Homilétique

Preuve proprement dite ou raisons.

Soit qu’il s’agisse de prouver qu’une chose est, ou de prouver qu’une chose doit être, il y a trois voies pour arriver à la certitude : l’expérience immédiate ; le témoignage, qui est l’expérience d’autrui, et qui s’appelle autorité dès que la crédibilité du témoin est hors de doute ; enfin le raisonnement, qui est le témoignage de la raison (de notre raison), non des sens, et qui lie entre elles, et féconde les unes par les autres, les vérités acquises par voie d’expérience ou d’autorité.

La preuve par l’expérience

Le premier rang, dans la prédication, semble appartenir à l’autorité, ou au témoignage digne d’être cru, quoique ces mots : « digne d’être cru », supposent l’emploi de l’expérience et même du raisonnement. – Ce qui fait donner à l’autorité le premier rang, c’est que la doctrine qu’enseigne le prédicateur est une doctrine révélée.

Toutefois, si l’autorité, en matière de prédication, était tout ou à peu près tout, la prédication se réduirait à rien ou à peu près à rien.

L’expérience et le raisonnement se joignent à l’autorité, dans la chaire, non pas pour prouver l’authenticité du document, qui est hors de question, ni pour y suppléer, puisque la certitude qui naît de ce témoignage n’est pas une demi-certitude ; mais parce que, subjectivement, et eu égard au dernier but qu’on se propose, aucune preuve ne suffit dans cette sphère, si le témoignage intérieur ne s’y joint, et [parce] que les déclarations de la Bible ne sont souvent que des points de départ pour la raison.

Il faut que nos vaincus deviennent nos alliés ; jusque-là nous n’avons rien gagné. L’expérience et le raisonnement ont donc beaucoup à faire ici.

La chaire ne fait pas les expériences ; mais elle les renouvelle en les rappelant. L’objet de la preuve par l’expérience, ou par les faits, est :

  1. de prouver des faits contingents, ce qui a lieu, ou par des faits antérieurs (a priori), ou par des faits postérieurs (a posteriori) ;
  2. de prouver des faits généraux ou génériques, ce qui a lieu par des faits individuels, plus ou moins nombreux, appartenant au genre ou à l’espèce en question ;
  3. de prouver un principe ou une idée (l’idée est la loi des faits), ce qui a lieu lorsque, par une action, un être personnel, revêtu d’autorité à nos yeux, a consacré le principe (ceci revient au témoignage), – ou lorsque les faits, sans être des actions, révèlent une idée ; mais ceci suppose la conviction, préalablement établie, de l’unité de la vérité, ou de l’unité de la pensée qui a créé l’univers.

La preuve par expérience est la plus accessible, la plus populaire, mais celle dont l’abus est le plus fréquent et le plus redoutable. Quand on a dit : C’est un fait, on pense avoir tout dit. ; cela coupe court ; que répondre à un fait ? – Deux choses : Il n’est pas vrai ; – il ne conclut pas.

La prévention pour la preuve par expérience peut finir par avilir le témoignage de la raison et de la conscience. On ne croit plus à la vérité quand on ne croit plus qu’aux faits extérieurs.

Ici s’émeut le différend perpétuel entre les hommes de théorie et les hommes de pratique, [différend dans lequel, à le prendre à ses termes extrêmes, il y a] abus des deux parts. Il serait également injuste de ne pas-vouloir descendre aux faits et de ne pas vouloir remonter aux principes. Qu’est-ce qu’un principe, sinon un fait primordial, élémentaire, ou peut-être une vérité de conscience ? – Je me défierais autant des faits que des idées.

Nous avons parlé des principaux usages de l’expérience dans la preuve. Il nous reste à faire quelques citations pour montrer sous quelles formes principales se présente la preuve par l’expérience.

Massillon, voulant prouver que la vie commune ne saurait être une vie chrétienne, dit que les saints ont été dans tous les siècles des hommes singuliersa. Ici l’expérience prouve un principe.

a – Massillon, Carême, Sermon sur le petit nombre des élus.

Saurin veut prouver à ses auditeurs qu’ils donnent très peu. – Il leur rappelle ce que faisaient les Juifs et les premiers chrétiensb. C’est immédiatement prouver un fait général, et par ce fait général un principe.

b – Saurin, Sermon sur l’Aumône.

La preuve par expérience peut tour à tour être prise ou loin ou près de l’auditeur, dans des faits qui lui sont étrangers ou dans des faits qui lui sont personnelsc, dans l’histoire biblique ou dans l’histoire profane, dans ce qui lui est connu et dans ce qui lui est inconnu. Enfin, tantôt il vaut mieux multiplier les exemples, susciter une nuée de témoins, (c’est ce que font volontiers Massillon et Saurin) ; tantôt il vaut mieux se borner à un seul qu’on développe et qu’on approfondit.

c – Saurin, dans le sermon sur Accord de la religion avec la politique, prend un exemple dans des faits rapprochés de ses auditeurs. Dans le troisième sermon sur le Renvoi de la conversion, il commence par des exemples scripturaires pour arriver ainsi aux exemples personnels.]

[Quant au premier point, il semble, à première vue, qu’il n’y a pas à hésiter, et qu’il faut toujours prendre ses exemples près de l’auditeur plutôt que de les aller chercher au loin. Ce principe n’est pourtant pas absolument vrai, et l’un ou l’autre procédé importe selon les cas, selon l’auditoire, selon le but qu’on se propose. Si les faits qui se sont passés près de l’auditeur le touchent particulièrement, des faits éloignés peuvent cependant le frapper davantage, en lui faisant voir qu’une vérité reste la même dans tous les temps, dans tous les lieux et peut-être dans toutes les conditions. D’ailleurs, si la religion n’a pas pour but d’étendre nos idées, elle y tend néanmoins, et c’est une tendance qu’il ne faut pas négliger. L’étroitesse ou la fausseté des opinions d’un bon nombre vient du manque de termes de comparaison, surtout dans la classe peu cultivée. Ajoutons que les faits pris trop près de l’auditeur sont rarement bien vus : la faculté contemplative a besoin d’un calme qui est souvent troublé quand elle s’attache à des objets trop rapprochés. La littérature contemporaine est encore de la vie réelle, non de la pure littérature ; elle le deviendra dans la suite. En attendant, celui qui veut se donner une culture littéraire doit remonter à ce qui est ancien. De même l’histoire ancienne, précisément parce qu’elle est ancienne, instruit plus que l’histoire contemporaine. – Les mêmes observations peuvent s’appliquer aux exemples tirés de faits plus ou moins personnels aux auditeurs. Ici le danger consiste à occuper l’auditeur de lui-même, de sa personnalité, ou de quelque autre qui est mise en scène. Ce danger ne doit pas faire renoncer à des avantages évidents ; mais le prédicateur a besoin d’une grande circonspection en pareil cas, et de traiter avec beaucoup de tact et de gravité des matières aussi délicates. – Quant aux exemples tirés de l’histoire profane, on ne voit pas pourquoi ils seraient bannis de la prédication. Les hommes seuls sont profanes, les faits ne le sont point, et l’exemple de Régulus pourrait certainement être utilement cité dans l’enseignement chrétien.]

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