L’Église primitive jusqu’à la mort de Constantin

13. Ecclésiologie.

Le gouvernement de l’Église. — L’entretien du ministère. — Le clergé et les laïques. — Activité ecclésiastique et discipline. — Lieux de culte.

§ I. Anciens et Evêques. — La synagogue n’était pas seulement le lieu de culte des Juifs, elle était encore leur hôtel de ville et leur tribunal. Elle comportait deux ordres de fonctionnaires : les premiers, chargés du culte et de l’enseignement ; les seconds, des matières civiles. L’assemblée du jour du Sabbat, destinée à la prière, à la lecture et à l’exhortation, était présidée par un des chefs de la synagoguea ; les assemblées de la semaine et les audiences, par les chefs du peuple ou anciens (πρεσβύτεροις). Quand la synagogue devint une Église chrétienne, le même ordre fut conservé, les jours d’audience (lundi et jeudi) restèrent les mêmes, mais les deux fonctions se concentrèrent dans celle de l’Ancien.

aἀρχι–συνάγωγοι. Luc 8.41 ; 13.14 ; Actes 18.8,17, etc.

Les Églises pagano-chrétiennes se constituèrent d’après un autre modèle. Nous avons déjà fait remarquer qu’il existait dans l’empire romain, comme nos sociétés modernes, une foule d’associations diverses. Il y avait des corporations de commerçants, d’acteurs, d’athlètes ; des associations pour les repas et pour les funérailles ; des sociétés amicales, littéraires ou financières. La plupart paraissent avoir fait une place à l’élément religieux, et, pour l’observateur superficiel, les Églises chrétiennes n’étaient qu’une association de plus. Les Églises désignaient leurs réunions comme le faisaient les corporationsb, et une partie de leurs fonctionnaires portaient le même nom. De part et d’autre, il y avait une caisse commune, à laquelle les membres contribuaient, et où ils puisaient ; de part et d’autre, également, on admettait non seulement des citoyens nés libres, mais des femmes, des étrangers, des affranchis et des esclaves. Un nom qui se rencontre fréquemment, pour désigner les fonctionnaires des associations non-chrétiennes de Syrie et d’Asie Mineure (dont les Églises se rapprochaient le plus), est celui de surveillant (ἐπίσκοπος, évêque), dont les fonctions paraissent avoir été à la fois administratives et financières. Le nom et la fonction furent adoptés, dès le début, par les Églises pagano-chrétiennes. Mais, dès le début également, elles employèrent le titre d’Ancien, en l’empruntant, non à la synagogue, mais à des institutions grecques, dans lesquelles se trouvaient des hommes d’une dignité et d’un nom correspondantsc.

bEcclesia, synagogue, synode.

c – Les paragraphes précédents sont le résumé des lect. II et III, du remarquable ouvrage de Hatch, Organization of the Early Christian Churches.

Du reste, d’où que ces noms soient venus, quelque sens différent qu’ils aient pu originairement avoir, un fait est certain : c’est que, durant tout le premier siècle et les premières années du deuxième, les noms d’Ancien (ou de presbytre) et de surveillant (ou évêque) sont équivalents, et s’emploient l’un pour l’autre ; et que ceux auxquels on les donne sont les pasteurs et les administrateurs de l’Église. « L’Ancien est identique à l’évêque, disait saint Jérôme, et avant que, sous l’impulsion du diable, les partis se fussent multipliés, les Églises étaient gouvernées par le conseil des Anciens ».

Sur Tite, t. de Pressensé, Hist. des trois premiers siècles, II, 225. L’Épître de Clément fournit le dernier exemple de l’interchangeabilité des deux termes, à moins que la Didachè ne soit postérieure à cette Épître. — Du temps d’Ignace (107-116), la distinction entre évêque et presbytre était tranchée, au moins en Syrie et en Asie Mineure. Dans son Épître à Polycarpe, il parle de « ceux qui sont sujets à l’évêque, aux presbytres et aux diacres. » Ch. 6.

II. Les évêques. — Avec le temps, un surveillant ou un presbytre en vint à occuper une place prépondérante. Sa supériorité intellectuelle, sa vie exemplaire, son zèle pour l’Église lui attiraient la confiance de la communauté, et on apprenait à accepter son autorité. D’ailleurs l’amour pour le Sauveur devenait moins ardent, l’ancienne indépendance spirituelle moins grande, et les barrières qui auraient pu se dresser contre les abus de ces hommages ou de cette autorité disparaissaient de plus en plus. Aussi vit-on grandir peu à peu ce respect d’autant plus excessif et déplacé que, d’abord accordé légitimement et volontairement à l’homme, il en vint à être, de par l’habitude, puis de par la loi, attribué à la fonction et plus tard exigé pour elle. Dès le milieu du iie siècle, le même surveillant préside ; on l’appelle évêque, et ceux qu’il préside, anciens.

Plusieurs écrivains soutiennent que la création d’un épiscopat et le pouvoir qui lui a été donné ne sont pas un signe de décadence, mais, vu notre humaine nature, le résultat d’une nécessitéd. Notre Seigneur, pourrait-on répondre, ignorait-il donc les nécessités de la nature humaine, lorsqu’il disait à la foule et à ses disciples : « Mais vous, ne vous faites pas appeler Rabbi ; car un seul est votre maître, et vous êtes tous frères. Et n’appelez personne sur la terre votre père ; car un seul est votre Père, celui qui est dans les cieux (Matthieu 23.8-10) ? » Et dans son enseignement particulier, adressé aux Douze, ne distingue-t-il pas expressément le gouvernement qui doit exister dans l’Église de l’autorité et du commandement qui existent dans l’ordre politique ? « Les rois des nations, dit-il, les maîtrisent, et ceux qui les dominent sont appelés bienfaiteurs. Qu’il n’en soit pas de même pour vous. Mais que le plus grand parmi vous soit comme le plus petit, et celui qui gouverne comme celui qui sert (Luc 22.25-26 ; 1 Pierre 5.2-5). »

d – Voy., par ex., Milman, Hist. of Christianity, III, 249-255.

En parlant ainsi, nous ne prétendons pas nier que l’Église ne puisse et ne doive s’adapter aux différentes manières d’être de la société civile. Sans doute, les lois qui la régissent sont essentiellement différentes de celles qui régissent les empires, et ses pasteurs doivent être soumis les uns aux autres dans In charité. Cependant il y a des moments où une main ferme et une autorité respectée sont particulièrement nécessaires. Un bienveillant critique de notre ouvrage a marqué la situation des évêques à l’époque primitive de l’Église dans les termes suivants : « Sans méconnaître aucune des difficultés et aucune des critiques fondées, qui empêchent de se former aisément une opinion, on doit reconnaître qu’aucun autre régime ecclésiastique que le régime épiscopal n’aurait convenu pour diriger des communautés récentes, composées d’éléments si hétérogènes. L’évêque était investi d’une autorité semblable à celle que les gouverneurs absolus des provinces recevaient du César régnant. » Après avoir parlé des nombreux devoirs de l’évêque, le même écrivain ajoute : « La nature et le nombre de ces devoirs nous font comprendre le degré de respect inspiré par celui qui les remplissait fidèlement, et comment il se faisait qu’aucun honneur (sauf celui qui aurait été en contradiction avec la doctrine) ne semblât trop grand pour lui. Il était vraiment jugé ligne du « double honneur » dont parle l’apôtre. On comprend aussi qu’aucune hérésie ne semblât plus grave que celle qui mettait en question leur autorité. Dans ces âges turbulents et barbares, alors que les éléments constitutifs des communautés brûlaient d’un zèle aussi ardent que nouveau, c’était une panacée que la possession d’un bon évêque. Et, assurément, que l’Église ait eu tant et de si bons évêques à cette époque primitive, est un des plus remarquables triomphes de notre foi, surtout si l’on considère la méthode des persécuteurs, qui était de dissiper le troupeau en frappant son pasteur, et si l’on songe qu’accepter les fonctions épiscopales était généralement le prélude du martyre. W. Beck, Thoughts on Church Origins, dans le Friends’ Quarterly Examiner, avril 1884, 262-264.

Au début, la juridiction d’un évêque ne dépassait pas les limites de sa congrégation. À mesure que les congrégations augmentèrent en nombre, on ne créa pas de nouveaux évêchés, mais on députa des anciens appartenant au conseil du plus prochain évêque. Ainsi les évêchés s’étendirent et les Églises nouvelles dépendirent des anciennes. L’influence des évêques s’accrut encore lorsque les synodes se multiplièrent. En effet, et bien que les anciens y eussent d’abord leur place marquée, c’étaient principalement les évêques qui représentaient leurs congrégationse.

e – Gieseler, K. G., I, 287.

Peu à peu les évêques cessèrent d’être égaux entre eux et indépendants les uns des autres. Les plus grandes villes de l’Empire, d’où le christianisme avait rayonné, comme Antioche, Corinthe, Éphèse, Alexandrie, Rome, partagèrent avec Jérusalem une autorité et une vénération spéciales. On les appelait les sièges apostoliques, les Églises-Mères. Au temps d’Adrien, lorsque Jérusalem cessa d’exister comme Église, Rome prit la première place. Ses évêques étaient à la tête de la plus riche des communautés chrétiennes, et leur générosité les avait fait connaître même des Églises les plus reculées. Pourtant ce fut surtout la prétention d’être le successeur de l’apôtre Pierre et l’héritier de son autorité, qui permit à l’évêque de Rome de s’élever au-dessus de tous les autres évêques. Dès le second siècle, on trouve le germe de cette prétention et de cette prééminence, mais il faudra bien du temps encore pour que tout le monde les accepte.

[Denys de Corinthe (162-110) écrit à Soter, évêque de Rome : « Tu as eu cette habitude, depuis ton élévation à l’épiscopat, d’envoyer des dons à chaque Église. En aidant ainsi les pauvres, en venant au secours de ceux qui souffrent dans les mines, vous avez à Rome agi comme agissaient les Romains, vos ancêtres. » Eusèbe, liv. IV, ch. 23.]

§ III. Les diacres. — La seule autre fonction dont le nom figure dans le Nouveau Testament est celle des diacres (Actes 6.1-6). Originairement, ils n’avaient à s’occuper que des pauvres ; mais plus tard leurs fonctions se compliquèrent. Le besoin d’avoir des diaconesses ne tarda pas à se faire sentir, surtout dans l’est, où les visites des diacres à des femmes auraient pu donner facilement lieu à des interprétations fâcheuses. D’abord ce furent généralement des veuves, et elles eurent pour mission d’instruire les sœurs plus jeunes, d’assister les converties à leur baptême et de visiter chez elles les femmes de la communautéf.

fConstit. Apost., liv. III, ch. 16 ; Neander, I, 262 (trad. angl.).

IV. Election des fonctionnaires ecclésiastiques. — La nomination des fonctionnaires ecclésiastiques se fit primitivement d’après le choix et avec l’approbation de l’Église entière. Ce fut l’Église, par exemple, qui fit choix d’Etienne et des autres diacres, et qui les présenta à l’imposition des mains des apôtres.

On ne procéda pas autrement du temps des successeurs immédiats des apôtres. Clément de Rome nous dit (vers 97) dans son Épître (ch. 42 et 44) que les apôtres, lorsqu’ils prêchaient dans des pays et dans des villes, choisissaient, pour en faire des surveillants et des diacres, et après les avoir éprouvés par l’Esprit, ceux qu’ils avaient convertis les premiers. Ils donnaient en outre des instructions pour leur remplacement lorsqu’ils se seraient endormis dans le Seigneur. « Nous pensons donc, continue-t-il, que ceux qu’ils ont nommés, ou qu’ont nommés plus tard, et avec le consentement de toute l’Église, d’autres hommes éminents par leur piété, ne peuvent pas équitablement être dépouillés de leurs fonctions, s’ils ont veillé fidèlement sur le troupeau de Christ.

Cette double élection des fonctionnaires ecclésiastiques se perpétua durant plusieurs siècles, mais le consentement unanime des évêques environnants remplaça l’élément apostolique. Ainsi, au iiie siècle, Cyprien dit encore : « L’autorité divine elle-même demande que l’ancien soit choisi en présence du peuple, sous les yeux de tous, et que ce soit le jugement, le témoignage de tous qui le reconnaisse digne et capable de ses fonctions. » Et plus loin : « Il faut s’en tenir, en matière d’ordination, à la pratique dérivée de la tradition divine et de l’usage apostolique, telle que nous la maintenons nous-mêmes et telle que presque toutes les provinces la maintiennent ; c’est-à-dire que tous les évêques environnants de la même province s’assemblent, et que l’évêque à ordonner soit choisi en présence de la congrégation tout entière. Car la congrégation sait très bien quelle a été la vie, quelle a été la conduite habituelle de chacun de ses membres (Ep. 67, § 4, 5). » Dans une autre épître, il résume ainsi les éléments requis pour l’élection d’un évêque : « Le jugement de Dieu, la voix du peuple et l’adhésion des évêques, ses futurs collègues (Ep. 64, § 5). » Origène dit de son côté : « La présence du peuple est de rigueur pour l’ordination d’un presbytre, ou ancien, afin qu’on choisisse pour cet office celui qu’on sait être le plus savant, le plus saint, le plus excellentg. » Enfin on lit dans les Constitutions apostoliques : « Un évêque doit être élu par le peuple tout entier. Quand il a été nommé et approuvé, que le peuple s’assemble un dimanche avec le conseil des anciens et les évêques, et qu’il donne son consentement. » Au ve siècle, encore, le pape Léon Ier écrit : « Celui qui doit être placé au-dessus de tous, doit être choisi par tous. »

gHom. ; VI, Sur le Lévitique, cité dans le Dict. Christ. Antiq., art. Bishop, p. 214.

[Schaff, Nicene Christianity, p. 240, n. 1. — Les Constitutions apostoliques, (Liv. VIII, sec. II, ch. 4. ) bien que contenant certainement des prescriptions d’une haute antiquité, sont considérées comme datant d’une époque postérieure au concile de Nicée. On pense qu’elles ont été composées entre le iiie et le ive siècle. En général, les Canons apostoliques, qui sont du même temps, sont imprimés avec les Constitutions. Wordsworth, Church History, 413-416 ; Ante-Nicene Library, Introduction aux Const. Apost. Voy. aussi, ci-dessous, la traduction de la Didachè.

A mesure que les idées hiérarchiques gagnèrent du terrain, le libre choix populaire ou même l’approbation de l’évêque élu disparurent graduellement. Pendant un certain temps, les laïques notables les conservèrent. Bientôt ils les perdirent entièrement. De même, au lieu de demander à tous les évêques de la province d’exprimer leur suffrage, on se contenta de celui du principal évêque, auquel on donna d’abord le nom de Métropolitain, puis celui de Patriarche. Dans une période bien ultérieure et de profondes ténèbres, l’Église perdra entièrement le pouvoir de choisir ses ministres, et ceux qui devront être les intendants de Dieu, qui auront la charge de veiller sur sa maison, ne dépendront que des empereurs et des roish !

hDict. Christ. Antiq., art. Bishop, p. 213, 214.

Il ressort de tout ce qui précède que, dans la primitive Église, même après que ce titre eût été centralisé, si l’on peut ainsi dire, sur une seule personne, l’évêque occupait évidemment une place toute différente de ce qu’elle est devenue depuis. Il était un des membres de la congrégation déjà connu et aimé ; il était celui que les fidèles avaient choisi eux-mêmes, celui qui représentait leur vie paroissiale. On le considérait également comme le représentant, la personnification de l’enseignement apostolique. En effet, même après que le recueil des écrits du Nouveau Testament eût été formé, il s’en faut de beaucoup qu’on le trouvât dans chaque maison, comme on le trouve dans les nôtres. En dehors du lieu de culte, il n’en existait, en maint endroit, que très peu d’exemplaires ; en d’autres, aucun. C’était donc vers leurs évêques et leurs docteurs, sorte de témoins vivants, que les fidèles devaient se tourner pour arriver à la connaissance, même élémentaire, des préceptes du Christ.

V. L’entretien du ministère. — Au début, ceux qui exerçaient des fonctions dans l’Église, n’avaient pour leur entretien et celui de leur famille que ce qu’ils gagnaient par leur travail ordinaire. A cette époque primitive, on sentait vivement combien la religion et le travail manuel se prêtaient une dignité mutuelle, et on se souvenait du grand exemple donné par Paul, le faiseur de tentes. Vers le milieu du deuxième siècle, Polycarpe, dans son Epître aux Philippiens, fait un devoir aux presbytres de se fournir eux-mêmes des choses qui leur sont nécessaires devant Dieu et devant les hommes (ch. 6). Longtemps encore, dans les Églises de l’Orient, nous voyons régner les mêmes idées. Et, en effet, s’il a pu, s’il peut être encore un devoir pour quelques hommes de se consacrer entièrement au service de l’Évangile et de n’en être distraits par aucun autre soin ; c’est aussi, tout bien considéré, un bel état de choses que celui où les ministres et les fonctionnaires de l’Église ne restent pas, à ce point de vue, en dehors des conditions communes de l’humanité. Qui donc pourra mieux sympathiser avec ses frères, ou les conseiller, que celui qui aura à porter le même fardeau qu’eux ? Et s’il doit être pourvu de bon cœur aux nécessités de ceux qui prêchent l’Évangile, ne serait-ce pas la gloire de l’Église, ne serait-ce pas l’une de ses plus puissantes armes vis-à-vis du monde, que de voir ses ministres donner gratuitement ce qu’ils ont gratuitement reçu ? Aucun sacrifice ne devrait coûter, pour empêcher le ministère d’être apprécié en valeur monétaire et d’être ainsi ramené au niveau d’un commerce quelconque.

[On a prétendu montrer que les paroles de Jésus-Christ : Vous l’avez reçu gratuitement, donnez-le gratuitement (Matthieu 10.8), n’avaient pas le sens qu’on leur attribue généralement. Voici le récent commentaire qu’en donne un savant allemand. « La règle de conduite donnée par Christ n’a pas trait seulement au pouvoir de faire des miracles. Elle s’applique à l’œuvre entière des apôtres, aussi bien à leur pouvoir de guérir les malades qu’à la prédication du règne de Dieu. Aucun don de Dieu ne s’acquiert à prix d’argent (Actes 8.20), ou, suivant l’expression de Tertullien, nulla res Dei pretio constat. C’est là un principe particulièrement large et fécond, que les ambassadeurs de Dieu ne sauvaient trop méditer, même de notre temps. Il condamne toute espèce de convention déplacée ou commerciale de la part de ceux qui prêchent la grâce de Dieu, et tout paiement qui dépasse la limite de leurs nécessités ; il condamne le casuel, attaché d’une manière si peu digne au ministère de la parole et à l’administration des sacrements. » Stier, Words of the Lord Jésus, traduction anglaise de Pope, II, 9, 10.]

Par degrés, toutefois, non seulement les pasteurs itinérants, mais même les presbytres, se vouèrent de plus en plus complètement à leurs occupations spirituelles, et il devint nécessaire de pourvoir à leurs nécessités. On préleva donc sur la collecte volontaire de chaque dimanche (une fois par mois à Carthage), et d’après une proportion fixe, une somme destinée à leur entretien. Mais ce ne fut que bien plus tard que les évêques ou les anciens reçurent un traitement ou salaire fixe ; encore fut-il, pendant longtemps, extrêmement modeste. Natalius, qui devint à la fin du deuxième siècle évêque d’une secte hérétique, recevait cent cinquante deniers par moisi.

i – Eusèbe, liv. V, ch. 28.

VI. Le clergé et les laïques. — A l’époque apostolique et, du reste, dans l’Église primitive eu général, on ignorait la distinction entre le clergé et les laïques.

« En écartant tout ce qui séparait les hommes de Dieu, fait remarquer Neander », Christ avait également écarté tout ce qui, jusque-là, avait séparé les hommes entre eux. Tous avaient maintenant le même souverain sacrificateur, le même médiateur, par lequel tous les hommes, réconciliés avec Dieu, faisaient eux-mêmes partie de la race sacerdotale et spirituelle. Ils avaient le même Roi céleste, le même Guide, le même Maître, grâce auquel tous apprenaient à connaître Dieu ; le même Esprit les vivifiait tous ; ils avaient une même foi, une même espérance. Tous les croyants devaient, au même titre, consacrer leur vie entière à rendre grâces à Dieu pour la rédemption ; tous devaient publier le miséricordieux pouvoir de Celui qui les avait appelés du royaume des ténèbres à sa merveilleuse lumière ; tous devaient faire de leur vie un constant sacerdoce. Tous, et non pas seulement quelques privilégiés, devaient travailler à l’avancement du règne de Dieu, à la diffusion de l’Évangile, au bien de chaque communauté. Chacun, enfin, selon les dons spéciaux que Dieu lui avait accordés suivant sa nature, renouvelée et ennoblie par le Saint-Esprit, devait coopérer au bien commun de toute l’Église. »

« Tous les chrétiens, dit Hatch, étaient au même niveau. Vous êtes tous frères. Les différences que saint Paul établit entre les chrétiens provenaient, non de leurs fonctions, mais de la variété de leurs dons spirituels… Le don de présider n’est pas, de sa nature, différent du don de guérir les malades. Les expressions : celui qui préside, celui qui exhorte, celui qui pratique la miséricorde, désignent des dons du même ordre, et à l’un ou l’autre desquels tous les chrétiens participaient. »

« Le royaume de Christ, dit enfin le docteur Lightfoot, ne connaît pas de caste sacerdotale. Il n’y a plus aucune tribu chargée spécialement d’offrir les sacrifices, aucune classe d’hommes entre l’humanité et Dieu ; aucune, dont l’intervention soit nécessaire pour que les hommes soient réconciliés avec Dieu et obtiennent son pardon… Chaque membre de la famille humaine est, en puissance, un membre de l’Église, et comme tel un prêtre du Très-Haut… Dans les documents émanés des Églises apostoliques, le titre de prêtre n’est pas une seule fois attribué à des fonctionnaires spéciaux. Ce sont les saints, ce sont les membres de la famille chrétienne, que l’Évangile considère comme prêtres… Comme individus, tous les chrétiens sont égaux… et c’est Tertullien qui, le premier, émet des prétentions sacerdotales en faveur des ministres chrétiens. »

Comment, sur l’Épître aux Philippiens, 3e éd., p. 179 — 183, 253. Tertullien appelle l’évêque un grand prêtre. (Du baptême, XVII). Il n’est que juste, vis-à-vis du docteur Lightfoot, de donner son opinion intégrale sur ce point, bien que sa conclusion ne semble pas tout à fait conséquente avec ses prémisses. « Il est très important, dit-il, que nous ayons cet idéal en vue d’une manière positive. C’est pour cela que je m’y suis arrêté le plus longuement possible. Cependant ces indications, si développées qu’elles soient, donneraient, si elles devaient rester isolées, une fausse impression, ou tout au moins ne feraient connaître qu’une moitié de la vérité… De même qu’il faut à l’Église des jours et des lieux déterminés, de même il lui faut, pour qu’elle puisse remplir sa mission, des chefs et des docteurs ; des hommes chargés d’exercer un ministère de réconciliation ; en un mot une classe d’hommes qu’on peut en un certain sens appeler un clergé. (p. 179, 180.)

Peu à peu, toutefois, la notion d’un clergé, d’un ordre sacré, fit son chemin dans la société nouvelle. Peu à peu, les congrégations renoncèrent volontairement aux charges et aux privilèges d’une vie réellement chrétienne et se démirent en faveur de leurs évêques ou anciens du souci de leurs intérêts spirituels. Ceux-ci, de leur côté, ne tardèrent pas à s’attribuer une certaine supériorité de rang et à réserver pour eux seuls un nom, celui de cleri ou clergé (héritage de Dieu), qui avait jusqu’alors appartenu à l’ensemble des chrétiens. Il faut croire que l’Église avait, à ce moment-là, la vue quelque peu troublée par l’esprit mondain. Le fait est qu’elle ne vit pas le danger qui la menaçait ; elle ne vit pas qu’une fausse assimilation du ministère chrétien avec le sacerdoce lévitique, résultant d’idées juives, pervertissait la vraie notion chrétienne d’Église.

Les résultats de cette modification furent aussi désastreux pour les fonctionnaires ecclésiastiques que pour la congrégation elle-même. Neander exprime en termes énergiques ce en quoi celle-ci eut à en souffrir. « A mesure, dit-il, que l’idée du sacerdoce universel perdit du terrain, l’idée d’une consécration à Dieu de la vie tout entière du chrétien n’en perdit pas moins. Contrairement aux exigences légitimes de la conscience chrétienne, on avait établi une distinction entre la vocation ordinaire et universelle des chrétiens, et celle d’un sacerdoce particulier. Maintenant, et tien que Christ eût voulu faire de la vie entière du chrétien une vie vraiment spirituelle, il s’établissait une distinction entre les attributions et l’activité d’une pareille vie et celles d’une vie plus mondainej. »

jHist. eccl., I, 276 (trad. angl.).

§ VII. L’activité de l’Église. — Dans toutes les transactions de l’Église primitive, on retrouve l’application du principe qui réglait l’élection de ses fonctionnaires. Tout ce qui était fait, l’était, non pas en l’autorité des surveillants ou des anciens seulement, mais en l’autorité de l’Église entière, sous la direction du Saint-Esprit (Actes 15.28). Au concile de Jérusalem, les lettres écrites aux fidèles le furent au nom des apôtres, des anciens et des frères, et ceux qui eurent la mission de les remettre, les reçurent des apôtres, des anciens et de toute l’Église. Saint Paul, dans les instructions qu’il donne aux Corinthiens au sujet de l’incestueux, professe le même principe. « Au nom du Seigneur Jésus, dit-il, vous et mon esprit étant assemblés, avec la puissance de notre Seigneur Jésus, etc. (1 Corinthiens 5.4) »

Mais l’usage de consulter la congrégation ne tarda pas à tomber en désuétude. On en rencontre cependant quelques exemples jusque dans le iiie siècle. Cyprien, évêque de Carthage, tout en ayant de l’épicospat l’idée exagérée que l’on sait, maintient cet usage avec soin. C’est ainsi qu’il écrit (252) aux anciens et aux diacres : « Dès le début de mon épiscopat, je me suis décidé à ne rien faire sans avoir votre avis et le consentement des fidèles. » Et ailleurs, dans sa lettre au sujet des Tombés : « Il est conforme aux bienséances et à la discipline… que les principaux fonctionnaires de l’Église et le clergé, en présence de tous ceux de la congrégation qui sont restés fermes, etc.k. » Hippolyte († 235), parlant des opinions hétérodoxes d’un certain Noétus, ajoute que, dès que les anciens en eurent connaissance, ils le firent comparaître devant l’Église de Smyrne pour qu’il y fût examiné. Après un second examen, ils l’excommunièrentl ». Il serait probablement difficile de trouver des exemples postérieurs d’une intervention des fidèles dans des affaires de ce genre. Et c’est ainsi que les Églises perdirent peu à peu une grande partie de leur force et de leur indépendance.

kEpp., V, §4 ; XIII, § 2.

lContre l’hérésie de Noétus, ch. 1.

VIII. Discipline. — La discipline occupait, dans l’Église primitive, une place très importante. « Il nous, est bien difficile, dit Hatch, à nous qui sommes habitués aux idées modernes, si différentes de celles d’autrefois, en ce qui concerne les rapports du gouvernement ecclésiastique et de la vie civile, de comprendre combien, dans les communautés de l’Église primitive, la discipline avait d’importance. Ces communautés n’existaient, en quelque sorte, que grâce à leur discipline rigide. Le lien d’une commune foi était bien moins ferme que celui d’un idéal, d’un genre de vie communs. Si le credo était vague encore, le code moral ne l’était pas. Le règne de Dieu, un règne de justice, était venu… Au milieu de la race méchante et perverse, les communautés ne pouvaient se maintenir que grâce à une extrême circonspection. La pureté morale n’était pas autant une vertu à laquelle il fallait aspirer que la condition même de l’existence. Si le sel de la terre avait perdu sa saveur, avec quoi la lui aurait-on rendue ? Si la lumière du monde avait été obscurcie, qui donc aurait pu en raviver l’éclat ? Les fonctionnaires ecclésiastiques de chaque communauté étaient les gardiens de cette pureté morale. Ils devaient veiller sur les âmes et en rendre compte. Semaine après semaine et même, dans certains cas — comme cela avait été pratiqué dans les synagogues — de deux en deux jours, l’assemblée des fidèles se réunissait, non pas seulement pour prier, mais pour veiller à l’exercice de la discipline et l’appliquerm. »

mEarly Churches, lect. III, 68, 69.

Tertullien nous apprend quelle sorte d’humiliation on infligeait à ceux qui avaient commis de graves péchés ou avaient renié leur foi. Ils devaient faire une confession publique (exomologesis), et voici en quoi elle consistait : « Le pénitent doit se mettre dans une posture qui provoque la compassion. Il doit se coucher dans le sac et la cendre…, abattre son esprit dans le chagrin, et, au lieu des péchés qu’il commettait, se livrer à la mortification. Sa nourriture doit être la plus simple possible, non pas à cause de son estomac, mais à cause de son âme ; sa viande doit être la prière et le jeûne ; nuit et jour, il doit gémir, pleurer, pousser des cris de douleur devant Dieu ; enfin il faut qu’il se roule aux pieds des anciens, qu’il embrasse les genoux des élus, qu’il prie tous les frères d’être ses ambassadeurs auprès de Dieu et de joindre leurs prières aux siennes. » Un peu plus loin, Tertullien se plaint de voir abandonner cet usage. « La plupart des hommes, dit-il, le repoussent comme suspect d’ostentation, ou en diffèrent de jour en jour l’accomplissementn. » Il faut avouer qu’il n’y a rien là de bien surprenant ! Origène, un siècle après, écrit les lignes suivantes : « Les chrétiens pleurent, comme s’ils étaient morts, ceux qui ont été surmontés par la luxure ou par tout autre péché. Et, en effet, ils sont perdus et morts à Dieu. Si plus tard il se manifeste en eux un heureux changement, ils les reçoivent comme des ressuscités. Mais ils exigent un stage plus long que lors de leur première admission dans l’Église, et ils ne confient plus jamais aucune charge ecclésiastique à ceux qui, après avoir professé l’Évangile, s’en sont détournés et l’ont abandonnéo. »

nSur la repentance, ch. 9 et 10.

oContre Celse, liv. III, ch. 51.

Des abus ne tardèrent pas à se montrer en matière de discipline. Ainsi, on fit très vite la distinction entre les péchés mortels et les péchés véniels. On confondit très vite la repentance du cœur et les signes purement extérieurs de la repentance. L’application de la discipline et son exercice étant de moins en moins entre les mains de la congrégation et de plus en plus entre celles du clergé seulement, on en vint bientôt à attacher plus de prix à l’absolution du prêtre qu’au pardon de Dieu. Toutefois ces abus ne commencèrent guère à se montrer qu’après la fin du deuxième siècle. Firmilien, évêque de Césarée en Cappadoce, ami d’Origène, écrit à Cyprien : « Chez nous les anciens et ceux qui président le culte se réunissent une fois par an pour s’entendre au sujet de la réintégration par la repentance de nos frères tombés. Non pas comme s’ils pouvaient recevoir de nous le pardon de leurs péchés, mais pour qu’ils puissent, par notre moyen, arriver à les mieux sentir et à désirer davantage d’en offrir une plus entière réparation au Seigneurp. »

p – Lettre imprimée avec celles de Cyprien, no LXXIV, § 4.

§ IX. Lieux de culte. — A l’origine les chrétiens s’assemblèrent dans des maisons particulières ou dans une chambre convenable. « Le Juif avait sa synagogue publique ou sa proseucha, son endroit de prière particulier. Mais rien d’extérieur ne distinguait la place où se réunissaient les chrétiens. Le cimetière où ils ensevelissaient leurs morts, un bois retiré, une chambre modeste, tel était le lieu de leurs pacifiques assembléesq ». « Pendant près de deux siècles, dit Stanley, il n’exista point de lieux de culte proprement dits. A partir de cette époque on trouve quelques allusions ; mais les termes en sont si vagues, qu’on ne sait pas toujours si l’écrivain a en vue la congrégation ou le bâtiment dans lequel elle se réunitr. »

q – Milman, II, 179.

rChrist. Instit., 176.

Quoi qu’il en soit, un fait significatif et digne de remarque, c’est que, durant la période de sa plus grande pureté et de son plus grand développement, l’Église n’avait pas d’édifices spécialement consacrés au culte. Clément d’Alexandrie ne se borne pas à citer à ce propos le mot de Paul à Athènes : Dieu n’habite pas dans des temples faits par la main des hommes ; il fait encore appel aux poètes et aux philosophes païens. Il invoque cette belle parole d’Euripide : Quelle maison construite par les mains d’un ouvrier, quels murs pourraient enfermer dans leurs plis la forme divine ? Et les paroles non moins remarquables du stoïcien Zenon : Nous ne devons faire ni temples, ni images, car aucune œuvre humaine n’est digne des dieux… Pourquoi bâtirions-nous des temples ? un temple ne doit pas être regardé comme saint. Car rien de ce que les maçons et les artisans ont bâti n’a de grande valeur, ni ne peut être tenu pour saint. Lui-même ajoute ailleurs : « Ce n’est pas le lieu des réunions, ce sont les assemblées des élus que j’appelle l’Églises. »

sStrom., liv. V, ch. 11 ; liv. VII, ch. 5.

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