Étude biblique sur la Rédemption

La Rédemption d’après l’apôtre Pierre

Entre l’épître aux Hébreux et celle de Pierre, que nous allons maintenant aborder, se place un autre écrit qui a ses mérites, sa beauté, son originalité vigoureuse et sa saveur spéciale, sa place importante dans le nouveau Testament, c’est l’épître de Jacques. Mais nous n’avons pas à nous en occuper, puisque la mort rédemptrice de Jésus-Christ n’y est pas même mentionnée. Certes, on n’en doit pas conclure que cet apôtre, qui appelle Jésus le Seigneur de gloire (Jacques 2.1), ne l’ait pas regardé comme son Sauveur et n’ait pas cru, comme les Douze, que Jésus était mort pour nos péchés selon les Ecritures (1 Corinthiens 15.3,11) ; mais il est permis peut-être d’inférer de son silence qu’il y a une forme de la foi et de la piété chrétienne dans laquelle la croix de Jésus-Christ ne tient pas une place aussi centrale, aussi souveraine que chez Paul, Pierre et Jean. Toutefois, ce sont ces trois grands apôtres qui sont les principaux représentants de l’enseignement évangélique ; et c’est par eux surtout que passe la grande ligne de la tradition et de la foi.

Revenons à l’épître de Pierre. L’analogie qu’elle présente pour le fond des idées avec celles de Paul a paru à plusieurs un motif suffisant pour douter de son authenticité. Nous ne croyons pas que ce soit à bon droit et nous reviendrons sur cette question. En attendant, contentons-nous de remarquer que, tandis que l’épître aux Hébreux est anonyme, celle que nous abordons dit et veut être, non seulement par sa suscription, mais par d’autres traits, un écrit de l’apôtre Pierre ; si elle n’était pas de lui, elle serait un pseudépigraphe. Dans ces conditions, l’authenticité est au moins une hypothèse dont il est naturel et légitime de partir.

Pour connaître la pensée de Pierre, il semble qu’on doive consulter aussi, et la deuxième épître attribuée à cet apôtre, et les discours que lui prête le livre des Actes. Mais la deuxième épître dite de Pierre est de tous les livres du nouveau Testament celui dont l’authenticité est le plus contestée. On connaît les scrupules de Calvin à son sujet. Ajoutons qu’en ce qui touche nos recherches actuelles, qui se rapportent à la doctrine de la rédemption, la deuxième épître de Pierre ne nous fournirait aucune lumière ; elle ne contient qu’un mot qui touche à ce sujet : les faux docteurs combattus par l’auteur sont accusés de renier le Maître qui les a rachetés (2 Pierre 2.1). Si ce langage confirme en gros les assertions de la première épître, à coup sûr il n’y ajoute rien.

On peut en dire à peu près autant des discours de Pierre contenus dans le livre des Actes. Ceux-ci sont essentiellement des témoignages rendus à la résurrection de Jésus-Christ ; quant à sa mort, elle est sans doute présentée comme occupant une place importante dans le plan de Dieu (Actes 2.23 ; 4.28), mais rien n’est spécifié en ce qui touche son but et ses effets salutairesd. La seule mention claire et positive de la mort rédemptrice du Sauveur qui soit contenue dans le livre des Actes appartient, non à un discours de Pierre, mais à un discours de Paul (Actes 20.28).

d – Que l’on compare, par exemple, dans le discours que Pierre prononça chez Corneille (Actes ch. 5), la mention brève du supplice du Christ (v. 39). et les développements relatifs à sa résurrection (v. 40-42).

C’est donc dans l’étude de l’épître de Pierre (nous désignons ainsi sa première épître sans préjuger l’inauthenticité de la seconde), que nous allons désormais nous renfermer.

Quand nous nous sommes occupés de la doctrine de Paul sur la rédemption, nous avons dû d’abord en mettre en lumière les bases et les présuppositions, en rappelant les traits principaux de l’enseignement du grand apôtre sur Dieu et sur l’homme, sur le péché et le jugement, sur la solidarité humaine et la chute. Avec Pierre, penseur beaucoup moins systématique, ces considérations préalables sont superflues. Nous pouvons donc aborder directement les passages où la doctrine de la rédemption est explicitement mentionnée ou formulée. Ils sont assez nombreux, étant donné les dimensions de l’épître ; pas assez nombreux cependant pour qu’il ne nous soit pas possible de les citer tous et de les commenter brièvement. Nous les aborderons dans l’ordre où ils se présentent à nous, puisque nous n’avons pas affaire à un auteur dont la pensée, logiquement enchaînée, nous impose une autre marche.

Il existe, sur l’épître de Pierre, un beau travail de M. Jean Monnier, professeur à la Faculté de Paris. Nous reconnaissons avec plaisir et empressement ce que nous devons à ce théologien distingué et évangélique, quoique nous soyons arrivé la plupart du temps, de notre côté et d’une manière indépendante, aux mêmes conclusions et interprétations. Aussi le citerons-nous plus d’une fois, nous qui avons été si sobre de citations dans nos précédents entretiens.

I

Dès les premiers mots de l’épître, nous trouvons une affirmation de la valeur rédemptrice du Christ. Pierre s’adresse aux chrétiens de l’Asie Mineure qui sont, dit-il, élus selon la prescience de Dieu le Père, et sanctifiés par l’Esprit (mot à mot : dans la sanctification de l’Esprit) pour obéir à Jésus-Christ et pour avoir part à l’aspersion de son sang (mot à mot : pour l’obéissance et l’aspersion du sang de Jésus-Christ), εἰς ὑπακοὴν καὶ ῥαντισμὸν αἵματος Ἰησοῦ Χριστοῦ. Nous trouvons ici la trinité évangélique, sinon dogmatique et théologique : Dieu le Père, Jésus-Christ, le saint Esprit concourant au salut du pécheur ; à la différence de la formule traditionnelle, Jésus-Christ est nommé non pas le second, mais le troisième. Dans l’œuvre du salut, la part du Père, c’est l’élection ; la part de l’Esprit, c’est la sanctification ; la part du Fils ou de Jésus-Christ, c’est qu’il est le Maître auquel on obéit et le Rédempteur qui purifie l’âme par l’aspersion de son sang. Comme nous l’avons précédemment remarqué, le sang est le siège de la vie (Lévitique 17.11) ; l’effusion du sang est donc le signe du don de la vie et par là le moyen d’expiation. L’aspersion du sang désigne figurément l’application du sacrifice de Jésus-Christ à l’âme croyante et obéissante, en vue du pardon de ses péchés. Ainsi, lorsque fut conclue l’alliance du Sinaï, Moïse arrosa le peuple avec le sang des victimes, en disant : « Voici le sang de l’alliance que l’Éternel a conclue avec vous » (Exode 24.8). C’est grâce à cette aspersion qui, dit M. Monnier, (p. 27) a un caractère expiatoire, que le peuple impur et coupable est pourtant reçu dans l’alliance divine. De même, le lépreux guéri était aspergé sept fois avec le sang d’un oiseau, pour consommer sa purification (Lévitique 14.7).

La même image se trouve plus d’une fois dans l’épître aux Hébreux. L’auteur dit à ses lecteurs : « Vous avez été purifiés (mot à mot : purifiés au moyen de l’aspersion) des souillures d’une mauvaise conscience » (Hébreux 10.22) ; et ailleurs : « Vous êtes venus au sang de l’aspersion, qui prononce de meilleures choses que celui d’Abel » (Hébreux 12.24).

Le but de l’aspersion est la purification. Celle-ci, comme nous l’avons remarqué ailleurs, comprend à la fois la rémission des péchés et l’affranchissement de la puissance du péché. Nous croyons que c’est à la première de ces grâces, à la justification, que l’apôtre pense surtout. Le mot justification est absent de son épître, mais non l’idée. Quant à la sanctification, elle est présentée ici comme étant l’œuvre spéciale du saint Esprit.

Ces deux grâces sont distinguées, mais non séparées. Ce sont ceux qui sont sanctifiés par l’Esprit qui obéissent à Jésus-Christ qui ont part à l’aspersion de son sang. Double conséquence : 1° les obéissants eux-mêmes ont besoin d’être purifiés, c’est-à-dire d’être rachetés et justifiés par lui ; 2° cette purification n’est effective que pour ceux qui prennent vis-à-vis de Jésus-Christ l’attitude de l’obéissance.

1 Pierre 1.11 Chez les prophètes, « l’Esprit du Christ rendait à l’avance témoignage aux souffrances du Christ et aux gloires qui devaient les suivre. » (προμαρτυρόμενον τὰ εἰς χριστὸν παθήματα, καὶ τὰς μετὰ ταῦτα δόξας). Les « souffrances du Christ », c’est-à-dire sa Passion et « les gloires qui devaient les suivre » et dont le commencement est sa résurrection : tel était donc, d’après notre apôtre, le contenu essentiel de la prophétie messianique. Ainsi pour Pierre, comme pour Paul, la mort et la résurrection de Jésus-Christ sont les points capitaux de son œuvre, les véritables faits rédempteurs. Quoiqu’il fut l’un des Douze, et même le chef des Douze, Pierre garde au sujet des principaux incidents de la vie terrestre du Sauveur, de son enseignement et de ses miracles, un silence à peu près aussi complet que l’apôtre des Gentils. Il en sera de même de Jean. Il est donc avéré que dès l’origine, la mort et la résurrection du Sauveur ont été les principaux objets de la prédication apostolique et de la foi des croyants.

Les versets 18-20 de ce même premier chapitre renferment un nouvel enseignement, cette fois plus étendu et plus explicite, au sujet de la rédemption.

« Conduisez-vous avec crainte pendant le temps de votre séjour sur la terre sachant que ce n’est point par des choses périssables, comme l’argent ou l’or, que vous avez été rachetés de la vaine manière de vivre que vos pères vous avaient transmise, mais par le précieux sang de Christ, comme d’un agneau sans défaut et sans tache, prédestiné avant la création du monde et manifesté à la fin des temps à cause de vous. »

Remarquons d’abord le lien de cet important passage avec ce qui précède. C’est à propos de pressantes exhortations morales telles que celles-ci : « Soyez saints,… » conduisez-vous avec crainte (crainte de faire le mal), que Pierre entre dans ce développement dogmatique. Visiblement, c’est surtout par leur substance religieuse et leurs conséquences pratiques que les doctrines l’intéressent. Aussi son épître ne renferme-t-elle pas, comme plusieurs de celles de Paul, une partie dogmatique et une partie morale ; l’enseignement et le précepte y sont constamment combinés, entrelacés. Faites le bien sachant, c’est-à-dire parce que vous savez, le vrai. Que si l’on demande quel est au juste le lien qui unit la doctrine et la morale, la croyance et la pratique, l’étude des textes nous permet de répondre : ce que le chrétien croit, c’est-à-dire ce que Dieu a fait pour lui, lui rend son devoir, c’est-à-dire ce qu’il doit faire pour Dieu, à la fois praticable et doublement obligatoire. Jésus-Christ vous a rachetés ; donc vous pouvez faire la volonté de Dieu, vous êtes libres pour servir. Jésus-Christ vous a rachetés ; donc vous devez faire la volonté de Dieu ; vous seriez doublement coupables en ne la faisant pas.

Mais abordons le passage lui-même. J’y découvre les pensées suivantes :

1° L’œuvre du Christ est essentiellement un rachat, une délivrance obtenue au prix d’une rançon (ἐλυτρώθητε). C’était déjà l’affirmation de Jésus, qui déclare être venu donner sa vie en rançon pour plusieurs (λύτρον ἀντὶ πολλῶν, Matthieu 20.28). Pour Paul aussi, et pour Apollos, l’œuvre de Christ est une rédemption ou un rachat (λύτρωσις, ἀπολύτρωσις). L’accord est complet dans l’idée et dans l’expression.

2° De quoi Jésus-Christ nous rachète ou nous délivre-t-il ? Ici il y a une nuance entre les écrivains sacrés. L’apôtre Paul répondrait : avant tout de la condamnation que nous avons méritée (Romains 3.19, 24). L’auteur de l’épître aux Hébreux dirait : de la souillure que nous avons contractée. L’apôtre Pierre dit : « De la vaine manière de vivre que nos pères nous avaient transmise », c’est-à-dire de l’hérédité du mal. Il unit de la manière la plus étroite ce que nous avons appelé ailleurs les effets juridiques et les effets moraux de la mort de Jésus-Christ. Jésus est, en un mot, pour Pierre, le Sauveur du péché. C’est ce que nous lisons déjà à la première page du nouveau Testament (Matthieu 1.21).

3° Quel est le prix de ce rachat ou de cette délivrance ? Quelle est la rançon ? Notre texte répond : le précieux sang du Christ, comme de l’Agneau sans défaut et sans tache. Nous ne revenons pas sur ce qui a été dit plus haut du sang, comme étant le siège de la vie et l’expression du don de la vie. Le prix inestimable de ce sang résulte de l’excellence et de la sainteté de celui qui s’offre en sacrifice.

Quant au symbole de l’agneau, il est commun à Pierre et aux écrits johanniques ; il ne se trouve pas ailleurs dans le nouveau Testament. Paul le suggère cependant, quand il dit : « Christ, notre Pâque, a été immolé » (1 Corinthiens 5.7). On peut se demander si Pierre a pensé, comme Paul, à l’agneau de Pâque ou à Ésaïe 53.7 : le fond de la pensée reste le même.

4° A quoi faut-il attribuer l’efficacité de la rançon offerte par Jésus-Christ ou de son sang versé pour les pécheurs ?

a. Nous avons déjà répondu plus haut : à la dignité et à la sainteté de la victime (agneau sans défaut et sans tache) ;

b. au caractère expiatoire de son sacrifice (nous aurons à revenir sur ce point capital à propos de 1 Pierre 2.4) ;

c. à son étroite union avec l’humanité. L’Agneau a été immolé pour le salut de brebis errantes ; mais cette idée, sur laquelle insiste l’auteur de l’épître aux Hébreux, est tout au plus suggérée par notre apôtre ;

d. au plan et au dessein éternel de Dieu. L’Agneau « a été prédestiné avant la fondation du monde. » « Le plan de la rédemption coïncide avec celui de la création » (Monnier). Si cette réflexion n’éclaircit pas toutes les difficultés, elle n’en est pas moins propre à inspirer la confiance, et même l’adoration.

1 Pierre 2.21-25. — Nous voici arrivés au passage capital de l’épître au point de vue de la doctrine qui nous occupe. Ici encore le développement dogmatique a pour occasion et pour point de départ une exhortation morale et — chose touchante ! — celle-ci est adressée à des esclaves. Il en est de même dans Tite 2.11-14. Ces perles de la vérité divine n’ont pas paru aux deux grands apôtres trop précieuses pour ces pauvres gens.

Il est temps de citer le passage de Pierre. Ayant recommandé aux serviteurs de souffrir patiemment, même lorsqu’ils sont injustement maltraités, l’apôtre ajoute :

« C’est à cela que vous avez été appelés, car Christ aussi a souffert pour vous, vous laissant un exemple, afin que vous suiviez ses traces ; lui qui n’a point commis de péché, et dans la bouche duquel il ne s’est trouvé aucune fraude ; lui qui a porté lui-même nos péchés en son corps sur le bois, afin qu’étant morts à nos péchés, nous vivions pour la justice, et par les meurtrissures duquel vous avez été guéris. »

Dans ces quatre versets, nous trouvons essentiellement quatre choses :

1° Un tableau des souffrances et de la patience de Jésus-Christ. Dans ces expressions surtout : « qui, outragé, ne rendait pas l’outrage, et maltraité, ne faisait point de menaces », on a relevé, non sans raison, croyons-nous, l’accent et l’émotion d’un témoignage personnel. D’autre part, il est certain que la plupart des traits de cette description sont empruntés plus ou moins textuellement à Esaïe ch. 53. Un mot étonne, c’est celui-ci : « Il s’en remettait à celui qui juge justement. » Il semble dire que Jésus, comme souvent le psalmiste, comme le prêtre Zacharie mourant (2 Chroniques 24.22), comptait que Dieu ferait justice de ses persécuteurs ; tel n’est pas, pourrait-on dire, l’esprit de la célèbre et touchante intercession : « Père, pardonne-leur ! » Mais l’attente de la justice est légitime, si l’appel à la miséricorde est sublime. Il n’y a pas contradiction entre celui-ci celle-là. C’est précisément parce que Jésus avait une vue claire de la culpabilité de ses meurtriers et du châtiment qu’ils avaient encouru, qu’il implorait leur pardon de la part de Dieu. La même pensée se trouve dans les paroles de Jésus aux filles de Jérusalem, et dans celles qu’il adresse à Pilate : « Celui qui m’a livré à toi est plus coupable que toi » (Luc 23.27-31 ; Jean 19.11).

2° Un appel à l’imitation de la patience du Sauveur. C’est, comme nous l’avons vu, l’idée centrale de tout ce morceau. L’apôtre affirme à nouveau la sainteté de Jésus-Christ, qu’il a déjà appelé l’Agneau sans défaut et sans tache ; il la présente surtout sous l’aspect de la patience parfaite, de la douceur inaltérable ; c’est par là qu’il est admirablement propre à servir de modèle aux esclaves injustement maltraités et aux chrétiens persécutés.

3° Une affirmation de la vertu rédemptrice et expiatoire des souffrances du Sauveur. Celle-ci est d’autant plus remarquable à cette place, qu’elle ne paraît pas indispensable au but que se proposait l’apôtre. Il ne voulait qu’exhorter les esclaves chrétiens à la patience, en leur présentant comme modèle celle de Jésus-Christ. Mais la rédemption tenait une telle place dans sa pensée et dans sa foi, qu’il lui était en quelque sorte impossible de parler de la mort du Sauveur sans en rappeler la relation directe avec notre salut. Ainsi donc, après avoir dit comment et dans quel esprit Jésus-Christ a enduré l’affreux supplice de la croix, il s’empresse d’ajouter qu’« il a porté nos péchés (c’est-à-dire la peine de nos péchés) en son corps sur le bois. » Vouloir écarter ici les idées d’expiation et de substitution, c’est vraiment se débattre contre l’évidence. En effet :

a. Quel autre sens pourraient avoir ces mots : porter nos péchés ? On le cherche vainement. Essaiera-t-on de réduire l’acte de porter nos péchés à un mouvement intérieur de sympathie et de compassion pour les pécheurs ? Les expressions même de l’apôtre : il a porté nos péchés en son corps sur le bois, excluent absolument cette interprétation, si c’en en est une. Elles font penser avant tout à la souffrance et à la mort physique. Certes, l’amour ou la compassion de Jésus pour les pécheurs est le motif de sa mort expiatoire ; mais elle ne la constitue pas tout entière ; elle n’en épuise pas le sens. Dans ce verset comme dans les précédents : « il ne rendait point de menaces », etc., il est question d’un fait historique, objectif.

b. Le sens des expressions de notre texte ne soulève aucune difficulté, ne donne lieu à aucune contestation. Les traducteurs même qui, à tort, nous l’avons vu, ont, dans Hébreux 9.28, traduit ἀνενέγκειν ἁμαρτίας par : ôter les péchés, rendent ici au même mot : τὰς ἁμαρτίας ἡμῶν αὐτὸς ἀνήνεγκεν sa véritable signification ; ils ne peuvent faire autrement. Quand il est dit d’un coupable qu’il portera son péché, cela signifie qu’il en subira la peine, et généralement qu’il mourra pour ce péché là (Lévitique 5.1 ; Ézéchiel 17.17, 19). Il en est de même à l’égard de Jésus, à cela près que, n’ayant pas péché, c’est de nos péchés qu’il accepte et subit le châtiment.

c. Si quelqu’un n’est pas encore convaincu, qu’il retourne au chapitre 53 d’Esaïe, que notre apôtre cite expressément ici et qui est pour lui le programme, le commentaire divin et anticipé de la Passion du Christ. Nous nous en rapportons à la traduction des Septante, d’après laquelle Pierre cite toujours l’ancien Testament. Il y est dit trois fois que le Serviteur de l’Éternel porte nos péchés, une fois au présent : φέρειν (v. 4), une fois au futur : ἀνοίσει (v. 11), une fois au passé : ἀνήνεγκεν (v. 12). Et cette expression est expliquée, si elle a besoin de l’être, par plusieurs autres locutions parallèles et synonymes : « Il était blessé pour nos péchés, brisé pour nos iniquités (v. 5) ; l’Éternel l’a frappé pour l’iniquité de nous tous, παρέδσκεν ταῖς ἁμαρτίαις ἡμῶν (v. 6) ; il s’est livré à la mort à cause des iniquités de mon peuple, il a été mis au nombre des malfaiteurs (v. 12). » Le doute n’est pas possible quant à la pensée du prophète, ni par conséquent quant à celle de l’apôtre, son écho et son interprète.

d. Veut-on connaître le sentiment de deux théologiens non suspects de docilité exagérée aux idées traditionnelles ? Monnier écrit : « Il y a substitution ; une victime est offerte à la place des coupables. Il y a expiation ; un sang précieux a été répandu pour racheter et purifier. La croix est assimilée à l’autel » (Monnier, 287). Et Reuss, cité par lui : « Les pécheurs auraient dû périr et se trouvent guéris, c’est-à-dire réhabilités, sauvés précisément parce que Lui supportait les coups qui auraient dû les frapper. »

4° Reste la dernière pensée contenue dans notre passage : le but ou l’effet moral du sacrifice de Christ, toujours étroitement lié chez Pierre, comme il a déjà été remarqué, à son effet juridique. « Il a porté nos péchés… afin qu’étant morts au péché nous vivions pour la justice. » Dire que l’un de ces effets est la conséquence de l’autre, que la sanctification et le renoncement au péché sont le but de l’expiation, c’est mettre ces deux délivrances dans un étroit rapport, et c’est pourtant les distinguer ; cette distinction que l’apôtre ne fait point ailleurs, il la fait donc ici. On peut ajouter que, par cela même que l’affranchissement moral est présenté comme le but de l’absolution et du pardon, il est considéré comme une grâce plus élevée, comme l’objet principal du dessein et du don de Dieu.

C’est, nous l’avons vu, à cause de son caractère expiatoire que le sacrifice de Jésus-Christ nous sauve de la condamnation du péché ; mais comment nous sauve-t-il de son empire ? L’apôtre ne répond pas comme plusieurs théologiens : à cause de la reconnaissance que le pardon acquis à un tel prix fait naître en nous. Cette réponse ne lui suffit pas, pas plus qu’à saint Paul. Il va bien plus au fond des choses et de l’expérience chrétienne. Selon lui « Jésus est mort pour nos péchés, afin que nous mourions au péché et que nous vivions à la justice. » Cette idée, ici succinctement exprimée et comme jetée en passant, est celle que Paul expose d’une façon plus complète dans le chapitre 6 de son épître aux Romains. La mort rédemptrice du Christ, reçue et embrassée par la foi, produit en nous un fait moral analogue, la mort ou le renoncement au péché. De même, la résurrection de Jésus-Christ a pour effet et pour écho en nous l’entrée dans une vie nouvelle. La mort de Jésus-Christ, ai-je dit, produit cet effet lorsqu’elle est reçue, et sans doute dans la mesure où elle est reçue et embrassée par la foi. Car la foi nous unit au Christ, en sorte que nous devenons un même corps ou une même plante avec lui ; elle nous fait donc mourir de sa mort et vivre de sa vie. Idée intermédiaire tout-à-fait essentielle, qui est mise en plein relief dans la vigoureuse analyse de Paul, mais qui chez Pierre est sous-entendue.

De toutes les analogies qu’on a signalées entre l’enseignement de Paul et celui de Pierre, celle-ci est la plus frappante.

L’expression : « par les meurtrissures duquel vous avez été guéris », qui termine notre passage est une citation textuelle d’Ésaïe 53. La guérison ici mentionnée équivaut au salut complet ; elle comprend donc le pardon et l’affranchissement moral, la justification et la régénération.

Le chapitre 3 de notre épître renferme un nouveau et dernier passage relatif à la rédemption. L’apôtre est en train d’exhorter les chrétiens persécutés à souffrir pour Dieu et pour le bien, comme l’a fait leur Maître, et cette fois encore il passe de la considération du Christ modèle à celle du Christ Rédempteur.

1 Pierre 3.17 : « Il vaut mieux souffrir, si telle est la volonté de Dieu, en faisant le bien qu’en faisant le mal. En effet, Christ aussi est mort une fois pour les péchés, lui juste pour les injustes, afin de nous amener à Dieu. »

« Christ a souffert une fois » … L’expression une fois, fréquente, à propos du même sujet, dans l’épître aux Hébreux, affirme la suffisance et l’efficacité parfaite du sacrifice que Jésus-Christ a offert sur la croix.

Le présent passage confirme d’ailleurs ceux que nous avons déjà cités plutôt qu’il ne les complète. Relevons cependant quelques traits :

« Christ aussi. » Cet « aussi » témoigne de l’analogie profonde qui existe entre les souffrances que le chrétien endure en faisant le bien, c’est-à-dire pour la vérité et la justice, et les souffrances du Sauveur.

« Christ est mort » … L’apôtre dit plus généralement : « a souffert ». Aucun écrivain sacré n’a mentionné plus souvent que lui les souffrances du Christ.

« Christ est mort pour nos péchés », c’est-à-dire pour les expier et pour les ôter.

« Christ est mort…, lui juste, pour des injustes », c’est-à-dire, tout ensemble en leur faveur et à leur place.

« Christ a souffert… afin de nous amener à Dieu. » On pourrait traduire : « afin de nous ouvrir un libre accès auprès de Dieu. » C’est l’expression même — ici verbe, là substantif — dont Paul se sert, Romains 5.2 : « Jésus-Christ nous a fait avoir accès par la foi à la grâce », et Éphésiens 2.18 : « Par Jésus-Christ nous avons accès auprès du Père, dans un même Esprit. » Dieu est considéré comme habitant un palais ou un temple dont nos péchés nous barraient la route ; en mourant pour nos péchés, Jésus-Christ a ôté l’obstacle ; il a rendu la route libre et Dieu accessible. C’est ainsi que l’épître aux Hébreux parle du « trône de grâce », dont notre souverain Sacrificateur nous donne le droit d’approcher avec liberté et confiance.

Ce verset est immédiatement suivi du fameux passage sur la prédication du Christ dans les enfers (1 Pierre 3.19-22). Celui-ci n’a qu’un rapport plutôt indirect avec notre sujet, et il nous faut résister à la tentation de l’analyser et de le discuter. Disons seulement, sans entreprendre de justifier nos assertions, comment nous le comprenons, en constatant avec satisfaction que notre interprétation est d’accord en tous points avec celle de M. Monnier. Entre sa mort et sa résurrection, Jésus-Christ, à l’état d’esprit non encore revêtu d’un corps, est allé prêcher aux esprits, annoncer l’Evangile aux morts (1 Pierre 4.6). Il a évangélisé notamment les âmes de ces grands pécheurs qui avaient été rebelles au temps du déluge, âmes captives dans un lieu que l’apôtre appelle une prison. Le but de cette prédication était d’amener ces morts, qui ici-bas avaient subi dans leur chair le jugement de Dieu, à la vie spirituelle qui est la vie véritable et divine (1 Pierre 4.6).

On peut et l’on doit croire, quoique l’apôtre ne l’affirme pas expressément, que le message de lumière et de paix, porté par un tel prédicateur dans les ténèbres du monde invisible, n’a pas été vain, et qu’en montant au ciel il a traîné derrière son char de triomphe une multitude de captifs libérés, de pécheurs sauvés, comme semble le dire saint Paul (Éphésiens 4.8-10), citant le psaume 68 (v. 7).

Cela dit, voici ce qui résulte de ce passage quant aux vues et aux enseignements de Pierre relativement à la rédemption. Pour lui, le sacrifice du Sauveur, qui est le remède et la réparation du péché du monde, a une vertu universelle, donc rétrospective, qui s’étend à toutes les générations antérieures et descend jusqu’aux profondeurs du monde invisible. C’est ce qu’a déjà fait entendre Paul, avec moins de précision cependant, soit dans le passage déjà cité de l’épître aux Ephésiens, soit dans d’autres déclarations des épîtres aux Colossiens (Colossiens 1.20), aux Philippiens (Philippiens 2.10) et aux Romains (Romains 14.9). Si c’est aussitôt après la mort de Jésus-Christ que la parole de grâce a commencé à retentir dans la prison infernale, c’est sans doute parce que, par cette mort rédemptrice, quelque chose a été changé dans la condition de ces morts eux-mêmes et dans leur relation avec Dieu.

Nous n’avons plus à signaler dans notre épître que deux passages offrant un rapport éloigné avec notre sujet.

« Puisque Christ a souffert dans la chair, vous aussi armez-vous de cette pensée, que celui qui a souffert dans la chair a cessé de pécher » (1 Pierre 4.1).

Ce passage ne fait que répéter, sous une forme un peu obscure et déconcertante, la pensée déjà exprimée (1 Pierre 2.24) touchant la communion du chrétien avec les souffrances et la mort de Jésus-Christ.

« J’adresse cette exhortation aux anciens…, moi qui suis ancien avec eux et témoin des souffrances du Christ… » (1 Pierre 5.1).

Nous avons ici une nouvelle preuve de la place prépondérante qu’occupent les souffrances du Sauveur dans la pensée, dans les souvenirs et dans la prédication de son apôtre.

Passons maintenant à quelques considérations générales.

II

Après l’analyse consciencieuse des textes à laquelle nous nous sommes livrés, nous ne croyons plus avoir à établir que Pierre affirme la valeur rédemptrice et, pour préciser, la valeur expiatoire de la mort du Christ. Nous avons fait d’ailleurs la même constatation à propos de tous les auteurs sacrés que nous avons étudiés jusqu’ici. Avec chacun d’eux, notre apôtre a quelques traits communs.

Il est nourri d’Ésaïe 53, qu’il cite avec prédilection, et dont l’application à Jésus-Christ et à ses souffrances n’est pas pour lui l’objet d’un doute.

Avec les Synoptiques, ou plutôt avec Jésus lui-même d’après les Synoptiques, il considère la vie du Sauveur comme une rançon qu’il a offerte pour notre salut, mais il ne fait pas d’allusion directe à la Sainte-Cène.

Avec Jean-Baptiste, l’évangile de Jean et l’Apocalypse, Pierre considère Jésus-Christ comme l’Agneau de Dieu qui porte et ôte notre péché ; mais il n’a pas, pour désigner la rédemption, la même richesse et la même variété de symboles que le quatrième évangile.

Avec Paul, Pierre enseigne que le but de la mort de Jésus-Christ et son effet chez le croyant est de nous faire mourir au péché. Mais il n’a ni les vues spéculatives, ni la vigueur logique, ni les expressions paradoxales de l’apôtre des Gentils, telles que celles-ci : « Christ a été fait péché et malédiction pour nous. »

Avec l’auteur de l’épître aux Hébreux, Pierre parle de l’aspersion du sang du Christ, qui nous purifie ; mais il n’entre pas aussi avant que lui dans la typologie du culte lévitique ; il n’approfondit pas de la même façon les idées de sacrificateur et de sacrifice.

En somme, les idées de Pierre sur la rédemption, plutôt pratiques que rédemptrices, plutôt religieuses que théologiques, occupent en quelque sorte dans l’enseignement chrétien du premier siècle une situation moyenne. On s’explique, à ce point de vue, que l’Ecole du Tubingue ait placé cette épître parmi les livres du nouveau Testament qui seraient le fruit tardif d’un essai de conciliation entre le judéo-christianisme et le paulinisme. Cette hypothèse n’en est pas moins insoutenable : la simplicité, la pureté, la fraîcheur de la piété et de la pensée religieuse qui s’expriment dans l’épître de Pierre l’écartent absolument. Nous sommes bien ici sur le terrain apostolique, ce terrain que les Pères même dits apostoliques ont si visiblement et si promptement abandonné.

Au reste, malgré ce qui vient d’être dit, les idées de Pierre ne se distinguent pas moins par certains traits qui se sont manifestés à nous au cours de l’étude exégétique et qu’il faut rappeler et résumer brièvement :

1° Aucun écrivain sacré n’a plus que Pierre relié étroitement les effets juridiques et les effets moraux de la mort du Christ, en d’autres termes la délivrance de la condamnation et la délivrance de l’empire du péché. Il ne peut présenter les souffrances du Christ comme exemple sans rappeler aussitôt leur valeur rédemptrice. Mais réciproquement, toute mention de la rédemption le ramène aussitôt à ses conséquences morales, à la rupture avec le péché et à la consécration à Dieu dont cette rédemption devient le principe chez tout vrai croyant.

2° Au sujet de la rédemption, nous trouvons dans notre épître une idée vaste et originale : c’est celle des effets du sacrifice rédempteur dans le monde invisible et du salut offert et prêché par Jésus-Christ lui-même aux esprits qui avaient été autrefois rebelles. Cette idée a certains points d’attache d’attache chez Paul et ailleurs ; mais seul notre apôtre l’énonce avec une clarté que le préjugé dogmatique a seul pu méconnaître.

3° La théologie biblique moderne, qui a distingué avec raison chez les principaux apôtres des types de doctrine divers (quoiqu’elle ait eu quelquefois le tort d’en méconnaître l’unité profonde et en quelque sorte sous-jacente), n’a jamais réussi à construire d’une manière satisfaisante un système (en allemand Lehrbegriff) de Pierre. Quelques-uns s’en sont vengés en qualifiant l’ancien pêcheur de Capernaüm de théologien médiocre. Théologien médiocre, si l’on veut : il lui suffit d’être apôtre, témoin des souffrances du Christ et fondateur après lui et avant Paul de l’Eglise chrétienne. Mais si Pierre n’a pas de système, il a pourtant un esprit et une façon de penser qui lui sont propres et même, nous semble-t-il, une idée centrale et dominante : nous croyons que cette idée est précisément celle de la rédemption par le sacrifice de Jésus-Christ. C’est à ce point de vue que les autres traits qui ont été présentés comme caractéristiques de l’enseignement de Pierre s’expliquent le mieux.

Ainsi l’on a dit souvent que Pierre est l’apôtre de l’espérance, comme Paul celui de la foi et Jean celui de l’amour. Il est vrai que Pierre insiste beaucoup, et cela dès le début de son épître sur l’espérance du chrétien, qu’il rattache à la résurrection de Jésus-Christ. Mais, comme la résurrection de Jésus-Christ est la suite et le complément de sa mort, ainsi l’espérance que préconise Pierre est comme trempée dans la souffrance ; aucun apôtre n’insiste autant (quoique Paul l’ait fait déjà) sur la corrélation intime et la succession nécessaire de la souffrance et de la gloire.

On a remarqué que Pierre relève avec prédilection l’accomplissement des prophéties ; mais, en fait de prophéties, celles-là seules paraissent l’avoir frappé qui se rapportent « aux souffrances du Christ et aux gloires qui devaient les suivre », prophéties dont Ésaïe 53 est le résumé et en quelque sorte le sommet.

De Wette pense que c’est l’idée de grâce qui domine l’épître ; certes, Pierre croit autant que Paul à la grâce, quoiqu’il la nomme moins souvent (1 Pierre 5.12) ; mais la grâce qui est le fondement de son espérance n’est jamais séparée de la croix. On a remarqué enfin qu’en dépit de la joie qui le faisait tressaillir par moments (1 Pierre 1.8), Pierre avait conservé jusqu’à un certain point le pli austère de la piété israélite ; il n’estime pas que les fidèles de la nouvelle Alliance soient dispensés de la crainte de Dieu (1 Pierre 1.17) ; il ne perd pas de vue le jugement final qui s’annonce et se prépare (1 Pierre 4.5, 17) et va jusqu’à dire que le juste lui-même n’est ou ne sera sauvé que difficilement (1 Pierre 4.18). Il y a toujours quelque chose de cette façon de sentir et de penser chez ceux qui croient énergiquement à la rédemption par le sacrifice de Jésus-Christ. Quand on a été racheté à un tel prix, on se réjouit en tremblant. Ceux au contraire qui écartent toute rédemption objective sont obligés de la remplacer, d’une façon plus ou moins consciente, par la notion, plus populaire qu’évangélique, plus rassurante que sanctifiante, de l’indulgence de Dieu.

III

Tel étant l’enseignement religieux de notre épître, quelle en est la valeur documentaire, en tant que témoignage de la foi de l’Eglise primitive ? Ceci nous amène à la question de l’authenticité, que nous ne pouvons aborder que superficiellement, dans ces derniers moments de notre entretien.

M. Jean Monnier, avec qui j’ai jusqu’ici constamment marché d’accord, est un partisan décidé de l’antiquité et même, dans un sens large, de l’apostolicité de notre épître. Au sujet de l’authenticité proprement dite et complète, il lui reste des scrupules.

D’abord, le grec de cet écrit lui paraît trop correct (plutôt correct que littéraire pourtant !) pour le fils de Jona. Mais celui-ci vivait, nous ne savons pas depuis combien de temps, en pays grec, je veux dire parlant grec. Au reste, les judéo-chrétiens de Palestine devaient comprendre le grec puisque Apollos leur écrit en grec son épître aux Hébreux (cf. Actes 21.40 ; 22.2).

Une difficulté plus sérieuse est celle qui résulte des emprunts faits par l’auteur de l’épître de Pierre à certaines épîtres de Paul, surtout à celles aux Romains et aux Ephésiens. M. Monnier les juge peu dignes d’un apôtre. Mais quand on étudie ces rapprochements, on constate qu’ils vont bien rarement jusqu’à l’identité de l’expression, jamais jusqu’à celle de la phrase. Que l’on compare les préceptes touchant la soumission aux puissances établies qu’on lit, d’une part dans Romains 13.1-7, d’autre part dans 1 Pierre 2.13-14 (c’est de toutes les analogies signalées celle qui nous a paru la plus frappante). Je crois bien que Pierre a connu le passage de l’épître aux Romains et s’en est inspiréa. Mais qu’y a-t-il là d’invraisemblable ?

Pierre était, nous le savons, très accessible aux influences extérieures, témoin son triple reniement et l’incident d’Antioche (Galates 2.11-14). Pourquoi se serait-il fermé et soustrait à l’influence de son grand émule Paul qui, en tout cas au point de vue intellectuel, lui était de beaucoup supérieur ? D’après l’épître aux Galates, Paul exposa son Evangile à Pierre (Galates 2.2). Il lui fit même une leçon de doctrine qui touchait précisément au point où nous avons constaté entre les deux apôtres l’analogie la plus remarquable : nous voulons parler de la participation morale du croyant à la mort de Jésus-Christ (Galates 2.20). Pourquoi Pierre n’aurait-il pas profité de la leçon ?

a – Dans l’hypothèse de l’authenticité de sa deuxième épître, Pierre aurait certainement eu connaissance de plusieurs épîtres de Paul (2 Pierre 3.15-16)

Ce paulinisme relatif de Pierre (car il n’est que relatif) choque pourtant M. Monnier, qui se réfugie dans l’hypothèse suivante. L’auteur de l’épître dit lui-même : « Je vous ai écrit ces quelques mots par Sylvain » (1 Pierre 5.12). Cela semble bien signifier que Sylvain était le porteur de la lettre. Mais à la rigueur, cela pourrait vouloir dire que Sylvain (ou Silas) avait servi à l’apôtre de secrétaireb. S’il a été secrétaire de Pierre, qui sait jusqu’où s’est étendue sa collaboration ? A la rigueur encore, il pourrait avoir rédigé la lettre, par la volonté et sous l’inspiration de Pierre. Cette hypothèse résoudrait les difficultés, car chez Sylvain ou Silas, personnage secondaire et ancien collaborateur de Paul, l’imitation de Paul ne surprendrait plus.

b – Cette interprétation nous paraît fort invraisemblable, presque inadmissible. Car, si Sylvain était le porteur de la lettre, on comprend fort bien que Pierre ait cru devoir le recommander aux destinataires de celle-ci, comme le fait Paul pour Phœbé à l’égard de l’épître aux Romains (Romains 16.1-2). Au contraire, on ne voit pas pour quel motif Pierre aurait fait aux chrétiens d’Asie l’éloge de son secrétaire, ou même le leur aurait nommé.

Nous n’apercevons nullement la nécessité de l’hypothèse qui précède. Nous indiquons en note un motif très sérieux de la rejeter. Et nous devons ajouter qu’elle est, jusqu’à un certain point, contradictoire. Car, si l’on veut trouver dans la collaboration de Silas la solution des difficultés qu’on a soulevées, il faudra se représenter cette collaboration comme très importante ; il faudra en fin de compte faire de Silas le véritable auteur de la lettre, dont Pierre ne serait que l’inspirateur. Mais cette supposition est contraire à l’assertion même de Pierre sur laquelle on s’appuie : « Je vous ai écrit par Sylvain. »

Au sujet de l’authenticité, il n’entre pas dans mon propos de consulter et d’invoquer les témoignages des Pères, qui lui sont unanimement favorables. Mais revenons à l’épître elle-même.

1 Pierre 1.1 : « Pierre, apôtre de Jésus-Christ, aux élus… » C’est net, mais court. Un faussaire aurait probablement accumulé les titres. La suscription de la deuxième épître est déjà plus étendue.

1 Pierre 1.8 : « Jésus-Christ, que vous aimez sans l’avoir vu… » Ici l’auteur insinue délicatement qu’il a vu le Seigneur. Un faussaire aurait-il imaginé ce trait ? Et s’il l’eût imaginé, n’aurait-il pas appuyé davantage ? (cf. 2 Pierre 2.16-18).

1 Pierre 2.23 : « Lui qui, outragé, ne rendait pas l’outrage ; maltraité, ne faisait point de menaces… Souvenir ému, mais combien discret et sobre, des souffrances et de la patience de Jésus !

1 Pierre 5.1 : « J’adresse cette exhortation aux anciens qui sont parmi vous, moi qui suis ancien avec eux. » — On a argué de ce mot contre l’authenticité. Un apôtre, a-t-on dit, ne se serait pas exprimé de la sorte. Mon impression est précisément opposée. Un apôtre, tout rempli d’humilité, a fort bien pu se complaire dans cette assimilation à ses frères : Jean s’appelle aussi l’Ancien (première et deuxième épîtres). Mais un non-apôtre voulant faire figure d’apôtre, jamais !

« … Moi qui suis ancien avec eux et témoin des souffrances du Christ, et participant aussi de la gloire qui doit être manifestée. »

L’auteur s’attribue ici trois titres. Il présente le premier, celui d’ancien, et le troisième, celui de participant de la gloire future, comme lui étant communs avec ceux de ses lecteurs à qui il s’adresse ici. Il se garde d’en dire autant du deuxième de ses titres, celui de témoin des souffrances du Christ : il est seul à le posséder, puisque ses lecteurs (je rappelle 1 Pierre 1.8) n’ont jamais vu le Sauveur. Comme tout cela est naturel, s’enchaîne et s’explique bien, si c’est un apôtre qui parle ! Si ce n’est pas un apôtre, quel mélange d’étonnante réserve et d’une habileté qu’on serait tenté de qualifier de rouerie !

Cette impression s’accroît et s’accentue lorsque nous lisons à la fin de l’épître (1 Pierre 5.12-13) : « Je vous ai écrit ces mots par Sylvain, que j’estime être un frère fidèle… Marc, mon fils, vous salue. »

Un apôtre seul a pu employer comme porteur de sa lettre (c’est le sens plus que probable de ces mots) un personnage tel que Sylvain, et lui rendre un témoignage comme celui que nous venons de lire. Et Pierre seul a pu dire : « Marc, mon fils. » On sait la relation que le témoignage de plusieurs Pères de l’Eglise constate entre Pierre et Marc, qu’ils désignent comme le compagnon et l’interprète de l’apôtre. Harnack a senti la force des indices favorables à l’authenticité (qu’il rejette d’ailleurs) contenus dans ces mots. Parler d’« indices favorables », est-ce dire toute la vérité ? Que faudrait-il penser du pieux auteur de notre épître, s’il avait eu recours à de tels artifices afin de faire accepter son « homélie sur la souffrance » comme un écrit de l’apôtre Pierre ? Entre ces deux mensonges il aurait osé placer cette affirmation, d’un, accent solennel : « Je vous écris pour attester que c’est bien à la vraie grâce de Dieu que vous êtes attachés. » Il faudrait des objections bien plus fortes que celles qu’on allègue contre l’épître de Pierre pour me faire accepter de telles invraisemblances, qui froissent notre sens moral en même temps que notre sens historique et critique.

C’est donc bien l’apôtre Pierre qui a écrit notre épître. Il y a de très fortes raisons pour le croire, il n’y en a pas une vraiment valable pour en douter.

Mais au moment où je formule cette conclusion, elle me paraît tellement considérable, tellement émouvante, que je m’explique pourtant les hésitations de plusieurs. C’est donc Simon Pierre, le fils de Jona, qui, parlant d’un homme avec qui il avait vécu pendant trois ans comme avec un intime ami, d’un homme qu’il s’était parfois permis de reprendre et de rabrouer et par qui il avait dû se laisser laver les pieds, dit : « Il a porté nos péchés en son corps sur le bois ; il est mort, lui juste pour nous injustes, afin de nous amener à Dieu ; il est descendu aux enfers, il est remonté au ciel » ! Si tout cela n’est pas vrai, Pierre était un fou, et il n’était pas seul. Si tout cela est vrai, l’Evangile est et demeure la puissance de Dieu pour le salut de tous ceux qui croient !

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant