Explication pratique de la première épître de Jean

XVI
Dieu est amour

4.7-18

7 Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, parce que l’amour est de Dieu. Quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu. 8 Celui qui n’aime point n’a pas connu Dieu, parce que Dieu est amour. 9 En ceci a été manifesté l’amour de Dieu envers nous, savoir que Dieu a envoyé dans le monde son Fils unique, afin que nous eussions la vie par son moyen. 10 En ceci est l’amour, non que nous ayons aimé Dieu, mais que lui nous ait aimés et qu’il ait envoyé son Fils comme propitiation pour nos péchés. 11 Bien-aimés, si c’est ainsi que Dieu nous a aimés, nous devons aussi nous aimer les uns les autres. 12 Nul n’a jamais vu Dieu : si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous et son amour est accompli en nous. 13 En ceci nous connaissons que nous demeurons en lui et lui en nous, savoir qu’il nous a fait part de son Esprit. 14 Quant à nous, nous avons vu et nous témoignons que le Père a envoyé le Fils comme Sauveur du monde. 15 Quiconque confessera que Jésus est le Fils de Dieu, Dieu demeure en lui et lui en Dieu. 16 Pour nous, nous avons connu et cru l’amour que Dieu a pour nous. Dieu est amour, et celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu en lui. 17 C’est en ceci que l’amour est accompli en nous, savoir que nous ayons confiance au jour du jugement, car tel il est, tels nous sommes aussi dans le monde. 18 Il n’y a pas de crainte dans l’amour, mais le parfait amour bannit la crainte, car la crainte renferme un tourment ; or celui qui craint n’est pas accompli dans l’amour.

L’Apôtre qui vient de déterminer ce qu’est la foi chrétienne se place de nouveau sur le terrain de la vie chrétienne, et montre que l’essence de cette vie, c’est l’amour. En abordant ce sujet, son langage semble prendre un nouvel élan : « Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, parce que l’amour est de Dieu ; quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu ; celui qui n’aime point n’a pas connu Dieu, parce que Dieu est amour. » Le but de saint Jean, dans ce passage, n’est pas tant d’exhorter ses lecteurs à l’amour que de leur montrer un des fruits nécessaires de la vie de Dieu : partout où se trouve cette vie, là se manifeste aussi l’amour fraternel ; il en découle d’une manière si immédiate que partout où il ne se trouve pas, on peut, avec certitude, conclure de son absence à l’absence de la vie divine elle-même, car « l’amour est de Dieu. » L’amour, en général, est un rayon de la vie divine ; il est en opposition absolue avec la tendance de l’homme naturel. Celui-ci fait de lui-même son propre but, son propre centre ; l’amour, au contraire, nous transporte hors de nous, nous élève au-dessus de nous-mêmes, nous pousse à faire part à d’autres de ce que nous avons et de ce que nous sommes, en un mot, à vivre pour autrui. Il est vrai que l’on retrouve certains mouvements de cet amour chez des hommes encore étrangers à la vie divine dont parle ici l’Apôtre ; toutefois, ces manifestations isolées proviennent, sans que ces hommes en aient clairement conscience, du même principe ; ce sont des rayons détachés du même soleil de charité et d’incontestables marques de notre origine divine.

Si l’on veut remonter à la source de ces bons mouvements, si complètement en dehors des tendances naturelles du cœur humain, il faut en rechercher le principe, soit dans les effets généraux de l’œuvre de Christ qui, par les liens sociaux, par l’éducation, s’étendent même sur ceux qui n’ont pas encore reçu Christ dans leur cœur, soit dans ces glorieux restes de l’image de Dieu, qui subsistent dans l’homme au sein même de son abaissement, et percent comme autant de traits de lumière à travers les ténèbres de son état actuel. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas de cet amour intermittent, fragmentaire, que parle saint Jean ; « celui qui aime, » c’est celui chez lequel l’amour est le principe dominant, le mobile de la vie ; celui-là n’a pu puiser cette vie de l’amour qu’en Dieu ; « il est né de Dieu, » ou, ce qui revient au même, d’après la conception profonde de saint Jean au sujet de la connaissance, « il connaît Dieu. » En face de ce principe il pose aussitôt son contraire : « Celui qui n’aime point n’a pas connu Dieu ; » puis il appuie l’une et l’autre de ces déclarations sur ce fait que non seulement l’amour est de Dieu, ainsi qu’il vient de le rappeler, mais encore que « Dieu est amour » : son essence est amour ; l’amour, dans son sens absolu, le résumé, la source, le principe de tout amour, c’est Dieu même. Pensée insondable !

L’amour est donc pour nous le seul moyen de connaître le Dieu invisible, incompréhensible, qui nous a créés. Il n’en faut pas davantage pour nous convaincre de sa personnalité : un être personnel est seul capable d’aimer, de communiquer à d’autres êtres ce qu’il possède lui-même, et l’essence du Dieu personnel que nous servons étant d’aimer, il a dû de tout temps aimer la souveraine perfection, c’est-à-dire s’aimer lui-même ; c’est pourquoi il a engendré de sa nature propre Celui qui est l’image empreinte de sa personne, la splendeur de sa gloire ; c’est ce Fils unique qui est l’objet absolu de son amour. Aussi le Christ, dans la conscience de son unité parfaite avec cette Parole éternelle de Dieu qui l’anime, le dirige et vit en lui, a-t-il pu, dans sa prière sacerdotale, s’adresser ainsi à Dieu son père : « Glorifie-moi de la gloire que j’ai eue chez toi, avant que le monde fût fait… Qu’ils contemplent ma gloire, laquelle tu m’as donnée, parce que tu m’as aimé avant la fondation du monde. » (Jean 17.5, 24) Cet amour a porté Dieu à créer le monde ; chaque être est une manifestation spéciale de cet amour, puisque chacun jouit de la portion de bonheur dont il est susceptible. Le couronnement de cette création, vaste témoignage de l’amour divin, c’est l’homme, qui est revêtu d’une nature capable de saisir dans tout le reste de la création les traces de l’amour dont elle émane, et d’entrer librement en rapport avec son auteur. L’humanité n’ayant pas répondu à cette sainte vocation, Dieu a été mu par son amour à envoyer au monde, pour le donner aux hommes, son Fils unique, l’objet suprême de sa dilection, le seul de tous les êtres dans lequel il puisse sans réserve prendre plaisir, parce qu’il est le seul dans lequel il puisse se contempler lui-même, sans nuages. C’est de lui que l’amour de Dieu se répand sur tous ceux qui vivent dans sa communion, et qui, aux regards pénétrants du Père céleste, paraissent ne faire qu’un seul corps avec son bien-aimé Fils. Il est la parfaite révélation du Dieu-amour : sa venue au monde, sa vie, ses souffrances, concourent à nous montrer ce qu’est Dieu. « En ceci a été manifesté l’amour de Dieu envers nous, savoir que Dieu a envoyé dans le monde son Fils unique, afin que nous eussions la vie par son moyen. » Saint Jean, passant sous silence toutes les manifestations secondaires de l’amour de Dieu, en indique de prime abord la manifestation suprême : après avoir, par amour, donné aux hommes la capacité morale nécessaire pour saisir le plus beau témoignage de son amour, Dieu leur a donné ce témoignage même, en leur rendant ce qu’ils avaient perdu par leur propre faute : la vie éternelle, la vie bienheureuse, la vie véritable. C’est lui qui, par pure grâce, nous a fait ce don, sans que nous l’ayons en aucune manière prévenu : c’est, au contraire, la profondeur même de notre misère qui a ému envers nous ses entrailles paternelles : « En ceci est l’amour, non que nous ayons aimé Dieu, mais que Lui nous ait aimés et qu’il ait envoyé son Fils comme propitiation pour nos péchés. » Ces paroles nous montrent comment nous devons entendre la réconciliation que Christ a opérée entre le pécheur et Dieu ; ce serait leur faire violence que de se représenter Dieu comme haïssant jusqu’alors le pécheur, et dès ce moment subitement apaisé envers lui ; c’est au contraire en vertu de son amour que Dieu a conçu le plan de la rédemption ; celle-ci n’a pas été la cause déterminante de l’amour de Dieu pour les hommes, elle en a été le fruit. Aussi le Nouveau Testament ne parle-t-il jamais d’une réconciliation de Dieu avec les hommes, mais d’une réconciliation des hommes avec Dieu. Dieu qui est amour, a toujours été disposé à venir au-devant des hommes ; c’est de leur côté, ce n’est pas du sien, que se sont élevés les obstacles, et s’ils ont cru voir en Lui un Dieu irrité, c’est qu’eux-mêmes s’éloignaient de lui, et fuyaient son amour. Il fallait donc avant tout que Dieu détruisît ces obstacles, nul pécheur n’ayant la force de les lever par lui-même et de se replacer dans une situation normale vis-à-vis de Dieu.

Le moyen par lequel ont été rétablis les rapports entre le pécheur et Dieu, c’est la propitiation pour nos péchés ; en dehors de ce fait divin, auquel l’homme n’a en rien contribué, il n’y a pour lui aucun espoir de salut. Les sacrifices expiatoires de l’ancienne alliance, auxquels saint Jean fait allusion en cet endroit, avaient précisément pour but de réveiller sans cesse en l’homme le sentiment de son impuissance ; ils étaient pour lui une démonstration toujours renouvelée de l’impossibilité où est le pécheur de combler l’abîme entre Dieu et lui. En effet, si Dieu est amour, il est aussi sainteté, ce que saint Jean exprime en disant qu’il est lumière, et qu’il n’y a point en lui de ténèbres. Il se révèle à nous comme le Dieu saint, dans l’ordre moral du monde, qui exige d’une manière absolue, de la part de l’humanité, l’accomplissement de la loi ; ce n’est qu’à cette condition que le Dieu de sainteté peut entrer en communion avec les hommes, et devenir pour eux la source d’une vie bienheureuse. Mais cette condition, l’homme ne peut la remplir, le péché étant entré dans le monde et ayant partout établi son empire. Il a donc fallu que Christ, le seul Juste entre les enfants d’Adam, accomplît au nom de tous ses frères ce qu’ils ne pouvaient accomplir eux-mêmes ; il a rétabli l’harmonie dans l’ordre moral, en satisfaisant aux exigences de la loi. Or, la loi établissant un lien indissoluble entre le péché et la souffrance, châtiment du péché, Christ s’est soumis comme homme à cette condition de l’humanité pécheresse ; il a chargé sur lui-même le fardeau terrible qui pesait sur elle : il a, par pur amour, goûté dans son sacrifice toute l’amertume du péché et de la souffrance humaine, et dans sa sympathie avec l’humanité coupable, ne faisant qu’un avec elle, il s’est écrié : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as tu abandonné ? » Toutes les misères qu’avaient à porter les hommes, il les a prises sur lui, et leur a donné, dans sa vie sainte et dans sa passion, ce qui était à lui. C’est là le point central duquel dépendent toutes les relations entre l’homme et Dieu ; c’est par là que le péché a cessé d’être entre Lui et nous une barrière de séparation ; c’est là le fait immense désigné sous le nom d’expiation (propitiation, réconciliation) ; c’est l’essence de l’amour saint.

Après avoir mis en lumière l’amour de Dieu, tel qu’il s’est révélé à nous dans la réconciliation opérée par Jésus-Christ, l’Apôtre adresse aux chrétiens des exhortations pleines de tendresse : « Bien-aimés, si c’est ainsi que Dieu nous a aimés, nous aussi, nous devons nous aimer les uns les autres. » L’amour de Dieu envers les hommes doit provoquer chez ceux qui en ont ressenti les effets un amour réciproque, et cet amour se manifeste nécessairement par une affection mutuelle entre ceux qui ont fait l’expérience des miséricordes divines ; cette conséquence est inévitable. Développant cette pensée déjà exprimée, que Dieu est amour, saint Jean en tire la conclusion que l’amour est le lien entre l’homme et Dieu : « Nul n’a jamais vu Dieu, dit-il ; si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et son amour est accompli en nous. » (En nous, c’est-à-dire dans l’ensemble de la communauté chrétienne). Ce n’est donc que par l’amour que nous pouvons constater la présence de Dieu au dedans de nous ; quant à le voir, personne ne l’a jamais pu ni ne le. pourra jamais. La vérité exprimée par saint Jean présente deux acceptions différentes, selon la signification que l’on donne au terme voir. Si on le prend dans un sens matériel, la pensée est que, Dieu étant invisible, ce n’est pas par les yeux de la chair que nous pouvons espérer de le connaître. L’attente des Juifs, qui comptaient sur une manifestation de Dieu extérieure et éclatante, le souhait que forma Philippe devant le Seigneur (Jean 14.8), devaient être nécessairement déçus. Le lien de l’Église avec le Dieu invisible ne peut donc être qu’un lien spirituel ; ce lien c’est l’amour. Dieu étant amour, tout amour procédant de Lui, l’action de l’amour au sein de l’Église, sa prédominance dans les cœurs est une preuve irrécusable de la présence de Dieu. Mais dans le langage de saint Jean, le mot voir a souvent un sens différent ; il désigne, dans ce cas, une vue spirituelle, une contemplation immédiate de l’âme, une intuition directe, comme dans cette parole : « Personne ne vit jamais Dieu : le Fils unique qui est dans le sein du Père, Lui l’a fait connaître. » (Jean 1.18). La pensée de saint Jean serait donc celle-ci : Nul homme ne peut connaître Dieu d’une manière absolue ; si donc il n’y a pour nous aucun autre moyen d’arriver jusqu’à Lui qu’une pareille connaissance, s’il faut, pour nous unir à Dieu, pénétrer dans les profondeurs de son être et comprendre son essence, nous devons désespérer de jamais l’atteindre, car il est insondable. Mais ce moyen existe ; Dieu est amour ; par l’amour nous demeurons unis à lui ; ce que les hommes peuvent saisir de l’essence de Dieu, c’est par l’amour qu’ils le saisissent, en attendant qu’ils parviennent à cette contemplation pure qui leur est réservée dans la vie éternelle. Vérité dont on ne saurait assez relever l’importance ! Dieu ne se révèle dans la réalité de sa présence et de son être qu’à ceux qui le recherchent avec amour. Plus l’homme ferme son cœur à l’amour, plus il s’ensevelit dans son égoïsme, et plus il devient inaccessible à la connaissance de Dieu. Or ceux qui aiment Dieu véritablement reportent cet amour sur leurs frères ; ces deux faits sont aussi inséparables que la conséquence l’est du principe.

Si Dieu demeure dans le fidèle par son amour, c’est que son esprit l’anime ; car l’Esprit de Dieu que Christ nous communique est la source même de cet amour. C’est cet amour de Dieu répandu dans nos cœurs, qui nous avertit de la présence de l’Esprit de Dieu ; il en est la marque incontestable, le gage certain. Ainsi, par l’Esprit de Dieu, nous savons d’une manière sûre, que de même que nous entretenons avec Lui une communion non interrompue, de même Dieu demeure dans une inaltérable communion avec nous : « En ceci nous connaissons que nous demeurons en Lui, et Lui en nous, savoir qu’il nous a fait part de son esprit. » Ce n’est là qu’une autre face de la vérité exprimée par saint Jean, dans les mots qui précèdent. Puis il revient au grand fait qu’il met sans cesse à la base de la vie chrétienne et du salut, qui est le fondement même de l’Église et de toutes les expériences spirituelles de ses membres, au fait qui résume en lui-même et duquel dépend tout le reste, savoir le témoignage rendu au Fils de Dieu, envoyé par le Père comme sauveur du monde. Ce témoignage, il le rend en termes qu’un témoin oculaire pouvait seul employer : « Quant à nous, nous avons vu et nous témoignons que le Père a envoyé son Fils comme sauveur du monde. » Mais ceux auxquels s’adresse saint Jean, ne devaient pas, sur ce point essentiel, s’en rapporter uniquement à son témoignage ; ils devaient faire de cette vérité une expérience personnelle, et en acquérir la démonstration intérieure par leur communion spirituelle avec Dieu. Cette foi vivante et individuelle devant se traduire par le témoignage extérieur, c’est à ce témoignage même, hardiment rendu en face d’un monde qui repousse et renie le Fils de Dieu, que l’Apôtre exhorte les chrétiens : « Quiconque confessera que Jésus est le Fils de Dieu, Dieu demeure en lui, et lui en Dieu. » Cette communion entre Dieu et le fidèle, fondée sur la foi en Jésus comme Fils de Dieu, il n’est pas seul à la sentir ; tous ceux qui partagent cette foi, partagent aussi ce privilège : « Pour nous, nous avons connu et cru l’amour que Dieu a pour nous. Dieu est amour, et celui qui demeure dans l’amour, demeure en Dieu et Dieu en lui. » L’Apôtre établit entre la connaissance et la foi une action et une réaction réciproques. Pour pouvoir croire, il faut sans doute avoir la connaissance du fait qui est l’objet de la foi. Mais d’un autre côté, ce n’est qu’en croyant à ce fait, en se l’appropriant par la foi, en le faisant passer du domaine extérieur dans celui de l’expérience intime et personnelle, qu’on parvient à le connaître véritablement. Il faut que l’esprit soit éclairé par la foi, pour être capable d’une connaissance réelle ; et cette connaissance à son tour réagit sur la foi, elle lui donne une force et une clarté nouvelles. Connaître ainsi l’amour de Dieu pour nous, c’est connaître Dieu même, car cet amour c’est son essence : Dieu est amour, et l’on ne demeure uni à lui qu’autant qu’on demeure dans l’amour. Il s’agit ici, d’abord de l’amour de Dieu pour nous, manifesté en Christ, principe de la vie du fidèle, puis, comme conséquence nécessaire, de notre amour pour Dieu et pour nos frères.

Quand cette vie de l’amour a atteint tout son développement, voici dans quel état d’âme se trouve le chrétien : « C’est en ceci que l’amour est accompli en nous, savoir que nous ayons confiance au jour du jugement, car tel il est, tels nous sommes aussi dans le monde. » La confiance, tel est le fruit le plus pur de l’amour. Le mot original désigne cette liberté complète avec laquelle nous nous déchargeons auprès d’un ami intime de tout ce qui peut nous peser sur le cœur. Il s’agit ici de rapports analogues, d’une confiance joyeuse et entière, que ne vient troubler aucune arrière-pensée. Il n’y a plus pour celui qui demeure dans l’amour le moindre sujet de crainte ; entre autres la crainte d’être jugé par le Dieu saint, devant lequel ne peut subsister aucun péché, a disparu pour lui ; non qu’il passe légèrement sur cette solennelle vérité, ou qu’il nourrisse à cet égard une sécurité trompeuse ; mais le trouble qui s’empare du pécheur, tant qu’il ne voit en Dieu qu’un juge sévère devant lequel il se sent coupable et se sait condamné, le trouble que répand dans une âme le sentiment de la colère de Dieu, ainsi que l’appelle l’Écriture, ce trouble affreux a fait place à la plus joyeuse confiance pour tout homme qui entretient avec son Dieu les relations d’amour établies par Jésus-Christ, et dont vient de parler l’Apôtre. Sans doute, cet homme n’ignore pas qu’il est encore exposé aux atteintes du péché ; il l’ignore si peu, que la lutte contre le péché est sa préoccupation habituelle ; nul n’a le regard plus pénétrant pour reconnaître sa présence, nul n’en souffre davantage : cependant, le péché lui-même, si horrible qu’il soit, a perdu pour lui son aiguillon ; il sait que Dieu lui a pardonné, et que s’il trouve encore en lui-même des restes du vieil homme, cette puissance du mal n’est cependant pas telle qu’elle puisse le séparer du Dieu qui est amour, et auquel il se sent uni par l’amour ; il sait que l’Esprit de Dieu qui lui a été donné continuera l’œuvre de régénération commencée dans son âme, et la poursuivra jusqu’à parfait accomplissement.

Le fondement d’une pareille confiance, ce ne sont pas les mérites du chrétien, ou sa sainteté personnelle, base mobile et chancelante, sur laquelle, au milieu des épreuves et des luttes de la vie, ne peut reposer aucune espérance solide. Le seul appui sur lequel le pécheur puisse asseoir son assurance, c’est l’amour de Dieu révélé en Christ, cet amour par lequel il se sent un avec son Sauveur. Cette union intime entre le Fils de Dieu glorifié dans le ciel et le chrétien qui marche encore sur la terre, produit en celui-ci la conviction vivante qu’il ne peut pas plus être séparé de Dieu que le Seigneur Jésus, la tête du corps dont il est membre, ne peut en être séparé lui-même. Il sait, par la plus convaincante de toutes les preuves, qu’il est, en Christ, l’objet de la faveur divine. Le rapport qui unit Jésus-Christ à Dieu est pour lui la garantie absolue de ses propres relations avec son Père céleste, le vrai fondement de sa confiance.

Il existe donc dans la vie religieuse deux points de vue opposés : l’un considère Dieu comme un Père auquel on demeure uni par l’amour, et que Jésus-Christ nous a révélé ; l’autre l’envisage comme un Juge, qui agit sur nous par la crainte des châtiments. Telle est la pensée de l’Apôtre. Il peut se faire, à la vérité, que, même dans une âme parvenue à la liberté de l’amour, il y ait encore des réactions de l’esprit de servitude, des retours de ce joug de la crainte brisé par l’Évangile : mais saint Jean parle ici d’un état spirituel idéal, dans lequel l’amour règne sans partage, tellement qu’il a entièrement banni la crainte. « Il n’y a pas de crainte dans l’amour, mais le parfait amour bannit la crainte ; la crainte est accompagnée de tourment ; or, celui qui craint n’est pas accompli dans l’amour. » Il y a, sans doute, une crainte salutaire et sainte, la crainte du mal, qui doit exciter sans cesse les hommes pécheurs à veiller sur eux-mêmes, à éviter tout ce qui pourrait troubler leur communion avec Dieu. Mais saint Jean ne songe pas à blâmer cette crainte-là. L’amour qu’il prêche n’est-il pas lui-même la plus puissante garantie contre le mal ?

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant