Vie du Seigneur Jésus

Chapitre IX

Les deux généalogies de Jésus, fils de David. — La famille du Seigneur. — Il croît en sagesse. — La tentation dans le désert.

Après avoir raconté le baptême du Seigneur par Jean, et avant de dire de quelle manière il commença son ministère, Luc intercale la généalogie de Jésus, pour nous montrer de quels ancêtres il descend selon son humanité. Quant à Matthieu, il a commencé par une généalogie sa démonstration historique que Jésus est le fils d’Abraham et de David, le Messie annoncé par les prophètes. Ces deux généalogies, qui semblent être de sèches nomenclatures, n’en méritent pas moins notre attention tant par elles-mêmes, qu’à cause des difficultés qui semblent s’y rattacher. La principale de ces difficultés consiste en ce que deux tables généalogiques destinées, semble-t-il, à établir que Joseph descend de David, présentent entre Joseph et David deux séries de noms presque complètement différents. Le doute s’est appuyé sur cette divergence ; n’était-il donc pas évident que des mentions à ce point contradictoires ne sauraient être vraies ? En outre on pouvait trouver étrange que dans les deux tables généalogiques on n’établissait la descendance de David que pour la famille de Joseph ; dès lors n’était-on pas admis à soutenir avec une apparence de vérité que les deux listes, l’une et l’autre fautives, trahissaient en outre l’opinion des ébionites qui tenaient Joseph, non pour le père adoptif mais pour le véritable père de Jésus ? En effet il semblait qu’à cette condition seulement on était fondé à établir, même par deux voies différentes, que la famille de Joseph descendait du roi David.

Ou bien pourrait-on reconnaître une autre signification à ces généalogies ? Est-il possible de concilier leurs divergences ? C’est à cela que nous devrons faire attention.

Remarquons d’abord que les deux seuls évangiles qui nous disent explicitement que Jésus n’est pas le fils de Joseph, nous donnent aussi ces généalogies, et d’après ce que nous savons, les ébionites rejetaient ces deux généalogies. Par conséquent les évangélistes n’ont nullement soutenu une opinion ébionite, en écrivant ces deux généalogies.

Nous déclarons dès l’abord que, même en faisant abstraction de ces deux tables généalogiques, la descendance du Seigneur Jésus de la famille de David est à l’abri de toute contestation. Amis et ennemis s’accordent sur ce point ; aucun des principaux d’entre les Juifs ne le combat par une objection ; pour tous les disciples c’est une chose certaine, et Paul aussi, dans l’épître aux Romains (Romains 1.3), déclare que Jésus est né de la famille de David selon la chair. Il n’y a pas jusqu’au sens charnel des Juifs qui ne nous garantisse cette vérité, car qui voudrait admettre, que personne parmi le peuple n’eût élevé de contradiction, lorsque partout Jésus était salué comme fils de David, si sa famille n’avait pas été connue comme ayant incontestablement David pour ancêtre ? Sans doute une descendance seulement selon la chair serait insuffisante, mais elle n’est nullement indifférente, si nous accordons à la série non interrompue des prophéties de l’Ancien Testament, l’importance à laquelle elles ont droit.

En effet, après qu’une première fois Dieu a promis à l’homme selon son cœur, que sa maison et son royaume seraient stables et que son trône subsisterait à jamais (2 Samuel 7.16), la promesse continue sans interruption et devient de plus en plus glorieuse : « J’ai traité alliance avec mon élu, dit le Seigneur ; j’ai fait serment à David mon serviteur, disant : J’établirai sa postérité pour toujours, et j’affermirai son trône d’âge en âge. Je conserverai toujours ma faveur à David, et mon alliance lui sera assurée, et je rendrai sa postérité éternelle et son trône comme les jours des cieux. Que si ses enfants abandonnent ma loi et ne marchent pas selon mes ordonnances, je châtierai leur transgression par la verge, et leur iniquité par des plaies ; mais je ne retirerai pas de lui ma bonté, et ne lui fausserai point ma foi. Je l’ai une fois juré par ma sainteté et je ne mentirai jamais à David, que sa race subsistera toujours, et que son trône sera comme le soleil en ma présence ; qu’il sera affermi à jamais comme la lune, et il y en aura dans les cieux un fidèle témoin (l’arc-en-ciel) (Psaumes 89.4, 5, 21-38). L’Eternel a juré à David et il n’en reviendra point : Je mettrai de tes fils sur ton trône » (Psaumes 132.11). Et ce n’est pas seulement une série de rois de la race de David qu’annonce la parole prophétique, mais aussi un fils de David suprême et parfait qui clôt cette série. C’est lui qui est ce rejeton fertile de la racine mutilée d’Isaï (Ésaïe ch. 11), par l’envoi duquel Dieu accordera fidèlement les grâces promises à David (Ésaïe 55.3), et qui rétablira son tabernacle détruit (Amos 9.11). « Voici, les jours viennent, dit l’Eternel, que je susciterai à David un germe juste, et il régnera comme roi, il prospérera, il exercera le jugement et la justice sur la terre ; et c’est ici le nom duquel on l’appellera : l’Eternel notre justice » (Jérémie 33.5-6). Car ainsi a dit le Seigneur l’Eternel : « Me voici ; je redemanderai mes brebis et je les rechercherai ; je susciterai sur elles un pasteur qui les paîtra, savoir mon serviteur David, » — le vrai David, le bien-aimé (Ézéchiel 34.11,23).

Nous voyons combien est ferme la promesse en vertu de laquelle le roi d’Israël, le Sauveur et le Dominateur du monde devait descendre de David. Toutefois ce n’est point par armée ni par force, mais c’est par l’Esprit de l’Eternel qu’il devait faire son œuvre comme Zorobabel (Zacharie 4.6). Véritable fils de David, il devait accomplir par l’esprit ce que son père avait commencé, en établissant ce royaume, dans lequel régnerait la justice de Dieu. Ce royaume, fondé par le Fils de l’homme aux jours de son abaissement, n’avait aucune pompe extérieure ; malgré cela il n’est pas condamné à rester éternellement caché dans le secret des cœurs ; il doit au contraire être manifesté et remplir le monde entier. Rappelez-vous qu’à l’attente charnelle des pharisiens nous n’avons pas opposé un royaume purement spirituel et en réalité à jamais invisible, mais un royaume qui, établi par le Saint-Esprit dans les cœurs repentants, devait aboutir à une victoire manifeste et à une gloire complète. Parce que ce royaume n’est pas de ce monde, le monde disparaîtra devant sa venue. C’est un fils de David à la fois selon la chair et selon l’esprit, qui devait être le roi de ce royaume. Si Jésus n’était pas né de cette race, non seulement il n’aurait pas possédé un signe essentiel aux yeux de son peuple, mais aussi en toute réalité il aurait été privé d’un trait, qui dans l’ensemble des voies et des promesses de Dieu a une grande importance ; car le Dieu éternel, l’Ancien des jours, dont les desseins sont irrévocables, qui ne se repent jamais de ses promesses, à qui ses œuvres sont connues dès avant la fondation du monde, ce Dieu ne brise pas, aussi facilement que les hommes d’aujourd’hui se l’imaginent, l’enchaînement de ses révélations.

Si nous avons reconnu la grande importance que la descendance du Seigneur de la race de David avait aux yeux du peuple et en réalité, il va sans dire que dans les branches de cette famille on mettait un soin particulier à conserver les tables généalogiques. Nous serions en droit de nous étonner du contraire. Eusèbe nous confirme dans son Histoire de l’Eglise (III, 20), d’après le rapport d’Hégésippe, historien judéo-chrétien du second siècle, l’attention qu’on accorda aux parents du Seigneur Jésus, en leur qualité de descendants de David. Il raconte qu’à l’époque de l’empereur Domitien, vers la fin du second siècle, il existait encore des petits-fils de Juda appelé selon la chair, un frère du Seigneur. On les dénonça à l’empereur comme descendants de David, ce dont ils convinrent, après qu’ils eurent été conduits en sa présence et interrogés par lui.

Il les questionna sur leur fortune, et ils lui répondirent qu’elle consistait en une terre de 39 arpents, dont ils payaient l’impôt et qu’ils cultivaient de leurs propres mains. Ils lui montrèrent en même temps leurs mains rendues calleuses par un rude travail. Questionnés sur le royaume de Jésus-Christ, ils répondirent que ce n’était pas un royaume mondain ni terrestre, mais un royaume céleste, qui serait manifesté à la fin du monde, quand le Seigneur paraîtrait pour juger les vivants et les morts, et pour rendre à chacun selon ses œuvres. Domitien ne prononça pas de jugement contre eux, mais il les renvoya comme des gens sans importance. Au dire du même historien ils furent anciens de l’Eglise jusqu’au règne de Trajan.

Si à cette époque on savait de science certaine que la famille du Seigneur descendait de David, il était aussi possible, avant la destruction de Jérusalem et l’incendie du temple, d’extraire une généalogie des tables généalogiques publiques. C’est ainsi que Josèphe affirme avoir extrait la liste de ses propres ancêtres de ces tables publiquesa.

aVie de Josèphe, c. I.

Après avoir établi que nous sommes pleinement en droit d’attendre de la part des évangélistes des documents d’une entière authenticité, nous désirons d’autant plus comprendre la signification de leurs tables généalogiques, pour pouvoir les apprécier selon leur mérite. Ce ne sont que des noms, mais des noms qui nous rappellent la vie des générations passées, leurs joies et leurs souffrances, leurs actions bonnes et mauvaises, leurs péchés et leurs relèvements. Ces personnes ont une fois vécu, et ce qu’elles ont fait, Matthieu nous le rappelle en nommant quatre femmes, contrairement à ce qui était d’usage dans la confection de tables généalogiques. Trois d’entre elles, Thamar, Rahab et la femme d’Urie, sont de grandes pécheresses ; la quatrième, Ruth, et l’une des trois précédentes sont nées païennes. On a dit avec raison que c’est là une généalogie telle qu’il n’y a pas lieu de s’en enorgueillir, mais telle qu’il la faut pour consoler de pauvres pécheurs. En effet la mention de ces mères du Seigneur, qui ne font que mieux ressortir le caractère de Marie, montre avec évidence vers quelle race de pécheurs la grâce de Dieu s’est abaissée dès le commencement.

Une pensée à la fois analogue et opposée à la précédente explique le fait que Matthieu omet une première fois trois rois et une autre fois un roi de ceux qu’énumèrent les livres de l’Ancien Testament. Ce sont des rois qui n’ont pas tant servi à manifester la miséricorde que les jugements de Dieu ; les trois premiers sont les descendants de ce roi qui épousa Athalie, adonnée au culte des idoles, et dont l’iniquité fut punie sur ses enfants jusqu’à la troisième et quatrième génération ; ainsi le 2e livre des Rois (2 Rois 7.19), dit-il à cette occasion : Le Seigneur ne voulut point détruire Juda à cause de son serviteur David. Le quatrième nom omis est celui de cet impie Jéhojakim, sous lequel commença le jugement exercé par le roi de Babylone. Leurs noms furent supprimés dans la série, qui n’en fut pas moins continuée jusqu’à Joseph.

En même temps Matthieu arrive ainsi à trois séries chacune de quatorze générations, par le moyen desquelles il veut montrer comment le temps fut accompli par la succession de trois périodes. La première s’étend depuis Abraham, le père du peuple de Dieu, à travers la tribulation d’Egypte, jusqu’au point culminant qui est David. La seconde descend depuis Salomon, en passant par une suite de têtes couronnées, jusqu’à la captivité babylonienne, alors qu’au temps de Jéhojachin et de ses frères, toute la maison royale, après avoir perdu le peuple et le pays, le trône et la couronne, fut réduite à cause de ses péchés à un esclavage bien pire que celui d’Egypte. La troisième série s’ouvre avec Jéhojachin, qui, après un emprisonnement de 37 années, devint dans l’exil le père d’une nouvelle race, dont les membres ne portèrent plus la couronne. Nous voyons ici la préparation cachée d’une race humiliée et par là même qualifiée pour concevoir dans son sein cet autre David par lequel la ville de Bethléhem devait être glorifiée plus qu’elle ne l’avait été la première fois.

Peut-être allez-vous me demander ce qui de tout cela revient au Seigneur Jésus, puisqu’il ne descendait pas corporellement de Joseph. Je réponds : Si c’est Matthieu qui dit expressément que le fils de Marie ne descend pas de Joseph mais qu’il est conçu du Saint-Esprit, et si le même évangéliste nous donne une généalogie terminée par ces mots : « Jacob fut père de Joseph, l’époux de Marie, de laquelle est né Jésus, qui est appelé le Christ, » il faut bien que Matthieu assigne à cette généalogie un autre but que celui de montrer que Jésus descend, selon la chair, de Joseph. Cette signification, nous la trouvons dans la parole de l’ange : Joseph, fils de David, ne crains point de prendre Marie pour ta femme. Joseph devait préserver Marie d’une diffamation impie par le moyen du mariage, et garantir en même temps, par le moyen de l’adoption, le saint enfant non encore né. Il devait en même temps recevoir cet enfant dans la succession royale, qu’il tenait de David. Par le fait de cette adoption, Jésus devenait le roi légitime d’Israël aussi au point de vue de la reconnaissance humaine parmi les Juifs.

Il en est tout autrement de la table généalogique donnée par Luc. Sans nous arrêter aux détails, nous ne ferons attention qu’aux divergences principales qui la distinguent de celle de Matthieu. Elles consistent en ce que Luc commence par en bas et qu’au lieu de s’arrêter à Abraham, il remonte jusqu’à Adam et jusqu’à Dieu lui-même. Mais s’il commence par Joseph, fils d’Héli, et qu’à partir de là jusqu’à David, nous trouvions des noms presque complètement autres que ceux donnés par Matthieu, comment expliquerons-nous cette différence ? Celui qui ne renonce pas complètement à une conciliation a le choix de supposer une adoption, ou de s’en référer à cette loi de Moïse, aux termes de laquelle, lorsqu’un Israélite mourait sans enfants, son frère ou son plus proche parent avait l’obligation d’épouser sa veuve, ainsi que nous le voyons dans la touchante histoire de Booz et de Ruth.

Mais ni l’une ni l’autre de ces explications n’est satisfaisante. L’objection principale n’est pas levée par le fait que la généalogie de Joseph n’a ni le même but ni la même signification chez Luc que chez Matthieu. En effet, il ne s’agit pas pour Luc d’établir un droit de succession au trône, mais bien plutôt une descendance réelle qui remonte jusqu’à Adam et même jusqu’à Dieu ; serait-ce là la descendance de Joseph, dont Luc a dit qu’il passait pour être le père de Jésus sans l’être en réalité ? Dans ce cas toute cette série de noms serait sans but et intercalée inutilement, car la parole placée en tête lui aurait d’avance ôté toute signification. Jésus était, — non pas réellement, mais comme on le croyait, — fils de Joseph, et ce Joseph descend de David, d’Abraham, d’Adam, de Dieu ; Joseph, le père supposé de Jésus, est de la même race que tous les hommes, leur frère issu comme eux d’Adam, le père de toute l’espèce humaine : ce serait là une remarque sans valeur, et ne méritant aucunement que l’évangéliste y consacre 46 versets. Nous nous attendons à trouver la preuve de la descendance de Jésus-Christ lui-même telle qu’elle remonte selon la chair jusqu’à Adam ; ce n’est pas Joseph, mais c’est Jésus qui est devenu notre frère : voilà une vérité qui a de l’importance pour nous, et cette vérité nous la trouvons en effet dans la table généalogique de Luc, à la condition d’y voir la généalogie, non de Joseph, mais de Marie. Nous avons vu par les paroles de l’ange (Luc 1.32) que Marie aussi était une fille de David. Justin Martyr parle de cette descendance davidique de Marie comme d’une chose indubitableb  ; et même les rabbins hostiles, qui ne puisent pas dans les évangiles, insultent Marie, la fille d’Héli, en disant entre autres que le verrou de la porte de l’enfer lui a percé l’oreille. Il faut qu’en maudissant la fille d’Héli, ils servent la vérité, ainsi que le firent les moqueurs sous la croix ; ils contribuent à nous donner la certitude qu’Héli est le père, non de Joseph mais de Marie. Par conséquent, la généalogie donnée par Luc serait celle de Marie ou plutôt, — Marie n’étant pas nommée et les femmes n’ayant pas de tables généalogiques, — celle d’Héli, l’aïeul maternel de Jésus, auquel les apocryphes seuls donnent le nom de Joachim. Cette généalogie a une importance naturelle, parce que Jésus descend en effet de David par Héli ; l’autre a, au contraire une valeur légale, en nous montrant le droit de succession revenant à l’enfant de la part de son père adoptif. Luc n’aurait donc fait qu’insérer dans la généalogie d’Héli le nom de son gendre, qu’on croyait être le père de Jésus. Il en est résulté une obscurité qui est plus grande dans la traduction que dans la langue originale. En effet la traduction dit : « Joseph, fils d’Héli, fils de Matthat, fils de Lévi, etc. » Le texte primitif dit simplement : « d’Héli, de Matthat, de Lévi, etc., » et d’après l’expression usitée dans la langue hébraïque, tous ces mots se rapportent, ainsi qu’il est facile de le prouver, à Jésus lui-même ; Jésus est le fils d’Héli, Jésus est le fils de Matthat, de David, d’Abraham, d’Adam, de Dieu ; ce n’est pas Adam, c’est Jésus lui-même qui est fils de Dieu. La signification et la connexion des deux tables différentes nous est-elle maintenant devenue claire ?

bC. Tryph., XLIII,100.

Le naturaliste, en examinant les couches successives dans lesquelles se trouvent pétrifiés ici une coquille, là le squelette d’un poisson, contemple dans ces figures énigmatiques et dans ces fragments informes une vie disparue, qui s’agite de nouveau aux yeux de son esprit. Donnez-lui une seule vertèbre et il dessinera d’une main sûre l’esquisse de l’animal entier, dont il revêtira les os de chair et de vie. Ces séries de noms ne sont-ils pas aussi autant de pétrifications qui demandent à être interprétées ? N’y a-t-il pas là une vie qui sommeille et qui, réveillée, nous manifeste les grâces et les jugements de Dieu, l’harmonie et la sagesse infiniment diverses de ses voies ? Nous contemplons là une race adonnée au péché dès le commencement, à laquelle l’Eternel dans sa miséricorde communiqua sa grâce, en même temps qu’il la marqua de l’empreinte ineffaçable de ses jugements. Il délivra le peuple élu de la servitude de l’Egypte et le protégea jusqu’au moment où en sortit ce roi selon le cœur de Dieu, placé à la tête du royaume de sa justice ; mais la série de ses descendants selon la chair tomba dans le péché et par là dans des jugements, que même les membres pieux de cette famille ne purent pas détourner. Dans la misère encore plus profonde de l’exil de Babylone, les descendants de David durent renoncer à toute gloire selon le monde, et continuer la race royale dans la pauvreté et dans l’abaissement, jusqu’à cet humble et pieux charpentier, appelé à abriter sous sa protection paternelle l’héritier du royaume éternel, en même temps qu’il l’adoptait comme héritier selon le droit humain. Par Héli, le père de Marie, la descendance réelle de Jésus remonte jusqu’aux pères ; par Héli il est fils de David selon la chair et postérité d’Abraham ; toutefois il n’appartient pas seulement à Israël, mais à toute l’humanité dont il est devenu le frère, car il est fils d’Adam, fils de l’homme et fils de Dieu.

Voilà donc cette double série que Matthieu, conformément au but de son évangile, fait descendre d’Abraham à Jésus-Christ, tandis que Luc la fait remonter de Jésus-Christ jusqu’à Dieu, l’auteur de toutes choses et le Père du Fils. Ai-je eu tort en vous demandant de nous arrêter à ces passages en apparence moins attrayants ? Je ne le pense pas, si j’ai réussi, en quelque mesure, à vous montrer à quel point ces parties de la Parole sainte sont, elles aussi, significatives et dignes à la fois de notre confiance et de notre respect. Quelles grandes choses ne trouverions-nous pas dans toutes les Ecritures, si notre œil percevait mieux, et si notre oreille savait écouter les sons subtils !

Après avoir considéré la longue série des ancêtres de Jésus-Christ, nous tournons nos regards vers le centre intime de la famille dans laquelle il a grandi. Nous connaissons sa mère, cette servante du Seigneur comblée de grâces, qui remuait silencieusement dans son cœur toutes les paroles qui étaient dites de lui, et qui accepta avec une complète humilité les paroles par lesquelles son Fils se détachait d’elle. La parole de l’adolescent de douze ans ne commença pas encore ce détachement tout en le faisant entrevoir pour la suite. C’est à Cana qu’il prononça la première parole décisive, et la dernière il la fit entendre sur la croix. Quant à Joseph, il paraît être mort avant le commencement du ministère de Jésus, car il n’est plus nommé après ce voyage qu’il fit à Jérusalem dans la douzième année de Jésus. Les apocryphes en font un vieillard.

Plus d’une fois les évangiles font mention des frères du Seigneur ; ils les nomment Jacques, Joses, Simon et Jude, et parlent aussi de ses sœurs (Matthieu 13.55-56) auxquelles les apocryphes seuls ont pris la peine de trouver des noms. Ce ne sont aussi que ces livres semés d’erreurs (auxquels toutefois Origène et d’autres Pères ont adhéré sur ce point), qui prétendent que Joseph eut tous ces enfants d’un premier mariage. Mais nous, devons-nous voir en eux des enfants que Joseph eut de sa femme Marie, après qu’elle eut mis au monde son premier-né ? Matthieu, dans son premier chapitre (v. 25), semble l’indiquer. Et, ces frères du Seigneur, sont toujours mentionnés dans l’Evangile seulement avec Marie, et jamais avec une autre femme. Ils nous sont présentés comme éloignés de la foi avant la résurrection du Seigneur. Un jour que celui-ci leur semblait exténué à force de se prodiguer sans réserve, ils vinrent auprès de lui après avoir décidé leur mère à les accompagner. C’était dans l’intention de le retenir ou de l’emmener ; car on disait qu’il tombait en défaillance (Marc 3.21,31), et dans leur préoccupation déplacée, ils estimaient devoir mettre un frein à cette activité excessive. En parlant de cette époque, Jean affirme expressément, que même ses frères ne croyaient pas en lui (Jean 7.5). Ce n’est qu’après l’ascension qu’ils se trouvent parmi les croyants à côté des douze apôtres (Actes 1.14).

Toutefois, l’ancien préjugé de l’Eglise romaine n’est pas seul à enlever à la sainte vierge Marie ces frères du Seigneur, pour les transformer en cousins germains ; il y a réellement des motifs que l’on peut alléguer en faveur de cette opinion avec une grande apparence de vérité. Marie, la femme de Clopas, est la mère de Jacques le petit et de Joses (Marc 15.40) ; or, Clopas est la même personne qu’Alphée, dont le nom en hébreu se prononce Chalpaï, et un témoin ancien et nullement suspect, Hégésippe (Eusèbe, III, 11), affirme que Clopas était frère de Joseph. Voilà donc deux cousins germains de Jésus, Jacques et Joses, portant les mêmes noms que deux de ses frères. A cela viennent s’ajouter, soit des témoignages bibliques, qui peuvent s’interpréter différemment, soit des rapports extra-bibliques n’offrant que des garanties douteuses, et par le moyen de tout cela, on cherche à prouver que les quatre noms sont complètement parallèles et que les deux groupes se réduisent à un seul, en sorte que les quatre frères du Seigneur seraient, à proprement parler, ses cousins. Je n’en suis nullement persuadé, mais je dois convenir que surtout le nom de Jacques dans les Actes des apôtres et dans l’épître aux Galates (ch. 1 et 2), défend de résoudre cette question avec une entière certitude.

Quoi qu’il en soit, des relations intimes de ces frères avec Jésus et leur réunion avec lui dans un même cercle de famille, doivent aussi être acceptées par ceux qui ne les tiennent pas pour des enfants de Joseph. Ce fut une chose bien pénible pour le Seigneur que cette incrédulité, non seulement de sa ville natale, mais de ses frères.

Ces peines secrètes sur une petite échelle au milieu de frères qui ne le comprenaient point, le préparèrent aux grandes douleurs qu’il devait accepter dans la suite. Mais sa mère avait un cœur fait pour comprendre ce développement secret dans une sainte obscurité, cette croissance en sagesse qui n’avait point de folie à vaincre. Obéir à son père et l’assister dans son métier, fut la joie de sa jeunesse. Les habitants de Nazareth, avec leur courte vue, ne le connaissaient que par le côté extérieur de cette humble soumission ; aussi l’appelaient-ils non seulement le fils du charpentier, mais aussi le charpentier (Marc 6.3). Ils ne comprenaient pas, qu’en obéissant à ses parents, il apprenait à servir, et qu’en supportant patiemment ses frères, il s’exerçait à porter l’infirmité humaine. Ce fut là la haute école de celui qui n’était le disciple d’aucun rabbi humain, et qui malgré cela connaissait l’Ecriture comme nul rabbin ne la connaissait.

Des hommes à l’esprit faussé se sont maintes fois enquis des sources de sa culture, et ont cru les trouver en Egypte, ou dans l’Orient, ou chez les sages de la Grèce. Mais jamais on ne les trouvera là, quelque nombreux qu’aient été les pèlerins des trois parties du monde, qui, venus aux grandes fêtes de Jérusalem, pouvaient s’offrir à ses regards. En dépit du témoignage des évangiles, on a voulu faire de Jésus un disciple des rabbins, sans réfléchir à la différence radicale entre leurs opinions et sa sainte vérité. On a aussi pensé aux esséniens, sans porter en compte leur esprit de caste monacal, et les erreurs fondamentales qui altèrent leur doctrine malgré certains traits aimables. Mais ne sentons-nous pas qu’il est absurde de s’enquérir des sources de la culture spirituelle de Jésus ? Cela ne revient-il pas à expliquer l’esprit le plus élevé par la source des influences des petits esprits, et à assigner à l’esprit d’en haut les lieux terrestres, où il a dû puiser sa lumière ? Dans cette matière, il ne s’agit pas de tel ou tel savoir humain, sur lequel s’appuie telle ou telle autre science ; au contraire, tout se concentre dans le témoignage de cette seule chose nécessaire : Dans quelle relation l’homme est-il avec son Dieu, et par quel moyen sera-t-il réconcilié avec le Dieu saint ? Ce que Dieu a préparé en Christ à ceux qui l’aiment, ce sont des choses que l’œil n’a point vues, que l’oreille n’a point entendues, et qui n’étaient point venues dans l’esprit de l’homme. Naturellement, il apprit comme enfant ce qu’il devait apprendre, pour lire ensuite, avec l’illumination du Saint-Esprit qui était en lui, dans le livre de la création et dans le cœur des hommes qui l’entouraient, et parmi lesquels sa pieuse mère occupe le premier rang. En même temps, il méditait les Ecritures, et, pardessus tout, il trouvait sa vie dans la communion immédiate avec son Père.

C’est à ces sources de sa connaissance que nous sommes amenés par le contenu de l’Evangile. Partout nous voyons cette observation primitive, ingénieuse, aimante, par laquelle il considérait les lis des champs et les oiseaux du ciel, en même temps qu’il faisait attention à la vie du peuple : Comment les enfants jouent-ils sur la place publique ? Combien paye-t-on les passereaux ? Comment le semeur, la boulangère, l’économe infidèle s’y prennent-ils ? Que recherche le monde, et de quel prix son œuvre est-elle aux yeux de Dieu ? Quelle relation y a-t-il entre les choses terrestres et les choses célestes, entre ce qui est temporel et ce qui est éternel ? Il ne ressemble en rien aux sages de ce monde ; mais il contemple le centre de la vie à la lumière de Dieu.

De là vient qu’en Israélite parfait, il a parlé pour son temps dans la langue de son peuple, en sorte qu’à mesure que nous approfondissons l’Ancien Testament, nous sommes plus étonnés de voir à quel point ses pensées et ses discours y sont enracinés et ne nous deviennent pleinement intelligibles qu’alors que nous les comparons avec ces antiques révélations. Quand, par exemple, Jésus s’appelle l’époux ou bien le berger des brebis, ces similitudes sont frappantes par elles-mêmes, mais leur signification complète ne se révèle à nous que quand nous arrivons à reconnaître que ce sont des désignations que Dieu lui-même s’est appliquées de toute ancienneté dans la Parole prophétique, et par le moyen desquelles le Fils a rendu ce témoignage qu’il est l’époux céleste venu en chair, le véritable David, dans la personne duquel Dieu lui-même est venu paître son peuple.

C’est ainsi qu’il lit l’Ancien Testament comme lui seul peut le lire. Il y a reconnu sa nature éternelle ; il a reconnu que toute l’Ecriture rend témoignage de lui (Jean 5.39, 46) ; que Moïse et les prophètes ont annoncé sa venue et son œuvre ; il sait qu’il a été envoyé pour tout accomplir. Il sait donc aussi expliquer l’Ecriture comme nul homme ne peut le faire. Par le moyen de la loi de Moïse, il réunit les lois fondamentales de l’amour de Dieu et du prochain, séparées jusqu’alors ; par le nom que le Dieu d’Abraham se donne, il démontre la vie immortelle des trépassés ; il sait nous expliquer de quelle manière le sabbat est vraiment observé dans l’esprit du Père qui agit sans relâche ; en vrai père de famille il tire du trésor de l’Ancien Testament des choses vieilles et des choses nouvelles. Dans sa main tout est renouvelé et accompli, et nous en voyons le point culminant, alors qu’il va mourir. A ce moment, chacune de ses paroles nous montre à quel point il est rempli de la parole prophétique ; jusque sur la croix son âme se nourrit des psaumes.

C’est ainsi qu’il a montré jusqu’à la fin que ses pensées et ses paroles sont enracinées dans l’ancienne alliance ; mais en même temps elles se déploient abondamment et librement pour tous les temps. Si d’une part les paroles de Jésus ne peuvent être comprises dans leur plénitude qu’à l’aide de l’Ancien Testament, elles sont d’un autre côté pleinement accessibles à tous les hommes, ce qui n’est pas encore le cas de l’Ancien Testament. Jésus a parlé pour tous les temps parce qu’il a parlé pour l’éternité. Il a enseigné et il a expliqué l’Ecriture comme ayant autorité et non pas comme les scribes. Il était à même de parler comme un homme qui, par sa sainteté, avait accès à la vérité, et qui se sentait heureux dans la maison, dans la parole et dans la volonté de son Dieu. Il ne se bornait pas à lire, mais il priait sans cesse. Combien de fois Luc surtout nous raconte-t-il que Jésus passait des nuits entières en prière. C’était là son rafraîchissement quand il se sentait fatigué par les hommes ; c’était la source de sa force inépuisable ; c’est aussi par cette puissance qu’il accomplissait ses miracles : « Père, je sais que tu m’exauces toujours » (Jean 11.42). Qui d’entre nous pécheurs est capable de comprendre le mystère de cette sainte vie ?

Immédiatement après son baptême, nous le voyons soutenir un combat, qui achève de le préparer pour son ministère. Il remporte la victoire non pas au milieu du bruit du monde, mais dans la solitude du désert.

Mais Jésus fut conduit par l’Esprit dans le désert afin d’être tenté par le diable : c’est ainsi que commence le récit d’un événement, qui est unique dans son genre, et qui par ce motif ne peut pas être expliqué par un récit analogue. Ce combat se termina par une victoire d’une incomparable importance, victoire remportée par celui qui fut seul à fouler le pressoir. Constatons avant tout que ce fut l’Esprit qui mena Jésus dans le désert. Ce n’est pas seulement après avoir reçu cet Esprit, mais c’est parce qu’il l’avait reçu, qu’il dut incontinent soutenir cette rude épreuve.

Il venait d’entendre le témoignage céleste et il l’avait reçu dans son cœur. Son âme, inondée de cette plénitude divine, se disposait à accomplir un formidable labeur. Il s’était volontairement offert pour accomplir toute justice ; mais quelle tâche immense, que d’opérer réellement et pleinement cette œuvre au milieu de l’humanité déchue ! Il ne pouvait l’aborder qu’après s’être encore une fois recueilli dans la solitude devant son Père, pour peser tout le poids de cette œuvre, et pour combattre d’avance ce combat en esprit. Il nous montre par là que même la plénitude de l’Esprit ne confère à personne le droit d’aborder sans préparation une œuvre difficile en se fiant à l’inspiration du moment. Il se laisse tellement absorber par ce labeur de son esprit, qu’il oublie de manger et de boire, n’étant soutenu durant quarante jours que par cette puissance miraculeuse de Dieu, qui conserva la vie à Moïse sur le Sinaï et à Elie dans le désert.

Mais il n’est pas seul avec ses pensées en présence de son Père céleste, et ce ne sont pas seulement les animaux du désert qui, d’après le récit de Marc, l’entourent, comme autrefois ils entouraient le père du genre humain. Ce ne sont pas eux qui l’effrayent, mais il est assailli par l’ennemi de Dieu et des hommes. Ce tentateur et cet adversaire, qui voudrait le faire tomber dans le péché, le tente durant ces quarante jours, suivant Marc ; Matthieu nous raconte la triple attaque extraordinaire, qui eut lieu à la fin de ce laps de temps et Luc réunit les deux choses. Matthieu et Luc rapportent ces trois assauts dans un ordre différent, circonstance qui fortifie leur témoignage, en établissant l’indépendance réciproque des deux récits. L’ordre suivi par Luc a pour lui quelque chose de plus simple dans la succession des lieux, par le fait que la scène est d’abord dans le désert, puis sur la montagne, et qu’à la fin seulement le diable ose pénétrer dans la ville sainte. Il semble aussi que l’invitation de se précipiter du haut du temple, étant le piège le plus subtil et le plus dangereux, a droit à la dernière place. En effet, on pourrait dire que ce n’est que là que le déguisement de Satan en ange de lumière atteignit son point culminant ; c’est là que le tentateur entreprit de transformer en un piège ce service des anges auprès du Seigneur Jésus, en même temps qu’à l’aide de la Parole de Dieu habilement tordue, il entreprenait de l’assurer de leur protection. Malgré tout cela, l’ordre suivi par Matthieu a pour lui cette considération décisive, qu’après cette demande effrontée d’adoration, et après cette parole : Retire-toi de moi, Satan ! on ne peut se représenter qu’il y ait encore eu une attaque.

Si nous essayons de pénétrer plus avant dans la signification de cette étonnante histoire, nous rencontrons à son sujet, plus que pour aucune autre, un défaut d’entente réciproque. Il en est ainsi parce que beaucoup de chrétiens éprouvent un certain éloignement pour la doctrine scripturaire du prince de ce monde, et parce qu’en effet nous ne sommes pas complètement fixés touchant la manière dont nous avons à nous représenter son mode d’action.

Pour ce qui est du premier point, je me borne à dire que, si d’une manière générale nous croyons à la révélation, qui seule nous donne des renseignements certains sur le monde surnaturel des esprits, nous ne sommes nullement fondés à la contredire, quand elle affirme que, parmi ces esprits créés, il y a aussi des esprits déchus, qui sont tombés d’autant plus bas qu’ils étaient plus excellemment doués. Dieu a permis que ces esprits pussent tenter les hommes, et l’Ecriture nous enseigne que le prince de ces esprits rebelles, qui est le meurtrier et le menteur dès le commencement, l’ennemi de Dieu, l’accusateur et l’adversaire des hommes, a réussi dans cette tentation, sans que ceux qu’il a attaqués s’aperçussent aussitôt à qui ils avaient affaire, et sans qu’il leur fût permis de faire retomber sur Satan la responsabilité de leur péché. C’est qu’en effet il ne peut faire autre chose que d’enflammer l’amorce, qui est dans le cœur de l’homme, et celui-ci alors même qu’il est soumis à son empire, ne lui est pas abandonné sans la possibilité d’une résistance. Un nègre demanda un jour à un missionnaire, qui lui parlait du diable : Pourquoi Dieu ne tue-t-il pas le diable ? et cette objection puérile a été répétée par des hommes savants, qui pensaient énoncer par là un grave motif pour contester l’existence du diable. Mais alors ne serions-nous pas fondés à demander pourquoi Dieu laisse subsister une heure seulement un seul scélérat d’entre les hommes ? Si malgré cela Dieu le fait dans son insondable sagesse, n’adorerons-nous pas cette sagesse et cette grâce admirable, en vertu de laquelle il permet à Satan d’exercer durant des siècles sa malice, dans les limites tracées par son conseil éternel ? C’est ainsi qu’il emploie le diable comme un exécuteur de ses jugements, à la fois pour punir et pour purifier les hommes, et que cet ennemi se transforme en un serviteur contraint de servir Dieu contre sa propre volonté et contre ses intérêts. En effet, s’il est un esprit rusé il n’est point un esprit sage, mais au contraire un esprit aveuglé par sa malice. Après que son pouvoir, à la fois orgueilleux et illusoire, aura été complètement confondu dans son impuissance, il ira aux peines éternelles préparées au diable et à ses anges, et il en sera de même des hommes qui auront refusé de profiter de la rédemption de Jésus-Christ, pour être délivrés de la puissance des ténèbres.

Voilà ce qu’enseigne le Seigneur Jésus touchant Satan et son royaume. Si nous respectons sa parole, si nous réfléchissons combien il importe à la gloire du Fils de Pieu et à la signification de son œuvre pour le monde entier, que nous croyions qu’il a paru pour détruire les œuvres du diable, nous ne nous tiendrons pas pour autorisés à amoindrir arbitrairement cette doctrine. Evidemment la défaveur qui s’y attache provient en grande partie des additions par lesquelles on l’a défigurée, soit qu’on ait fait de cet esprit créé et déchu un antidieu possédant à peu de chose près la toute-science et la toute-puissance et s’opposant à Dieu seul tout-puissant, soit qu’on le représentât avec des formes hideuses et grotesques, et qu’on cherchât à justifier indûment par la Bible les tristes aberrations des procès des sorcières.

Ces aberrations sont jugées, mais l’Ecriture reste debout et ce qu’elle révèle touchant l’esprit malin atteint son point culminant dans l’attaque du tentateur contre le Fils de Dieu, chef de l’humanité. Celui qui avait séduit le premier Adam dut aussi essayer de faire tomber le second Adam, qui menaçait de lui ravir la victoire. Celui-ci dut soutenir un combat bien plus rude que le premier parce qu’il devait non seulement résister à la séduction du tentateur, mais aussi surmonter tout le péché déjà existant de l’humanité.

Si nous croyons en Christ et que nous acceptions le témoignage de la révélation touchant l’adversaire de Dieu et des hommes, nous ne pouvons reconnaître dans ce récit de la tentation qu’un fait réel, ayant sa place nécessaire au début du ministère du Rédempteur. Ce fait, les disciples ne pouvaient le connaître que par la bouche du Maître. Aucune syllabe de ce récit ne nous indique ici que le tentateur se soit servi, selon son habitude, d’instruments humains, en sorte que la question pour nous est de savoir comment nous avons à nous représenter Satan apparaissant corporellement.

A la première vue, il semble hors de doute que cet esprit déchu apparut, aussi bien que les saints anges, sous une forme visible, et nous sommes fondés à demander si sa corporéité est plus difficile à concevoir que son être spirituel. A ceux qui trouvent inconcevable qu’il ait été accordé à l’ennemi une puissance sur le corps du Seigneur, en vertu de laquelle il put le transporter au loin, nous demanderons s’il est moins étrange que Satan ait pu produire dans l’âme du Seigneur des images comme celles du temple et la vue du haut de la montagne. Au surplus, on peut simplement admettre que Jésus se soit rendu avec son lugubre compagnon dans la ville et sur la montagne.

Mais évidemment cette vision, qui embrasse tous les royaumes du monde et leur gloire, dépasse la vue des yeux du corps. Où donc trouverait-on la montagne, du haut de laquelle on pourrait à la lettre contempler tout cela ? Il est manifeste qu’en cette circonstance le regard de l’œil extérieur contemplant la contrée du haut d’une montagne réelle, ne devient une tentation qu’alors que la beauté de cette image extérieure produit dans l’âme une impression de l’excellence du monde entier avec tous ses trésors.

Que dirai-je ? Nous n’avons l’expérience personnelle, ni de l’apparition corporelle du tentateur, ni de l’art qu’il faudrait lui attribuer de produire dans l’âme une série d’images. Mais ce que nous retenons nécessairement c’est qu’aucune de ces images ne fut produite dans l’âme du Seigneur par sa propre imagination ou sa réflexion personnelle, et que sa volonté n’accéda en aucune manière à ces suggestions, bien que dans sa ressemblance avec les hommes il sentît comment la séduction cherchait à pénétrer en lui.

Satan rattache sa première tentation au besoin le plus direct, qui est la faim. C’est en mangeant le fruit défendu qu’Adam est tombé dans le péché ; c’est en murmurant au sujet de la nourriture et du breuvage qu’Israël pécha dans le désert. Le tentateur essaye de tourner en piège ce besoin du corps, en disant à Jésus : « Si tu es le Fils de Dieu, dis que ces pierres deviennent du pain. » Mais où donc est ici la tentation ? Nous la remarquons à peine, et il importe que nous en retirions ce sérieux avertissement, que la séduction peut se cacher sous une chose en apparence innocente. En effet, on pourrait demander quel mal il y aurait eu à faire ce miracle, puisque Jésus en avait le pouvoir. Il faut un œil bien éveillé pour discerner le mal caché dans cette suggestion ; mais ce regard attentif nous devons l’avoir, et personne n’est justifié de s’être laissé aller au péché, par le fait qu’il ne s’est pas aperçu du mal. Le Seigneur possède ce regard de l’esprit ; il reconnaît le mal et ne se laisse pas tromper par ce qu’il peut y avoir d’attrayant dans l’invitation qui lui est adressée. Il y a en effet une tentation pour celui qui endure le besoin et la privation, et celui qui était sans péché n’était pas dans le cas, par son propre fait, de souffrir la faim ou telle autre des privations qui sont le fruit du péché. Mais le Seigneur, qui était venu pour accomplir toute justice, comprend qu’il ne doit pas, par l’emploi arbitraire de sa puissance miraculeuse, chercher à satisfaire un besoin ni se procurer la nourriture qui entretient la vie du corps, car ce serait là une fausse imitation de Moïse, un miracle opéré au service de l’égoïsme et des appétits charnels et non pas seulement au service de la charité miséricordieuse.

C’est dans cet esprit de renoncement qu’il défait l’adversaire par une parole de l’Ecriture empruntée à cette révélation qu’Israël avait reçue au terme de sa marche à travers le désert ; c’est dans le même livre que Jésus puise les deux autres passages, par le moyen desquels il repousse la seconde et la troisième tentation. Cela nous montre comment le Seigneur, dans ces quarante jours qu’il passa au désert, traversa en esprit ces quarante années que dura le voyage d’Israël dans le désert. Il combat humblement et dans l’obéissance de la foi avec cette épée de l’esprit donnée au peuple d’Israël, qui est le fils collectif de Dieu.

L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de chaque parole qui sort de la bouche de Dieu. En effet, ce n’est pas seulement par la nourriture ordinaire, mais c’est par toute parole de puissance prononcée par le Créateur que l’homme entretient sa vie. C’est là ce qui avait été dit à Israël, et cette vérité fut confirmée durant quarante années, par le fait, que l’Eternel, par sa toute-puissante parole, donnait à ce peuple la manne pour nourriture au lieu du pain qui lui faisait défaut. Pour Israël cette manne n’était pas simplement un aliment, mais aussi un signe qui proclamait que ce qui proprement nourrit dans tout aliment ce n’est point la créature mais la Parole de Dieu, qui dépose la vertu nutritive dans cet aliment. Si Israël devait apprendre par la manne à ne pas se confier, pour la conservation de sa vie, à la créature, mais à la puissance créatrice de Dieu, combien plus est-ce à nous à reconnaître que Jésus attache à cette grande parole une plus haute signification que ne serait celle-ci : « Dieu peut remplacer pour moi le pain par la manne. » Il veut plutôt dire : « Qu’ai-je à faire, sinon de me confier à la puissance de Dieu, qui m’a conservé jusqu’ici ? Comment pourrais-je chercher ma nourriture par ma propre volonté et pour ma jouissance, sans Dieu et sans une parole de sa bouche ? » Cette nourriture, après tout, n’entretiendrait que la vie corporelle et non pas l’homme intérieur, qui ne vit qu’en Dieu.

C’est ainsi qu’il use des paroles de l’Ecriture. Lui, qui, comme nul autre, serait en état de prononcer de sa propre autorité une parole de Dieu, préfère recourir, ici et partout où cela est possible, à la parole de Dieu de l’Ancien Testament. Il prend ses armes dans le saint arsenal de son Père pour nous apprendre à les manier à notre tour ; il est le père de famille qui tire de son trésor inépuisable des choses vieilles qui deviennent nouvelles pour lui, tant il se les approprie et tant il les comprend dans toute leur plénitude. Il dit au tentateur : « Je ne suis pas un fils de Dieu qui veuille faire des miracles égoïstes ; je ne serais pas le Fils de Dieu si je demandais cela ; je me confie à mon Père, qui saura bien me conserver ; en lui j’ai la vie, et cette vie je la perdrais si je cherchais la nourriture du corps en dehors de l’ordre établi par lui. » Par contre, lorsque dans la suite il s’agissait de guérir les malades ou d’apaiser un besoin, il a nourri des milliers d’hommes en opérant ainsi, au service de la miséricorde, le miracle qu’il refusait d’accomplir au profit de l’égoïsme ; et alors même qu’aucune souffrance n’appelait son secours, il fit à Cana une chose semblable à celle qu’il avait refusée à Satan, pour faire découler la joie de la richesse de son amour. Par ce signe il disait : « Oui, je changerai le désert en un jardin, mais en son temps ; et le chemin pour y arriver est le renoncement à moi-même jusqu’à la mort. »

Le diable, repoussé une première fois, tente une seconde attaque : « Précipite-toi du haut du temple, car il est écrit : Il donnera charge de toi à ses anges, et ils te porteront sur leurs a mains, afin que ton pied ne heurte pas contre une pierre. Jette-toi en bas ! » Quelle suggestion téméraire et effrayante ! Quel contraste avec la tentation précédente ! Une telle œuvre ne pouvait rien offrir d’attrayant, et il semble aussi qu’on ne saurait être embarrassé pour trouver ici le mal. Le tentateur, au lieu de s’adresser à un besoin naturel, essayait-il de mettre en jeu l’attrait secret d’une chose épouvantable ? Parviendra-t-il à donner l’apparence d’un saint devoir à ce qui, de prime abord, apparaissait comme un acte téméraire ? La tentation est rusée et subtile : si tu ne veux pas opérer un miracle, mais qu’au contraire tu veuilles, dans ta puissante foi, attendre un miracle de la délivrance divine, voici une occasion. Laisse faire les anges commis au service des justes ; ta tâche est grande, que ta foi le soit aussi ; ose hardiment quelque chose pour le salut des hommes. C’est là le but que devait avoir cette descente miraculeuse, quand même le récit ne mentionne pas les spectateurs. Sans nul doute cet appel au secours de Dieu, dans un danger arbitrairement recherché, devait avoir un but ; ce but ne pouvait être la satisfaction personnelle de se targuer du secours de Dieu, mais au contraire l’intention d’amener le peuple à la foi par le moyen de l’étonnement et de la stupeur. Voilà une tentation qui a de quoi séduire Jésus : ne point faire un miracle mais au contraire l’attendre, non pas pour apaiser un besoin égoïste, mais au contraire pour faire du bien au peuple.

Le diable renforce son invitation au suprême degré par une parole sortie de la bouche de Dieu, et qui fait partie du psaume 91. Si la parole de Dieu elle-même peut être citée à l’appui d’une entreprise, qu’y aurait-il donc à objecter ?

Le Seigneur Jésus nous montre qu’en effet il y a quelque chose à objecter. Il y a à se demander si l’on use de la parole de vérité selon la vérité, en s’y soumettant humblement, complètement par la foi, ou bien s’il y a ici un tentateur qui, pour arriver à ses fins, arrache une parole à la liaison dans laquelle elle se trouve et la tord hypocritement. Et c’est là ce que le diable a fait en cette circonstance ; il a tordu le sens de ce psaume avec un art fréquemment employé, et qui continue à l’être pour confirmer toutes les erreurs et tous les péchés. Que la parole est grande et glorieuse quand on l’emploie de la véritable manière, sans rien en retrancher. Or, il est dit dans le psaume : « Afin qu’ils te gardent dans toutes tes voies. » C’est par ruse que le tentateur omet ces paroles « dans toutes tes voies » dans lesquelles tu dois marcher selon l’ordre de Dieu. Mais le Seigneur ne veut s’assurer en Dieu qu’en restant dans l’ordre de Dieu, et il renverse cette altération hypocrite de la parole d’après ce grand principe : elle est aussi écrite, cette parole claire et intelligible, qui est une lumière, et par le moyen de laquelle j’interprète cette autre parole dont tu voudrais fausser l’application. Jésus sait que celui-là seul qui garde le commandement de Dieu est autorisé à s’assurer sur les promesses de Dieu ; or, le commandement sur lequel il se fonde comme sur un rocher, et dont il ne se détourne ni à droite ni à gauche, c’est cette simple parole : « Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu. »

Tenter Dieu c’est le contraire de chercher Dieu par la prière, de la foi. Celui qui reste dans le péché tente de s’assurer jusqu’à quel point sa désobéissance restera impunie. Celui-là surtout ose tenter le Dieu saint, qui, par l’excès de son péché, provoque ses jugements. Mais le péché est particulièrement audacieux, lorsque, sous le masque d’une puissante foi, qui n’est au fond que de l’incrédulité, se cache un orgueil téméraire, qui compte d’une manière fataliste sur son étoile. C’est alors que la présomption, qui s’imagine pouvoir contraindre Dieu à servir l’orgueil d’un fanatique, prend les dehors d’une sainte confiance.

C’est à cette séduction que le Seigneur oppose une parole décisive. Il avait été dit au peuple d’Israël : Vous ne tenterez pas le Seigneur votre Dieu. Il l’emploie au singulier, comme étant dit à lui-même : tu ne tenteras pas, voilà ce que Dieu me dit et je m’y attache. Cette humble défensive se transforme en une irrésistible offensive vis-à-vis de Satan : Tu vas renoncer à la mauvaise action que tu es en train d’accomplir ; tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu. C’est ainsi qu’il a vaincu Satan, et à ce moment fut accomplie la parole qui, dans le psaume, suit immédiatement celle que Satan avait tordue : Tu marcheras sur le lion et sur l’aspic ; tu fouleras le lionceau et le dragon (Psaumes 91.13).

Quand plus tard Jésus se trouvait en danger dans l’accomplissement de son ministère, quand on voulait le précipiter du rocher de Nazareth ou le lapider dans le parvis du temple, ou bien quand il était nécessaire de sauver les disciples au milieu de la tempête : alors il se confiait à la protection des anges. Après avoir caché, autant qu’il dépendait de lui, ses miracles salutaires, ce Fils de David, qui n’avait pas voulu conquérir les acclamations de la foule en se précipitant du haut du temple, consentit à ce que le peuple lui criât : Hosanna ! lorsqu’il fit son entrée à Jérusalem, étant monté sur le poulain d’une ânesse.

Satan, repoussé pour la seconde fois, tente un assaut suprême, dans lequel il se pose comme le dieu de ce monde (2 Corinthiens 4.4). Du sommet d’une haute montagne il montre à Jésus en un moment (Luc 4.5) les royaumes du monde et leur gloire ; il déploie devant lui une perspective plutôt spirituelle qu’extérieure de tous les pays et de tous les empires ; il fait miroiter à ses yeux, non seulement le succès au milieu d’Israël, mais la domination d’un monde immense, en lui disant : Cette puissance m’a été donnée, et je la donne à qui je veux ; si donc tu te prosternes devant moi, toutes ces choses seront à toi. Il faut qu’il confesse que cette puissance lui a été donnée ; il n’ose point parler en Antidieu autonome ; il ne peut pas même revendiquer un seul grain de poussière du monde réel, comme étant sa propriété absolue, dont il pourrait disposer avec une liberté illimitée. Cette confession toutefois n’empêche pas sa suggestion d’être d’une témérité qui frise la démence. Comment pouvait-il espérer d’atteindre son but ? Mais parmi les hommes aussi, de quel espoir ne se berce pas le malfaiteur téméraire, parvenu au comble de son illusion ? Et puis, après que le Seigneur Jésus eut à deux reprises refusé de faire un miracle, l’adversaire pouvait être incertain touchant sa personne, et tenter ainsi un assaut suprême et décisif.

Dans le deuxième psaume, l’Eternel dit à son Oint : Tu es mon fils, je t’ai engendré aujourd’hui ; parole semblable à celle que le Père avait fait entendre lors du baptême de Jésus. Ensuite l’Eternel dit dans le même psaume : Demande-moi, et je te donnerai pour héritage les nations, et pour ta possession les bouts de la terre. Voilà ce que Satan veut étaler devant le Seigneur Jésus ; il veut singer Dieu par cette offre : Accepte-le de moi, qui suis le souverain pouvant disposer de ces choses selon son bon plaisir ; les nations me rendent hommage (1 Corinthiens 10.20) ; accepte donc et remercie-moi de mon assistance.

Satan joue son va-tout et il perd la partie. Sa malice tourne à la folie ; en se démasquant il se perd. Dès qu’il s’agit d’adoration, la décision ne saurait être ajournée ; aussi le Seigneur ne se borne-t-il pas à surmonter la tentation, mais il repousse le tentateur lui-même par cette parole : Arrière de moi, Satan ! Une demi-mesure est inadmissible ; il faut une décision radicale. Sans doute le royaume doit appartenir au Seigneur pour toute l’éternité, mais il ne doit point le conquérir en s’alliant au prince des ténèbres, car le règne véritable, Jésus ne peut l’obtenir que par des moyens purs et saints, dans la voie de la croix et du renoncement. Cet esprit qui ose lui promettre la puissance et la gloire, sans souffrance à traverser, Jésus le repousse en lui disant : Retire-toi de moi, car il est écrit : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu le serviras lui seul.

Voilà la triple tentation dont le Seigneur a subi l’épreuve ; c’est la séduction de la jouissance de l’honneur et de la possession du monde, séduction qui s’adresse de mille manières à chaque homme. Cette tentation était de nature à produire un grand effet sur le Messie d’Israël et le Rédempteur de l’humanité, et elle était bien plus difficile à vaincre que l’épreuve facile du premier Adam. En effet, les espérances charnelles profondément enracinées en Israël ajoutaient une immense difficulté à sa tâche. Elles étaient faites pour séduire un esprit qui n’aurait pas été complètement pur, en donnant l’apparence d’une condescendance miséricordieuse même à ce que le tentateur proposait de pire. Le peuple étant ce qu’il est, ne faut-il pas que, pour le sauver, je recoure à des moyens que, sans cette considération, je repousserais ? Voilà comment la tentation pouvait arriver jusqu’à lui ; il pouvait être porté à fonder son royaume en s’aidant soi-même d’une manière égoïste, en se prévalant témérairement de la protection miraculeuse de Dieu et en s’emparant de la domination par des moyens impurs et sans crucifixion de la chair.

Le Seigneur pouvait donc être tenté, parce qu’il était devenu homme ; c’est comme homme qu’il a vaincu, et parce que ce n’est pas seulement pour sa personne qu’il a remporté la victoire, il a accompli une œuvre de salut. Le prince de la vie, en terrassant le prince des ténèbres, a été victorieux au profit de tous ses membres. Car nous aussi nous sommes tentés ; à nous aussi incombe le renoncement, la confiance en Dieu dans les voies de Dieu et une séparation radicale d’un monde ennemi de Dieu, et tout cela implique la crucifixion du vieil homme. A nous aussi la victoire du Seigneur est donnée comme exemple et sa parole comme arme. Son secours nous est offert comme étant notre force, et nous avons la promesse que Celui qui a vaincu pour nous, vaincra aussi en nous.

Après que le diable eut achevé toute la tentation, il se retira du Seigneur pour un temps. Luc veut dire par ces paroles, qui terminent son récit, que le diable se retira de Jésus jusqu’au moment où il tenta l’attaque suprême, lors de la passion du Seigneur. C’est alors que le prince de ce monde vint de nouveau, mais pour son propre jugement, car il ne trouva en Jésus rien qui eût de l’affinité avec les ténèbres ; le Seigneur ne lui donna aucune prise sur lui (Jean 14.30). Ces deux attaques principales, le Seigneur les a essuyées au commencement et à la fin de son ministère terrestre ; ce fut d’abord la tentation par tous les attraits de ce monde, et finalement la tentation plus rude par toutes les terreurs de la mort. Entre ces deux limites de sa vie publique, il fut tenté en toutes choses, comme nous, mais sans péché (Hébreux 4.15).

Sans péché ! voilà sa victoire. Mais s’il n’avait pas été victorieux ? Notre vie s’appuie tellement sur sa victoire, et sans elle notre foi et notre espérance subiraient une ruine tellement complète, que nous ne sommes même pas capables de plonger du regard dans l’abîme que sa défaite eût creusé sous nos pas. Notre ancre de salut, c’est que le Seigneur a reconnu Satan et qu’il l’a repoussé par l’épée de l’esprit. Cette victoire décida sa voie, comme la défaite du premier père du genre humain amena une détermination en sens contraire. Il y a des points desquels dépend une décision immense.

Il a vaincu et désormais les démons le connaissent. Il a vaincu et les anges le servent et le restaurent. Non seulement cela, mais d’après la parole du Seigneur dite à Nathanaël, ils montent et descendent désormais sur le Fils de l’homme, ainsi que Jacob le vit en songe ; le ciel est constamment ouvert au-dessus de lui. Où est Jésus, là est le vrai Béthel, là est la porte du ciel, là est le saint tabernacle de son corps, dans lequel la gloire de Dieu habite parmi les hommes. Or là où il est, là doivent aussi être ses serviteurs, et à celui qui vaincra il lui donnera de s’asseoir avec lui sur le trône de la gloire. Que celui qui a des oreilles écoute ce que l’Esprit dit aux Eglises.

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