Saint Paul

III
Saint Paul, sa conversion

… tout à coup une lumière resplendit du ciel comme un éclair tout autour de lui ; et étant tombé par terre, il entendit une voix qui lui disait : Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ?

(Actes 9.1-22)

Tel arbre, tel germe. Un christianisme aussi éminent que celui que nous avons reconnu chez l'Apôtre, doit avoir pour point de départ une conversion qui dépasse toutes les proportions ordinaires. Aussi, la conversion de Saul de Tarse en Paul apôtre, est-elle le plus grand événement de l'histoire de l'Église primitive, après les faits de Jésus-Christ et du Saint-Esprit.

Toutefois, ce n'est pas sur la grandeur de l'événement que je veux m'arrêter, c'est sur ses caractères ; car si saint Paul nous est mis devant les yeux, ce n'est pas afin qu'il soit exalté par nous, c'est afin que nous soyons instruits par lui. Je veux, dans une conversion modèle, étudier la conversion dont chacun de nous a besoin pour faire sa part de l'œuvre à laquelle Dieu appelle aujourd'hui son peuple ; et cette conversion modèle, je la trouve en Saul de Tarse. Chez cet homme vraiment extraordinaire, tout est si fortement accentué, dans la nature et dans la grâce, que la pratique emprunte la valeur presque d'une théorie : entre tous les traits de ressemblance qu'il offre avec son Maître, celui-là n'est pas le moins étonnant. On le dirait, tour à tour, plus homme qu'un autre homme dans l'état naturel, et plus chrétien qu'un autre chrétien dans l'état de grâce. Comme on étudie la peinture dans un Raphaël ou la poésie dans un Dante, parce qu'à la hauteur où de tels génies s'élèvent, l'art semble se personnifier dans l'artiste et la poésie dans le poète : ainsi l'on étudie l'Évangile presque aussi sûrement dans la personne de saint Paul que dans les pages du livre : dans cet apôtre, l'apostolat ; dans ce saint, la sainteté ; dans ce croyant, la foi ; et aussi dans ce converti, la conversion.

Démêlons donc, dans la conversion de Saul, les caractères de toute vraie conversion : ce qu'elle est, où elle va, et d'où elle vient ; sa nature, sa portée et son origine. Ce sera entrer dans la pensée de saint Paul lui-même : « J'ai obtenu grâce, afin que Jésus-Christ montrât en moi le premier toute sa clémence, pour servir d'exemple à ceux qui viendront à croire en lui pour la vie éternelle 1 Timothée 1.16. »

La conversion, qu'est-elle ? A cette question, la conversion de Saul répond par des faits. Notre textea (et on reconnaît bien là la Parole de Dieu) ne nous dit nulle part : Saul se convertit ; mais il nous le montre faisant des œuvres toutes nouvelles, et nous laisse le soin de conclure que son cœur a été changé. Il ne faut, pour reconnaître ce changement, que se rendre compte de ce qu'il était avant sa conversion, et de ce qu'il est après. Après : Paul, un apôtre de Jésus-Christ, plus encore, l'Apôtre de Jésus-Christ, de tous les apôtres celui qui a travaillé le plus 1 Corinthiens 15.10, et celui qui a offert dans sa personne le modèle le plus accompli de foi et de vie chrétienne ; avant : Saul, « un blasphémateur (c'est lui qui parle, ou le respect ne m'eût jamais permis ce langage), un persécuteur, un oppresseur, » ne laissant d'autre ressource à la grâce « que l'ignorance » où l'entretenait « son incrédulité 1 Timothée 1.13. » Que l'on comprend bien la surprise naïve de ses auditeurs de Damas, qui, l'entendant confesser Jésus-Christ pour le Fils de Dieu, « étaient hors d'eux-mêmes et disaient : N'est-ce pas là celui qui détruisait dans Jérusalem ceux qui invoquaient ce nom, et qui était venu ici exprès pour les amener liés aux principaux sacrificateurs Actes 9.21 ? »

a – Lire dans le livre des Actes le passage entier donné en référence dans l'épigraphe. (ThéoTEX)

Vous-même, supposez-vous étranger à l'histoire des Actes, et que l'on vous dise : Il y avait un homme, Saul, qui « persécutait la doctrine (de Jésus-Christ) jusqu'à la mort, liant et mettant en prison hommes et femmes Actes 22.4 ; » qui « souvent, de synagogue en synagogue, les contraignait à blasphémer en les punissant » (c'est-à-dire en les torturant) ; qui, « transporté de rage contre eux, les persécutait jusque dans les villes étrangères Actes 26.2, » et qui courait de Jérusalem à Damas, « pour amener liés à Jérusalem ceux qui étaient là, afin qu'ils fussent punis Actes 22.5. » Que l'on vous dise ensuite : Il y a eu un homme, Paul, qui a servi Jésus-Christ avec plus d'ardeur qu'aucun autre ; qui a vécu et qui est mort, comme son Maître, pour le seul bien de l'Église ; qui, tourmenté cruellement par les païens, plus cruellement tourmenté par les juifs, « n'a fait compte de rien ni tenu sa vie même pour précieuse, » et qui a fini en couronnant par le martyre la carrière la plus active peut-être et la plus dévouée que la terre ait jamais connue. Pourriez - vous penser que ces deux hommes n'en soient qu'un ? Eh bien, forcez-vous à n'en faire qu'un, rattachez-les comme vous pourrez l'un à l'autre : la difficulté que vous trouverez dans cette opération vous donnera la mesure de ce qu'est la conversion chrétienne, et de la distance qui la sépare d'avec tout ce qui n'est pas elle.

La conversion n'est pas seulement une réforme de conduite. Nous ne voyons pas qu'il y ait eu rien à reprendre dans la conduite de Saul. Il en appelle hardiment au témoignage de tout son peuple, pour « la vie qu'il a menée dès sa jeunesse Actes 26.4. » Nous ne saurions donc nous le représenter autrement que réglé dans ses mœurs, honnête dans les affaires, exact dans les sacrifices de la piété, libéral dans ceux de la bienfaisance, en un mot homme honoré et honorable. Mais avec tout cela, Saul était encore Saul, et Paul n'avait pas commencé. — La conversion n'est pas seulement une soumission, même intérieure, à la loi morale. Nous ne pouvons douter que Saul ne fût, dans le sens intime et élevé du mot, un homme moral, subordonnant la volonté propre au devoir, jusqu'au renoncement et au sacrifice. Il se rend le témoignage, en écrivant aux Philippiens, que « quant à la justice de la loi, il avait été sans reproche Philippiens 3.6 ; » et ce n'était pas peu de chose, pour le juif consciencieux et croyant, que cette justice de la loi, « ce joug pesant, dit saint Pierre, que ni nous ni nos pères n'avons pu porter Actes 11.10 » Mais avec tout cela, Saul était encore Saul, et Paul n'avait pas commencé. — La conversion n'est pas seulement l'acceptation, même sincère, de certains principes religieux. Saul était israélite croyant, juif zélé, pharisien rigide, exact entre les exacts Actes 26.5 ; soumis aux Écritures, servant le vrai Dieu, espérant au Messie, également scrupuleux à observer toutes les ordonnances de Moïse et ardent à les défendre. Mais avec tout cela, Saul était encore Saul, et Paul n'avait pas commencé. — La conversion n'est pas même seulement un développement graduel, une amélioration progressive de toutes les bonnes dispositions que nous venons de reconnaître à Saul. Elles auraient eu beau se développer, beau s'améliorer, fût-ce pendant un siècle : elles n'auraient jamais pu donner que ce qu'elles contenaient en germe ; Saul n'aurait fait que continuer Saul, et Paul n'aurait jamais commencé.

La conversion est le point de départ d'une vie nouvelle, contraire à la première dans sa direction générale : c'est ce qu'indique le nom même dont elle se nomme, puisqu'il marque un retour et un revirement de chemin. Par elle, Saul ne devient pas meilleur, mais il devient autre ; il n'est pas plus fidèle qu'autrefois à ses principes, mais ses principes sont changés ; ce qu'il tenait pour mal, il le tient pour bien, ce qu'il appelait lumière, il l'appelle ténèbres Philippiens 3.7; il fait l'expérience personnelle de ce qu'il devait exprimer si énergiquement plus tard : « Si donc quelqu'un est en Christ, c'est une nouvelle création ; les choses vieilles sont passées, voici, toutes choses sont faites nouvelles 2 Corinthiens 5.17. » C'est qu'un germe nouveau, inconnu, étranger, a été déposé au fond de son être : ce germe, c'est la foi en Jésus, le Christ, le Fils de Dieu. Désormais, ce qu'il cherchait dans la loi, il ne le cherche plus que dans la grâce ; ce qu'il attendait de sa justice propre, il ne l'attend plus que de la justice de Dieu en Jésus-Christ. Au reste, le voici peint au naturel par lui-même, dans ces paroles à la fois si remplies de vérité et si brûlantes d'amour : « Ce qui m'était un gain, je l'ai estimé comme une perte pour l'amour de Christ. Et certes, j'estime toutes choses comme une perte, pour l'amour de l'excellence de la connaissance de Jésus-Christ mon Seigneur, pour l'amour duquel j'ai fait la perte de toutes choses, et je les estime comme des balayures, afin que je gagne Christ, et que je sois trouvé en lui, ayant non point ma justice qui est de la loi, mais celle qui est par la foi en Christ, la justice qui est de Dieu pour la foi Philippiens 3.7-9. »

Voilà la conversion de Saul : la voilà reconnue dans ses fruits visibles, et la voilà recherchée dans son germe secret. Saul est converti, du jour, de l'heure, du moment que, se reconnaissant en lui-même mauvais, indigne, perdu, et à jamais privé de toute justice devant Dieu, il substitue le nom de Jésus-Christ au sien propre dans toutes ses espérances de vie éternelle, et se jette sans réserve au pied de la croix, comme un pauvre pécheur qui n'a pas d'autre ressource au monde que le sang de l'Agneau de Dieu. Mais ce même Saul, du jour, de l'heure, du moment qu'il est converti, entre tout entier dans l'esprit, dans les pensées, dans les œuvres de ce Sauveur qui l'a racheté. Ce n'est pas seulement son nom dont il se couvre, c'est sa justice dont il se revêt, c'est tout son être auquel il s'unit. Comme il ne vit plus que par Jésus-Christ, il ne vit plus aussi que pour Jésus-Christ, devenu à la fois le germe et le fruit, le principe et la fin, l'alpha et l'oméga de sa vie nouvelle.

Eh bien ! toute conversion véritable, commençant comme celle de Saul, finit aussi comme elle. Elle commence par Jésus-Christ vivant et régnant dans le cœur, devant Dieu 2 Corinthiens 13.5 ; elle finit par Jésus-Christ vivant et régnant dans les œuvres, devant les hommes 1 Jean 2.6, et les obligeant, par le contraste de la vie ancienne avec la vie nouvelle, à dire comme on faisait pour Saul à Damas : Celui-ci n'est-il pas celui-là Actes 9.21 ? tant le converti est transformé, tant on a de peine à le reconnaître en lui-même. Celui-ci, aujourd'hui si jaloux de ses devoirs et si coulant sur ses droits, n'est-ce pas celui-là, dont autrefois la susceptibilité s'offensait du moindre reproche et la volonté propre s'irritait de la plus petite contrariété ? Celui-ci, aujourd'hui si doux, si respectueux, si grave, n'est-ce pas celui-là, qui s'emportait à tout propos, prenait à partie Dieu et les hommes, et mêlait le saint nom du Seigneur, avec une légèreté profane, aux intérêts les plus vulgaires, les plus frivoles, les plus indignes ? Celui-ci, aujourd'hui si libéral, si prompt à donner, en recherche d'occasions pour faire le bien et ne voyant dans sa fortune qu'un dépôt que Dieu a commis à sa foi, n'est-ce pas celui-là, à qui on avait tant de peine à arracher une modique souscription, ou pour le service de Dieu, ou pour le soulagement du pauvre ? Celui-ci, qui vit aujourd'hui une vie de prière, de renoncement, d'activité sainte, de dévouement généreux, n'est-ce pas celui-là, qui prenait son plaisir dans les passe-temps du monde, dans ses fêtes, dans ses vanités, dans ses convoitises ?

Faites que l'on puisse parler ainsi de vous : alors, votre conversion sera une conversion ; alors aussi, vous aurez votre place marquée dans le travail du peuple de Dieu ; alors, mais seulement alors… O vous donc, qui vous flattez d'appartenir au Seigneur, qui lui appartenez, je l'espère, en vérité, ne vous arrêtez point que vous n'ayez prouvé votre conversion à tous les yeux par la possession d'un « homme nouveau, » sanctifié jusqu'à cette glorieuse contradiction avec votre « vieil homme ! » Mais de ces conversions insignifiantes, qui, touchant à peine à certaines notions de tête et à certaines habitudes de surface, laissent subsister chez le prétendu converti les goûts, les dépenses, les dissipations, l'avarice, la cupidité, les péchés peut-être d'autrefois, ne m'en parlez point, en présence de la conversion de Saul de Tarse !

Aussi, cette conversion, voyez où elle va, je veux dire quelle influence elle exerce dans le monde ; par où vous connaîtrez de quel poids sera votre propre conversion aux yeux des hommes, quand elle aura les caractères que nous venons de reconnaître à celle de Saul.

L'impression produite par la conversion de Saul a été aussi profonde qu'étendue. On le voit d'abord par les juifs de Damas : « Tous ceux qui l'entendaient étaient comme ravis hors d'eux-mêmes… Et Saul se fortifiait de plus en plus, et confondait les juifs qui demeuraient à Damas, prouvant que Jésus était le Christ Actes 9.22. » On le voit aussitôt après par toutes les, églises chrétiennes de la Judée, que cette nouvelle remplit à la fois de surprise et de consolation, et qu'elle excite à « glorifier Dieu à cause de lui Galates 1.22-24. » On le verra plus tard par tous ceux à qui elle parviendra dans le monde entier, et qui y trouveront la vérité de l'Évangile et sa puissance rendues visibles comme à l'œil. L'Apôtre savait si bien le fruit que le monde devait recueillir de sa conversion, qu'il en fait un des arguments favoris de sa prédication. Sur les cinq discours qui nous ont été conservés de lui dans les Actes, il y en a deux dont cette conversion lui a fourni le sujet (ch. 22 et 26) sans parler des allusions réitérées qu'il y fait dans ses épîtres (1 Corinthiens 15.9 ; 1 Timothée 1.12-16, etc.). Il compte avec le peuple juif, il compte avec Agrippa, il compte avec les églises, il compte avec tous sur les sentiments que doit éveiller dans toute âme candide une intervention si éclatante de Dieu en faveur de la doctrine de Jésus-Christ.

Il a raison d'y compter. Après la résurrection de Jésus-Christ et la descente du Saint-Esprit, l'histoire évangélique n'a pas de témoignage qui égale la conversion de Saul de Tarse. On l'a senti dans tous les temps ; et tel esprit réfléchi s'est rendu devant cette page de l'Évangile, qui ne s'était rendu devant aucune autre. Je le comprends sans peine : les moins croyants d'entre vous en feront autant, s'ils veulent seulement prendre le soin de peser sans prévention le récit de mon texte.

Un jeune juif, en qui la naissance et la parenté fortifient le préjugé religieux, appartenant à la branche la plus rigide de la secte rigide des pharisiens, disciple de Gamaliel, mais plus ardent que son maître, ou entraîné plus loin que lui par la situation nouvelle que la hardiesse de saint Etienne avait faite à l'Évangile Actes 6.14, croit servir Dieu en persécutant jusqu'à la mort les disciples de Jésus-Christ Jean 16.2. Il fait son coup d'essai au martyre de saint Etienne, et la vue de ce premier sang ne fait qu'animer sa fureur ; si bien qu'après avoir épuisé son œuvre « de menaces et de meurtre » dans Jérusalem et dans la Judée, il sollicite du Sanhédrin la faveur de l'aller transporter dans les villes étrangères — comme Paul apôtre devait ambitionner plus tard l'honneur de porter l'Évangile en des contrées où il ne fût point encore parvenu. Saul donc, muni de lettres et de commissions officielles, s'achemine vers la populeuse Damas, où l'Évangile avait trouvé beaucoup d'accès, soit auprès des juifs, qui y étaient fort nombreux, soit auprès des païens prosélytes, qui l'étaient plus encore, surtout parmi les femmes. Mais le voici qui, en approchant de cette cité, subit un changement si extraordinaire dans ses convictions et dans ses desseins, qu'on lui voit, après trois jours de jeûne, substituer, dans Damas même, l'office de Paul apôtre à celui de Saul persécuteur. Voilà le fait moral, dégagé d'avec les circonstances surnaturelles qui l'accompagnent dans le récit de saint Luc, et sur lesquelles je ne m'arrête pas pour le présent. Ce fait, comment l'expliquer ? car enfin il n'y a pas plus d'effet sans cause dans le monde moral, qu'il n'y en a dans le monde physique.

Si l'Évangile est vrai, si Jésus-Christ est le Fils de Dieu, si Dieu est intervenu, tout est éclairci. Dieu ne prodigue pas les miracles ; mais on comprend sans peine qu'il y ait eu recours pour donner une telle preuve de l'Évangile, et pour lui assurer un tel ministre. Mais, si Dieu n'est pas intervenu, si Jésus-Christ n'est pas son Fils, si l'Évangile enfin n'est pas vrai, comment, je le demande, expliquer le changement de Saul ?

On ne songera pas à l'expliquer par l'intérêt — ce grand mobile des actions humaines dans l'homme irrégénéré, hélas ! et trop souvent dans le régénéré lui-même. La conversion de Saul compromettait trop visiblement tous ses intérêts : à la place d'une carrière brillante d'honneur, de crédit, de fortune, elle mettait le nom de Saul rejeté de son peuple, ses puissants amis tournés en ennemis, sa famille vraisemblablement armée contre lui, sa personne devenue le point de mire de la persécution, sa vie toujours menacée et réservée tôt ou tard au martyre. Tout cela est si manifeste qu'il serait superflu de s'y arrêter : tout était désintéressement, renoncement, sacrifice, dans la conversion de Saul.

S'en prendrait-on à l'influence — à laquelle les plus sincères sont les plus accessibles ? Un sage et vertueux Ananias n'a-t-il pu persuader à Saul, dans un moment de grand trouble intérieur, que sa doctrine était erronée et l'Évangile véritable ? Soit, quoiqu'il reste alors à rendre compte de ce trouble intérieur qui a précédé la rencontre de Saul avec Ananias ; soit encore, quoiqu'aucune influence humaine ne suffise pour produire un changement à la fois si prompt, si radical et si personnel ; je le veux, Ananias a pu persuader Saul — s'il a eu de bonnes raisons à lui donner, en d'autres termes, si l'Évangile est véritable. Mais on ne comprendra jamais qu'un homme aussi engagé que l'était Saul, d'action, de passion, de volonté propre et d'amour-propre, se fût rendu sans raisons solides ; lui surtout, un homme si énergique, plus accoutumé à exercer des influences qu'à en subir, ou, s'il en subissait, comme il peut arriver aux hommes les plus énergiques, ayant la place prise, l'esprit gagné, le cœur donné, et tout cela dans un sens directement contraire à l'humble crédit d'Ananias.

Il est une troisième explication à laquelle on pensera pouvoir en appeler avec un peu plus d'apparence, c'est l'exaltation religieuse — un homme aussi ardent que Saul ayant pu, sans délibération bien mûrie, passer d'un fanatisme à un autre. Mais cette hypothèse ne tient pas contre quatre minutes de réflexion, pour qui se rappelle ce qu'a été l'apôtre Paul. Son exaltation naturelle, Paul avait de quoi la satisfaire dans sa foi judaïque et pharisaïque, tandis qu'en devenant disciple de Jésus-Christ, il dépose tout cela : au lieu d'entrer dans un nouveau fanatisme, il rompt avec l'ancien. Etrange fanatisme, en effet, que celui d'un homme qui parle, jusque dans les occasions les plus excitantes, un langage marqué au coin « de la vérité et du sens rassis Actes 25.25 ; 1 Corinthiens 10.15 ; » d'un homme qui prend toutes ses mesures avec la prudence la plus consommée, jaloux de tous ses droits, même sociaux et civils, quand ils peuvent servir la cause de l'Évangile, ou seulement lui épargner une douleur inutile Actes 16.37-39 ; 22.25 ; d'un homme qui s'applique à aller toujours, dans l'intérêt de son ministère, jusqu'à l'extrême limite des concessions que la sagesse conseille et que la conscience autorise, « faible avec les faibles, juif avec les juifs, sans loi avec ceux qui sont sans loi 1 Corinthiens 9.20-22 » ; d'un homme enfin qui poursuit, durant trente années, l'exercice de son ministère dans ce même esprit, sans se réveiller jamais de son rêve, même en présence du martyre, qu'il a mis, comme autrefois son Maître, autant de soin à reculer, qu'il met d'obéissance à l'accepter quand l'heure de Dieu est venue !

Non, tenez, vous avez beau faire, vous n'en sortirez raisonnablement que par la foi ; à moins qu'impuissant pour expliquer autrement l'inexplicable changement de Saul, vous n'essayiez, en désespoir de cause ; de le nier, et de traiter de fable le récit entier de mon texte. Mais ne voyez-vous pas que ce serait vous jeter dans une difficulté plus grande que toutes les autres, puisque cette conversion, qui est le point de départ de Paul apôtre, explique seule tout ce qu'il a fait ? Niez le changement de Saul de Tarse, oui ; mais chargez-vous alors de faire tenir en l'air Paul apôtre, et le mouvement immense qu'il a déterminé dans le monde connu ; prodige permanent, dont le témoin, c'est l'humanité ; dont le théâtre, c'est l'Asie et l'Europe ; dont le résultat, c'est l'histoire et la civilisation renouvelées ; dont le fruit, c'est moi qui vous parle, c'est vous qui m'écoutez, si ce n'est par la foi que nous avons apprise de notre apôtre, c'est du moins par les bienfaits sans nombre que nous lui devons. Niez la conversion de Saul, oui ; mais niez alors aussi la conversion de la moitié de l'Asie, et de la totalité de l'Europe ; rendez Ephèse à Diane, Athènes à Minerve, Paphos à Vénus, Rome à tous les dieux de son Panthéon, le monde païen à sa dissolution et à sa décadence, et notre Gaule à ses druides, à ses sacrifices humains, à sa barbarie !

Grâces te soient rendues, ô mon Dieu ! de ce qu'au milieu de tant de doctrines que leurs disciples ne peuvent persister à croire qu'à la condition de se crever les yeux, tu m'as donné une doctrine à croire et à prêcher que je trouve toujours plus solide, toujours plus vraie, à mesure que je l'approfondis davantage ; et dont les obscurités, n'étant que de ces ombres que notre esprit borné rencontre en toutes choses, ne sauraient troubler la lumière abondante et paisible de tant de preuves rassemblées !

A ces preuves, chrétiens, ajoutez, chacun de vous, la vôtre, comme Saul de Tarse, je ne dis pas ici par vos discours, je ne dis pas même par vos œuvres, mais par le fait seul de votre conversion. Si cette démonstration le cède à celle que nous venons de trouver en Saul pour la force et la clarté, qu'elle n'en diffère pas du moins pour l'esprit ; qu'il suffise du changement qui s'est accompli en vous pour attester la vérité de l'Évangile, et pour confondre le monde « en prouvant que Jésus est le Christ Actes 9.22. » Forcez ceux qui vous contemplent à dire de votre conversion, ce que nous disions tantôt de celle de Saul, qu'elle ne peut s'expliquer que par la vérité de l'Évangile ; étant également impossible, soit de la méconnaître, tant elle donne de fruits précieux, soit d'en rendre compte par aucun intérêt, par aucune influence, par aucun entraînement : par aucun intérêt, parce que votre désintéressement, votre renoncement est trop visible en toutes choses ; par aucune influence, parce que vous vous montrez trop indépendant à l'égard de l'homme, et trop soumis à Dieu seul ; par aucun entraînement, parce que vous mettez trop de maturité, trop de prudence, trop de sagesse dans toutes vos œuvres. Frappés de la petitesse apparente des résultats que produit aujourd'hui la prédication évangélique, nous nous demandons souvent quel changement il y faudrait apporter pour la rendre plus efficace. Le changement le plus nécessaire de tous à y apporter est celui-ci : transporter la prédication de nous à vous. Quand nous sommes rassemblés ici devant Dieu, vous vous taisez, et nous parlons ; mais au sortir d'ici, les rôles sont intervertis : c'est à nous de nous taire, à vous de parler. Ah ! parlez, parlez, par l'œuvre du Saint-Esprit en vous, Évangile vivant, plus convainquant que notre Évangile prêché, et en même temps plus présent au milieu des hommes ; car notre prédication n'est que d'un moment, la vôtre est de toute la vie. Mais où sont-ils, les chrétiens qui prêchent de cette manière ? Où les chercher, ceux qui seraient un problème insoluble si l'Évangile n'était pas vrai ? Il en est quelques-uns, sans doute — et Dieu veuille faire reposer sur eux son Esprit et sa faveur ! — mais qu'ils sont rares ! mais qu'il serait, hélas I plus facile d'en trouver qui détruisent notre prédication, qui la convainquent d'erreur ou d'impuissance, parce que leur conversion, si conversion il y a, s'explique trop bien par des raisons humaines, sans tant de mystère ni tant de grâce !

Mais cette conversion décisive, d'où vient-elle, et comment y arrive-t-on ? Nous l'apprenons encore de Saul de Tarse.

La conversion vient de Dieu. C'est moins l'homme qui se convertit à Dieu, que Dieu qui convertit l'homme à lui. Jamais sa grâce n'éclata plus visiblement, plus glorieusement que dans la conversion de Saul, converti comme en dépit de lui-même. Quelles avances Saul a-t-il faites à Jésus-Christ ? quelles avances Jésus-Christ n'a-t-il pas faites à Saul ? C'est quand Saul nie, hait, persécute Jésus, que Jésus apparaît à Saul, l'arrête, le terrasse, se nomme et lui change le cœur. Action souveraine, s'il en fut jamais, accompagnée d'un langage qui ne l'est pas moins : « Il m'est un vase d'élection… Il t'est dur de regimber contre l'aiguillon… Je te suis apparu pour t'établir ministre et témoin, tant des choses que tu as vues que de celles pour lesquelles je t'apparaîtrai, en te délivrant du peuple et des gentils, vers lesquels je t'envoie maintenant pour ouvrir leurs yeux, afin qu'ils soient convertis des ténèbres à la lumière, et de la puissance de Satan à Dieu Actes 26.16-18 ; » par où vous voyez que la même souveraineté que Dieu a déployée sur Saul en l'établissant pour témoin, il la veut déployer sur ceux auprès desquels il l'envoie, en ouvrant leurs cœurs à son témoignage. Ce n'est qu'après avoir été vaincu par la grâce, sans l'avoir cherchée, que Saul commence de la chercher à son tour : « Voilà il prie ; » et sa délivrance s'achève en réponse à cette prière que Dieu lui a mise dans le cœur et dans la bouche.

Avec quelle clarté se découvre ici à l'Apôtre, et à nous dans l'Apôtre, cette main de Dieu puissante autant que paternelle, qui vient, imméritée, inappelée, inattendue, inconnue, « chercher et sauver ce qui était perdu ! » Grâce, élection, prescience, prédestination, quel langage, quelle doctrine ne demeurerait au-dessous du simple fait que nous avons sous les yeux ? Ah ! que c'est bien le cas de dire, ce que Paul écrit plus tard aux Romains, et qu'il écrit sans doute les yeux fixés sur sa propre histoire : « Ce n'est pas du voulant ni du courant, mais de Dieu qui fait miséricorde Romains 9.16 ! » Eh ! qui le sait mieux que toi, « Saul, mon frère ? » Du voulant ? tu voulais arrêter l'Évangile, et voilà que tu te prépares à le semer jusqu'au bout du monde ! Du courant ? tu courais à la persécution, et voilà que tu t'achemines vers le martyre ! Aussi notre apôtre ne trouve-t-il pas de termes assez énergiques pour exalter à son gré la grâce gratuite de Dieu, soit dans l'œuvre qui s'est accomplie en lui-même, soit dans celle qu'il souhaite de voir accomplie en d'autres. « Quand il plut à Dieu, qui m'avait choisi dès le ventre de ma mère et qui m'a appelé par sa grâce, de révéler son Fils en moi Galates 1.15-16 : » voilà pour lui-même ; et quant aux autres, qui a jamais plus clairement, plus hardiment, on serait tenté de dire plus crûment annoncé l'absolue gratuité de la grâce ? Quel lecteur n'a eu son tour pour se scandaliser de tel verset des chapitres huitième et neuvième de son épître aux Romains ? « Ceux qu'il a préconnus, il les a aussi prédestinés… ; et ceux qu'il a prédestinés, il les a aussi appelés ; et ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés ; et ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiésb ? » Oui, la conversion est l'œuvre de Dieu. C'est un germe étranger, déposé dans notre âme par une main étrangère ; c'est une nouvelle naissance, une résurrection d'entre les morts, une seconde création. Nul ne peut changer son propre cœur : il pourrait aussi bien se donner la vie dans le sein maternel, ou relever un mort de son tombeau, ou lancer un monde de plus dans l'espace. Le cœur nouveau, quiconque le désire, doit le demander à Dieu, « de qui, par qui, et pour qui sont toutes choses. A lui soit gloire éternellement ! Amen Romains 11.36. »

bRomains 8.28-29 ; Éphésiens 2.8 ; Galates 4.9, etc.

Il faut donc se croiser les bras, et attendre le miracle ? Gardez-vous de le croire. Que si vous pouviez en être tenté par ce que vous venez de voir en Saul de Tarse, détrompez-vous en observant ce même Saul de plus près. Vous n'avez vu encore qu'un des éléments de sa conversion : l'élément divin, étranger. Il y en a un autre, l'élément humain, personnel ; et s'il est vrai de dire que jamais l'élément divin ne fut plus apparent, il ne l'est pas moins de dire que l'élément humain ne fut jamais plus sensible.

Tout souverainement qu'il opère en Saul, Dieu n'opère en lui que comme dans une créature libre, responsable, capable de recevoir sa grâce et capable de la repousser. A la place de Saul voyageant vers Damas pour persécuter les chrétiens, essayez de vous représenter Caïphe dans le Sanhédrin honoré d'un prodige semblable, et en recueillant le même fruit ; vous le pourrez à peine : pourquoi cela ? C'est que Caïphe vous est connu, par le récit des évangiles, comme un prêtre moins fanatique qu'hypocrite, qui ne sert que son orgueil et son ambition propre, qui n'interroge Jésus que pour la forme, et qui ne déchire ses vêtements que par faux semblant d'indignation. Balaam est arrêté, dompté par un prodige plus merveilleux que la vision de Damas ; et pourtant, en dépit de l'obéissance involontaire arrachée à ses lèvres, il retient ce cœur irrégénéré qu'il avait avant d'avoir vu « sa folie réprimée par une ânesse muette parlant d'une voix humaine (2 Pierre 2.16) ; » vous n'en êtes pas surpris : pourquoi encore ? C'est que Balaam vous est connu, par le récit de Moïse, comme un ami de l'argent, « qui poursuit le salaire de l'iniquité, » qui fait métier et marchandise de la prophétie, et qui n'est occupé, jusque dans sa prière, qu'à endormir sa conscience, pour qu'elle le laisse se livrer à sa soif de l'or. En un mot, c'est que vous ne trouvez, ni chez l'un ni chez l'autre, cette droiture de cœur, en dehors de laquelle Dieu pourrait agir sans doute, parce qu'il est le maître de toutes choses, mais en dehors de laquelle il n'est point dans les habitudes de sa providence d'agir, je dis plus, en dehors de laquelle nous n'avons pas lieu de croire qu'il agisse jamais. Toute conversion est une alliance : la grâce de Dieu requiert du cœur qu'elle veut renouveler, quelque chose sinon qui l'appelle, du moins qui la recueille, ne fût-ce qu'un vide pour la recevoir. Il y a toujours cette différence entre la création matérielle et la création spirituelle, que l'homme a dans la seconde une part quelconque d'action dirai-je ? ou de consentement ; et un Père de l'Église a eu raison de dire : « Dieu qui nous a créés sans nous, ne veut pas nous sauver sans nous. »

Eh bien ! ce cœur droit, qui peut s'allier à de grands égarements, ce cœur droit est dans Saul ; je dis dans Saul « persécuteur, oppresseur, blasphémateur ; » dans Saul gardant les habits des meurtriers d'Etienne, donnant les mains à sa mort. Vous vous souvenez de Nathanaël, rempli de préventions contre Jésus-Christ, mais dont les préventions cèdent à sa première entrevue avec lui, parce qu'elles ne sont que l'infirmité inconsciente d'un « véritable israélite en qui il n'y a pas de fraude Jean 1.47 : » eh bien, Saul est un Nathanaël, mais un Nathanaël géant, dont Dieu permet que les préjugés prennent des proportions effrayantes, pour imposer à la vérité qui devait les vaincre un développement colossal. Nathanaël se serait rendu dix fois, devant un spectacle tel que la mort d'Etienne : Saul ne se rend pas, il n'en est que plus enflammé de colère contre celui qu'Etienne invoque avec tant de foi, et en qui il s'endort avec tant de paix… Et pourtant, que savons-nous si cette vue ne déposa pas dans le cœur de Saul un premier doute, une première inquiétude salutaire ? Que savons-nous si ce doute, cette inquiétude, repoussés d'abord comme une tentation importune, traduits peut-être en amertume et en violence, ne préparèrent pas les voies pour la scène de Damas ? Saul meurtrier d'Etienne, Saul disciple et continuateur d'Etienne : ô profondeur ! ô miséricorde ! … Quoi qu'il en soit, tout ce que Paul dit de lui-même nous le montre, avant sa conversion, juif opiniâtre, mais convaincu, pharisien ardent, mais sincère, et « servant Dieu, des ses ancêtres, avec une pure consciencec. » Que dis-je ? jusque dans le voyage de Damas, ne démêlez-vous pas, au travers du funeste, du criminel égarement de Saul, ce désir aveugle de servir Dieu, auquel Jésus a rendu un si équitable témoignage Jean 16.2 ? Dans le moment même où le passage s'opère de la haine à l'obéissance et de Saul à Paul, ces mots dignes de Nathanaël : « Que veux-tu que je fasse ? » à qui appartiennent-ils ? est-ce encore à Saul, est-ce déjà à Paul ? Ils appartiennent à l'un et à l'autre. Ne pensez pas qu'il y ait eu de Saul à Paul passage brusque et sans transition : il y a du Paul dans Saul, et il y a du Saul dans Paul. Il est un point intime et secret, « couvert aux yeux de tout homme vivant, et caché aux oiseaux des cieux Job 28.21, » où la grâce se rattache à la nature, l'œuvre de Dieu au travail de l'homme, la vie nouvelle à la vie ancienne, Paul apôtre à Saul de Tarse. Ce point, c'est le sentiment qui fait dire : « Que veux-tu que je fasse ? » mais qui le fait dire selon la lumière du moment ; hier, c'était au Dieu de Moïse, aujourd'hui, c'est au Dieu de Jésus-Christ, confusément aperçu pour la première fois.

c2 Timothée 1.3 ; Philippiens 3.6 ; Actes 26.4-5.

N'accusez pas ce commentaire de témérité : je le tiens de bonne main, de la main de saint Paul. « Je rends grâces à celui qui m'a fortifié, à Jésus-Christ notre Seigneur, de ce qu'il m'a estimé fidèle, m'ayant établi dans le ministère, moi, qui auparavant étais un blasphémateur, et un persécuteur, et un oppresseur ; mais j'ai obtenu miséricorde, parce que j'ai agi par ignorance, dans l'incrédulité. » Cette parole est bien remarquable, bien profonde, bien instructive. Ce n'est pas que l'incrédulité où était saint Paul à l'égard de Jésus-Christ et l'ignorance où elle l'entretenait, lui donnât un titre à la miséricorde divine. Des titres ! qui s'en est moins attribué que notre apôtre, et où s'en est-il moins attribué que dans cet endroit ? Des titres ! il ne s'en reconnaît qu'à la perdition, lui, « le premier des pécheurs, » que Jésus-Christ a sauvé tout exprès « pour montrer en lui le premier toute sa clémence 1 Timothée 1.12-16. » Mais c'est que cette ignorance le laissait accessible à la grâce, contre laquelle un aveuglement conscient et volontaire aurait invinciblement armé son cœur. Il n'a pas mérité la conversion pour avoir été ignorant ; mais, parce qu'il est ignorant, il n'est pas de ces impénitents, de ces endurcis pour lesquels la grâce elle-même n'a plus de ressources, tout ce qu'elle en possède ayant été éprouvé, épuisé, mais sans fruit Hébreux 6.1-4 ; 10.26-29. Saul, tout Saul qu'il est, cherche Dieu à sa manière, et comme « en tâtonnant » au travers des ténèbres de la loi ; à peu près comme Luther le devait chercher plus tard dans sa cellule d'Erfurt, par ses macérations et ses pénitences. C'est pour cela que Dieu met une Bible sur le chemin de Luther, et Jésus-Christ sur le chemin de Saul.

Si donc vous voulez avoir part à la grâce de Saul, n'attendez pas, pour chercher Dieu, le miracle qu'il n'a point attendu, et qu'il n'aurait point obtenu s'il l'eût attendu ; mais, comme lui, apportez à Dieu un cœur jaloux de le connaître et soigneux de lui obéir. Alors, fussiez-vous, s'il est possible, aussi aveuglé qu'il l'était, Dieu se révélera à vous ; et vous éprouverez à votre tour la vérité de cette parole du Sauveur : « Si quelqu'un veut faire la volonté de Dieu, il connaîtra touchant la doctrine si elle est de Dieu ou si je parle de mon chef Jean 7.17. » Faut-il vous faire remarquer combien cette maxime diffère de celle qu'un monde aussi peu soucieux de la vérité que de la sainteté, a coutume de colporter en ces termes superficiels : « Ce qui importe, c'est moins la foi que la bonne foi. » La bonne foi dont parle Jésus, et dont Saul est animé, c'est une bonne foi qui cherche Dieu, et qui, trouvé, le suit ; c'est une bonne foi qui ne va pas sans un commencement de foi Hébreux 11.6 ; c'est une bonne foi — qui est de bonne foi. Apportez, vous dis-je, un cœur qui cherche Dieu, résolu de tout faire pour le trouver, de tout souffrir pour lui plaire ; et puis, comptez sur sa grâce pour accomplir en vous son œuvre, et vous préparer pour la vôtre. Ce cœur, l'avez-vous ? Si oui, tout ira bien ; si non, ne vous flattez pas : vous vivriez un siècle, entendant chaque dimanche les meilleurs discours, lisant tous les jours les Écritures divines, entouré des chrétiens les plus fidèles, que vous ne vous convertirez jamais. Rien, rien au monde, ne supplée à la simplicité d'un cœur droit ; non ; rien, ni dans la nature, ni dans les événements, ni dans les hommes, ni en Dieu lui-même. Dieu, souffrez la hardiesse de mon langage, Dieu ne peut pas convertir ceux qui n'ont pas le cœur droit, pas plus que Jésus « ne peut » faire des miracles en faveur de ceux qui ne croient point Marc 6.5-6. Il ne peut pas, parce qu'il ne veut pas ; et il ne veut pas, parce que sa sainteté ne lui permet pas de vouloir.

Je disais en commençant : Tel arbre, tel germe ; je dis en finissant : Tel germe, tel arbre. La conversion, une vraie conversion, radicale comme celle de Saul, démontrant l'Évangile comme celle de Saul, fruit de la grâce dans un cœur droit comme celle de Saul, une telle conversion, voilà le nerf de cette guerre sainte pour laquelle je souhaite de vous enrôler. Donnez-moi de telles conversions, et je vous donnerai pour le service de Dieu « un peuple de franche volonté Psaumes 110.3. » O vous, qui avez vécu jusqu'ici loin du Sauveur et de sa grâce, mais qui aspirez à être des siens, « aujourd'hui, si vous entendez la voix de Dieu, n'endurcissez pas vos cœurs ! » Mais vous surtout, frères et sœurs, qui l'avez connue, cette grâce, qui l'avez servi, ce Sauveur, mais qui ne trouvez point en vous de quoi fournir à la carrière nouvelle où je vous appelle ; chrétiens, mais qui n'avez rien de Paul dans votre christianisme ; convertis, mais qui n'avez rien de Saul dans votre conversion — revenez, revenez sur vos pas ! retournez à votre commencement ! retrempez-vous dans la source de la vie ! et pour assortir votre christianisme, commencez par convertir votre conversion !

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