Vingt-quatre sermons

Les liens de Satan

Comme Jésus enseignait dans une synagogue un jour de Sabbat, il se trouva là une femme possédée d’un esprit qui la rendait malade depuis dix-huit ans, et qui était courbée, en sorte qu’elle ne pouvait point du tout se redresser. Jésus, la voyant, l’appela et lui dit : « Femme, tu es délivrée de ta maladie. » Et il lui imposa les mains ; et à l’instant elle fut redressée, et elle donna gloire à Dieu.
Mais le chef de la synagogue, indigné de ce que Jésus avait fait une guérison un jour de Sabbat, prit la parole et dit au peuple : « Il y a six jours pour travailler ; venez donc ces jours-là pour être guéris, et non pas le jour du Sabbat. » Mais le Seigneur lui répondit : « Hypocrite ! chacun de vous ne détache-t-il pas son bœuf ou son âne de la crèche, le jour du Sabbat, et ne le mène-t-il pas à l’abreuvoir ; Et ne fallait-il point, en un jour de Sabbat, délivrer de cette chaîne cette fille d’Abraham, que Satan tenait liée depuis dix-huit ans ? »
Comme il parlait ainsi, tous ses adversaires étaient confus, et tout le peuple se réjouissait de toutes les choses glorieuses qu’il faisait.

(Luc 13.10-17)

Le miracle du Sauveur dont nous venons de lire le récit, se recommande à notre attention par plusieurs traits très intéressants. C’est un de ceux (il n’y en a pas un très grand nombre) dont une femme fut l’objet. L’activité charitable de Jésus a en cette circonstance un caractère tout particulier de spontanéité, car c’est la seule fois, pour autant que nous pouvons le savoir, que Jésus ait opéré une guérison sans y être sollicité en aucune manière, ni par le malade lui-même, ni par les amis du malade, ni par ses propres disciples. Accompli en un jour de sabbat, ce miracle fournit aux ennemis de Jésus, personnifiés dans le chef de la synagogue, l’occasion de montrer plus à découvert que de coutume leur sottise, leur malignité et leur hypocrisie, à Jésus celle de faire éclater sa sagesse, et d’opposer au pharisaïsme, religion du rite, de la lettre et de la servitude, sa religion d’amour et d’affranchissement. Mais si nous voulons aller droit à la leçon la plus pratique et la plus salutaire que renferme cette histoire, nous ne pouvons faire mieux que de nous attacher au commentaire qu’en a donné le Seigneur lui-même : « Cette femme, qui est une fille d’Abraham, et que Satan tenait liée depuis dix-huit ans, ne fallait-il pas la délivrer de cette chaîne le jour du sabbat ? » Dans ces paroles, comme dans l’acte de puissance et d’amour qu’elles accompagnent, Jésus se manifeste à nous comme le Libérateur des hommes, capable et désireux de rompre les liens de Satan qui les oppriment. Voilà qui nous intéresse au premier chef, mes frères ; car ces liens de Satan, nous les connaissons ; ces opprimés, ces esclaves ne sont pas loin, il y en a dans cette assemblée ; Jésus-Christ aussi y est présent, puisqu’il est partout où deux ou trois personnes sont réunies en son nom ; oh ! qu’il daigne opérer parmi nous aussi des délivrances, afin que le nom de son Père soit glorifié !

I

Il y a donc, d’après la déclaration de Jésus dans notre texte, des liens que Satan a formés, qu’il maintient par son odieux pouvoir et qui enchaînent la personne humaine. Dans le cas que Jésus a directement en vue, il s’agit d’une maladie corporelle, que le Seigneur lui-même (non pas seulement les Juifs) attribue à l’influence du démon. Ici, je m’abstiens absolument de rechercher quelle était la nature des possessions, s’il existe encore aujourd’hui des maladies semblables, et à quels signes on les pourrait reconnaître. Je laisse ces questions curieuses et probablement insolubles, pour ne m’attacher qu’à celles qui concernent directement et personnellement tels ou tels d’entre nous. Quand Jésus était sur la terre, il guérissait tous ceux qui s’adressaient à lui ; en est-il de même depuis qu’il est élevé au ciel ? Beaucoup de faits prouvent qu’il n’en est pas ainsi ; de sincères chrétiens sont et restent malades ; déjà saint Paul, tourmenté par son « écharde en la chair », dut se contenter de cette réponse : « Ma grâce te suffita. » Dieu semble avoir voulu que la présence de son Fils sur la terre fût marquée par des manifestations exceptionnelles de sa puissance et de sa bonté. Est-ce donc que son bras est raccourci, et qu’il ne délivre plus ceux qui l’invoquent ? Cette pensée de découragement et d’incrédulité est aussi contraire à l’expérience des chrétiens qu’aux promesses de l’Évangile. Il y a peut-être dans cette assemblée, il y a certainement ailleurs, des personnes qui ont obtenu en réponse à la prière et à la foi d’admirables guérisons. Êtes-vous, mon frère ou ma sœur, en proie à une maladie qui vous courbe vers la terre, comme la pauvre infirme de notre texte, qui paralyse votre activité, qui assombrit votre avenir ? Sondez votre cœur et vos vies, confessez à Dieu vos péchés, renoncez-y sincèrement et donnez-vous à lui avec cette force que vous avez ; puis dites, comme le lépreux de l’Évangile : « Seigneur, si tu le veux, tu peux me guérir », pour ton service et pour ta gloire ! Certainement vous obtiendrez ou la guérison, ou une bénédiction qui, en ce moment, en raison de circonstances extérieures et intérieures que Dieu connaît, vous sera plus salutaire encore. Car Dieu est fidèle ; il sauve à sa manière, mais il sauve toujours ceux qui se confient en lui.

a2 Corinthiens 12.8-9.

Mais j’arrive à une application de mon texte plus générale et sur laquelle je me propose d’insister davantage. Il y a aussi des liens spirituels de Satan. Si les guérisons miraculeuses que nous racontent les Évangiles sont, comme l’enseigne Jésus lui-même, des signes des délivrances morales qu’il opère, les maladies qu’il guérit peuvent aussi être considérées comme autant de types des misères morales auxquelles l’âme humaine est sujette. Celle de la malade de mon texte a, au plus haut degré, ce caractère. « Possédée d’un esprit qui la rendait infirme depuis dix-huit ans », elle était courbée, et ne pouvait nullement se redresser. Des poètes et des philosophes païens ont remarqué que l’attitude droite de l’homme est le signe de la noblesse et de la supériorité de sa nature. Seul entre tous les animaux, il est fait pour regarder le ciel. C’est que, seul aussi, il a été fait à l’image de Dieu, il a reçu une intelligence pour connaître son Créateur, un cœur pour l’aimer, une volonté pour le servir. Il n’est jamais plus véritablement homme que lorsqu’il prie ; il n’est jamais plus grand que lorsqu’il est à genoux. Mais il y a des infirmités, nombreuses autant qu’humiliantes, qui dégradent l’âme humaine, qui lui font oublier sa parenté avec le ciel, qui courbent et clouent sur le sol son regard, son affection, sa pensée.

Telle est avant tout la sensualité, à tous ses degrés et sous toutes ses formes, grossière ou raffinée, emportée jusqu’aux excès du vice ou se contenant dans les limites de l’honnêteté mondaine. Toujours elle fait la guerre à l’âme, elle la tient sous la dépendance des sens, et quand elle n’y étouffe pas la soif de Dieu, de la justice, du salut, elle ne lui permet de se produire qu’à l’état de velléité intermittente et impuissante. « Ceux qui sont dans la chair ne peuvent plaire à Dieu », dit saint Paul. L’homme qui porte ce joug honteux est, pour employer une comparaison suggérée par notre texte, pareil à une bête de somme que Satan traîne, par le licou de la convoitise, à l’abreuvoir des jouissances sensuelles ; il boit, il boit encore, et il a toujours soif, et dans ce malheureux service du péché, il n’y a pas d’interruption, il n’y a pas de sabbats. Hélas ! que de honteux secrets se cachent au fond des maisons et au fond des cœurs ! que de gens honorés dans le monde et même dans l’Église, et qui sont obligés de s’avouer qu’ils sont au fond esclaves du péché ! que de liens de Satan que plus d’un fils d’Abraham, je veux dire plus d’un chrétien de profession, traîne en gémissant depuis des années et secoue violemment parfois, sans jamais parvenir à les rompre !

A côté de la sensualité, je pourrais mentionner l’amour de l’argent, cette passion froide et dure qui semble être la reine du monde aujourd’hui ; qui sévit (d’éclatants scandales nous le rappellent de temps en temps) dans les hautes régions de la société encore plus que dans les basses ; qui, plus qu’aucune autre, rétrécit et dessèche le cœur, y tue la moralité, l’honneur, le patriotisme, l’affection naturelle elle-même ; mais qui pourtant, ne l’oublions pas, n’a pas toujours ces dehors odieux et sait se faire accepter et approuver par beaucoup d’honnêtes gens, sous les noms spécieux de sage économie ou de louable dévouement aux intérêts de la famille.

Parmi les liens de Satan, je dois aussi désigner l’incrédulité, le matérialisme théorique et pratique.

Il y a aujourd’hui une foule de gens qui ont pris le parti de ne vivre que pour la terre, en attendant d’y descendre tout entiers, et pour qui les mots de Dieu, d’âme, de jugement, de salut, de vie à venir, semblent appartenir à une langue étrangère. Cette partie de notre génération que j’ai maintenant en vue, se vante d’en avoir fini avec la religion ; elle se compare volontiers à un homme qui, parvenu à l’âge viril, dédaigne les rêves et les illusions de son enfance. Hélas ! son vrai type est cette pauvre infirme courbée en deux par Satan et devenue incapable de regarder le ciel ! Voilà ce que ferait l’athéisme de cette humanité qu’il prétend émanciper.

Enfin, il y a des âmes qui ne rejettent pas en théorie les vérités chrétiennes, qui ne se soumettent pas volontiers au joug du péché, mais qui sont comme courbées vers le sol par un esprit de découragement et de mélancolie. Elles sont accablées par le lourd fardeau de leurs souvenirs et de leurs inquiétudes. Comme l’infirme de la synagogue, elles sont repliées sur elles-mêmes ; elles sont comme liées à leur passé et par leur passé. Elles ont un besoin profond de délivrance, de renouvellement, mais elles n’osent pas croire ce renouvellement possible. Elles admettent que les promesses de l’Évangile sont vraies pour tout le monde, excepté pour elles. Jésus est là tout près d’elles, et – ce qui était probablement le cas de la malade de mon texte – elles ne l’aperçoivent pas, parce que leurs yeux sont fixés sur le sol en même temps qu’obscurcis par les larmes. Oh ! le découragement ! voilà bien l’un des liens les plus forts au moyen desquels Satan nous tient captifs !

Vous êtes tentés de dire, mes frères, en présence de ces divers genres de servitude morale que j’ai essayés de décrire et que plusieurs d’entre vous connaissent plus ou moins par expérience : Misères, infirmités incurables de la nature humaine ! – Liens de Satan, répondons-nous avec Jésus-Christ. Cette pensée a un côté consolant. Si le mal est un tyran qui m’opprime, c’est qu’il y a au fond de mon être un vrai et meilleur moi-même, qui est fait pour Dieu et qui peut encore être affranchi. Mais elle a aussi un côté affligeant et redoutable ; car elle nous avertit que nous avons affaire à un ennemi que nos seuls efforts sont impuissants à vaincre. Il y a quelques années, on a fait grand bruit à Paris d’un médecin improvisé et merveilleux qui, disait-on, guérissait les paralytiques. Si je suis bien informé, voici à quoi se réduisaient ses prétendus miracles. En disant au malade d’un ton impérieux : « Je veux que vous marchiez », ou « que vous remuiez le bras », il obtenait un effort extraordinaire dont le résultat surprenait le malade lui-même et produisait assez souvent l’illusion de la guérison. Mais, bientôt après, le mal reprenait le dessus et le patient était obligé de reconnaître que son état n’avait pas changé. Tel est à peu près le résultat des violents efforts que nous faisons parfois pour briser par nos propres forces nos servitudes spirituelles. Ah ! que cette situation est grave ! qu’elle est affligeante ! à ne compter que sur les ressources humaines, qu’elle est désespérée ! C’est un lamentable spectacle sans doute que celui d’un pauvre corps humain qu’une infirmité invétérée a déformé, courbé, paralysé. Mais combien plus douloureux encore est celui d’une âme dont le péché entrave et fausse le développement, étouffe les nobles instincts, profane et souille les plus belles facultés ! d’une race (car il s’agit du genre humain) qui était faite pour Dieu, et que Satan tient sous le joug ! Assurément ce spectacle, plus encore que celui des ravages causés par la maladie, inspirait à Jésus une compassion profonde. Mais il ne se borne pas à éprouver de la compassion ; il s’appelle le Sauveur.

II

Je ne puis pas entreprendre de dire ici tout au long ce que contient ce mot de Sauveur, ce nom de Jésus ; de déployer toutes les richesses du salut, d’exposer dans son ensemble l’œuvre, de réconciliation et de rédemption accomplie par celui qui est mort à cause de nos offenses et ressuscité à cause de notre justification. Je m’en tiens à mon texte et voyant, comme je l’ai dit, dans la guérison du corps, un emblème de celle de l’âme, je demande au récit que nous méditons quelle sorte de Sauveur Dieu nous a donné en Jésus-Christ.

Je remarque d’abord qu’il a tout pouvoir de sauver. La connaissance parfaite et surnaturelle qu’il a du mal, fait déjà pressentir qu’il est capable de le guérir. Qui lui a dit que cette fille d’Abraham qu’il paraît rencontrer pour la première fois, a été malade pendant dix-huit ans ? personne apparemment. Ici, comme en d’autres circonstances pareilles, c’est son regard prophétique qui sonde l’homme et fait revivre son passé. Ce divin regard du Christ pénètre de même tous les replis de nos cœurs ; il discerne le nombre, la gravité, la durée de nos péchés ; tremblons devant lui, car demain il sera notre Juge ; bénissons-le pourtant, car aujourd’hui il veut être notre Sauveur. Voyez : ce mal que son regard a mesuré, d’un mot et d’un geste il le guérit ; la maladie, qui sans doute avait résisté à tout l’art des médecins, cède immédiatement à sa parole et s’enfuit au contact de sa main royale et rédemptrice. Témoin d’un tel miracle, n’auriez-vous pas été porté à vous adresser à cet infaillible médecin pour la guérison de l’âme comme pour celle du corps ? Ses promesses de grâce, ses déclarations de pardon ne vous auraient-elles pas paru dignes de foi ? N’est-il pas évident qu’il n’y a pour lui ni maladies corporelles, ni maladies spirituelles qui soient incurables ? Serez-vous assez déraisonnable, et en même temps assez ennemi de vous-même, pour supposer que son sang versé sur la croix peut laver toute iniquité, excepté la vôtre ? que son pouvoir rédempteur s’arrête un peu en deçà de ce qu’il faudrait pour purifier et renouveler votre cœur, pour vous rendre vainqueur du mal et participant de la vie divine ? Certes, la logique s’accorde avec la foi, et l’expérience avec l’Écriture, pour proclamer qu’il peut sauver parfaitement tous ceux qui s’approchent de Dieu par luib.

bHébreux 7.25.

Je vois encore en Jésus, d’après notre texte, la volonté de sauver. La plupart du temps, il attend la prière du malheureux ; mais cette fois, comme je l’ai remarqué, la malade, courbée vers la terre, n’aperçoit pas même le Seigneur ; Jésus la voit, il l’appelle, il va au-devant de la demande qu’il lit dans son cœur, et sans lui faire une question, sans lui poser une condition quelconque, il lui dit de prime abord : « Femme, tu es guérie de ta maladie. » Pouvez-vous imaginer un bienfait plus gratuit, une bonté plus secourable ? Celui qui est si prompt à guérir les corps, sera-t-il moins disposé à délivrer les âmes, dont le salut est proprement le fond de son œuvre et le but de sa venue ? Celui qui se fait trouver ainsi à ceux qui ne le cherchaient pas, repoussera-t-il, contrairement à sa promesse formelle, le plus faible et même le plus coupable de ceux qui viennent à lui ?

Outre le pouvoir et la volonté, je constate encore chez Jésus la nécessité de sauver, dans le sens où Paul disait : « La nécessité d’annoncer l’Évangile m’est imposée c. » Croyez-en son propre langage : « Il fallait délivrer de cette chaîne cette fille d’Abraham. » C’est dans le même esprit qu’il dit un jour au péager de Jéricho : « Zachée, hâte-toi de descendre, car il faut que je loge aujourd’hui dans ta maisond. » Bienheureuse nécessité, qui, pour être une nécessité d’amour, n’en est pas moins réelle et effective ! Si Jésus n’était pas entré chez Zachée, s’il n’avait pas guéri la femme infirme de la synagogue, il se serait passé un fait plus étrange, plus impossible que ne le serait le bouleversement des lois du monde physique : quelque chose aurait manqué à la bonté et à l’amour du fils de Dieu. O vous qui allez de tout votre cœur à Jésus-Christ pour être délivré du mal, vous qui, par conséquent, êtes déjà, par votre foi, comme Zachée ou la malade de notre texte, un fils ou une fille d’Abraham, sachez qu’aux yeux de Jésus-Christ, votre salut n’est pas seulement une chose possible, probable, promise ; il est une nécessité.

c1 Corinthiens 9.16.

dLuc 19.5.

Enfin, je fais un pas de plus et je constate chez Jésus-Christ ce que j’oserai appeler l’impatience de sauver. Quoiqu’il prévoie les suites de son action, quoiqu’il sache qu’il va fournit un nouveau prétexte à la haine des pharisiens, ajouter un nouveau grief au dossier qu’on prépare contre lui, il ne peut se résoudre à différer d’un jour la délivrance de la pauvre infirme. Il la guérit, quoiqu’en un jour de sabbat. La froideur et l’égoïsme, dans la personne du chef de la synagogue, raisonnent ainsi : « Pourquoi cette malheureuse femme est-elle venue se faire guérir un jour de sabbat ? Après avoir souffert dix-huit ans, elle pouvait bien attendre un jour de plus ! » Qu’est-ce en effet, pour le témoin indifférent des douleurs d’autrui, qu’une prolongation de ces douleurs pendant un jour ? Mais ce n’est pas ainsi que compte l’amour. Un jour de plus de souffrance ! ce n’est pas peu de chose pour une mère qui voit souffrir son enfant, ce n’est pas peu de chose non plus pour Jésus. « Il fallait délivrer de cette chaîne cette fille d’Abraham, quoiqu’en un jour de sabbat ! »

Sachez à plus forte raison, mes frères, qu’un jour de plus d’éloignement de Dieu, d’asservissement au mal, de péché enfin, est aux yeux de Jésus, chez ceux que sa grâce attire, une chose affligeante, odieuse, qu’il n’accepte ni ne tolère volontairement. Un jour de plus loin de Dieu… Mais n’y a-t-il pas eu déjà assez et plus qu’assez de ces jours dans votre vie ? Un jour a perdu le monde, celui de la chute d’Adam ; un jour l’a sauvé, celui où Jésus est mort sur la croix. Ce jour, que de gaieté de cœur vous donnez au monde, peut être un jour décisif et fatal, un jour qui vous fera franchir la limite au delà de laquelle il n’y a plus de pardon. Pécheur réveillé, conscience travaillée, sache-le bien, Jésus ne consent à aucun prix à ce que ta conversion soit différée d’un seul jour ; et tu n’y consentiras pas non plus, si tu as tant soit peu compris ce que vaut ton âme, quel péril la menace et quel Sauveur lui tend les bras.

III

Dernière question : Comment sommes-nous sauvés ? Quels sont les moyens par lesquels Jésus-Christ nous communique le salut et ceux par lesquels nous le recevons ? Je répète que je n’ai pas l’intention d’exposer toute la doctrine du salut et que je m’en tiens aux pensées qui découlent directement de mon texte. Nous y voyons Jésus employer deux moyens pour guérir : la parole et l’imposition des mains. « Femme, dit-il, tu es délivrée de ta maladie. » Puis il lui imposa les mains, et à l’instant elle se redressa. « Ah ! pensez-vous peut-être, si j’avais le même privilège que cette pauvre ou plutôt bienheureuse femme, si j’entendais la voix de Jésus me dire : « Tes péchés te sont pardonnés ; les chaînes de ta servitude sont tombées » ; si je sentais une vertu passer de lui en moi au contact de ses mains divines, moi aussi je serais délivré et je trouverais un cœur et des accents pour glorifier Dieu ! » Eh bien ! mes frères, vous avez la substance de ces choses. Ce qui vous manque, c’est la présence visible de Jésus, le son de sa voix, le contact de sa main, en un mot, cet ensemble d’appuis extérieurs qui étaient accordés à la foi des premiers disciples, mais dont la privation devait se tourner en bienfait pour les croyants futurs : « Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru !e » Vous avez la parole de Jésus-Christ. Si c’est le pardon que vous réclamez, vous avez cette déclaration solennelle : « Mon sang est répandu pour la rémission des péchés de plusieurs.f » Si c’est l’affranchissement moral ou la consolation, vous avez ces promesses : « L’Esprit du Seigneur m’a oint pour annoncer la liberté aux captifs… Venez à moi vous tous qui êtes travaillés et chargés, et je vous soulageraig », et combien d’autres ! Direz-vous : « Ces paroles sont pour tous, et j’en voudrais une qui fût directement pour moi » ? – Il serait bien plus juste et plus sage de raisonner ainsi : « Puisqu’elles sont pour tous, j’ai le droit et le devoir d’en prendre ma part. » Au reste, Dieu n’a-t-il pas pris soin que la parole du Christ s’individualisât en quelque sorte pour vous ? Ne vous souvient-il pas de telle circonstance émouvante, de tel moment sacré de votre vie, où une parole de l’Évangile, menace ou promesse, répréhension ou consolation, a été appliquée à votre conscience par le Saint-Esprit, en sorte que vous avez senti qu’elle vous concernait personnellement ? Ah ! le Seigneur vous a parlé et vous parle encore à cette heure. Oui, s’il y a ici une âme qui soupire de toutes ses forces après la délivrance du péché et qui la cherche auprès de Jésus-Christ, j’ai le droit de lui dire de sa part : « Captif, ton Sauveur a payé ta rançon, il a brisé tes chaînes ; viens respirer l’air vivifiant de la liberté ! Paralytique, tes péchés te sont pardonnes ; lève-toi et marche ! Infirme, tu es délivrée de ta maladie ; redresse-toi et glorifie Dieu ! »

eJean 20.29.

fMatthieu 26.28.

gLuc 4.18-19 ; 11.28.

Jésus ne vous impose pas matériellement les mains, c’est vrai. Il en fut de même pour la plupart des malades qu’il guérit. Quelquefois il les guérit de loin et sans qu’ils l’eussent vu. L’imposition des mains n’est qu’un signe extérieur que le Sauveur tantôt emploie et tantôt laisse de côté, selon sa sagesse. Ce qui importe, c’est la chose signifiée, la transmission de la puissance et de la vie. Or Jésus-Christ est prêt à vous communiquer la vie. « Parce que je vis, dit-il, vous aussi vous vivrezh. » Au jour de son ascension, il se sépara de ses disciples en les bénissant : depuis ce jour, ses mains bénissantes n’ont pas cessé d’être étendues sur tous ceux qui viennent à lui et qui l’invoquent. Il est dit que, lorsque les premiers messagers du Christ annoncèrent l’Évangile à Antioche, « la main du Seigneur fut avec eux, de sorte qu’il y eut beaucoup de personnes qui crurent et se convertirent au Seigneuri ». O main puissante de mon Sauveur, sois aujourd’hui sur son serviteur et sur cette assemblée, pour sauver ceux qui t’implorent et ceux même qui, comme la pauvre femme de notre texte, ne savent pas te voir et t’invoquer, mais n’en ont que plus besoin de toi !

hJean 14.19.

iActes 11.21.

Mais enfin, comment l’homme répond-il à cette action de Dieu ? comment s’approprie-t-il le salut ? Sa part est très humble ; elle consiste essentiellement à recevoir. Elle se résume dans le mot de foi. Voyez l’infirme de notre texte ; il n’est pas question d’un effort convulsif qu’elle aurait fait pour briser le lien de Satan qui la retenait ; elle entendit la parole de Jésus ; elle sentit le contact de sa main, elle crut et se redressa, voilà tout : telle est la foi. Je sais bien que beaucoup de personnes trouvent que c’est encore trop. Il leur semble qu’en nous demandant la foi, Dieu lie notre salut à une condition arbitraire et même injuste, parce qu’elle ne dépend pas de nous. Mais croire, ce n’est pas adopter telle opinion et puis telle autre, c’est se confier en Jésus-Christ. Est-ce donc chose si pénible ? Et n’est-ce pas chose indispensable ? Le plus habile médecin se chargera-t-il de guérir un malade qui lui refuse sa confiance ? Une femme est prête à périr dans un incendie ; un homme généreux pénètre jusqu’à elle et lui dit : « Fiez-vous à moi et je vous sauverai. » Cette exigence vous semble-t-elle excessive ou superflue ? Nous sommes, vous et moi, dans cet extrême péril de mort ; Jésus-Christ vient et dit à chacun de nous : « Je t’ai racheté au prix de ma vie : crois en moi et tu seras sauvé ! » Si nous refusons, si nous discutons, si nous hésitons jusqu’à la fin, prétextant l’impossibilité de croire, nous périrons. Mais n’y a-t-il pas ici au moins une. âme qui dira aujourd’hui : « Seigneur, je le vois, je le confesse : tu es pur et je suis pécheur, tu es fort et je suis faible, tu connais la pensée de Dieu et je l’ignore. Tu promets, et tu ne peux pas mentir ; tu m’appelles et tu ne peux pas te dérober quand j’essaye de répondre et de venir à toi. Désormais donc je crois en toi, je m’abandonne à toi pour toujours, sûr que tu me sauveras, que tu me sauves dès maintenant de l’odieux empire du péché, aussi bien que de la juste condamnation qu’il entraîne. Gloire à toi, mon Dieu sauveur ! » C’est ce que dit aussi la femme guérie. J’ai parlé de sa foi ; le récit sacré la suppose sans en parler ; il nous apprend seulement qu’elle donna gloire à Dieu. C’est qu’en présence du don de Dieu l’action de grâces est l’expression la plus simple et la forme la plus naturelle de la foi. Si un ami, en qui vous avez toute confiance, vous dit : « Je te donne ceci », vous ne vous demandez pas même si vous croyez à la réalité de son présent, vous lui témoignez simplement votre reconnaissance. Dieu vous a donné Jésus-Christ, et en lui la rémission des péchés et la vie éternelle, agissez de même à son égard et dites : « Éternel, je suis trop petit au prix de toutes tes gratuités. Voici le serviteur, voici la servante du Seigneur : qu’il lui soit fait selon ta parolej ! »

jGenèse 32.10 ; Luc 1.38.

Toutefois, il y a lieu de penser que ce ne fut pas seulement par une action de grâces momentanée, mais surtout par une vie désormais consacrée au Seigneur, que la malade guérie glorifia Dieu. Allez et faites de même. Vous savez comment Dieu vous appelle à témoigner votre reconnaissance envers lui, c’est par votre amour pour les hommes. Apprenez à voir le monde et ses misères du même œil et avec le même cœur que Jésus-Christ. Comme nous le disions en commençant, nous sommes entourés de malades spirituels de tout genre, et en particulier d’âmes infirmes que quelque lien de Satan tient courbées vers la terre et empêche de regarder le ciel. Qu’éprouverons-nous à ce spectacle ? Une égoïste indifférence ? Un morne découragement ? Une orgueilleuse satisfaction de ne pas ressembler à ces incrédules et à ces mondains ?Non, mes frères. Si nous sommes à Jésus-Christ, notre cœur se remplira d’une généreuse, fraternelle et secourable compassion. Sous ces liens de Satan qui les tiennent captifs, nous saurons discerner des enfants d’Abraham. Nous serons persuadés que Celui qui nous a délivrés est puissant et miséricordieux pour les délivrer aussi. Nous serons diligents à leur annoncer la bonne nouvelle ; à toute âme qui souffre et soupire, nous parlerons du Libérateur. Comme Jésus aussi, nous gagnerons les cœurs par notre sympathie ; nous préparerons le salut des âmes en soulageant les maux du corps ; nous irons de lieu en lieu en faisant du bien ; notre ambition sera, non d’être servis, mais de servir ; selon la mesure de nos forces et de nos ressources, nulle cause juste, nulle bonne œuvre ne fera vainement appel à notre concours ; nous regarderons comme perdue toute journée où nous n’aurions pas fait quelque chose pour diminuer, ne fût-ce que d’un grain de sable, l’effrayant monceau des douleurs humaines. Quand tous les chrétiens feront ainsi, alors les chefs de synagogue et ceux qui leur ressemblent auront beau critiquer et récriminer, la multitude se réjouira des choses glorieuses que Jésus-Christ continuera de faire par les mains de ses disciples, et le monde ne sera pas éloigné de croire que c’est Dieu qui l’a envoyé.

Amen.

Nîmes, 1er août 1875.

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