De l’essence du Christianisme

14. De l’amour, et de son rapport à la foi.

« Un chrétien ne vit pas en lui-même, mais en Christ, et dans son prochain ; en Christ par la foi, et dans son prochain par l’amour. » C’est ainsi que Luther, pénétré de l’esprit apostolique, conçoit l’essence du christianisme subjectif, signalant par là, en même temps que la primitivité de la foi, son inséparable alliance avec l’amour.

On s’est si éloigné, de nos jours, de ce point de vue, le seul véritablement évangélique, qu’on ne le connaît plus, et qu’on va même jusqu’à l’attaquer. A la place de la foi, que la Bible et la nature de la chose elle-même nous obligent à regarder comme l’organe fondamental du christianisme, on veut mettre l’amour. Et même l’un des plus récents et des plus implacables ennemis de l’Évangile et de la foi, non content de vouloir ainsi substituer un principe à l’autre, soutient qu’ils s’excluent nécessairement, la foi étant par nature destituée d’amour, et l’amour étant incrédule par essence. Ces opinions aujourd’hui très répandues, et que l’on s’efforce, en les adoucissant, de mettre à la base de notre réorganisation ecclésiastique, nous obligent à les examiner attentivement, et à exposer avec plus de profondeur le rapport qui existe entre la foi et l’amour.

Nous sommes profondément convaincus que nous caractérisons avec vérité la nature du christianisme subjectif, en avançant que la foi et l’amour sont tellement inséparables, qu’il ne peut exister un amour véritable sans foi, ni une vraie foi sans amour. A leur origine, comme dans leur plein développement, ces deux éléments se supposent l’un l’autre et se servent de mutuel appui, de telle façon pourtant que la foi surtout a pour mission de fonder, et l’amour, de développer la vie nouvelle, la foi étant comme la racine et la sève intime de l’amour, et l’amour, comme la floraison et le fruit de la foi. Mais essayons de prouver la vérité de cette appréciation.

Si le contraire de l’amour consiste à tout rapporter à soi-même, à se renfermer dans le culte de son moi, à se chercher sans cesse, et à exploiter les autres au point de vue de son intérêt exclusif, l’amour aura pour principe et pour essence de faire sortir l’homme de lui-même et de le porter à se dévouer aux autres, pour les compléter ou pour les enrichir ; en un mot, de le faire vivre en autrui en s’oubliant lui-même. L’amour n’existe qu’entre des êtres appelés à une vie et à une société morales ; il suit de là que la personnalité elle-même constitue son objet propre comme aussi son don suprême, et que son but final et dernier est encore le bonheur moral et éternel de la personnalité aimée, au moyen de cette communion intime des personnes qui fait le plus efficacement avancer leur vie morale, sans nuire à leur liberté et sans détruire leur caractère individuel. L’amour embrasse sans doute dans ses tendres sollicitudes la vie naturelle et le bien extérieur de la personne à laquelle il se consacre, mais la vie intérieure avec son élément éternel forme par excellence son véritable objet. Il ne néglige pas les moyens extérieurs de secours et de progrès, mais ce qui fait leur prix, c’est le cœur, c’est la vie, c’est la personne qui s’offrent et qui se donnent en eux. Sans doute, enfin, il fonde aussi une société visible, extérieure, mais il est surtout le lien de la perfection dans l’alliance des âmes. Qu’est-ce donc que l’amour ? C’est le don de soi-même, sous la double forme de la sympathie la plus intime et de la communication la plus entière, don qui établit entre des êtres moraux l’union la plus libre et la plus vivante, et qui, s’étendant à toute la vie et la poussant sans cesse vers son but suprême, peut seul réaliser le royaume de Dieu dans l’humanité.

Ainsi compris, nous accordons volontiers que l’amour est un élément fondamental du christianisme, et qu’il appartient inaliénablement à son essence. Dans ce sens éminent, on peut appeler l’Évangile la religion de l’amour. En effet, Jésus lui-même a résumé la loi et les prophètes dans le commandement de l’amour. Paul le considère comme le lien de la perfection. Jean trouve en lui le grand caractère de la filialité divine ; et l’on ne peut en général se représenter le royaume de Dieu fondé et prêché par la foi chrétienne que comme un règne d’amour.

Mais il y a plus. Dans la religion chrétienne, tout part de ce principe que Dieu est amour, l’amour infini et essentiellement saint. A l’égard d’une race pécheresse, ce saint amour ne peut se révéler que plein de condescendance et de grâce, heureux de s’offrir et de se communiquer à ceux qui se sont égarés loin de Dieu, pour les relever et les sanctifier. Dans ce sens, c’est l’amour miséricordieux du Saint des saints qui décrète de toute éternité la rédemption des hommes, et c’est l’amour si condescendant, si humble et si dévoué du Fils pour les pécheurs qui accomplit dans le temps ce décret éternel du Père. Or, voilà le point capital et caractéristique qui brille en traits ineffaçables dans les origines du christianisme, car Jésus est toujours et partout l’amour qui s’empresse auprès des inférieurs et des opprimés, qui se dévoue au service des petits, qui cherche ceux qui sont perdus, qui vient en aide à ceux qui souffrent et dans leur corps et dans leur âme, qui appelle les pécheurs à la repentance et à la foi ; il est, en un mot, l’amour miséricordieux en action. Et sous ce rapport, le christianisme est sans égal et sans rival ; car cette charité compatissante n’est pas une vertu antique. Le monde grec, à l’apogée de sa culture, ne sait pas ce que c’est que de se donner soi-même avec dévouement et humilité ; et l’orgueil romain est aux antipodes de cette inspiration chrétienne. Il n’est pas un grand esprit de l’antiquité qui ait placé la véritable grandeur dans une libre condescendance et dans un abaissement volontaire ; le lavement des pieds d’un disciple ou d’un inférieur ne cadrera jamais avec le portrait d’aucun d’eux.

Le judaïsme était sans doute plus rapproché de cet amour ; mais quelques paroles du Seigneur, et en particulier la parabole du Samaritain, nous montrent combien il était nécessaire de briser, sur ce point, l’égoïsme et l’étroitesse nationale des Juifs.

Sur les traces de son fondateur qui converse avec des péagers et des gens de mauvaise vie, qui va de lieu en lieu pour faire du bien au peuple abandonné, et qui sanctifie par son propre exemple la douleur et la souffrance, le christianisme a fait, le premier, de l’amour miséricordieux, un service digne des hommes libres et puissants. Et pour le pratiquer, ce noble service, le premier il a passé par dessus toutes les limites de rang, de peuple et de religion, l’élevant ainsi à la hauteur d’une obligation humaine universelle.

Nous reconnaissons donc que l’amour est le cachet royal de la religion chrétienne, et nous proclamons que cette parole du Christ : « Je veux miséricorde, et non pas sacrifice, » restera comme l’une des plus fondamentales et des plus essentielles qui soient sorties de sa bouche divine. Mais tout ce que nous avons dit jusqu’à présent démontre qu’il ne peut exister sans la foi, sans une première confiance en Dieu et en sa charité suprême qui est la condition de toutes choses, aussi bien que la source et l’appui de notre propre charité. En général, tout amour renferme un élément de foi ; à plus forte raison ne pouvons-nous pas arriver à Celui qui est suprême et parfait sans la médiation de la foi. Ainsi le dit et le proclame la nature des choses.

Le même apôtre qui a dit : Dieu est amour, a dit aussi cette parole profondément significative : « En ceci consiste l’amour, non pas que nous ayons aimé Dieu les premiers, mais en ce qu’il nous a aimés le premier, et nous a envoyé son Fils pour la réconciliation de nos péchés. » Voilà pour nous le mot régulateur ; et celui qui en reconnaît la vérité doit avouer aussi que l’amour pur pour Dieu et pour l’homme, loin de pouvoir prendre la place de la foi, jaillit bien plutôt d’elle et de sa force vivante. En effet, s’il est indubitable que l’amour naît de l’amour, comme le feu du feu lui-même, il est évident que celui des créatures doit découler d’une source créatrice antérieure et supérieure, d’un amour primitif, infini, incréé, qui gouverne et qui maintient l’ordre naturel et l’ordre moral, et dont la vertu crée, conserve et vivifie toutes choses. Or ce n’est que par la foi que nous participons à cet amour primordial qui donne naissance au nôtre.

L’amour est ce qu’il y a de plus libre au monde ; il ne naît pas à la voix impérieuse du commandement, mais à celle de la liberté, par l’impression que fait son objet sur nous. Cette impression provoque l’affection ; elle nous persuade que la personne affectionnée complétera notre existence et notre vie ; elle élève et développe notre dévouement. Mais cet amour peut être encore mêlé d’égoïsme. Pour qu’il soit vraiment digne de son nom, il doit s’accroître non pas du bien que l’objet aimé nous fait, mais de tout ce qu’il est pour nous ; non pas de ses actions et de ses bienfaits, mais de sa personne et de ses sentiments. A cet effet, il faut que la personne s’ouvre et se communique ; et comme l’amour consiste à se donner librement soi-même, c’est l’amour qui provoque et qui enfante l’amour. Mais ce sentiment ne peut être ni vu ni prouvé. Les actions qu’il produit, les manifestations qu’il crée, frappent bien les yeux, mais lui-même qui les inspire et qui fait leur valeur et leur mérite, échappe à tout effort qui voudrait le saisir et le toucher ; il ne peut être vu que par une confiance morale, je veux dire, il ne peut être que cru. La foi est donc une condition inévitable de l’amour chrétien.

Il y a plus ; le christianisme et la parfaite moralité qu’il produit exigent que nous aimions non seulement tout ce qui est aimable, et tout ce qui nous perfectionne et nous complète, mais aussi ce qui nous est antipathique ou contraire ; notre affection doit s’étendre à ces personnes qui nous heurtent et qui nous repoussent, aux péagers et aux pécheurs, aux âmes abâtardies et à nos ennemis personnels. Dans ces cas où l’amour ne peut être inspiré par son objet, nous sommes bien obligés de le faire dériver d’une source supérieure, et cette source ne peut être ailleurs qu’en Dieu. Quand le cœur ne peut aimer de lui-même, il doit aimer du chef de Dieu. Et nous aimons du chef de Dieu lorsque, persuadés que chaque individu et que l’humanité ont reçu de Dieu la destination sublime de lui ressembler, cette conviction inspire à notre cœur une sympathie libre, énergique, secourable, qui loin de se détourner des plus faibles, des plus petits et des plus déshérités, les recherche avec ardeur pour les sauver. Nous aimons du chef de Dieu lorsque, sentant son pardon envers nous et au dedans de nous, nous pardonnons à nos ennemis, et nous nous efforçons de leur faire du bien. Nous aimons du chef de Dieu lorsque, accueillis par des cœurs froids et repliés, nous persévérons à offrir nos plus vives affections et ne laissons pas éteindre le feu sacré de notre charité. Ah ! c’est alors surtout que brille l’amour miséricordieux de l’Évangile, cet amour qui s’inspire non seulement de la foi en la haute destinée et en la ressemblance divine de l’homme, mais surtout de l’amour senti et de la grâce expérimentée d’un Dieu saint. Plus donc notre amour s’accroît, et plus il nous ramène à Dieu, sa source première ; par où il est évident qu’il se nourrit de la foi et qu’il n’est pas possible sans elle.

Beaucoup diront peut être : Mais ne peut-on pas aimer Dieu directement et simplement, sans l’intermédiaire de la foi ? Ce n’est qu’une illusion, répondrons-nous. Car ne faut-il pas, d’abord, que tout homme qui veut aller à Dieu croie que Dieu est, et qu’il se fait trouver à ceux qui le cherchent ! Ne faut-il pas ensuite, et surtout, que celui qui veut l’aimer véritablement soit certain aussi bien de sa parfaite amabilité que des témoignages infinis de son amour ! Voyez ce qui se passe dans le cercle de la vie humaine ! L’amour n’y est-il pas une association vivante fondée sur une ouverture réciproque, sur une communication mutuelle, sur le dévouement des personnalités ! A plus forte raison donc celui qui doit unir la créature à son Créateur exige-t-il que l’homme se donne à Dieu, et surtout que Dieu s’ouvre et se communique à l’homme, comme l’amour saint absolument digne de son affection. Car à Dieu appartient naturellement l’initiative ; à Dieu, le premier, de manifester son amour, et à l’homme, sa créature, de l’accepter et de le lui rendre en reconnaissance. Mais croyez-vous que l’homme fasse immédiatement de son Dieu l’objet seul digne de son amour ? et que de lui-même il puisse soudain l’aimer parfaitement ? Ah ! s’il en était ainsi, pourquoi se serait-il écoulé des milliers de siècles avant que ce grand mot : Dieu est amour, pût être prononcé ! Avant que l’on eût pleine conscience de l’accord absolu de la sainteté et de l’amour de Dieu ! Pourquoi, depuis que l’humanité a été dotée de ce grand mot et de cette lumineuse assurance, des hommes sans nombre, au sein des nations évangélisées, n’en savent-ils rien encore dans leur cœur, et n’en manifestent-ils rien dans leur vie ! On ne peut expliquer ce phénomène qu’en se disant que l’amour de Dieu est bien toujours là, devant nous, dans sa réalité positive et puissante, mais qu’il n’y est réellement pour nous que lorsque nous l’acceptons avec une pleine confiance, c’est-à-dire que nous le saisissons par le moyen de la loi. Et cette vérité s’applique aux révélations inférieures que Dieu nous fait de son amour dans la nature et dans la vie humaine, comme à cette démonstration suprême et parfaite en Christ qui doit finalement triompher de toutes les résistances de l’âme.

L’amour divin est sans contredit imprimé sur la nature, mais un voile l’y recouvre. On peut lui appliquer ce que disait un célèbre astronome : « J’ai sondé l’univers, et nulle part je n’y ai trouvé Dieu. » Le monde le cache en le manifestant. La création ne nous le révèle clairement que lorsque, en dehors de l’étude des phénomènes, nous en portons déjà la conscience dans notre âme, et que nous voyons le monde dans la lumière de Dieu. Sans cette lumière du cœur, nous nous heurtons contre beaucoup d’anomalies, et dans tous les cas nous y trouvons plutôt une intelligence incompréhensible et une puissance incommensurable qu’un amour infini.

Le monde moral, l’histoire et la vie humaine, nous fournissent une manifestation moins défectueuse de cet amour de Dieu, mais aussi des contradictions plus choquantes. A côté de ce naturaliste qui ne trouvait pas Dieu dans la création, on peut nommer de célèbres historiens qui ne le voient pas dans l’histoire, et qui sont plus enclins à croire à la domination d’un génie mauvais, qu’au sceptre d’un Père bon et puissant. Dans tous les cas, le pouvoir qui juge le monde, et la justice qui récompense ou qui punit, éclatent dans l’histoire bien plus que l’amour. Et si souvent une vie d’homme nous montre des traces plus sensibles du dernier, n’y a-t-il pas dans cette vie, comme dans les destins des peuples, des énigmes grandes et poignantes dont la solution, essayée par nos pensées contradictoires, nous éloigne peut-être plus souvent de l’idée d’un suprême amour, qu’elle ne nous en rapproche et ne nous l’atteste. Donc ici encore, dans le monde moral, l’expérience ne nous révèle pas mieux cette grande idée de l’amour de Dieu. Il nous la faut avoir préalablement dans l’âme et dans l’esprit, pour qu’elle transfigure à nos yeux la destinée des hommes et du monde, et nous débrouille leurs obscures complications.

Ainsi, l’ordre naturel et l’ordre moral nous ramènent à notre propre conscience. Mais la conscience elle-même, comment arrive-t-elle à l’aperception intérieure de l’amour de Dieu ? Par la foi, et par la foi seulement ; car cet amour qui ne se montre ni par l’emploi de la contrainte, ni par un contact immédiat, ne peut être saisi comme une réalité que par un acte de confiance morale. La riche et pleine idée de l’amour de Dieu a mis des siècles à se lever sur la conscience humaine, et depuis qu’elle verse sur elle sa lumière, elle n’a cessé d’avoir à lutter, pour se maintenir, contre l’hésitation et le doute. Il y a donc dans la conscience quelque ennemi secret et actif de cette idée et de sa certitude, et cet ennemi qui résiste à Dieu, qui nous sépare intérieurement de Lui, et qui nous obscurcit son image, c’est le péché et son père, l’égoïsme, ce contre-pied naturel de l’amour. La conscience de l’homme pécheur est absolument incapable d’enfanter d’elle-même la pensée de l’amour divin parfait, et de la maintenir ensuite avec une pleine confiance. Son Dieu est un être obscur, inconnu, étranger, ou si elle en a une idée claire, c’est le Dieu législateur et juge, mais non pas le Dieu de l’amour saint. La volonté de ce Dieu, loin de l’attirer par les charmes de la bonté ou de la grâce, ne lui inspire que du déplaisir et de l’effroi par ses terreurs ou par sa colère. Pour qu’il s’opère en elle cette révolution profonde qui substituera une claire et forte assurance de l’amour infini de Dieu à la crainte paralysante ou à la sombre terreur de son mystérieux pouvoir, il faut offrir à ses regards, à ses besoins et à ses sympathies, une révélation positive du saint amour de Dieu en des faits tout puissants qui la pénètrent, et sous la forme personnelle, de toutes les formes la plus propre à le manifester ; de cette façon vous briserez à la fois en elle la puissance de l’égoïsme et du péché, et vous y allumerez une nouvelle vie qui participera toujours plus à la nature divine.

Eh bien ! cette révélation suprême et positive du saint amour de Dieu, nous l’avons en Christ, le rédempteur. Ici ce n’est pas, comme dans la nature, un rayon brisé et voilé qui frappe notre esprit ; c’est l’amour lui-même en personne qui vient au devant de nous, en nous versant ses rayons les plus directs et les plus purs ; l’amour non pas obscurci par l’égoïsme et le péché, comme dans la sphère de la vie humaine, mais absolument pur, se donnant sans réserve, se sacrifiant sans partage, et nous témoignant déjà par cette nature même sa divinité ; l’amour d’une personne qui pouvait se dire une avec Dieu, car en effet les âmes réceptives sentaient qu’en elle habitait la plénitude de l’être divin. Il était impossible qu’en la présence du Christ ne jaillit pas au fond des cœurs une certitude absolue et triomphante de l’amour divin ; impossible que le disciple qui s’était le plus profondément uni à Lui ne prononçât pas le grand mot jusqu’alors inouï : Dieu est amour. Image substantielle et accomplie de l’amour créateur et miséricordieux de Dieu, Lui seul pouvait élever notre conscience au-dessus des atteintes de l’égoïsme, du péché et du doute ; nous témoigner que Dieu est plus grand que notre cœur ; chasser toute crainte ; transfigurer à nos yeux la nature et la destinée humaine ; et se répandant dans nos cœurs, nous faire tout voir à la lumière dont nous avons besoin pour résoudre l’énigme immense de l’existence. Aurions-nous pu le puiser, cet amour, riche et pur, soit dans la nature, soit dans l’histoire, soit dans la citerne crevassée de notre propre personne !

Ainsi le Christ est la révélation humaine et personnelle du saint et divin amour qui, par son énergie vivifiante et son caractère unique, peut transfigurer toutes choses et chacun de nous en particulier, mais à la condition que nous ne fermerons pas notre œil spirituel devant sa grande et céleste figure ; que nous laisserons agir sur notre âme la vertu de sa vie ; que nous saisirons la puissance aimante qui éclate dans toute sa personne, en nous donnant à Lui pleinement et sans réserve ; et qu’au moyen de l’esprit qui glorifie en nous son image et qui répand son amour dans nos cœurs, nous laisserons sa vertu divine y devenir le principe créateur d’une nouvelle vie. Or, que sont ensemble et cette contemplation du Christ, et ce dévouement à sa personne, et ce revêtement de sa vie, sinon tout juste la foi même ! Nous ne pouvons donc posséder l’amour véritable et complet de Dieu et de l’humanité que par la foi, et par cette foi qui admet dans la plénitude de sa pureté l’amour divin personnifié en Christ.

Tout en ramenant ainsi l’amour à la foi, gardons-nous de nous figurer que le rapport qui les unit soit un rapport de succession mécanique, car ils se pénètrent au contraire d’une pénétration organique. N’allons pas nous imaginer que la foi existe d’abord toute seule, et que l’amour ne naît que lorsqu’elle est parvenue à un certain état d’achèvement ou de perfection, car dans la foi naissante se trouve impliqué l’amour. Qu’est-ce, en effet, que la foi, dans la sphère de cette religion chrétienne qui lui a donné toute sa pureté ainsi que son indépendance ? N’est-ce pas l’assimilation du saint amour de Dieu manifesté en Christ ? et peut-on se représenter cette assimilation, à son début même, sans un mouvement sympathique de l’âme, sans une émotion d’amour ? Ce que nous disons de la foi à sa naissance est encore plus vrai de la foi développée ; car plus elle puise avec plénitude et profondeur à la source de la grâce, et plus aussi elle se pénètre d’amour et devient féconde en charité, pour ressembler toujours davantage à Dieu son objet et à Christ son modèle ; jusqu’à ce que parvenue à la perfection, elle produise cet amour qui se donne d’abord tout entier à Celui qui nous a aimés le premier, et puis aussi à tous les frères ; qui ne se réjouit pas de l’injustice, mais qui se réjouit de la vérité ; qui ne cherche point son intérêt ; qui ne s’aigrit point ; qui excuse tout, croit tout, espère tout, et supporte tout. Voilà les fruits que porte et que peut seul porter l’amour qui a la foi pour fondement ; tandis qu’un amour qui ne s’appuie que sur lui-même ou qui s’oppose à la foi, est sans cesse exposé au danger de ne chercher que son intérêt, de s’aigrir, de ne supporter que ce qui cadre avec ses sentiments, et de devenir par là même le contraire de ce qu’il doit être.

Ainsi la foi est la source de l’amour, et l’amour le couronnement et la plénitude vivante de la foi, de telle sorte que ces deux vertus sont inséparables, et qu’il est impossible de s’imaginer que l’une puisse aller sans l’autre. Cependant, comme c’est la foi qui détermine la plus intime position de l’homme à l’égard de Dieu, et qu’elle est l’organe par lequel nous nous assimilons les forces divines de la vie, nous la proclamons l’élément primitif, fondamental et créateur, tout en reconnaissant que l’amour n’est ni moins grand ni moins sublime, puisqu’il consomme la foi, puisqu’il l’élève à la plénitude de la vie, et qu’étant le lien de la perfection, il ne cessera jamais, tandis que la foi sera changée en vue.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant