Histoire des réfugiés protestants de France

9. — Rapports sur des projets d’évasion

Extraits de quelques rapports adressés au comte d’Avaux sur les évasions projetées des religionnaires, par le sieur de Tilliers désigné quelquefois sous le nom de donneur d’avis.

Le donneur d’avis au comte d’Avaux.

Harlem, 17 janvier 1686.

Il y a des gens qui doivent partir de Jarnac en Angoumois et des environs, pour se trouver en un lieu nommé Causes en Saintonge, à deux ou trois lieues de Royan. De ce Causes ils doivent se trouver dans une nuit à un bourg qui se nomme Saint-George. Le vaisseau s’y trouvera… Il n’y a pas là de havre, et l’on voit très peu de vaisseaux s’arrêter devant ce bourg. Aux gens de Jarnac se joindront ceux de Causes. Ils seront en tout environ cinq cents personnes, avec peu de bagages… Masson, ministre de Causes, qui pousse cette entreprise, est ici…

Le nommé Jean Galé, prêtre à Saint-Denis, gagne beaucoup à donner des certificats aux réformés qui lui en demandent pour se sauver. J’en ai vu beaucoup qui en ont reçu, où il certifie qu’il sont très bons catholiques, apostoliques et romains. Au reste, il semble qu’on ferme les yeux à la sortie de tous ces gens-là, puisqu’il en sort de tous côtés une quantité prodigieuse.

Lettre du sieur Tillières, du 15 avril 1686.

M. Gaylen, de Lyon, marchand-libraire des plus fameux, et riche d’un million, doit venir joindre un sien frère qui est en cette ville depuis trois mois. Celui-ci demeurait à Paris, à la Croix-de-Fer, rue Saint-Denys. Il a fait passer 100 000 fr.

Du même, du 30 avril 1686.

Madame de la Millière a une procuration de son mari, qui est capitaine de cavalerie réformé, qui lui donne pouvoir de vendre son bien. Elle a vendu une terre en Bretagne de 1000 écus de rente. Elle l’a donnée pour 24 000 livres. Elle en a reçu la moitié comptant. Elle a donné du temps pour le reste. Avec cette moitié comptant, elle doit partir incessamment.

Du même, du 30 avril 1686.

Un homme de Cognac se sauvait avec sa femme et son fils. Il fit rencontre de quelques cavaliers qui sont en garnison chez M. de la Rochebreuillet. Ces cavaliers ou dragons prirent ce petit garçon et le mirent devant un d’eux à cheval, et fouillèrent le père, et lui trouvèrent 800 fr, qu’ils prirent. L’homme leur dit : Si vous m’emmenez, je signerai, et vous serez obligés de me rendre mon argent ; je vous le laisse, donnez-moi la liberté ; ce qu’ils firent et lui dirent : Nous en avons obligé bien d’autres. Dieu vous conduise ! La femme avait passé par un autre chemin, qui sauva une bonne somme.

Lettre du sieur de Tillières, du 16 septembre 1686, jointe à la dépêche du comte d’Avaux du 17 septembre.

J’ai vu une lettre de mad. de Passy écrite de Paris, et une autre du frère de M. de Formont, autrement d’Ablancourt. Mad. de Passy écrit : « Mon mari a été arrêté à cinq lieues de chez lui ; j’espère qu’on n’aura pas découvert son dessein. Il y avait avec lui deux de nos amis. J’emploie tout le crédit que j’ai pour obtenir sa liberté, pourvu que toute la troupe soit secrète. Je ne doute pas que tout n’aille bien. Je viens d’apprendre que quatre se sont sauvés, après avoir appris le malheur de M. de Passy. »

La lettre du sieur d’Ablancourt porte « M. l’Intendant nous a fait venir chez lui, moi et cinq autres, et nous a dit : Vous êtes observés sur ce que l’on a appris que vous vouliez vous en aller. Jugez ce que nous avons répondu sur cela. Il nous a dit : Retournez chez vous et n’en parlez point et ne pensez point à ce qu’on croit de vous. Nous nous sommes séparés comme cela, mais jugez du reste. De trente-cinq que nous étions, il y en a 7 de partis, ayant appris la prise de M. de Passy qui me chagrine beaucoup. Dans cette lettre il y avait un billet pour M. de Vérasse autrement de Beyde, qui s’est sauvé avec sa femme et neuf autres parens de ces messieurs. Ce M. de Vérasse a conçu une grande amitié pour moi, me voyant avec son parent, le sieur d’Ablancourt ; si bien que nous promenant il me fit lecture de son billet qui était conçu en ces termes : « N’appréhendez rien, Dieu sera pour nous, et nul ne sera contre. »

Enfin, monsieur, il n’y a rien de plus certain que, si on n’y prend garde, tout cela sortira et au delà. MM. d’Ablancourt et de Vérasse me dirent hier que le rendez-vous était le lendemain de la prise de M. de Passy, et que la nuit de sa prise on devait s’assembler. Je vous mande les choses comme elles se passent. S’ils se sauvent, comme je n’en fais pas de doute, ce ne sera pas ma faute. Les neveux et nièces de M. de Passy, la mère, les frères et l’enfant de M. de Grimpré et quantité de leurs parents sont déjà dans ce pays-ci.

M. Claude dit hier à un autre ministre qui me l’a redit : Huit ou dix de nos amis doivent partir cette semaine de Paris. J’enverrai un guide à Charleroi où je sais qu’ils doivent passer, N’est-ce pas une chose admirable que Dieu se sert de nos plus grands ennemis pour nous soulager…. .

Lettre du même, du 10 octobre.

Madame de Marolles, dont le mari est aux galères, vient d’arriver de Paris avec sa sœur et trois enfants. Elles se sont sauvées neuf personnes. Six guides les ont été prendre à Paris… Ils ne doivent prendre que vingt pistoles par personne, grande ou petite. Ces mêmes guides, après avoir laissé ces réfugiés à quatre lieues de Mons, sont retournés à Paris pour quérir douze personnes parmi lesquelles sont mesdemoiselles de Cormon. Ils prennent le plus souvent leur route du côté de Mons… Mad. de Marolles à son fils aîné à Paris. Il a changé. On peut facilement savoir sa demeure. C’est lui, à ce que m’a dit sa mère, qui sert tous ceux qui se veulent sauver. Il va dans leur demeure et leur adresse les guides. Enfin il est le factotum d’une quantité de gens qui se sauvent et d’autres qui se veulent sauver. Il doit se sauver aussi. Mad. de Passy, et trois ou quatre autres demoiselles sont dans un grenier, vis-à-vis le logis où loge le fils de Madame de Marolles. Elles ont changé de nom…

Un nommé Augé, ci-devant ministre à Châlons-en-Champagne et qui a changé de religion, est à Paris. Il se tient caché et veut se sauver. Le fils de Madame de Marolles le va voir souvent.

Le nommé Girardeau m’a fait voir aujourd’hui une lettre d’un de ses oncles nommé Longchamps, marchand de bois à Paris, qui a déjà ses enfants en ce pays. Il lui mande qu’il n’attend que quelque argent pour partir pour la Hollande avec trois de ses parents.

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