Étude pratique sur l’épître aux Philippiens

III.
Des devoirs des chrétiens

1. Énergique répulsion des doctrines subversives de la vérité chrétienne en dogme et en morale. Paul foudroie le judaïsme chrétien et lui oppose son propre exemple.

Les exhortations de Paul aux Philippiens, pour leur recommander l’esprit de support et d’humilité, avaient une très grande importance à cause de l’opposition que le christianisme rencontrait dans son premier développement. Du reste, sous des noms divers, il rencontre toujours les mêmes oppositions. Il y a ici des distinctions à établir, car on ne peut mettre sur la même ligne une tendance qui est en contradiction manifeste avec le christianisme, qui est absolument incompatible avec lui, et une tendance qui accepte la vérité de l’Evangile, mais seulement n’a pas su se dégager entièrement d’un point de vue antérieur et le laissa pénétrer plus ou moins dans la doctrine chrétienne. Nous devons faire cette distinction pour les tendances juives qui se manifestaient dans les premières Eglises et qui rentrent dans les deux catégories que nous avons indiquées. Nous en avons déjà parlé ; mais nous devons insister sur ce point pour bien comprendre l’état des premières églises.

Il s’y manifestait d’abord une tendance juive tellement prononcée, tellement exclusive, qu’elle altérait complètement le caractère propre du christianismee. Jésus-Christ était bien reconnu encore comme le Messie, mais la foi qu’on avait en lui était une foi tout extérieure, dépouillant sa mission de sa signification véritable. On en faisait un messie juif entièrement terrestre, répondant à de terrestres espérances. Jésus-Christ avait dit aux multitudes qui le suivaient, après le miracle de la multiplication des pains : Vous ne venez pas à moi à cause de mes miracles, c’est-à-dire à cause de ces faits extraordinaires qui témoignent de l’intervention directe de Dieu dans la nature, et sont destinés à montrer la présence de Dieu dans ma personne ; vous venez à moi parce que vous avez mangé des pains et que vous avez été rassasiés ; vous n’êtes mus que par des besoins terrestres. Il aurait pu adresser le même reproche à ces juifs dont nous parlons ; il eût retrouvé en eux, au lieu du sens divin et des besoins supérieurs, profonds, spirituels de l’âme, des espérances terrestres qu’ils croyaient voir réalisées par lui. Sans doute ils n’étaient pas en guerre ouverte avec lui, puisqu’ils paraissaient se rattacher à lui ; mais cette adhésion apparente ne les mettait pas au-dessus des ennemis déclarés du Seigneur. Si ces derniers le repoussaient comme ne satisfaisant pas leurs grossières espérances, les premiers ne l’acceptaient qu’en s’imaginant trouver en lui la satisfaction de ces mêmes espérances, qu’en faisant de lui le Messie que les autres auraient voulu avoir, le Messie qu’il ne voulait pas être. Ils rattachaient, ainsi que nous l’avons dit déjà, le judaïsme légal tout entier à leur foi en Jésus-Christ. Ce qui sauvait, d’après eux, ce n’était pas l’œuvre de Christ, mais l’observance de la loi ; ils cherchaient la justification dans la circoncision. Ils ne voulaient donc pas de la justification qui procède par la foi du dedans au dehors, mais de celle qui par les œuvres serviles procède du dehors de l’homme. On le comprend, entre une telle tendance et le christianisme, il n’y avait pas de concession, pas d’accommodement possible. Il s’agissait de décider avec fermeté si l’on voulait d’un Messie terrestre ou d’un Messie spirituel, si l’on voulait s’appuyer sur le Sauveur seul, ou chercher la justice qui vient des œuvres de la loi ; il s’agissait de choisir entre la transformation intérieure, spirituelle du cœur par l’effusion de la vie divine et sa transformation extérieure, formaliste, et pour tout dire en un mot, entre l’œuvre de Dieu et l’œuvre de l’homme.

e – Il semble au premier abord qu’il y ait là une contradiction avec ce que Neander a dit plus haut du support de Paul à Rome vis-à-vis de ces mêmes chrétiens judaïsants. Mais cette contradiction disparaît dès que nous nous souvenons de la distinction qu’il a établie entre l’œuvre de ces chrétiens judaïsants au milieu des païens et de leur œuvre au milieu des chrétiens. Elle n’avait tous ses funestes résultats que parmi ces derniers ; c’était le cas des chrétiens judaïsants de l’église de Philippes, et c’est pour cela que l’apôtre est si énergique dans sa polémique contre eux. (N. du T.)

Cette contradiction absolue entre le christianisme et le judaïsme à peine voilée sous un nom commun au sein de ces églises naissantes, nous explique la sévérité de Paul : « Donnez-vous garde des chiens, dit-il (dans la langue biblique, ils représentent les adversaires endurcis de la vérité) ; donnez-vous garde des mauvais ouvriers (de ceux qui voulaient glisser le judaïsme dans le christianisme) ; donnez-vous garde de la mutilationf. » (Philippiens 3.2) Comment devons-nous comprendre ce dernier trait qui s’applique à la circoncision ? Comment nous expliquer que Paul parle avec une sorte de mépris de la circoncision, à laquelle il reconnaissait pourtant la valeur d’une institution divine, destinée à un certain temps ? Il considérait la circoncision comme un sceau divin, distinguant le peuple théocratique des autres peuples livrés à l’idolâtrie et à l’impudicité qui l’accompagnait ; c’était une consécration à cette vie sainte dans la communion de Dieu qui devait plus tard être accessible à tous les hommes. La circoncision était aux yeux de Paul, comme il le dit dans l’épître aux Romains (Romains 4.11), un symbole de l’alliance spirituelle entre l’homme et Dieu, dans laquelle par sa foi Abraham était entré, un symbole de la circoncision morale du cœur purifié, devant réaliser dans toute sa vérité et sa largeur l’idée d’un peuple de Dieu. Mais quand il voyait la justification, le salut attribué à la circoncision extérieure comme par ces prétendus chrétiens, quand il la voyait mise à cet égard au-dessus du sang de la rédemption, alors il devait flétrir une pareille idée et en montrer le néant et le danger. Aucune parole ne lui semblait trop forte pour condamner cette funeste tendance qui sacrifie l’intérieur à l’extérieur, le fond à la forme, et fait dépendre d’un acte sans valeur morale par lui-même, ce qui ne peut être produit que par une détermination de la volonté et l’action du Saint-Esprit. La circoncision dans ces termes, avec de telles idées, il ne craint pas de le dire avec mépris, n’est plus qu’une mutilation. Nous pouvons comparer à ces paroles ce passage des Galates, s’appliquant au mêmes personnes, : « Puissent ceux qui vous troublent se mutiler complètement ; » c’est-à-dire que ceux qui mettent toute leur confiance dans la circoncision se mutilent s’ils le veulent, pourvu qu’ils laissent en repos les autres chrétiens. (Galates 5.12)

f – Nos versions ont ici : fausse circoncision, ce qui diminue l’énergie de l’expression. Κατατομή qui veut dire mutilation. (N. du T.)

Ce n’est pas seulement la fausse idée de la circoncision qui est atteinte par ces paroles, mais encore toute tentative de faire consister le salut dans un acte extérieur. L’apôtre condamne implicitement ce judaïsme toujours renaissant qui, sous des noms divers, est en désaccord avec la religion de l’esprit, du culte en esprit, et en vérité, de l’œuvre intérieure, de la foi. Paul met en opposition le vrai point de vue chrétien : « C’est nous, dit-il, qui sommes circoncis ; » en d’autres termes, les chrétiens, spirituels ont seuls la circoncision véritable ; les autres, n’ont au lieu de circoncision qu’une mutilation dérisoire : « Nous, ajoute-t-il, qui servons Dieu en esprit, qui nous glorifions en Jésus-Christ, et qui ne mettons point notre confiance en la chair. » (Philippiens 3.3)

La vraie piété forme un contraste complet avec ces piétés extérieures, terrestres, qui croient honorer Dieu par des formes et des cérémonies, et non par les sentiments du cœur. Paul désigne cette vraie piété comme le service de Dieu en esprit ; ce n’est pas l’esprit souillé de l’homme qui peut la produire, mais l’esprit de Dieu envoyé par Jésus-Christ. Le Saint-Esprit met notre esprit en communion avec Dieu, en fait son temple, le lieu où il est vraiment honoré et adoré. Toute la vie spirituelle est ainsi élevée à la dignité d’un culte. Mais l’œuvre de Christ, la Rédemption est à la base de cette rénovation ; c’est à cette œuvre que tout doit être attribué. Voilà pourquoi nous ne devons nous glorifier que d’une manière qui ne nous attribue rien en propre et nous laisse dans la plus profonde humilité. Nous ne devons nous glorifier qu’en Christ, ou ce qui revient au même, ne mettre notre confiance en rien d’humain. Paul fortifie ces considérations par son propre exemple. Lui, juif de naissance, élevé à l’école sévère du pharisaïsme, ayant vécu dans la pratique exacte de la loi, il n’en reconnaît pas moins le néant de tout ce qui est humain pour opérer le salut ; il jette tous ces titres aux pieds de Jésus-Christ, qui seul le sauve. Et pourtant il avait été irréprochable au point de vue de la loi, non seulement de la loi cérémonielle, mais encore de la loi morale telle que les Juifs la concevaient. Tout cela ne lui suffit pas. La lumière de l’esprit lui a révélé le vrai caractère de la loi divine, comme aussi lui a donné la connaissance de lui-même, et bien qu’irréprochable au jugement des hommes, il se reconnaît comme un pécheur, manquant de la vraie, de la divine justice, qui pénètre toute la vie de la pensée de Dieu. « Ce qui m’était alors comme un gain, je l’ai regardé comme une perte, à cause de Christ. Et même, je regarde toutes les autres choses comme une perte, en comparaison de l’excellence de la connaissance de Jésus-Christ mon Seigneur, pour qui je me suis privé de toutes ces choses, et je ne les regarde que comme des ordures, pourvu que je gagne Christ. » (Philippiens 3.7-8) Tout ce qui autrefois avait du prix à ses yeux, la descendance du peuple théocratique, la piété légale irréprochable, tous ces avantages lui apparaissent comme une perte ; et cela parce qu’il s’appuyait sur eux, et était détourné de s’approcher du Seigneur. La connaissance de Christ lui suffit pleinement ; elle renferme tout pour lui, et il repousse avec énergie tout ce qui peut l’en éloigner. De là l’énergie incroyable de son langage et le mépris qu’il fait, en comparaison de cette foi précieuse, de la justice légale fondée sur des efforts humains.

Cette connaissance de Christ, on le conçoit, n’est pas un simple fait de l’intelligence, adoptant une formule, ou un dogme sur Christ ; c’est une connaissance qui procède de la vie intérieure produite par une expérience intime ; elle consiste à reconnaître par l’âme que Christ est le Fils de Dieu. Paul insiste avant tout sur la résurrection de Christ, qui suppose évidemment sa crucifixion et sa souffrance rédemptrice. C’est que la résurrection de Christ est la preuve éclatante que la rédemption est consommée, et que la vie divine concentrée dans la personne glorieuse de Jésus-Christ doit découler sur tous les croyants pour les transformer jusqu’à ce que, par l’âme et le corps, ils lui deviennent semblables. Paul nous montre dans l’acceptation de la croix du Sauveur le moyen de participer à cette résurrection bienheureuse, et il présente cette assimilation de la mort et de la résurrection du Sauveur, comme un même devoir pour le chrétien (v. 10). C’est ainsi qu’il oppose au point de vue juif et légal le point de vue évangélique dans toute sa beauté.

Au verset 18 du même chapitre, l’apôtre Paul, après s’être proposé en exemple, comme nous venons de le voir, parle de gens qui sont ennemis de la croix de Christ. Sont-ce de nouveaux adversaires qu’il combat ? ou bien achève-t-il de caractériser cette tendance juive qu’il poursuit dans ses derniers retranchements ? On aurait pu voir, dans ces ennemis de la croix de Christ des païens ou des juifs proprement dits, outrageant cette croix au point de vue de la Grèce philosophique ou du pharisaïsme hypocrite. Mais il nous paraît difficile que Paul proposât son exemple à de telles gens. Quelle valeur pouvait-il avoir à leurs yeux ? On pourrait encore voir dans ces ennemis de la croix de Christ des hommes qui, pleinement chrétiens en apparence, pour la doctrine, n’auraient pas voulu vivre selon l’Evangile et auraient scandalisé l’Eglise par des péchés grossiers. Leur conduite eût été en opposition et comme en hostilité avec la croix de Christ. Mais il nous paraît plus conforme à l’esprit général de ce chapitre de reconnaître dans ces ennemis de la croix les mêmes chrétiens judaïsants que Paul dénonce à l’Eglise ; seulement nous avons ici un reproche nouveau qui s’ajoute à ceux qui leur ont déjà été adressés ; ce n’est plus seulement leur doctrine, c’est leur vie qui est mise en cause. Ne sont-ils pas vraiment ennemis de la croix de Christ, à leur insu peut-être, ceux pour lesquels Christ crucifié est au fond un scandale, qui ne peuvent accepter la gratuité du salut opéré par sa mort ? Et n’y avait-il pas déjà dans leur vie une opposition au commandement de Christ par le fait seul du culte formaliste, extérieur qu’ils rendaient à Dieu ? Mais il y a plus : une pareille tendance terrestre et grossière n’avait aucune action sur la vie morale ; elle pouvait parfaitement subsister avec le péché et même pactiser avec lui en donnant au pécheur une certaine sécurité. L’histoire de l’Eglise nous montre le même scandale toutes les fois que des tendances analogues se sont produites.

Paul reproche à ces prétendus chrétiens (v. 18-19) de faire de leur ventre leur Dieu et de ne chercher en tout qu’à servir leurs intérêts, même dans la prédication de leur doctrine. Ils attachent leur affection, ajoute-t-il, aux choses de la terre. C’est qu’en effet leurs espérances ne dépassaient pas la terre. Ils ne souhaitaient pas la vie divine, mais dans leurs rêveries millénaires, ils ne souhaitaient qu’une félicité terrestre portée à une plus haute puissance. Ils mettent leur gloire dans ce qui est leur confusion. En effet ils ne font, par leur judaïsme grossier, que perdre leur piété. Paul oppose à cette funeste tendance le vrai christianisme qui est tout entier tourné vers le ciel et dont les espérances sont complètement dépouillées de ces couleurs terrestres. Ce sens charnel, terrestre, doit être bien loin de nous, chrétiens spirituels, car notre vie est dans le ciel (v. 20). D’après la pensée de Paul, les chrétiens sont déjà dans le ciel ; ils y sont du moins par toutes les tendances de leur vie. Ils sont là où est leur maître ; leur cœur est avec Christ. Ils savent qu’il est dès maintenant dans le ciel, visible aux croyants, s’il est caché au monde. Leur regard est fixé sur le séjour qu’habite leur Sauveur, et ils s’attendent à l’en voir revenir pour les transformer à son image : d’où nous attendons aussi le Sauveur, le Seigneur Jésus-Christ, qui transformera notre corps vil, pour le rendre conforme à son corps glorieux, par le pouvoir qu’il a de s’assujettir toutes choses (v. 20-21).

La résurrection dont Paul entend parler n’est pas la restauration de ce corps terrestre, sous la même forme terrestre, mais une transformation glorieuse, opérée par la puissance divine de Christ ; les croyants seront affranchis de toutes les imperfections de la vie terrestre et refléteront l’image de Christ dans leur personnalité glorifiée ; leur âme sera remplie de la vie divine et trouvera dans le corps un organe sanctifié qui sera en harmonie avec elle. Cette spiritualité de l’espérance chrétienne puisée dans la foi en Christ ressuscité et glorifié dans le ciel, condamne aussi bien les espérances terrestres d’un judaïsme déguisé que les tristes négations d’une sèche incrédulité, qui égale l’homme à la brute. D’un côté comme de l’autre nous retrouvons l’homme naturel, qui ne peut s’élever au delà des limites du monde, et percevoir les choses divines et célestes ; soit qu’il nie la vie éternelle qu’il ne peut concevoir, soit qu’il avilisse ce qu’il lui est impossible de nier, il est toujours le même, rabaissant les espérances de l’avenir à son point de vue terrestre. Toute superstition cache une certaine incrédulité, car elle accuse l’impuissance de l’esprit à s’élancer jusqu’au monde surnaturel et divin ; le divin véritable est nié ; on lui substitue une réalité terrestre.

De même toute incrédulité cache une superstition. Elle se fait des idoles ; elle cherche dans le monde ce qui n’est qu’en Dieu. On peut dire d’elle ce que Paul disait de l’idolâtrie : elle se soumet aux éléments du monde. Elle se précipite avec d’autant plus d’ardeur dans les jouissances de la terre qu’elle manque davantage de la vérité qui satisfait les divins besoins de l’âme. Elle se cramponne avec fièvre aux intérêts inférieurs, parce que ceux-ci ont pris la place des intérêts supérieurs, célestes de l’esprit. La superstition et l’incrédulité sont également repoussées par la foi en Christ ressuscité, dont la vie est cachée avec notre propre vie en Dieu (Colossiens 3.3), et qui nous transformera à son image quand il apparaîtra dans sa gloire au monde qui l’ignore.

2. Tolérance et charité pour les divergences secondaires

Nous venons de nous occuper de la tendance extrême du christianisme judaïsant, celle à laquelle il était impossible de faire aucune concession. Mais, ainsi que nous l’avons dit, à côté de cette tendance il se trouvait dans les jeunes églises un judaïsme moins décidé, plus ou moins latent, qu’on ne pouvait accuser d’inimitié contre la croix de Christ ; car il se conciliait avec un amour sincère de Jésus-Christ, et il venait de la débilité d’une foi naissante, qui garde encore quelque reste de préjugés antérieurs. Paul parle souvent dans ses lettres de ces faibles dans la foi qu’il oppose aux chrétiens plus forts, plus libres ; ils n’osaient goûter aux viandes sacrifiées, ils se laissaient embarrasser par les ordonnances légales sur les aliments, sur la mise à part de certains jours.

[L’idée de voir dans le dimanche la continuation du sabbat est absolument étrangère à l’antiquité chrétienne. Les paroles de Paul sont positives (Colossiens 2.16). Nous lisons dans Ignace, Père apostolique : μηκέτι σαββατίζοντες ἁλλα κατά κυριακήν ζωήν σῶντες (Ep. aux Magnésiens 9) : Nous ne sabbatisons pas, mais nous vivons au Seigneur. Justin Martyr déclare que les chrétiens ne célèbrent pas le sabbat (Dial. ad Tryphon, p. 237 B.) Nous lisons dans Eusèbe, écrivain bien postérieur : Οὑ σαββάτων ἐπιτηρήσεως ἀυτοίς ἔμελεν — les chrétiens ne s’inquiètent pas du sabbat,— ὅτι μὴ ἠμίν —parce qu’il n’a rien à faire avec nous (H. E. I, 4.). L’auteur inconnu de l’Épître à Diognète, qui remonte à la plus haute antiquité, va jusqu’à parler de la superstition du sabbat (c. IV). Ces passages des Pères, pris au hasard et auxquels bien d’autres, pourraient être ajoutés, ne détruisent en rien le dimanche, l’observance spirituelle du jour du culte, mais renversent l’idée de l’antiquité de ce qu’on appelle le sabbatisme, ou la prétention de voir dans le dimanche le remplacement du sabbat juif. (N. du T.)]

Le joug de la loi n’était pas complètement brisé pour eux. Quel rapport devait-on établir avec cette classe de croyants ? Est-ce que les chrétiens sortis du paganisme, et comprenant par cela même plus facilement la liberté évangélique, ou bien les croyants arrivés à une maturité plus grande devaient repousser ces chrétiens plus faibles, moins avancés ? Rien n’aurait été plus contraire à cette charité que Paul recommande avec tant d’instance ; elle apprend précisément à supporter les faibles. On eût entravé par une telle conduite l’action de l’esprit qui achève l’œuvre qu’il a commencée, et l’on eût rompu l’ordre naturel, établi de Dieu pour le développement spirituel en Jésus-Christ. Les quelques mots que Paul dit à ce sujet doivent être recueillis par nous avec soin, car ils renferment pour nous une règle précieuse.

Après s’être donné lui-même en modèle aux Philippiens dans sa marche courageuse vers le but céleste (v. 15), l’apôtre ajoute : « Nous tous qui sommes parfaits ayons ce même sentiment — c’est-à-dire, nous chrétiens pleinement affranchis, croissons toujours davantage dans cette sainte liberté — et si vous pensez autrement, Dieu vous révélera ce qui en est. » En d’autres termes, si vous n’en êtes pas encore à ce point de vue de la liberté chrétienne, il vous y conduira, il vous le révélera et vous amènera à l’unité.

Paul déclare que le Saint-Esprit achève et développe sa première révélation, jusqu’à ce que nous soyons arrivés à la maturité et à la pureté de la foi. Il ne faut donc pas soulever des discussions prématurées entre frères, car alors chacun s’acharne à son sens propre. Il ne faut pas surtout se condamner mutuellement ; on doit au contraire chercher à maintenir l’unité de l’esprit qui surpasse toutes ces diversités, et s’abandonner aux directions et aux inspirations du docteur céleste. Quand le principe vivant de la vérité a été déposé dans les âmes, nous pouvons être assurés que le Saint-Esprit saura bien le développer. On doit se garder de faire une sorte de violence à l’âme de son frère, en voulant imposer une loi extérieure à son développement spirituel. La logique, l’éloquence humaine, n’ont pas le pouvoir de pénétrer profondément en lui, de se placer à son vrai point de vue, de découvrir les points de contact entre lui et la vérité ; le Saint-Esprit seul est capable d’amener cet assentiment moral en respectant notre liberté. De même que le levain pénètre insensiblement la pâte, de même la vérité divine pénètre peu à peu notre vie spirituelle. Paul considère comme une révélation cette action du Saint-Esprit dissipant nos obscurités : il ne fait que confirmer par là cette doctrine capitale de l’Ecriture sainte, que les choses divines ne sont vues à leur vrai jour que dans la lumière du Saint-Esprit. Mais si le progrès dans la vérité chrétienne ne s’obtient que par révélation, cette révélation progressive n’exclut en rien l’activité de l’intelligence ; celle-ci doit s’approprier ce qui est révélé de Dieu d’après les lois de notre pensée. D’ailleurs, cette pensée elle-même est pénétrée par le Saint-Esprit, et ainsi tout en revient à son action médiate ou immédiate, et l’ensemble de cette élaboration mérite le nom de révélation.

Dans le verset suivant (v. 16), Paul indique la condition indispensable de ce progrès de la connaissance chrétienne sous l’inspiration du Saint-Esprit. Mais ici nous devons rétablir le texte primitif qui a été altéré ; nos traductions ne sont pas remontées à l’original pur. Ne nous alarmons pas des quelques altérations du texte des Ecritures. Dieu n’a pas voulu le soustraire aux accidents qu’il pouvait subir par une série de miracles ou en le plaçant sous la sauvegarde de l’autorité infaillible d’une église visible. Il a laissé les choses suivre à cet égard leur cours naturel ; aussi, le texte a-t-il pu dans quelqu’une de ses parties être altéré. Il était dans les intentions de Dieu que l’intelligence chrétienne fut excitée par là à des recherches exactes, sous la direction du Saint-Esprit et que la critique distinguât le texte original des altérations qui ont pu le fausser dans le témoignage apostolique. La critique doit aussi être considérée comme l’un des dons spirituels faits à l’église, susceptible d’être employé avec l’aide du Saint-Esprit. C’est par son moyen, par l’étude attentive des manuscrits que nous pouvons dans ce cas reconstruire le texte primitif.

Dans nos traductions les plus usuelles, le verset 16 est ainsi traduit : Suivons la même règle dans les choses à la connaissance desquelles nous sommes parvenus, et soyons unis ensemble. Paul, d’après cette leçon, se bornerait à recommander l’accord, l’union aux Philippiens. Il n’y aurait là qu’une répétition du verset précédent en termes moins clairs avec surcharge. Mais la raison décisive qui nous fait rejeter ce sens, est que le texte des plus anciens manuscrits ne permet pas cette interprétation. D’après eux, il faut traduire ainsi : Dieu nous révélera ce qui en est, pourvu que nous marchions d’après la conviction à laquelle nous sommes parvenusa ; c’est-à-dire si chacun conforme fidèlement sa vie au degré de vérité qu’il a reçu. Le Saint-Esprit révélera à chacun les imperfections de sa foi et produira une unité vivante entre tous, à la condition que les chrétiens ne rompront pas le lien de la fraternité et marcheront consciencieusement selon leurs convictions. Toute nouvelle révélation, toute nouvelle lumière de l’esprit de Dieu suppose que nous avons été fidèles à celles que nous avions déjà reçues. A celui qui a il sera donné davantage.

a – Le texte le plus authentique est celui-ci : Πλήν εἱς ὅ ἐφθάσαμεν, τῶ αὐτῷ στοιχεῖν. (Tishendorf)

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