Histoire des réfugiés protestants de France

LIVRE 7
Les réfugiés en Danemark, en Suède et en Russie

7.1 — Les réfugiés en Danemark

Mémoire de l’évêque de Séeland contre les réfugiés. — Édit de Christian V en 1681. — La reine Charlotte-Amélie. — Second édit de 1685. — Colonie de Copenhague. — Colonie d’Altona. — Colonies de Fridéricia et de Gluckstadt. — Les réfugiés militaires. — Ordonnance de Louis XIV. — Le comte de Roye — Marins réfugiés. — Progrès de l’agriculture en Danemark. — Introduction de la culture du tabac. — Économie rurale des planteurs de Fridéricia — Progrès de la navigation et du commerce. — Manufactures nouvelles. — influence littéraire des réfugiés. — La Placette. — Mallet. — Moralité des réfugiés. — - Exemples de charité. — État actuel de la colonie de Fridéricia. — État actuel des colonies de Copenhague et d’Altona.

Le Danemark, la Suède et la Russie étaient des contrées trop lointaines et trop pauvres pour attirer un grand nombre de réfugiés. La différence des cultes devait contribuer encore à détourner les calvinistes de France vers des pays où ils étaient assurés de trouver à la fois de plus grands avantages et un accueil meilleur. La confession d’Augsbourg adoptée dans le Danemark en 1530 y dominait exclusivement à la fin du dix-septième siècle, et la révolution de 1660, en concentrant tous les pouvoirs entre les mains du monarque, lui avait imposé l’obligation de ne rien changer à la religion de l’État. L’orthodoxie luthérienne repoussait alors la doctrine de Calvin comme une hérésie dangereuse. Lorsque les émigrés se répandirent dans le Brandebourg et que l’on agita la question de les attirer dans le Danemark pour y faire fleurir les manufactures, l’évêque de Séeland Bagger adressa au roi Christian V un mémoire pour l’effrayer sur les dangers auxquels il s’exposerait, en accordant à ces étrangers la libre entrée du royaumea. « Quand Dieu jugera à propos, dit-il à ce prince, de relever ce pauvre pays et d’en redresser les colonnes, je suis persuadé qu’il inspirera à Votre Majesté d’autres mesures que le mélange des religionsb. » Le prédicateur de la cour était animé des mêmes sentiments étroits et haineux. Il soutenait dans ses discours que le pouvoir des rois est d’origine divine, et ne reconnaît d’autre supérieur que Dieu dans l’ordre spirituel comme dans l’ordre temporel, qu’en conséquence il est de leur intérêt de maintenir la religion luthérienne qui se concilie aisément avec le gouvernement absolu, et de s’opposer à l’introduction du calvinisme fondé sur un principe opposé. Le traité d’alliance signé entre la France et le Danemark en 1682, et le subside mensuel de cinquante mille écus que Louis XIV payait à Christian V, devaient ajouter encore à la froideur que l’on s’efforçait d’inspirer à ce prince envers les réfugiés. Toutefois, dès l’an 1681, à la nouvelle des premières dragonnades et des enlèvements des enfants, le monarque danois s’émut et publia une déclaration par laquelle il s’engageait à protéger les fugitifs qui chercheraient un asile dans ses États, et à leur permettre de construire des temples, avec l’assurance qu’ils ne seraient jamais troublés dans l’exercice de leur religion. Il promettait en outre d’exempter les artisans du payement des droits d’entrée pour leurs meubles et pour les instruments servant à leurs métiers, et de les affranchir pour huit ans de toute imposition, pourvu qu’ils prêtassent le serment de fidélité et qu’ils consentissent à élever leurs enfants dans la religion luthérienne. Ils ne furent délivrés de cette dernière obligation qu’en 1685, grâce à l’intercession de Charlotte-Amélie, épouse de Christian V. Cette reine distinguée par les plus grandes vertus, et dont la mémoire est restée en vénération dans le Danemark, était fille de Guillaume VI, landgrave de Hesse, qui appartenait à la secte de Calvin, et nièce de la princesse de Tarente qui avait souffert elle-même en France pour la religion protestante. Elle entretenait des relations étroites avec le grand-électeur, son oncle, qui, plein de zèle pour les réfugiés, communiquait la vive sympathie qu’il éprouvait pour eux à tous les princes qui partageaient sa croyance. Aussi, malgré l’opposition du clergé luthérien et l’hostilité d’une partie de la population, les proscrits furent-ils généralement accueillis avec faveur. En 1685, le roi, sur les instances réitérées de la reine et sur les prières pressantes de l’électeur, donna un nouvel édit en leur faveur. Il s’engagea à recevoir tous ceux qui viendraient s’établir dans ses États. Il promit d’accorder aux gens de qualité et aux nobles les mêmes distinctions auxquelles ils avaient droit en France, de conférer aux militaires les mêmes grades qu’ils avaient eus dans l’armée française, de placer dans ses trabans et dans ses gardes les jeunes gentilshommes, de donner des maisons et de faire des avances à ceux qui voudraient créer des manufactures, avec des privilèges et des immunitésc. Cet édit communiqua une nouvelle impulsion au mouvement d’immigration en Danemark. Plusieurs des plus notables d’entre les réfugiés s’y étaient déjà retirés avant la révocation, et l’un d’eux, le comte de Roye, était devenu maréchal des troupes danoises. Une foule d’autres les y suivirent bientôt. Les relations commerciales que ce royaume entretenait avec la France auraient disposé sans doute plusieurs maisons de Bordeaux, de La Rochelle et de Nantes, à se transporter à Copenhague, si l’esprit d’intolérance n’avait traversé, par des lenteurs calculées, les sages mesures de la cour. Ces familles, enrichies par le négoce, que l’on eût dû se féliciter d’acquérir, allèrent porter en Angleterre et en Hollande des éléments de prospérité promis un instant au Danemark. Toutefois le nombre des réfugiés fut encore assez considérable pour qu’ils formassent à Copenhague une Église, dont le premier pasteur fut Ménard, fils de l’ancien prédicateur de Charenton, qui s’était fixé à La Haye, et que le prince d’Orange avait attaché à sa personne. Les États-Généraux de Hollande accordèrent un subside de mille florins pour les aider à construire un temple. La reine elle-même en posa la première pierre en 1688, et elle créa en outre un fonds dont elle destina les revenus à l’entretien des pasteurs. Pour donner plus d’éclat à cette première colonie française, elle entreprit d’y attirer un des plus célèbres orateurs de l’Église calviniste, Du Bosc, ancien pasteur de Caen. Le comte de Roye et le marquis de Laforest lui offrirent au nom de la reine de grands avantages pour lui-même et pour sa famille, s’il voulait consentir à s’établir à Copenhague. Il aima mieux accepter la chaire de l’église française de Rotterdam où s’était retirée la plus grande partie de son troupeau. La reine obtint du moins de Frédéric-Guillaume que Laplacette, de Pontac en Béarn, qui s’était fixé d’abord à Berlin et qui y avait été reçu avec une distinction conforme à son mérite, fût envoyé dans la capitale du Danemark, et elle le fit nommer ministre de l’église dont elle était la fondatrice. En 1699, elle y appela Théodore Blanc, qui avait exercé pendant six ans les fonctions de pasteur dans l’une des églises françaises de Londres. Mais elle ne fut pas toujours assez puissante pour défendre cette faible communauté contre l’inimitié persistante de l’évêque de Seeland et du prédicateur de la cour. Un édit publié en 1690, sur les instances de ces deux zélateurs, ordonna que les enfants nés de mariages mixtes seraient élevés dans la religion de l’État, et défendit expressément de sonner les cloches pour appeler les réformés au service divin.

a – Allen, Manuel de l’histoire de la patrie, pp. 490-491. En danois.

b – Catteau, Tableau des États danois, t. III, p. 28. Paris, 1802.

c – Manuscrits d’Antoine Court à la bibliothèque de Genève.

Une seconde colonie française fut fondée à Altona. Déjà en 1582 cette ville avait servi de lieu de retraite à une foule de Wallons que les cruautés du duc d’Albe avaient chassés des Pays-Bas. Au commencement du dix-septième siècle, le comte Ernest de Schaumbourg, souverain d’une partie du duché de Holstein, leur permit de bâtir un temple qui fut achevé en 1603 et dans lequel ils furent autorisés à exercer librement le culte calviniste. Cette communauté, composée de Hollandais, d’Allemands et de Français-Wallons, fut desservie dans le principe par des pasteurs qui prêchaient alternativement dans les trois langues. Mais le groupe français ayant été renforcé en 1686 par les réfugiés venus de France, il en résulta une séparation, et l’on constitua deux communautés réformées, dont l’une française et l’autre germano-hollandaise. La première comprenait non seulement les Français domiciliés à Altona, mais encore ceux qui, pour des raisons de commerce, s’étaient fixés a Hambourg, et qui, ne pouvant obtenir ni du magistrat ni du clergé la liberté du culte public, firent corps avec l’Église de cette ville voisine. Parmi les pasteurs qui dirigèrent cette double communauté, le plus célèbre fut Isaac de Beausobre qui s’établit dans la suite à Berlin.

Les colonies de Copenhague et d’Altona ne furent pas les seules qui se formèrent sous la protection de la cour de Danemark. Deux autres s’établirent, mais un peu plus tard, à Fridéricia et à Gluckstadt.

La ville de Fridéricia, située sur le bord du petit Belt en Jutland, devait sa fondation au roi Frédéric III qui la fit bâtir en 1650 sur l’emplacement nommé depuis le Champ des réformés. Ruinée en 1657 par le général suédois Wrangel, elle fut reconstruite par le même prince sur un plan nouveau, à quelque distance de l’ancienne. Il la destinait à devenir une place de guerre pour couvrir le Jutland et la Fionie, et en même temps une ville de commerce qui servît d’entrepôt aux marchandises de la mer Baltique. En 1720, Frédéric IV y appela environ quarante familles françaises réfugiées dans le Brandebourg, et leur distribua la moitié des terres que les habitants laissaient en friche, faute de bras pour les cultiver.

Une vingtaine d’entre elles se dispersèrent en Seeland. Les autres restèrent à Fridéricia et reçurent en partage le Champ dit des réformés, qui était encore couvert des décombres des maisons brûlées par les Suédois, un champ plus élevé que l’on appelait le Seeberg et quelques pièces de terre désignées sous le nom de Kampen. Le roi leur permit de former une communauté séparée du reste des habitants, avec promesse de solder pendant dix ans leur pasteur. Il les autorisa à élire un juge pour terminer leurs différends, et les exempta de toute imposition pendant vingt ans. Il les recommanda enfin à la protection spéciale du commandant militaire et des magistrats de la cité.

L’émigration française en Danemark fut surtout militaire et agricole. Un certain nombre d’officiers huguenots prirent service dans les troupes danoises. Le 12 mai 1689, Louis XIV ordonna que ceux de ses sujets qui avaient quitté la France après la révocation et qui étaient entrés dans l’armée du roi de Danemark jouiraient à l’avenir du revenu de la moitié des biens qu’ils avaient laissés dans le royaume, à condition qu’ils se feraient remettre tous les six mois un certificat en forme de l’ambassadeur français à Copenhague, pour attester qu’ils étaient enrôlés sous le drapeau danois. Cette ordonnance publiée sur les frontières du Nord avait pour but de faire sortir d’Angleterre et de Hollande les réfugiés qui s’étaient retirés dans ces deux pays avant l’expédition du prince d’Orange. Le roi supposait qu’ils éprouveraient de la répugnance à porter les armes contre leur ancienne patrie, et s’efforçait de leur ouvrir un nouvel asile en les mettant à la solde d’un monarque qui observait au moins la neutralité. Cette mesure tardive manqua son effet. Peu de réfugiés se laissèrent tenter de quitter le service actif de Guillaume III pour celui d’un prince pacifique qui ne pouvait leur offrir ni gloire ni richesses. Toutefois, soit avant, soit après cette ordonnance, l’armée danoise reçut dans ses rangs plusieurs officiers français de distinction. Le plus illustre, Frédéric Charles de La Rochefoucault, comte de Roye et de Rouci, ancien lieutenant général des armées de Louis XIV, fut nommé grand maréchal et commandant en chef de toutes les troupes danoises. Sorti de France avant la révocation, avec une autorisation spéciale du roi, il fut rejoint en Danemark par la comtesse de Roye que la cour de France n’osa pas retenir ; mais elle ne put emmener que ses deux filles aînées dont l’une épousa depuis en Angleterre le comte de Strafford. Les deux plus jeunes et deux fils en bas âge lui furent enlevés pour être remis au comte de Duras leur oncle, et leur conversion fut l’effet immanquable de l’éducation donnée aux enfants des protestants élevés loin des yeux de leurs familles. Le marquis de Laforest, ancien colonel, fut nommé capitaine d’une compagnie de trabans ; et, puissamment appuyé par son nouveau souverain, il obtint l’entière restitution de ses biens en France. Comme il était lié d’amitié avec le maréchal de Schomberg, Christian V songea un instant à l’envoyer servir dans l’armée de Guillaume III dont il prévoyait le triomphe ; mais il recula devant la crainte de perdre la pension qu’il devait à la politique prévoyante de Louis XIV. « Votre Majesté, écrivit l’ambassadeur de France, peut juger par le manège de cette cour, et doit être pleinement persuadée qu’elle sera toujours du parti du plus fort. » Jean-Louis de Jaucourt, seigneur de Bussières, après avoir combattu d’abord sous le drapeau d’Orange et s’être couvert de gloire à la bataille de Neerwinde, s’engagea au service du roi de Danemark et mourut colonel à Copenhague. Pierre de Montargues passa des rangs de l’armée prussienne dans ceux de l’armée danoise et mourut major général à Oldenbourg en 1768. « Il y a ici plusieurs pauvres officiers français, écrivit en 1687 l’ambassadeur de France à Copenhague, qui seraient peut-être ébranlés si on les aidait à payer leurs dettes et si on leur fournissait de quoi retourner en France. » C’étaient les frères de la Barre, qui avaient accompagné le comte de Roye et qui étaient neveux de madame de Régnier, dame d’honneur de la reine de Danemark, sortie de France avant la révocation par une faveur particulière due à l’intercession du marquis de Ruvigny ; Susannet, neveu de l’académicien Dangeau, ancien capitaine de dragons dans le régiment de Tessé, depuis capitaine dans le régiment des gardes de Christian V ; La Sarrie, nommé capitaine de cavalerie ; de Cheusses, Le Baux et plusieurs autres. Malgré les tentatives du représentant de Louis XIV, ils étaient encore assez nombreux en 1692, pour obtenir qu’un aumônier français fût attaché à l’armée danoise, et le synode des Pays-Bas, réuni à Bréda, auquel ils s’adressèrent, leur envoya Daniel Brunier.

Aux officiers protestants qui se retirèrent dans le Danemark il faut ajouter un certain nombre de matelots réfugiés d’abord en Hollande, que le comte de Roye, par l’intermédiaire d’un agent secret à Harlem, détermina à s’enrôler sur la flotte danoise. C’étaient pour la plupart des marins habiles, façonnés par une longue expérience, et dont on attendait des services sérieux, car on s’efforça de les attirer par l’appât des plus brillantes récompenses.

Les réfugiés contribuèrent puissamment aux progrès de l’agriculture dans la monarchie danoise. Quelques-uns s’établirent en Islande et y portèrent la culture du lin et du chanvred. Les autres fixés dans la péninsule danoise, dans les îles de la Baltique et dans le Holstein, y propagèrent les procédés supérieurs de l’agriculture française, et y introduisirent plusieurs cultures nouvelles, dont la plus importante fut celle du tabac qu’ils avaient déjà acclimaté dans le Brandebourg et dont l’usage tendait à se généraliser de plus en plus dans le nord de l’Europe. Tous les ans on en exportait de grandes quantités des États prussiens en Danemark, en Suède, en Pologne, en Silésie, en Bohême et jusqu’en Hollande, lorsqu’en 1720 le roi Frédéric IV réussit par ses promesses à attirer dans son royaume un certain nombre de ces planteurs habiles, et à en établir une colonie à Fridéricia. Par un privilège spécial il affranchit pour vingt ans leur tabac de toutes les taxes auxquelles les autres marchandises étaient soumises à leur entrée dans les villes du Danemark et de la Norvège. Exposée à toutes les variations d’un tel commerce, entravée souvent dans la vente par la jalousie de la population danoise, attaquée quelquefois jusque dans ses possessions par la ruse et l’intrigue, la petite colonie de Fridéricia ne trompa point l’attente de son royal fondateur. En dépit des obstacles, elle ne cessa de prospérer et de se multiplier au point qu’à la fin du dix-huitième siècle, elle formait une société de plus de cent familles, composées de cinq à six cents personnes qui s’imposaient à l’estime publique par leur génie laborieux et actife. La ville de Fridéricia leur dut l’état florissant auquel elle s’éleva bientôt. On pouvait s’en convaincre aisément dès le milieu du dix-huitième siècle. Il suffisait de comparer le spectacle magnifique de ses campagnes avec celui des champs situés autour des autres villes danoises qui devaient également leur subsistance à l’agriculture. La différence était frappante. Aux réfugiés seuls revenait la gloire d’avoir produit ce changement heureux ; car, avant leur arrivée, aucune partie du royaume ne présentait un aspect aussi riant, et, après leur établissement, nulle part ailleurs qu’à Fridéricia la terre ne produisait de plus belles et de plus abondantes moissons.

d – Histoire des pasteurs du Désert, par Peyrat, t. I, p. 93.

e – Dalgas, p. 14. Selon Catteau, il y avait, au commencement du dix-neuvième siècle, à Fridéricia et dans les environs, à peu près sept cents réformés, t. III, p. 37.

L’économie rurale des planteurs français, imitée depuis dans plusieurs provinces de la monarchie danoise, consistait à tenir les terres toujours nettes, à les préparer ainsi à recevoir les différentes semences, à varier les semailles d’une année à l’autre, pour ne pas épuiser les terres et pour en tirer un meilleur parti, à leur rendre enfin tous les cinq ou six ans les engrais qu’elles avaient perdus. Cette méthode présentait des avantages précieux. La culture du tabac, combinée plus tard avec celle des pommes de terre, nettoyait les champs et les rendait propres, la première surtout, à donner de magnifiques moissons de froment. Ainsi purifié, le sol produisait un grain plus pur et d’une qualité supérieure. La méthode des colons était non seulement avantageuse, mais indispensable. Il fallait aux terrains argileux de cette partie du Jutland un grand travail pour les mettre en valeur. Aussi plus d’un cultivateur qui essaya d’abandonner ce système se vit-il, contraint au bout de peu d’années d’y revenir. Les réfugiés ne possédant pas assez de terres pour les occuper toute l’année, trouvèrent une nouvelle ressource dans les plantations à demi. Les propriétaires de la ville leur remettaient tous les ans une certaine portion de leurs champs pour les cultiver, et surtout pour y planter du tabac. Les colons français fournissaient les plants et la main-d’œuvre, et, à la vente du tabac, les deux parties en partageaient le produit par égale portion. Cet accord était profitable aux uns et aux autres. La culture du tabac améliorait les terres, les préparait à celle du blé et procurait en outre au propriétaire un bénéfice immédiat. Le planteur recevait à son tour une rémunération proportionnelle à son travail. La colonie française exploitait ainsi deux à trois cents tonnes de terre de la campagne de Fridéricia, et, par son système de culture alternative, elles les transformait en un jardin immense. Elle fournissait encore aux grandes propriétés du voisinage des manœuvres, des faucheurs, des moissonneurs et des jardiniers recommandables par leur aptitude autant que par leur fidélité, et d’autant plus utiles et plus nécessaires, que, depuis le partage des terres communales entre les villageois, cette classe d’ouvriers était devenue plus rare et plus recherchée.

Au tabac et aux pommes de terre que les réfugiés introduisirent à Fridéricia, et au froment dont ils perfectionnèrent la culture, il faut ajouter les choux, les raves, les navets et plusieurs autres légumes inconnus jusqu’alors dans le Danemark, et dont l’exportation rapporta bientôt des sommes considérables. Ces productions diverses formaient tous les ans la charge de plusieurs navires. La navigation danoise en reçut une activité nouvelle ; car les marchands de Fridéricia se trouvaient en possession d’une branche de commerce qui était pour eux une source inépuisable de richesses. Ils vendaient les froments récoltés par les colons un tiers de plus que ceux des autres provinces. Le tabac seul rapportait annuellement de 15 à 20 000 rixdalers, et, pendant la guerre d’Amérique, cette branche de négoce en donna de 30 à 35 000. Ils achetaient en échange les divers objets dont les habitants avaient besoin pour leur propre consommation. Grâce aux réfugiés, Fridéricia, qui n’était au commencement du dix-huitième siècle qu’une pauvre bourgade, comptait, moins de cent ans après, parmi les villes les plus opulentes du Jutland.

La colonie agricole de Fridéricia contribua donc aux progrès du commerce danois. L’industrie nationale lui dut aussi une heureuse impulsion. Les réfugiés fournirent au pays des maréchaux ferrants, des tonneliers, des tisserands, des vitriers et surtout des ouvriers aux fabriques de draps et à celles de tabacs. La persécution avait fait sortir de France un des plus habiles manufacturiers de glaces, Jean-Henri de Moor, issu sans doute d’une de ces familles hollandaises que Colbert attira dans le royaume pour y faire fleurir ces sortes de manufactures. Il s’établit à Copenhague et y amena ses ouvriers, apportant ainsi le premier en Danemark une branche d’industrie ignorée jusqu’alors dans ce pays. Lorsqu’en 1686 le marquis de Bonrepaus parvint à renvoyer en France les ouvriers d’un réfugié qui avait fondé une manufacture de toiles blanches à Ypswich, le manufacturier quitta l’Angleterre pour le Danemark et y transporta également ses métiers.

L’influence littéraire des réfugiés en Danemark fut naturellement fort restreinte. Placés en petit nombre au milieu d’un peuple dont le génie différait profondément du leur, ils ne pouvaient exercer sur lui cet ascendant civilisateur dont ils prirent ailleurs l’initiative féconde. Toutefois ils lui donnèrent deux écrivains, La Placette et Mallet, qui ne furent pas sans action sur les esprits. Le premier, que l’on a surnommé le Nicole des protestants, était un des pasteurs les plus renommés du Béarn, lorsqu’il fut forcé de quitter le royaume en 1685. Retiré d’abord à Berlin, il fut appelé par la reine à Copenhague, et passa vingt-cinq années au milieu de la colonie française qui s’était établie dans cette ville. Puis, cherchant un lieu de repos pour sa vieillesse, il se rendit en Hollande et termina sa vie dans la société des réfugiés fixés à Utrecht, en 1718, à l’âge de quatre-vingts ans.

Les nombreux ouvrages de La Placette furent composés tous dans son exil. Moraliste chrétien comme Nicole, il entreprit pour ses coreligionnaires ce que l’écrivain de Port-Royal avait fait pour les siens dans ses Essais. Nul ne professait une admiration plus sincère pour ce controversiste habile, le plus redoutable peut-être, après Arnauld, des rudes jouteurs que le jansénisme lança contre la réforme. Il essaya cependant de recommencer l’œuvre accomplie avec tant de succès par celui qu’il s’était proposé pour modèle. Les motifs qu’il allègue pour justifier sa tentative font connaître assez bien la nature de son esprit :

« J’avoue, dit-il des Essais de Nicole, que c’est un ouvrage excellent, et qu’il y a beaucoup de profit à faire dans sa lecture. Mais je ne crois pas qu’il doive nous empêcher de travailler de notre côté sur la morale chrétienne. Premièrement cette morale est d’une si vaste étendue, que ni l’ouvrage dont je parle, ni beaucoup d’ouvrages semblables ne la sauraient épuiser. C’est une source d’instructions qui ne tarit point. D’ailleurs, celles de cet auteur, roulant d’ordinaire sur les hypothèses de la religion qu’il professe, sont souvent inutiles et toujours suspectes aux protestants, qui craignent, en les lisant, de prendre des erreurs dangereuses pour des vérités salutaires. Outre cela, l’auteur vole d’ordinaire si haut, qu’il y a bien des lecteurs qui ont de la peine à le suivre. Il débite même quelques maximes outrées, qui font douter de la vérité de celles qui sont plus solides. Ainsi, ce livre, quelque achevé qu’il paraisse, n’empêche pas qu’on ne peut en faire un autre, sinon pas plus beau ou mieux écrit, ce qui est difficile, au moins plus utile pour des protestants, plus conforme à leurs hypothèses, plus proportionné à la portée de toutes sortes de lecteurs, et plus propre, en un mot, à faire connaître les obligations du christianisme et leur véritable étendue. »

Mais, à part l’analogie du but, les deux écrivains moralistes se ressemblent peu, et la supériorité de Nicole est immense. Éloigné de la France qui était alors presque l’unique centre de tout mouvement littéraire, placé au milieu d’une petite société de réfugiés fortement attachés à leur croyance, mais préoccupés avant tout du soin de se créer une existence nouvelle, La Placette dut se borner à être utile, à convaincre, à édifier. Il parvint en effet à exposer des idées justes avec une netteté remarquable, et l’on a pu dire avec raison que la morale chrétienne est, dans ses livres, la mieux classifiée des sciences. Mais on n’y trouve ni poésie, ni éloquence, ni vive chaleur. Il est vrai qu’ils sont également exempts de froideur et de sécheresse, et que l’on y sent partout une âme calme, sereine et profondément chrétienne.

La Placette avait conservé un goût très vif pour les beautés du style et de la pensée. Mais, à cet égard, il en resta à ses souvenirs de jeunesse. Il cite dans ses ouvrages Godeau, Brébeuf, La Bruyère, mais il ne dit rien de Boileau, ni de Racine, si familier à la plupart des réfugiés établis en Hollande. Ce qu’il loue dans les écrits qui lui plaisent, ce sont des traits qui méritent en effet des éloges, témoin ces beaux vers de Brébeuf, imités de Lucain et qui se rapportent à l’invention de l’écriture :

C’est de lui que nous vint cet art ingénieux
De peindre la parole et de parler aux yeux,
Et, par les traits divers de figures tracées,
Donner de la couleur et du corps aux pensées.

Il aime beaucoup aussi ce quatrain de Godeau, et il en dit la raison :

La vie est proche de la mort,
Lorsqu’on l’en croit plus éloignée :
C’est une toile d’araignée
Qui se file avec peine et se rompt sans effort.

« Je fus charmé, dit-il, de ces quatre vers, la première fois que je les lus, et je le suis encore toutes les fois qu’ils me viennent dans l’esprit. Mais qu’est ce qui fait la beauté de cette pensée ? L’expression en est belle, noble et naturelle ; mais à ces égards même elle n’a rien d’extraordinaire. Qu’est-ce donc qui y plaît le plus ? C’est, à mon sens, la douceur qu’on y remarque, c’est l’exactitude de la vérité, c’est la justesse de l’image, c’est son utilité qui la rend si digne d’être méditée, c’est enfin qu’elle a quelque chose de touchant qui se fait sentir et qu’on sent même avec plaisir, en sorte qu’on est bien aise d’y faire attention. » Ce sont là certes des paroles judicieuses ; mais rien n’encourageait l’écrivain proscrit à donner lui-même à son style cette parure poétique qu’il appréciait avec tant de goût dans les autres.

A côté de La Placette vient se placer un homme d’un génie plus élevé, mais dont la vie, partagée entre Genève et Copenhague, ne jeta pas moins d’éclat dans sa ville natale que dans sa patrie adoptive. Le Genevois Mallet, qui appartenait par sa mère à une famille réfugiée originaire de Champagne, fut appelé en 1752 dans la capitale du Danemark, pour y remplir la chaire de professeur royal des belles-lettres françaises, fondée deux ans auparavant en faveur de La Baumelle et devenue vacante par le retour de ce dernier en France. Les charmes de sa conversation et la gaieté de son esprit le firent rechercher par les hommes les plus éminents. Il jouit de la faveur de la cour et des ministres. Ceux-là même qui par leur rang pouvaient se croire ses supérieurs rendaient hommage à la distinction de ses manières, à la noblesse de ses pensées et de ses discours, à la dignité et à l’élévation de son caractère. Il fut à Copenhague le véritable représentant de cette urbanité française que les réfugiés propagèrent partout où ils furent reçus. Mais il n’y avait qu’un très petit nombre de Danois qui comprissent le français assez bien pour suivre avec fruit des leçons de poésie et d’éloquence exposées dans une langue étrangère, et le professeur se trouvait souvent sans élèves, lorsqu’il résolut de mettre ses loisirs à profit en composant l’histoire du Danemark. Cette histoire, à peu près inconnue en France à cette époque, n’avait été écrite jusqu’alors que d’une manière inexacte et incomplète. Des érudits danois avaient travaillé à rassembler des matériaux, à recueillir des traditions. Appliqués surtout à sauver de l’oubli les poésies des Islandais et leurs légendes merveilleuses, ils avaient réuni des documents précieux dont personne encore n’avait tiré véritablement parti. La littérature allemande commençait alors à peine à naître, et le français était regardé comme la seule langue polie, la seule qui fût généralement répandue, la seule enfin que l’on supposait devoir être un jour l’idiome commun des peuples les plus policés. Le talent oratoire de Mallet, l’exquise pureté de sa diction, l’art avec lequel il savait conter, enfin le goût qu’il témoignait pour l’étude des antiquités scandinaves, déterminèrent le comte de Bernstorf, son premier protecteur, et le comte de Moltke, grand maréchal du palais, à lui proposer d’écrire l’histoire du pays dans lequel il s’était établi et à l’encourager dans cette entreprise, en lui promettant le concours du gouvernement pour toutes les recherches nécessaires à l’exécution d’un pareil ouvrage. Mallet se livra dès lors avec ardeur à l’étude des langues scandinaves. Il se familiarisa avec l’esprit des peuples du Danemark, de la Suède et de la Norvège, avec leur mythologie, leur poésie, leurs mœurs, leurs coutumes, et bientôt il se trouva en état de remplir le riche cadre qu’il s’était tracé. Le premier il fit nettement ressortir la part de l’élément scandinave dans la civilisation des Français, des Anglais, des Espagnols, des Italiens et généralement de tous les peuples formés du mélange des descendants dégénérés des Romains avec les enfants vigoureux du Nord.

« Tous ces peuples, dit Sismondi dans sa belle Notice sur la vie et les écrits de Mallet, ont réuni les deux héritages du Nord et du Midi ; mais, pour démêler ce qui appartient à chacun, l’étude des peuples du Nord dans leur état originaire, l’étude des mœurs et des lois, de leur religion et de la liberté de la Scandinavie, devenait de la plus haute importance, non pas pour les Scandinaves seuls, mais pour tous les Européens. L’introduction à l’histoire du Danemark fut écrite d’une manière digne d’un but si élevé. L’arrivée en Scandinavie d’Odin, le conquérant et le législateur du Nord, la religion sombre et sévère, mais hautement poétique, qu’il donna aux peuples qu’il gouverna, l’héroïsme d’une nature nouvelle qu’il inspira à ses guerriers, cette passion impétueuse qu’il sut leur donner, non point pour la liberté, non point pour le pouvoir ou la richesse, non point pour la volupté, mais pour les dangers au moyen desquels on acquiert ou défend toutes ces choses ; cette passion pour les moyens plutôt que pour le but, caractère qui se retrouve dans la valeur moderne et que nous devons peut-être aux Scandinaves ; la liberté du Nord, la poésie du Nord, les entreprises hasardeuses, les expéditions maritimes, les conquêtes et les découvertes de plages inconnues, qui furent les exploits de ces mêmes hommes, les mœurs enfin qui les rendirent capables de toutes ces choses, voilà ce qui composa la première partie de l’Introduction à l’histoire du Danemark.

« Une seconde partie non moins importante et non moins célèbre de cet ouvrage fut la traduction, accompagnée d’un commentaire, des poésies qui pouvaient le mieux peindre la religion et les mœurs des peuples septentrionaux. La plus renommée de ces poésies est l’Edda… Elle avait déjà paru en 1665… Mais ce livre, qui donne la clef de toute la mythologie du Nord, était à peine connu dans le reste de l’Europe avant la traduction de Mallet. Dès lors la curiosité réveillée s’est dirigée avec plus d’activité vers cette même étude ; la religion des Scandinaves a été développée et exposée avec plus de clarté ; elle est devenue, jusqu’à un certain point, familière aux gens de lettres. Cependant c’est à Mallet qu’il faut attribuer même les progrès faits après lui. C’est lui qui, en répandant de l’intérêt sur un sujet jusqu’alors aride, a donné l’impulsion aux recherches de ceux qui l’ont suivi. »

Nous avons cru devoir citer entier ce passage ingénieux de Sismondi qui nous présente le spectacle singulier du rejeton d’une famille protestante de France, transporté en Danemark, et enseignant à l’Europe la mythologie, la poésie et l’histoire des peuples du Nord dont elle subissait l’influence depuis plus de mille ans, sans se rendre compte de cet élément si puissant de sa civilisation. Les autres ouvrages de Mallet, son histoire des Suisses, son Histoire des maisons de Brunswick et de Hesse, son étude sur la ligue hanséatique, son voyage en Norvège, ajoutèrent encore à sa réputation. A son retour à Genève, après huit ans de séjour à Copenhague, il fut nommé membre correspondant de l’Académie des inscriptions. Il passa le reste de sa vie dans sa ville natale, où il mourut en 1807, entouré des respects de ses concitoyens et de l’estime universelle de l’Europe savante.

Les réfugiés français en Danemark donnèrent, pendant tout le dix-huitième siècle et jusqu’à nos jours, l’exemple des mœurs les plus sévères, de la moralité la plus irréprochable, de la charité la plus touchante. Huguetan, comte de Guldensteen, qui mourut à Copenhague en 1749, dans sa quatre-vingt-seizième année, fut toute sa vie le bienfaiteur des pauvres. Il soutint de ses dons les premiers colons de Fridéricia, contribua à la construction du temple inauguré en 1736, et laissa un riche fonds pour l’entretien des pasteurs. Son fils qui fut conseiller privé du roi Christian VII, François Bretonville, Moïse Hollard, Suzanne Latour, Suzanne Mariot, disposèrent également, d’une partie de leur fortune en faveur de leurs frères sur la terre d’exil. Tous les émigrés se faisaient remarquer par leur amour du travail et par leur vie frugale. Des légumes, du lait, du pain, composaient souvent le repas de toute une famille. Il ne fallut rien moins que ces habitudes d’ordre et ce économie rigoureuse pour les soutenir à l’origine pour les aider à s’élever peu à peu à ce degré d’aisance qui récompensa leurs efforts.

Des quatre colonies qu’ils fondèrent, la plus récente, celle de Fridéricia, est aussi celle qui s’est le mieux conservée jusqu’à nous. Plusieurs causes ont concouru à ce résultat. D’abord les colons s’y mariaient entre eux, non qu’un esprit étroit de parti les détournât de s’allier à des familles danoises, mais parce qu’ils préféraient s’unir avec des personnes dont l’état et la condition leur offraient des garanties plus certaines de bonheur. L’attachement qu’ils avaient pour leur corps et la crainte que la différence de religion, si minime qu’elle fût, ne devint une source de divisions dans le ménage, leur dictaient cette règle de conduite. Une autre raison plus forte encore les engageait à ne s’en écarter jamais : c’était l’intérêt. Aux termes des privilèges concédés par Frédéric IV, les terres avaient été données, non point aux individus, mais à des familles réformées, et ces privilèges ne s’appliquaient qu’à des familles dont les deux chefs appartenaient à la religion de Calvin. Il faut ajouter que la colonie de Fridéricia s’est toujours efforcée de retenir ses jeunes gens près du foyer domestique. Tandis qu’ailleurs on les voyait quitter le toit de leurs pères pour se perfectionner à l’étranger dans leurs professions, et qu’ils ne rapportaient souvent dans leur pays natal que des mœurs dépravées et des corps usés par la débauche, à Fridéricia ils vivaient sous les yeux de leurs proches, loin de tout exemple de corruption, et leurs habitudes simples et austères assuraient la fécondité des mariages auxquels l’inclination avait infiniment plus de part que le calcul. Les jeunes filles, de leur côté, étaient plus disposées à se bien conduire par l’espoir d’être bientôt établies, et elles s’écartaient plus rarement de leur devoir pour ne pas s’exposer à rester sans époux dans la colonie. Étrangers au libertinage qui vicie à la fois le corps et l’esprit, exempts du luxe qui crée des besoins nouveaux et empêche souvent l’homme de songer au choix d’une épouse, les colons se mariaient de bonne heure et s’assuraient ainsi une postérité saine et nombreuse. Enfin, par une confiance inébranlable dans la Providence divine, ils considéraient le grand nombre des enfants comme une source de richesse. Des essaims d’enfants suivaient, dès le matin, les pères à l’ouvrage, chargés des instruments du labour. Assurés de leur subsistance, nullement inquiets de l’avenir, plus ils avaient de bras pour les aider, et plus ils entreprenaient de travaux qui contribuaient à leur bien-être et leur permettaient de tenir dans la société un rang proportionné à leurs modestes désirs.

C’est à ces causes que la colonie de Fridéricia dut et sa longue prospérité et la conservation de son caractère primitif. Elle est restée une société française au milieu d’un peuple étranger, et l’on y célèbre encore aujourd’hui le culte dans la langue que parlaient ses premiers fondateurs. Il existe également encore une Église française à Copenhague, mais elle n’a pu se maintenir jusqu’à nous que grâce au séjour de familles protestantes de France que des intérêts divers ont conduites de tout temps dans la capitale du Danemark. Les mariages mixtes ont hâté la décadence assez rapide de cette colonie. Les enfants nés de pères français et de mères danoises furent élevés presque toujours dans la religion luthérienne, conformément à la loi du royaume. Aussi le temple réformé resta-t-il bientôt presque désert, et la communauté se réduisit successivement à un nombre de plus en plus restreint de familles. Celle d’Altona se scinda en 1761 par la retraite des réformés français de Hambourg, autorisés enfin à célébrer leur culte à la chapelle et sous la protection du consul de Hollande. La colonie réfugiée de cette ville, réduite considérablement par cette défection, subsista jusqu’en 1831. Ses débris se réunirent alors à la commune germano-hollandaise qui prend le nom d’Église évangélique réformée. Toutefois on prêche encore une fois par mois en français à Altona. Mais c’est à peine si dans le faible auditoire il se trouve quelque vieillard en état de comprendre les paroles du prédicateur.

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