujours vigilant et « ne sommeillant point. » Que dis-je ? et n’est-ce pas lui qui l’a choisie ? Ne crains rien ; tu n’es pas seul : le Seigneur est avec toi ; « il te gardera de tout mal ; il gardera ton âme. » Celui qui doit bientôt envoyer son ange pour ouvrir à Pierre les portes de la prison où le retiendra Hérode-Agrippa, est aussi celui qui t’envoie ce garde pour t’ouvrir les portes de la prison où te retient Hérode-Antipas. Pierre sortira pour continuer de « porter en son corps la mort du Seigneur Jésus ; » mais toi, tu vas sortir pour voir tout « ce qu’il y a de mortel en toi englouti par la vie. » Heureux de mourir au Seigneur ! car il est écrit : « Bienheureux les morts qui meurent dans le Seigneur ! Oui, dit l’Esprit, afin qu’ils se reposent de leurs travaux ; et leurs œuvres les suivent. » Doublement heureux de mourir décapité pour le Seigneur ! car il est encore écrit : « Je vis aussi les âmes de ceux qui avaient été décapités pour le témoignage de Jésus et pour la parole de Dieu ; et ils vécurent et régnèrent avec Christ les mille ans ; c’est la première résurrection. Bienheureux et saint celui qui a part à la première résurrection (Apocalypse 20.4-6) ! »

O mes frères, « bienheureux le serviteur que son maître en arrivant trouvera veillant ! » Seigneur Jésus, qui « inclines à ton gré les cœurs comme des courants d’eaux, » tiens-nous prêts ! et alors, viens quand tu voudras et comme tu voudras, dusses-tu nous appeler, comme Jean-Baptiste, « sur le minuit, » et sans nous donner une heure de préparation !

Mais l’œuvre de Jean-Baptiste, que va-t-elle devenir ? Que les voies de la Providence sont incompréhensibles ! Dieu fait annoncer la naissance de son prophète par des anges, en termes qui font attendre pour lui une vaste carrière ; et puis à peine l’a-t-il montré aux hommes qu’il le fait passer de la scène du monde dans un cachot, et de ce cachot à la mort ! Et tout cela est si rapide que saint Luc nous montre l’emprisonnement de Jean-Baptiste aussitôt après le commencement de ses prédications, et qu’il donne une moindre place au récit de la vie et de la mort de ce grand prophète qu’à la seule histoire de sa naissance. Son ministère, qui n’a duré que trois ans, dont la moitié a été passée en prison, a-t-il eu le temps de porter les fruits admirables prédits par Gabriel à Zacharie ? Et ses disciples, mal affermis encore, pourront-ils résister au coup terrible que sa mort va leur porter ? Voici la réponse de l’Esprit de Dieu : « Je veux que vous sachiez, » dit saint Paul dans une occasion semblable, « que ce qui m’est arrivé a plutôt tourné à l’avancement de l’Évangile (Philippiens 1.12). » Le Seigneur a d’autres pensées que nous, et nous pouvons sans inquiétude lui laisser faire les plans de sa sainte guerre. Soit qu’il permette à ses serviteurs de fournir une longue carrière, soit qu’il les retire aussitôt à lui ou les enlève à leurs travaux, encore une fois, laissez-le faire : il sait bien ce qu’il fait. Le ministère de Jean-Baptiste a été court, mais il a été bien rempli ; et la suite fera voir qu’il ne s’en est point allé sans avoir « préparé au Seigneur un peuple bien disposél. » Et pour ce qui est de ses disciples, sa mort achève en eux ce que sa vie avait commencé. Tant qu’ils l’ont eu près d’eux, ils sont demeurés incertains, vacillants. A peine deux ou trois d’entre eux ont-ils compris leur maître, et, sur la foi de ses discours, quitté son service pour celui du Seigneur. La plupart entrent si peu dans son esprit qu’ils se montrent jaloux pour lui des progrès de Jésus, et qu’on les voit se joindre aux pharisiens pour lui proposer leurs objections et leurs doutes. Plus tard encore, quand Jean-Baptiste est emprisonné, ils sont prêts à se scandaliser en Jésus-Christ et à douter s’il est le Messie. Mais leur maître mort, à qui vont-ils ? à Jésus. Leurs préventions tombent, leurs yeux s’ouvrent. Leur angoisse, leur isolement les instruisent à dire à leur tour : « Seigneur, à qui irions-nous qu’à toi ? » Ils ont perdu un prophète, mais ils ont trouvé le Seigneur. Tant il est vrai, ô mon Dieu, que « toutes choses te servent ! » Ne permets donc pas que nous soyons troublés par les afflictions de ton peuple, ni par les complots des méchants, ni par la persécution, ni par l’épée, ni par la mort, ni par aucune de « ces choses que ta main et ton esprit ont d’avance déterminé devoir être faites ; » car certainement « la colère de l’adversaire tournera à ta louange ! »

l – Au dix-neuvième chapitre des Actes des Apôtres, nous trouvons jusque dans Éphèse des disciples de Jean-Baptiste, que le baptême de Jean avait préparés pour recevoir l’Évangile.

Dans l’histoire que nous venons de méditer, le monde voit Hérode jugeant Jean-Baptiste ; mais la foi y voit au contraire Jean-Baptiste jugeant Hérode. Car non seulement la parole du prophète doit juger son meurtrier au dernier jour, mais dès à présent elle le lie et le tient asservi. Telle est la gloire promise aux dépositaires de la parole du Seigneur. « Les louanges du Dieu fort seront dans leur bouche, et des épées affilées à deux tranchants dans leur main, pour se venger des nations et pour châtier les peuples, pour lier leurs rois de chaînes et les plus honorables d’entre eux de ceps de fer, pour exercer sur eux le jugement qui est écrit (Psaumes 149.6-9). » C’est par un jugement de cette parole qu’Hérode est livré à un esprit d’aveuglement et de terreur. Il n’a pas voulu croire la vérité de Dieu ; eh bien, Dieu le fera croire aux plus étranges superstitions. C’est encore par un jugement de cette parole qu’il est tellement abandonné à son endurcissement, que d’une impiété flottante il passera à une impiété arrêtée, et qu’après avoir été d’abord troublé par la renommée de Jésus, il n’aura pour lui, quand il le verra, que des moqueries et des insultes. Ainsi règne en tout temps la parole de Dieu. Selon le monde, c’est l’apôtre Paul qui comparaît devant Félix, Festus, Agrippa ; mais selon la foi, ce sont Félix, Festus, Agrippa, qui comparaissent devant l’apôtre Paul, pour entendre cette parole qui doit remettre leurs péchés ou les retenir. Selon le monde, c’est le moine de Wittemberg qui comparaît à Worms devant l’empereur, les princes et les prélats de l’Allemagne ; mais selon la foi, ce sont l’empereur, les princes, les prélats, qui comparaissent devant le moine de Wittemberg, pour entendre cette parole qui doit les juger au dernier jour. La parole règne et règne seule ; tout le reste n’a que de fugitives apparences. « O Éternel, ta parole subsiste à toujours ! » Qui s’attache à elle subsistera avec elle, qui s’attaque à elle sera confus. « Le ciel et la terre passeront, mais tes paroles ne passeront point ! » Amen.

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