Explication de l’Épître aux Éphésiens

3. Cette puissance de Dieu a été déployée, secondement, dans les croyants.

2.1-10

1 Et vous qui étiez morts par vos offenses et par vos péchés, 2 dans lesquels vous avez marché autrefois selon le siècle de ce monde, selon le prince de la puissance de l’air, de l’esprit qui opère maintenant dans les fils de la rébellion ; 3 parmi lesquels nous aussi avons tous vécu autrefois dans les convoitises de notre chair, pratiquant les volontés de la chair et des pensées, et nous étions par nature enfants de colère aussi bien que les autres ; 4 mais Dieu, qui est riche en miséricorde, par son grand amour, dont il nous a aimés, 5 nous qui étions morts par nos offenses, il nous a fait revivre avec Christ (vous avez été sauvés par grâce), 6 et il nous a ressuscités avec lui, et fait asseoir avec lui dans les lieux célestes, en Jésus-Christ, 7 pour montrer dans les siècles avenir la surabondante richesse de sa grâce en sa bonté envers nous en Jésus-Christ. 8 Car vous avez été sauvés par la grâce, par la foi ; et cela, non par vous-mêmes, c’est le don de Dieu, 9 non par les œuvres, afin que nul ne se glorifie ; 10 car nous sommes son ouvrage, ayant été créés en Jésus-Christ pour les bonnes œuvres, que Dieu a préparées afin que nous y marchions.

Les divisions que nous indiquons pour mieux suivre les pensées de l’Apôtre, ne doivent pas nous faire oublier le rapport étroit qui les rattachent les unes aux autres. Une seule idée règne depuis 1.15, jusqu’à 2.10 ; et presque une seule période, au moins, jusqu’à la fin du verset 7. C’est le premier endroit où l’on pourrait mettre un point, selon notre ponctuation ordinaire. A la fin de 1.19, il ne doit y avoir qu’une simple virgule ; et à la fin du chapitre premier, un point-virgule. Si la construction grammaticale se développait d’une façon régulière, saint Paul, ayant commencé ainsi : Laquelle il a déployée en Christ, en le ressuscitant d’entre les morts, etc., continuerait à peu près de la sorte : et aussi en vous, en vous ressuscitant avec Christ quand vous étiez morts par les offenses et par les péchés, etc. Mais la construction fléchit dans le cours de la période, ce qui n’est pas rare dans les écrits de notre Apôtre. L’abondance et le mouvement de ses pensées lui faisaient presque une loi de ces infractions à la grammaire, quand la langue où il écrivait ne lui eût pas laissé à cet égard beaucoup plus de liberté que la nôtre.

Au reste, cette irrégularité de construction est peu de chose auprès de celles qu’on trouve dans le nouveau membre de cette immense période par laquelle commence le chapitre 2. La pensée de l’Apôtre est celle-ci : Et vous (païens convertis), quand vous étiez morts par vos offenses et par vos péchés, il vous a ressuscités avec Christ, ainsi que nous (Juifs convertis), quand nous étions morts d’une manière semblable. Mais le verbe, il nous a fait revivre, qu’on s’attend à trouver à la fin du verset 2, est rejeté plus loin par l’écrivain sacré (impatient de recueillir chemin faisant les Juifs pour les joindre aux païens), et puis, lorsqu’il reparaît enfin au verset 5, il s’y montre, non plus avec le vous qui devait d’abord l’accompagner, mais avec un nous, où les Juifs trouvent place aussi bien que les païens ; de telle sorte que le vous du verset 1 désigne les seuls païens convertis, le nous du verset 3 les seuls Juifs convertis, et le nous du verset 3 et des versets suivants les uns et les autres réunis. De plus, il est devenu nécessaire par là de répéter au commencement du verset 4 le mot Dieu, qui est le sujet commun de toute la période (il a déployé, il a fait asseoir, il a assujetti, il a établi, 1.20-22), mais qu’on aurait pu perdre de vue après tant de développements intermédiaires ; et en le répétant l’Apôtre a été conduit à le faire précéder d’un mais, pour faire contraster sa miséricorde avec l’état moral des païens et des Juifs qui vient d’être décrit, et qui ne les rendait dignes que de sa colère.

Mais il est temps de laisser la période de l’Apôtre, pour nous occuper de ses pensées. Dieu, dit-il, qui a pris Jésus-Christ mort, et qui l’a ressuscité et puis l’a fait asseoir à sa droite, a déployé sa puissance en vous qui croyez d’une manière semblable. Vous aussi, vous étiez morts, et nous l’étions comme vous ; mais Dieu nous a ressuscités, les uns et les autres avec Christ, et nous a fait asseoir avec lui dans les lieux célestes. Mais tandis que l’état de mort d’où Jésus-Christ a été retiré, une mort physique et naturelle, n’avait demandé aucun éclaircissement, l’état de mort dont les croyants ont été affranchis, une mort spirituelle (qui a été suivie d’une résurrection spirituelle), a besoin de quelque explication. C’est l’objet des trois premiers versets de notre chapitre.

Quand vous étiez morts : Le mot mort a, dans l’Écriture, et plus spécialement dans le langage de notre Apôtre, un sens profond qui embrasse à la fois la mort du corps et celle de l’âme, la mort naturelle et la mort éternelle. On le voit clairement dans Romains 5.12 et suivants ; où le verset 14 se rapporte essentiellement à la mort physique, et le verset 21 à une mort plus étendue qu’il oppose à la vie éternelle. La menace de Dieu à l’homme, Genèse 2.17, renferme tout cela. Ne séparons donc pas ces deux morts qu’un lien mystérieux rassemble, et dont l’une est le type et tout ensemble le gage de l’autre. Mais c’est tantôt l’une, tantôt l’autre qui prédomine ; ailleurs, c’est la mort naturelle ; ici, c’est la mort spirituelle. Le choix de ce terme en cet endroit est plein d’instruction. Outre que c’est le plus fort de tous ceux que la langue humaine pouvait fournir, il emprunte encore une force nouvelle du rapport qu’il indique entre notre état naturel et celui de Jésus-Christ couché dans le tombeau. Ce rapprochement est plus qu’une simple image ; il cache un argument et une doctrine. La vie de Dieu est aussi complètement éteinte dans l’homme naturel que la vie physique l’est dans un cadavre ; et l’homme naturel est aussi incapable de se régénérer lui-même que le cadavre de se relever sur ses pieds.

Par les offenses et par les péchés : le premier de ces mots marque plus spécialement la transgression se traduisant en acte, tandis que le second, qui est plus général, en désigne également les mouvements intérieurs. Ici, l’Apôtre dit morts par vos péchés, et (Colossiens 2.13), morts dans vos péchés ; l’une de ces expressions indique la cause, l’autre l’état.

Dans lesquels vous avez marché autrefois : littéralement, vous vous êtes promenés. Cette expression indique un état permanent et auquel on s’est tellement plié qu’on s’y conforme sans effort ni résolution. L’Apôtre s’en sert ailleurs en parlant de la vie nouvelle que doit mener le chrétien (Romains 6.4). De là encore ce mot admirable de son épître aux Colossiens : « Selon que vous avez reçu le Seigneur Jésus-Christ, marchez en lui » (2.6). Ceci encore est plus qu’une métaphore ; c’est le fond même de l’Évangile. Quelle philosophie ! quelle vie !

Selon le siècle de ce monde : ailleurs, saint Paul appelle l’ordre de choses généralement établi parmi les hommes tantôt ce siècle, et tantôt ce monde ; et pour lui ces deux locutions sont à peu près synonymes (1 Corinthiens 1.20 ; 3.18-19). Elles ne diffèrent qu’en ce que l’une envisage cet ordre de choses dans le temps et dans son développement historique, tandis que l’autre le contemple, si l’on peut ainsi parler, dans l’espace et dans son état permanent. A ce siècle, l’Écriture oppose « le siècle à venir » (Éphésiens 1.21, etc.), que le cours du temps doit amener ; et à ce monde, elle oppose les choses « d’en haut » (Jean 8. 23), la société « du Père » (13.1) et « la vie éternelle » (12.25). En combinant ici ces deux expressions, ce qu’il ne fait jamais ailleurs, l’Apôtre semble avoir voulu indiquer surabondamment que l’ordre de choses établi, par quelque face qu’on le regarde, dans son état permanent ou dans son développement historique, est toujours asservi au péché1.

1 – D’autres entendent par le siècle les mœurs reçues, la pratique générale ; ils citent à l’appui de cette interprétation une locution analogue de Tacite, qui dit en parlant des Germains : « Chez eux corrompre et se laisser corrompre n’est pas appelé le siècle (corrumpere et corrumpi sæculum non vocatur. De Mor. germ., 19). C’est l’idée que nos versions ont rendue en traduisant : selon le train de ce monde. Harless arrive à la même traduction à peu de chose près (selon la vie, ou selon le cours de ce monde), mais par un autre chemin. Il croit pouvoir prouver que le sens primitif du mot grec rendu par siècle, c’est la vie. Mais, quand cela serait démontré, ce qui nous paraît contestable, nous croirions devoir préférer au sens étymologique de ce mot celui qu’il a partout ailleurs, tant dans le Nouveau Testament, que dans la version grecque des Septante de l’Ancien Testament.

Selon le prince de la puissance de l’air. L’homme, quoi qu’il fasse, est toujours en rapport avec une puissance supérieure et invisible, personnelle et vivante ; si ce n’est avec celle de Dieu, c’est avec celle du Diable. Notre épître est parmi les livres de l’Écriture où l’existence et l’influence réelle du Diable, et des esprits malins qui lui sont soumis, sont le plus clairement établies. Pour nier cette doctrine, il faut faire violence aux Écritures, et surtout à celles du Nouveau Testament ; et ceux qui la nient, outre qu’ils repoussent une révélation qui jette une grande lumière sur la condition morale de l’humanité, se privent encore eux-mêmes d’un moyen très efficace de combattre le péché. Là où la philosophie ne nous offre que des idées abstraites, la Bible nous montre des personnalités vivantes, d’un côté le Saint-Esprit, de l’autre Satan ; et l’on trouvera, en général, que celui qui rejette le dernier ne croit pas non plus au premier, dans le sens de la Bible. Il y a une vérité cachée dans le proverbe populaire qui définit ainsi l’extrême incrédulité : « Ne croire ni à Dieu ni au Diable2. »

2 – Voir ces pensées développées dans un Discours sur les démoniaques, faisant partie de mon recueil de Sermons. Paris, 1844.

La puissance de l’air, c’est la réunion des esprits malins qui forment, sous le commandement de Satan, un seul corps et comme une armée organisée contre Dieu et contre son règne, et qui sont appelés ailleurs dans notre épître « les principautés, les puissances, « les dominateurs des ténèbres de ce siècle, les esprits « de la malice, dans les lieux célestes » (6.12). Leur prince, c’est celui qui est nommé ailleurs « Béelzébul, le prince des démons » (Matthieu 9.34 ; 12.24, etc.). Mais pourquoi cette puissance infernale est-elle appelée la puissance de l’air ?

On ne peut l’expliquer, surtout quand on rapproche de notre verset la fin de celui du chapitre 6 que nous venons de citer, qu’en admettant que les esprits malins ont, dans un sens du moins, leur résidence dans ces régions supérieures, qui ont pu être appelées tantôt « l’air, » comme ici, tantôt « le ciel, » comme Luc 10.31 ; Apocalypse 12.8, 12, ou « les lieux célestes, » comme Éphésiens 6.12 ; et dont nous n’essayons pas de déterminer la position, en termes plus précis que ne le fait l’Écriture. Au reste, le mot ciel désigne quelquefois dans la Bible, comme dans notre langage ordinaire, toute la région de l’atmosphère ; c’est dans ce sens que le Seigneur parle des oiseaux du ciel (Matthieu 6.26). Satan ne devait être banni du ciel qu’après avoir été vaincu par Michel et ses anges, ainsi qu’il est annoncé au chapitre 12 de l’Apocalypse, dans les versets cités ci-dessus ; et c’est par l’esprit de prophétie que Jésus-Christ le contemple longtemps à l’avance, « tombant du ciel comme un éclair » (Luc 10.31). On peut rapprocher de ces passages cet endroit de Job où Satan apparaît « devant l’Éternel, parmi les fils de Dieu, » sans aucun doute dans le ciel (Job 1.8 ; 2.1). Il va sans dire que lorsque les démons sont représentés comme habitant ou apparaissant « dans le ciel » ou « dans les lieux célestes, » ces mots désignent une région supérieure par opposition à notre terre, et le monde des esprits par opposition au monde matériel, mais non le séjour de la vie sainte et bienheureuse ; car dans ce dernier sens les démons sont exclus du ciel. Que si l’on demande comment ce que nous venons de dire se concilie avec ce qui est écrit Jude 6, et 2 Pierre 2.4, nous n’avons pas de réponse précise à cette question. Doit-on dire que tout en étant enchaînés dans un lieu de ténèbres, les démons peuvent en sortir, par la permission de Dieu, comme un prisonnier à qui on laisse la faculté de sortir parfois de sa prison ? Ou doit-on dire que le lieu même de ténèbres où ils sont relégués peut être situé dans les parties nébuleuses de l’atmosphère3 ?

3 – Cette opinion paraît être celle de Steiger (sur 1 Pierre 5.12) ainsi que de Gerlach et de Harless sur notre texte, et sur Éphésiens 6.12. Harless s’exprime ainsi (p. 158) : « Les démons étant, selon notre Apôtre, des créatures spirituelles (6.12), il serait contraire au bon sens de se les figurer enchaînées à la terre, comme des corps terrestres. Mais, si elles ne peuvent être des créatures terrestres, elles ne peuvent pas non plus être appelées des créatures célestes ; car le ciel est pour l’Écriture en général et pour notre Apôtre en particulier, le séjour de ce qui est pur et divin. D’après cela, rien ne serait plus juste que le raisonnement d’Œcuménius : « Nous l’appelons prince, dit-il ; mais sa domination est au-dessous du ciel et non au-dessus. Or, celui qui est au-dessous du ciel est sur la terre, ou dans les airs. Il doit donc être dans les airs, puisqu’il est un esprit ; et que le séjour des airs convient seul à la nature des esprits. » Et expliquant le verset 12 du chapitre 6, il l’explique par notre verset, et donne aux mots « dans les lieux célestes, » le même sens qu’au mot air dans notre verset. – Olshausen s’exprime d’une manière moins arrêtée, et, ce nous semble, plus sage.

Nous n’osons pas suivre les commentateurs sur ce terrain ; mieux vaut, ce nous semble, nous borner avec l’Écriture à constater ces trois faits, l’emprisonnement des démons, leur séjour dans l’air ou dans le ciel, et leur action sur la terre, sans prétendre les expliquer ou les concilier, puisqu’il s’agit d’un monde dont les lois nous sont inconnues.

De l’esprit qui opère maintenant dans les fils de la rébellion, nos versions traduisent : l’esprit qui opère etc., de telle sorte que c’est le prince de la puissance de l’air qui est cet esprit. Mais la phrase grecque n’est pas susceptible, de cette construction ; et à moins de supposer que l’Apôtre se soit écarté, sans raison assignable, des lois constantes du langage, il faut nécessairement traduire ainsi que nous l’avons fait. C’est la puissance de l’air qui est appelée l’esprit qui opère, etc. Cela se conçoit. Il y a sans doute plus d’un esprit malin qui agit dans le monde ; il n’est pas nécessaire de sortir de notre épître pour le prouver (6.12). Mais, de même que toutes les puissances infernales mentionnées dans ce verset sont appelées ici une puissance, parce qu’elles sont envisagées dans l’unité de leur organisation, ainsi tous les esprits malins qui opèrent dans le monde ont pu être appelés un esprit, parce qu’ils sont considérés dans l’unité de leur action. Le royaume infernal est présenté successivement ici sous deux faces : en soi, et l’Apôtre l’appelle « la puissance de l’air ; » dans ses rapports avec le genre humain, et il l’appelle « l’esprit qui opère maintenant dans les fils de la rébellion ; » et Satan, qui gouverne à la fois les démons, comme roi et comme général d’armée, est appelé tour à tour le prince de cette puissance, et le prince de cet esprit. Le mot maintenant, opposé au mot autrefois, qui se trouve au commencement de notre verset, met en contraste l’état des croyants, sur qui l’esprit malin a cessé de régner (bien qu’il n’ait pas cessé pour cela de les tenter), avec celui des irrégénérés, sur qui il règne encore. Il peut servir encore à mettre en opposition le siècle présent avec le siècle à venir, où la puissance des démons doit être anéantie.

Les fils de la rébellion : expression empruntée à la langue hébraïque, et analogue à celle d’enfants de colère que nous trouverons dans le verset suivant. Elle signifie des créatures rebelles, comme cette autre expression signifie des objets de colère ; mais avec un degré de plus d’énergie. Entre la rébellion et l’irrégénéré, entre la colère de Dieu et lui, elle indique un étroit rapport, une dépendance mutuelle, qu’on peut comparer à la relation intime de l’enfant avec son père. On lit ailleurs : « enfant de ténèbres, enfant de ce siècle, » etc., et encore : « enfant de lumière, enfant de paix, » etc.

Parmi lesquels nous aussi avons tous vécu autrefois. Nous, Juifs convertis. Ils sont nommés ici à côté des païens comme ils l’avaient été dans le chapitre 1, mais dans l’ordre inverse. Quand il s’est agi de la possession du salut, l’Apôtre a nommé d’abord les Juifs, et puis il s’est hâté de leur adjoindre les païens ; le nous du verset 12 est pour les Juifs, le vous aussi du verset 13 pour les païens, et le nous du verset 14 pour les uns et les autres. Ici, où il s’agit de la mort spirituelle qui a précédé la conversion, il nomme d’abord les païens, et puis il se hâte de leur adjoindre les Juifs ; le vous du verset 1 est pour les païens, le nous aussi du verset 3 pour les Juifs, et le nous du verset 5 pour les uns et les autres.

Dans les convoitises de notre chair, pratiquant les volontés de la chair et des pensées. Dans le premier membre de cette phrase, la chair désigne, comme en beaucoup d’autres endroits, le principe général du péché dans la nature humaine ; dans le second, où la chair est distinguée d’avec les pensées, l’un de ces mots désigne plus spécialement les péchés qui ont leur siège dans les sens, et l’autre, ceux qui en sont indépendants. La même distinction se retrouve dans 2 Corinthiens 7.1. On voit par là que le mot chair, dans son premier sens, qui est le plus commun, embrasse tout l’homme, et s’emploie de la perversité humaine tout entière, tant de l’esprit que du corps. Mais d’où vient que ce nom lui a été donné ? Ce n’est pas que la matière soit le principe du péché ; c’est là une idée païenne ou gnostique, non une idée chrétienne. Mais c’est que le côté extérieur et visible de la nature humaine auquel le nom de chair revient de droit, est aussi celui par lequel elle se montre aux regards humains, assujettie d’abord à l’infirmité et à la mort, puis à la convoitise et au péché4. Il est à remarquer que saint Paul emploie une ou deux fois le mot corps, à peu près comme le mot chair (Romains 7.24 ; 8.12) ; d’autres fois il les réunit (Colossiens 2.11).

4 – Voir Olshausen sur Romains 7.14, depuis sarx jusqu’à Geist, p. 234, 255.

Et nous étions des enfants de colère. Il s’agit évidemment ici de la colère de Dieu (Colossiens 3.6 ; Jean 3.36, etc.). Cette colère n’est sans doute pas une colère passionnée, comme celle de l’homme ; mais c’est une colère réelle ; c’est le saint déplaisir avec lequel Dieu voit le péché, et dont nous pouvons avoir une idée par la colère sainte que l’homme ressent quelquefois (Éphésiens 4.26 ; par exemple Moïse, Exode 32.9) et surtout par la colère attribuée à Jésus-Christ (Marc 3.5), où nos versions ont traduit avec indignation, sans doute parce qu’on a eu peur de la traduction littérale. Gardons-nous d’imiter les commentateurs téméraires qui se sont appliqués à effacer ce trait du caractère de Dieu. Il est de ceux qui appartiennent essentiellement au vrai Dieu, qui s’est révélé dans les Écritures. Ce n’est pas un Dieu abstrait, impassible, gouvernant froidement le monde, comme se le figurait une secte païenne5, et comme se le figure encore la philosophie moderne ; c’est un Dieu personnel, vivant, agissant sur ses créatures, susceptible de recevoir des impressions, et capable également d’une sainte colère contre le mal et d’un saint amour pour le bien. Aussi bien cette colère et cet amour se correspondent de telle sorte que l’on ne saurait refuser l’une des deux à Dieu sans lui refuser en même temps l’autre ; cette remarque est de Lactance, dans son traité, sur la colère de Dieu : « Si Dieu ne peut s’irriter contre les impies et les injustes, il ne peut aimer non plus les justes et les pieux. Car, dans des choses contraires, il faut qu’on soit remué dans l’un et l’autre sens, ou qu’on ne le soit dans aucun. » L’oubli de la doctrine de la colère de Dieu, de nos jours, « a exercé, dit Gerlach, une influence pernicieuse sur les relations diverses dans lesquelles l’homme tient la place de Dieu, et en particulier sur le gouvernement de la famille et de l’État. »

5 – Les épicuriens dépeignaient la nature divine « séparée et éloignée de nos intérêts. »

Par nature. Ce mot renferme une instruction importante, dont on a vainement cherché à se débarrasser par des explications forcées. Si l’Apôtre se fût contenté de dire : Nous étions des enfants de colère, on aurait pu croire que chaque homme n’est devenu un objet de la colère de Dieu que par sa faute individuelle, et qu’il n’a contracté le péché que par habitude, ou par imitation. Mais le mot par nature, qui est employé plusieurs fois dans le Nouveau Testament, et toujours pour marquer les caractères essentiels et le développement propre d’une chose, par opposition aux qualités accessoires et à l’influence extérieure (Romains 2.10 ; Galates 2.15 ; 4.8), nous avertit que ce qui provoque la colère de Dieu n’est pas seulement dans l’individu, mais dans la race et dans la nature humaine, bien entendu dans la nature déchue et non dans la nature primitive et normale.

Plus cette expression, enfants de colère par nature, est étrange, plus l’intention de l’Apôtre est visible ; et son langage est encore plus fort que s’il eût dit : nous étions pécheurs par nature. Notre texte achève de s’expliquer par Romains 5.12 et suivants, où l’Apôtre fait dériver la disposition naturelle au mal du péché du premier homme. Saint Paul dit ceci des Juifs ; mais les mots qui suivent aussitôt étendent sa pensée à tous les hommes sans exception. Au reste, s’il a pris soin, en reconnaissant que les Juifs étaient enfants de colère aussi bien que les autres, d’ajouter qu’ils l’étaient par nature, c’est vraisemblablement pour ne pas laisser oublier que sous un autre point de vue, par l’alliance de Dieu avec eux, ils étaient dans une condition fort différente de celles des païens. Il importait que les lecteurs de notre épître ne perdissent pas de vue les privilèges des Juifs, pour comprendre ce que l’Apôtre avait à leur dire dans la suite de ce même chapitre ; (verset 11 et suivants).

Mais Dieu, qui est riche en miséricorde, par son grand amour, dont il nous a aimés, nous a, etc. Entre la miséricorde et la grâce il y a cette nuance que la première regarde plus spécialement à notre misère, la seconde à notre culpabilité. La grâce est déterminée par la miséricorde, qui l’est elle-même par l’amour ; en d’autres termes, Dieu nous pardonne nos péchés, parce qu’il a pitié de la misère à laquelle ils nous exposent ; et il a pitié de notre misère, parce qu’il nous a aimés. Mais pourquoi nous a-t-il aimés ? par son grand amour. Cet amour ne se détermine, ne s’explique que par lui-même. Parvenu là, on ne saurait remonter plus haut, on s’arrête devant cet amour ineffable, qui est le premier principe de notre rédemption, comme il l’est de la création et de tous les ouvrages de Dieu. L’amour est le commencement du commencement ; il est « le fond de Dieu » qui est le fond de tout ; « Dieu est amour. » Si l’Apôtre s’est servi de cette expression inusitée, son amour, dont il nous a aimés, au lieu de dire, l’amour dont il nous a aimés, c’est pour marquer plus clairement que cet amour n’a sa cause qu’en lui-même, et qu’il va de Dieu à nous, non de nous à Dieu (1 Jean 4.10).

« Morts par nos péchés, » Dieu ne pouvait pas nous aimer en nous-mêmes, encore moins nous aimer d’un grand amour ; mais, dans la richesse de sa miséricorde, dans la plénitude de son amour, il nous a aimés en Christ, et nous a fait revivre à une vie nouvelle et bienheureuse » (Harless).

Nous qui étions morts, etc. La misère et l’impuissance de l’homme sont la mesure de la miséricorde et de la puissance de Dieu (Romains 5.8 ; Exode 34.5, etc.). L’original indique une nuance qui échappe dans la traduction : même étant morts par nos offenses.

Il nous a fait revivre avec Christ ; et non, comme le traduisent nos versions reçues, que celle de Lausanne 1839 a suivies : il nous a fait revivre ensemble avec Christ. Ce mot ensemble exprime une nuance qui n’est pas indiquée par l’original ; il ne s’agit pas ici de notre réunion avec les autres chrétiens, mais de notre réunion avec Christ. Même remarque sur le verset suivant et sur Colossiens 2.13. Ce qui a entraîné les traducteurs à cette faute, c’est probablement qu’ils n’ont pu comprendre que l’Apôtre ait pu dire au commencement du verset 6 que Dieu nous a ressuscités et fait asseoir dans les lieux célestes avec Christ, et à la fin de ce même verset qu’il nous a fait tout cela en Jésus-Christ. Mais c’est qu’il a voulu réunir deux idées qu’il a exprimées ailleurs séparément (avec Christ, Colossiens 2.13 ; en Christ, Éphésiens 1.3), par une de ces accumulations de pensées qui caractérisent son style, à la fois concis et abondant.

La pensée de l’Apôtre, il nous a fait revivre avec Christ, un moment interrompue par une courte parenthèse, est reprise en ces termes : il nous a ressuscités avec lui, et fait asseoir avec lui dans les lieux célestes. Le premier de ces trois verbes exprime, dans un seul terme général, le changement que Dieu a fait dans notre condition : nous étions morts, et il nous a fait revivre. Les deux autres développent cette idée générale et la partagent en deux idées particulières, dont l’une correspond à la résurrection de Jésus-Christ et l’autre à son ascension ; voyez 1.20.

Mais dans quel sens Dieu nous a-t-il ressuscités avec Christ et fait asseoir avec lui dans les lieux célestes ? Il n’est pas question ici d’une résurrection future et d’une ascension future au ciel ; le temps du verbe, aussi bien que le contexte, indique qu’il s’agit d’une chose déjà arrivée. Il n’est pas question non plus d’une simple ressemblance de notre condition nouvelle avec celle de Jésus-Christ ; les expressions de l’Apôtre indiquent clairement une participation réelle à l’œuvre que Dieu a accomplie en son Fils. Mais cette participation, en quoi consiste-t-elle ? Sur ce point, deux sentiments sont en présence.

Calvin, que la plupart des commentateurs réformés ont suivi, voit ici cette communion intérieure et spirituelle avec Christ où nous entrons par la foi, et plus spécialement en recevant le Saint-Esprit. Mais, outre que cette interprétation ne rend pas bien compte de ces mots : il nous a fait asseoir avec lui dans les lieux célestes, elle n’est pas exactement en harmonie avec le but de l’Apôtre en cet endroit. S’il parle de notre résurrection avec Christ, ce n’est pas, comme dans Romains 6.4, ou dans Colossiens 3.1, pour nous exciter à une vie sainte, mais pour nous faire admirer la puissance et la miséricorde de Dieu déployées dans notre salut ; et « il ne s’occupe pas tant du changement intérieur accompli dans le croyant, que de l’œuvre de sa rédemption accomplie hors de lui, en Christ » (Gerlach). Harless et Olshausen, rejetant cette première interprétation, voient ici l’œuvre de notre salut accomplie tout entière, comme en germe, dans le Sauveur, et rapprochent de notre passage Romains 8.30. « Il faut expliquer notre texte, dit Harless, par le rapport de la personne de Christ à chaque fidèle, et non par le rapport de chaque fidèle à la personne de Christ. Christ est notre tête et notre Rédempteur (1.22 et 7). Sa résurrection et son ascension nous sont garants qu’il est le Rédempteur (Romains 4.24-25). C’est donc en lui, ressuscité et monté au ciel, que l’espérance et la réalité de la rédemption nous sont données ; et sa résurrection et son ascension sont nôtres, parce que c’est la résurrection et l’ascension de notre Rédempteur. » Aussi le même commentateur ne veut-il pas qu’on explique notre verset par Colossiens 2.13, où le fidèle est dépeint comme entré personnellement (par le baptême, verset 12) dans une communion spirituelle avec le Seigneur. Mais, nous ne saurions nous ranger à cette opinion. Colossiens 2.12-13 nous paraît avoir trop de rapport avec Éphésiens 2.5-6, pour que l’Apôtre n’ait pas traité le même sujet, dans les deux endroits, et l’idée même du baptême peut être sous-entendue dans notre texte. De plus, la manière dont le verset que nous expliquons est amené, et surtout ces mots : vous qui étiez morts par vos péchés, avec le développement qui les suit, nous semblent indiquer que l’Apôtre a voulu appeler l’attention des chrétiens d’Éphèse sur le changement personnel qui s’est accompli en eux, que son langage ne s’applique à eux qu’en tant et depuis qu’ils ont cru au Seigneur, et que le moment de leur résurrection avec Christ n’est pas celui de sa résurrection, mais celui de leur conversion.

Entre les deux interprétations que nous venons d’indiquer, l’une purement subjective, et l’autre purement objective dont chacune a un côté vrai, mais sans épuiser la pensée de l’Apôtre, il y en a une troisième intermédiaire, qui participe à chacune des deux autres et à laquelle nous croyons devoir nous arrêter. L’Apôtre parle tout ensemble de l’œuvre intérieure qui s’est accomplie dans le chrétien quand il a cru, et de l’œuvre extérieure qui a été accomplie d’avance pour lui dans la personne de Jésus-Christ ; et la première (qui est postérieure dans l’ordre du temps) garantit la seconde. Nous avons été ressuscités et nous sommes montés au ciel, dans la personne de Christ notre représentant ; mais nous n’avons été unis à Christ, ni par conséquent associés à son œuvre, que par notre foi. La foi en Christ forme entre Christ et nous une union mystérieuse et spirituelle, mais réelle et vivante, par laquelle nous entrons en partage de sa nature, de sa personne, et de son histoire.

Il « demeure en nous et nous en lui » (Jean 15.4) ; il « habite dans nos cœurs, par la foi » (Éphésiens 3.16-17) ; nous sommes « participants de Christ » (Hébreux 3.14), et par lui, « de la nature divine » (2 Pierre 1.4) ; « membres de son corps, de sa chair et de ses os » (Éphésiens 5.30) ; Christ est en nous comme le Père est en lui (Jean 17.23), et prie ainsi pour nous : « Qu’ils soient un ; comme toi, Père, es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient un en nous ! » (Jean 17.21). C’est par là que nous mourons avec Christ mourant, que nous ressuscitons avec Christ ressuscitant, et que nous montons aux cieux avec Christ montant aux cieux (Romains 6.46 ; 7.4 ; Éphésiens 1.3 ; Colossiens 2.13 ; 3.1, etc.) ; ce qui lui arrive nous arrive, et l’histoire entière du Fils de l’homme se reproduit en l’homme qui croit en lui, non par une simple analogie morale, mais par une communication spirituelle, qui est le vrai secret de notre justification comme de notre sanctification, et de notre salut tout entier. Ce n’est pas le lieu de développer cette doctrine, qui étonnera plus d’un lecteur peut-être, et il n’y a pas de développement qui en puisse éclaircir à fond le mystère. Mais elle nous paraît seule prendre la Parole inspirée telle qu’elle est, et sans l’affadir par des métaphores perpétuelles ; et seule aussi avoir la plénitude de la vérité et de la vie, parce qu’elle nous met en rapport direct avec la personne vivante de Christ. L’idée chrétienne ne suffit pas, il nous faut la réalité chrétienne ; les dons de Christ ne suffisent pas, il nous faut Christ lui-même.

Telle est, selon nous, la pensée de l’Apôtre dans notre verset. Elle réunit et combine le sens de Harless avec celui de Calvin. Dieu nous a, par la foi, tellement unis à Jésus-Christ, que nous sommes ressuscités et montés au ciel, avec lui et en lui ; l’Apôtre dit l’un et l’autre dans le même verset, réunissant ainsi deux idées, qu’il exprime ailleurs séparément (avec lui, Colossiens 2.13 ; en lui, Éphésiens 1.3). Est-ce par une de ces accumulations de pensées qui caractérisent son style ? Peut-être ; mais nous sommes portés à croire que cette réunion tient encore à une autre cause. Chacune des deux prépositions employées successivement par l’Apôtre correspond, ce nous semble, à l’une des deux faces par lesquelles il nous montre le chrétien associé à l’exaltation de Christ. Nous avons été exaltés avec Christ, le jour que nous avons cru personnellement en lui, et nous avons été exaltés en Christ le jour que Christ lui-même a été exalté en notre nom et en celui de tous les élus.

Vous avez été sauvés par grâce.. Nous avons déjà fait remarquer que saint Paul a substitué le nous au vous dans le verset 5, ce qu’il continue de faire dans les versets suivants (7, 10), pour embrasser tous les croyants, Juifs et Gentils, dans un même salut. Mais, comme c’est à des Gentils qu’il écrit, il retombe naturellement dans le vous chaque fois qu’il prend le ton de l’avertissement ou de l’instruction. Cette expression, vous avez été sauvés (traduction plus littérale que celle de nos versions, vous êtes sauvés), marque que, pour le croyant, uni avec Jésus-Christ, ainsi qu’on vient de le voir, le salut est tout acquis dans le Sauveur ; c’est dans le même esprit que l’Écriture dit ailleurs : « Celui qui croit au Fils a la vie éternelle » (Jean 3.36). L’Apôtre y revient au verset 8, où les mots qu’il ajoute, « par la grâce, par la foi, » font assez connaître qu’il a entendu parler, non d’un salut purement objectif et virtuel, mais d’un salut subjectif et personnel. Il est donc dans l’ordre, et dans l’intention de Dieu, que le croyant se tienne assuré de son salut ; et le doute sur ce point, bien qu’on le trouve chez de vrais enfants de Dieu, est pourtant un état malade de l’âme. L’ériger en principe, et taxer d’orgueil l’assurance du salut, c’est montrer qu’on fait dépendre le salut de la justice propre et non de la seule justice de Dieu ; car pourquoi ne pourrait-on sans orgueil s’attribuer un bien qu’on croit avoir « reçu » (1 Corinthiens 4.7) ?

L’Église romaine est conséquente avec sa doctrine sur le mérite des œuvres en condamnant l’assurance du salut ; et saint Paul ne l’est pas moins avec sa doctrine sur la grâce toute pure (Romains 3.24), en écrivant aux chrétiens d’Éphèse : « Vous avez été sauvés par grâce. »

Ces mots forment une parenthèse après laquelle l’Apôtre reprend son développement, un moment suspendu, de la résurrection du croyant avec Christ. En les liant au développement par une addition que rien ne justifie dans l’original, nos versions ont privé leurs lecteurs d’une leçon utile. La doctrine que l’Apôtre a commencé d’exposer lui paraît tellement remplie de la grâce de Dieu, qu’il s’arrête au milieu de sa phrase, et qu’anticipant sur la conclusion de notre fragment (8-10), il laisse échapper de son cœur trop plein cette exclamation : « Vous avez été sauvés par grâce ; » et, par la manière dont sa parenthèse est enclavée dans la phrase, il nous fait comprendre comment la grâce de Dieu est engagée dans la doctrine.

Dans les siècles à venir. Cela ne signifie pas dans les générations humaines futures (et c’est à tort qu’on a cité comme parallèle 1 Timothée 1.16), mais, dans l’économie nouvelle et glorieuse que le Seigneur doit substituer un jour à l’ordre de choses actuel, et que saint Paul appelle ailleurs le siècle à venir (1.21), le monde à venir (littéralement le globe à venir, Hébreux 2.5), etc. Ces mots éclaircissent une expression que nous avons trouvée trois fois dans le premier chapitre, à la louange de sa gloire (12, 14), ou à la louange de la gloire de sa grâce (6). La grâce de Dieu en Jésus-Christ envers nous qui croyons commence sans doute à être reconnue dans l’économie actuelle, et notre épître en est une preuve éclatante ; mais elle ne sera pleinement comprise et dignement célébrée qu’après que « Christ, notre vie, aura été manifesté » (Colossiens 3.4), et que « ce que nous serons, » nous, enfants de Dieu, l’aura été en lui et avec lui (1 Jean 3.2).

Vous avez été sauvés par la grâce, par la foi. Une nuance importante est perdue dans la traduction : à ces deux par correspondent dans l’original deux prépositions différentes, dont l’une, placée avant la grâce, indique la cause, et l’autre, placée avant la foi, le moyen.

La version de Lausanne a rendu cette nuance d’une manière assez exacte, mais un peu pesante : « C’est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. » Nous préférons l’une ou l’autre de ces deux traductions, que nous trouvons dans de vieilles versions catholiques : « Vous êtes sauvés de grâce par la foi, » ou, « C’est la grâce qui vous a sauvés par la foi. » Cette dernière surtout est fort heureuse, et nous l’aurions adoptée dans notre texte, sans notre respect scrupuleux, peut-être excessif, pour le tour de la pensée dans l’original. Une nuance analogue, sans être exactement la même, est indiquée Romains 4.16 : « C’est par la foi afin que ce soit selon la grâce. »

Notre verset détermine le vrai rapport de la grâce à la foi, et réciproquement. La grâce est la cause première du salut ; la foi est le moyen par lequel il nous est approprié ; ou, si l’on veut, la première est le principe objectif du salut, la seconde en est le principe subjectif. La grâce donne le salut, et la foi le fait ; celle-ci peut être appelée la main de l’homme, celle-là, la main de Dieu. Puisque la grâce n’agit que par la foi, la grâce n’a point de prise où la foi n’est pas, et cette immense miséricorde, déployée en Jésus-Christ mort et ressuscité, est pour celui qui ne croit pas comme si elle n’était point. Mais aussi, puisque la foi n’est qu’un instrument de la grâce, il faut exclure de l’idée de la foi tout ce qui, de près ou de loin, en ferait une condition méritoire. La foi n’est qu’un moyen que la grâce a choisi ; et elle l’a voulu choisir de telle nature que tout mérite humain fût anéanti : telle est la portée de la conjonction afin que dans le passage de l’épître aux Romains que nous venons de rapporter : « C’est par la foi, afin que ce soit selon la grâce. » (Voyez encore Romains 3.26.) Cependant cette déclaration si expressive ne suffit pas encore à saint Paul ; ce qu’il a dit sous la forme positive, il va le redire sous la forme négative, pour ne laisser au cœur humain aucune possibilité d’échapper à la doctrine de la grâce la plus gratuite.

Et cela, non par vous-mêmes, c’est le don de Dieu ; non par les œuvres, afin que nul ne se glorifie. Par cela il faut entendre, non la grâce ou la foi, mais le salut, qui est l’idée renfermée dans le verbe : « Vous avez été sauvés. » Ce salut qui est « par la grâce, par la « foi, » n’est point par vous-mêmes, ni par les œuvres (littéralement « de vous-mêmes, » ni « des œuvres ; » c’est ici une troisième préposition), soit que « non par les œuvres, » soit un simple éclaircissement de, « non par vous-mêmes, » soit que l’on doive, avec un degré de plus d’exactitude, opposer « non par vous-mêmes » à « par la grâce, » et « non par les « œuvres » à « par la foi. » Quoi qu’il en soit, le fond de la pensée de l’Apôtre est limpide comme la lumière du jour. Nous la retrouvons en termes non moins clairs, Tite 3.4 et suivants. (Voyez encore Galates 2.16 ; Philippiens 3.9 ; Romains 4, etc.) On ne concevrait pas qu’avec ce texte sous les yeux, des hommes, qui se disent soumis aux Écritures, puissent rejeter la doctrine de la grâce, si l’on ne se rappelait une pensée, que le réformateur Bucer exprimait en ces termes dans une note sur le verset 4 de notre chapitre : « Ces paroles sont assez claires et très faciles à comprendre, pourvu que le Seigneur nous les rende également faciles à croire. »

C’est le don de Dieu ; on se sert quelquefois de ces paroles pour prouver que la foi est un don de Dieu. Mais ce n’est pas exactement la pensée de l’Apôtre ; c’est le salut qui est un don de Dieu6. Cependant la foi est un don de Dieu, en tant qu’elle est l’un des éléments de ce salut donné tout entier de Dieu. Aussi notre Apôtre écrit-il aux Philippiens : « Il vous a été donné de croire. »

6 – Dans ce sens, un ancien commentateur a raison de dire : « Le don de Dieu, ce n’est pas la foi, mais le salut par la foi. » Seulement il se serait exprimé plus exactement en disant : Ce n’est pas la foi, mais le salut.

Afin que, 1 Corinthiens 1.31 ; 2 Corinthiens 10.17, etc. Il faut laisser à cette particule son sens propre, et ne pas l’expliquer par en sorte que. L’anéantissement de la justice propre et de la gloire propre n’est pas seulement une suite nécessaire du salut gratuit, c’est encore un but que Dieu s’y est proposé. « L’Écriture, dit Harless, voit souvent un dessein où nous ne voyons qu’une conséquence, parce qu’elle pénètre au dedans des rapports que nous n’apercevons que par le dehors. »

Car nous sommes son ouvrage, etc. Le rapport des œuvres à la foi est indiqué aussi nettement ici que celui de la foi à la grâce l’a été dans le verset 8, « non par les œuvres, mais pour les bonnes œuvres. » Cela est admirable. Ce petit mot concilie saint Paul ; et saint Jacques mieux que tous les commentaires.

Par la grâce, par le moyen de la foi, pour les bonnes œuvres, voilà les trois degrés par lesquels se développe le salut, selon l’Apôtre ; la grâce en est le principe, la foi le moyen, et les bonnes œuvres le résultat. La gratuité de Dieu ne paraît pas moins dans le troisième que dans les deux autres. Loin que les bonnes œuvres d’un chrétien doivent lui faire méconnaître la gratuité de son salut, elles la font éclater, au contraire, et cela d’autant plus qu’elles sont plus pures et plus abondantes. Car lui, qui les fait, est « l’ouvrage de Dieu, ayant été créé en Jésus-Christ, pour les bonnes œuvres. » Créé, c’est créé ; ce mot, qui résume toute la doctrine qui précède, nous apprend que la régénération d’une âme est aussi réellement un aliquid ex nihilo que la création du monde ; l’introduction d’un principe nouveau dans l’homme, non le développement d’un germe existant. (Voyez Éphésiens 4.24 ; Galates 6.15 ; Tite 3.5 ; 2 Corinthiens 5.17, etc). Or, nous sommes créés « pour les bonnes œuvres ; » et cela montre tout à la fois, et combien peu elles nous appartiennent, et combien elles sont nécessaires.

Que Dieu a préparées, etc. Ostervald a traduit : « Pour lesquelles Dieu nous a préparés, afin que nous y marchions. » Cette traduction est rigoureusement admissible ; mais, outre qu’elle est moins conforme que l’autre au génie de la langue originale, elle ne fait que répéter, en l’affaiblissant, une pensée déjà exprimée. Comment l’Apôtre, qui vient de dire que nous avons été créés pour les bonnes œuvres, pourrait-il ajouter que nous avons été préparés pour elles ? Non ; mais pour nous mieux convaincre que rien ne vient de nous dans nos bonnes œuvres, l’Apôtre, ayant dit d’abord que nous avons été créés pour elles, ajoute maintenant qu’elles ont été préparées pour nous, par une sorte d’harmonie préétablie entre le cœur du croyant et sa vie. Par un salut qui nous est donné tout fait, nous entrons dans un chemin de bonnes œuvres tout prêt, et où il ne nous reste plus qu’à marcher, pas à pas, de bonnes œuvres en bonnes œuvres, en suivant le plan de Dieu, et non en nous en traçant un à nous-mêmes. La vie de Jésus-Christ est le parfait modèle d’un pareil chemin de bonnes œuvres ; appliquons-nous à l’imiter. Que nous y marchions : comme « nous avons marché autrefois selon le péché de ce monde. » La sainteté ne doit pas être un état moins permanent pour le chrétien, que l’était pour lui le péché avant sa conversion.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant