Le Pédagogue

LIVRE PREMIER

CHAPITRE III

De la bonté du Pédagogue et de son amour pour les hommes.

Le Seigneur nous est utile et nous aide en toutes choses comme homme et comme Dieu ; nous remettant nos péchés, comme Dieu ; nous enseignant de ne pas pécher, comme homme. C’est avec justice que l’homme est aimé de Dieu, puisqu’il est sa créature. Il a jugé à propos de ne se servir que d’un ordre pour tirer les autres créatures du néant ; ses mains ont pétri l’homme ; par un souffle, il lui a communiqué quelque chose qui n’est propre qu’à lui. Puisqu’il a bien voulu nous créer à son image, il est évident qu’il l’a fait, ou à cause de l’excellence de notre nature, ou par un autre motif également digne de sa sollicitude et de son amour. S’il nous a créés à cause de la bonté de notre nature, ce Dieu, la bonté même, a aimé en nous ce qui est bon ; car il y a effectivement dans l’homme quelque chose d’aimable, et c’est ce qui provient du souffle de Dieu. Si c’est par un autre motif, c’est sans aucun doute que, sans cette création, les autres ouvrages de Dieu, privés de la faculté de connaître et d’adorer leur auteur, n’eussent point assez hautement rendu témoignage à sa perfection. Dieu n’aurait point créé les choses pour lesquelles il a créé l’homme, si l’homme lui-même n’avait point été créé. Ainsi, Dieu a créé les choses matérielles pour un motif tout-à-fait étranger à ces choses mêmes, et seulement à cause de l’homme. Il savait ce qu’il allait faire, et il a fait ce qu’il a voulu ; car il n’est rien qu’il ne puisse faire. L’homme, créature de Dieu, est donc un être aimable par lui-même. Or, Dieu ne saurait s’empêcher d’aimer effectivement tout ce qui mérite d’être aimé. Il nous aime donc ; et comment ne nous aimerait-il pas, puisque, de sort sein paternel, il envoie vers nous son fils unique, cette source inépuisable, d’amour et de foi ? Le Seigneur lui-même avoue cet amour, lorsqu’il dit en s’adressant à nous : « Mon Père vous aime parce que vous m’avez aimé. » Il l’avoue encore lorsque, s’adressant à son Père, il lui dit : « Vous les avez aimés comme vous m’avez aimé. » Ainsi donc vous apparaissent la volonté du Pédagogue, la nature de ses secours, et la manière tendre et affectueuse dont il vous invite au bien et vous détourne du mal. Il est clair encore que ce Verbe divin exerce en votre faveur un autre office dont le but est de vous instruire dans les choses cachées, spirituelles et mystérieuses.

Mais comme il n’est pas question dans ce moment de cet enseignement, il me suffit ici de vous faire observer combien il est juste de payer de retour un Dieu dont l’amour nous conduit au souverain bien, et de conformer notre vie à ses commandements, non-seulement en exécutant ce qu’il nous ordonne, ou en évitant de faire ce qu’il nous défend, mais en cherchant à lui ressembler de la manière la plus parfaite qu’il nous soit possible, à l’aide des exemples qu’il met sous nos yeux, soit pour les imiter, soit pour les fuir. Nous errons, en effet, dans cette vie comme dans des ténèbres profondes et nous n’y saurions marcher sans l’appui d’un guide qui ne se trompe point, d’un guide sûr et fidèle. Ce guide par excellence est le Pédagogue. Ce n’est point, comme dit l’Écriture, un aveugle conduisant d’autres aveugles dans le précipice, c’est le Verbe dont la vue perçante pénètre les plus secrets replis de notre cœur. Comme donc il n’y a point de lumière qui n’éclaire, point de moteur qui ne fasse mouvoir quelque chose, point de force aimante qui n’aime avec ardeur, il est impossible aussi que le souverain bien ne soit point utile aux hommes, et qu’il ne les conduise pas au salut. Tirons donc nos préceptes de ses exemples et de ses œuvres. Le Verbe a été fait chair pour mieux nous enseigner la pratique et la théorie de la vertu. Qu’il soit notre unique loi ; regardons ses préceptes et ses avis comme la voie la plus courte et la plus directe pour nous conduire à l’éternité. Ses commandements ne respirent que la persuasion, et la crainte en est bannie.

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