Démonstration évangélique

LIVRE IV

CHAPITRE V
QUOIQUE NOUS ADMETTIONS L’EXISTENCE DE PLUSIEURS PUISSANCES CÉLESTES, NOUS N’EN RECONNAISSONS CEPENDANT DE DIVINE QUE LE FILS, QUI EST L’IMAGE DE DIEU

Bien loin de reconnaître plusieurs puissances célestes, il ne faut en admettre qu’une seule, qui domine l’ensemble de la création ; car la puissance qui a produit le monde est unique, ainsi que le Verbe qui l’a distribué et qui dès le principe était en Dieu : « au commencement, en effet, était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu » (Jean, I, 1). Il faut se garder de méconnaître sa grandeur, mais l’honorer et le vénérer, parce que ce qui existait dans le principe et dont l’existence se prolonge et se persévérera encore, est par lui, et que rien n’existe sans lui. La vie qui se manifeste en la création, ce qui a été produit était vie dans le Verbe. En lui et par lui est la vie, l’âme de toute créature. L’union, la beauté, l’harmonie, l’ordre, la connexion, la substance, les qualités et la grandeur du monde sont contenus et distribués par le Verbe unique, créateur de l’univers, et régis par la puissance de Dieu, unique et créatrice. Notre corps se compose de membres nombreux et divers ; cependant la puissance de son créateur est unique ce n’est pas une puissance qui a créé la tête, une seconde qui a formé les yeux et les oreilles, une autre qui a façonné les pieds. Ainsi la puissance divine préside au monde entier ; c’est elle qui a formé le ciel et les astres, les animaux qui peuplent l’air, la terre et les eaux, les éléments du tout comme de chacune des parties, les qualités des genres et des espèces ; la puissance qui a produit le feu n’est pas différente de celle qui a créé l’eau ; celle qui a formé la terre n’est pas différente de celle qui a formé l’air ; c’est la sagesse unique de qui tout procède, le Verbe de Dieu, que nous reconnaissons pour le créateur du monde et l’ordonnateur de l’univers. L’harmonie des éléments et leur sage combinaison attestent une nature commune et l’action d’un même ouvrier. La terre, lourd élément qui flotte sur les eaux sans être entraîné par sa pesanteur naturelle, et s’élève toujours sans être jamais submergé, rend témoignage au Verbe de Dieu, à ses desseins et à sa puissance. L’union du sec, de l’humide élément, qui ne produit rien de solide et ne détrempe pas l’univers, enchaîné car un ordre secret de Dieu, établit que le fils est unique et Verbe de Dieu. Si le feu, aux ardeurs terribles et dévorantes, est caché dans le bois et dans les corps animés, s’il est combiné avec la terre, avec l’eau, avec l’air, s’il est distribué enfin dans le monde avec mesure, suivant la nécessité de chaque être, oubliant sa redoutable puissance ; ne vous semble-t-il pas qu’il obéit au Verbe de Dieu et à sa puissance ? Si vous venez à considérer l’alternative du jour et de la nuit, l’accroissement et la diminution successive des heures et des saisons, le cercle des années et la révolution des temps, les périodes des astres, la course que fournit le soleil et les inconstances de la lune, l’harmonie et l’opposition mutuelle qui gouverne le monde, croirez-vous que le désordre, le hasard ou l’imprévu aient formé un si bel ordre, et n’adresserez-vous pas vos louanges, pour tant de merveilles au Verbe de Dieu, sagesse de Dieu, puissance de Dieu, dont l’essence est une et non multiple.

Si l’esprit de l’homme et sa faculté de connaître peuvent, en leur unité, composer plusieurs choses ; si, après de longues études, ils peuvent fertiliser cette terre, assembler les parties d’un navire, le gouverner et bâtir des maisons ; si son intelligence peut embrasser plusieurs sciences, pratiquer la géométrie et l’astronomie, discuter la grammaire et la médecine, exceller dans les sciences et dans les arts manuels, on ne pensa jamais qu’un même homme eût plusieurs âmes, et on ne s’étonna pas du nombre des facultés qui devaient recevoir tant de connaissances diverses. Si quelqu’un a trouvé un morceau d’argile informe, et qu’après l’avoir amolli entre ses doigts, il lui donne la forme d’un animal, en empruntant de créatures diverses une tête, des mains, des pieds, des yeux et des joues, la bouche, le nez, la poitrine et les épaules, parce qu’il a donné à un seul corps des traits, des membres et des parties diverses, faut-il supposer autant d’ouvriers ? Ne doit-on pas plutôt louer l’artiste dont l’habileté et l’adresse ont su unir ces traits épars ? Pourquoi donc supposer que ce monde, dont l’unité est formée d’un grand nombre de parties, doit son existence a plusieurs puissances créatrices ? Pourquoi nommer plusieurs dieux, et ne pas reconnaître une sagesse et une puissance de Dieu unique, dont le pouvoir et l’efficace, qui sont uniques en leur essence, ont donné l’existence et la vie au monde, et ont créé ces richesses innombrables. Ainsi le soleil en disposant ses rayons illumine le ciel, brille aux yeux de l’homme, échauffe ce qu’il atteint, fertilise la terre, fait grandir les plantes, mesure le temps, conduit les astres en leur carrière, parcourt le ciel, réjouit le monde, manifeste à l’univers la puissance de Dieu, et c’est par la seule force de sa nature qu’il produit ces effets divers. Le feu purifie l’or et liquéfie le plomb, il fait couler la cire, il dessèche l’argile, consume le bois et produit ces effets par l’ardeur qui lui est propre. Ainsi le Verbe de Dieu, créateur du soleil, du ciel, du monde entier, présent à tous les êtres qu’il pénètre par son efficace particulière, répand de son sein intarissable et en pluie abondante, la lumière sur le soleil, la lune et les astres du ciel. Comme dès l’origine il a développé le firmament, image la plus fidèle de sa grandeur, il le gouverne toujours. Il prodigue par la même fécondité créatrice aux puissances du ciel et du monde, aux anges, aux esprits, aux substances intelligentes et raisonnables, la vie, la lumière, la sagesse, la justice, la droiture et le bien qu’il puise en ses trésors jamais il n’abandonne les principes des êtres. Il produit leurs mélanges, leurs combinaisons, leurs caractères, leurs beautés, leurs formes et leurs qualités innombrables ; il varie avec art les animaux et les plantes, l’esprit et la matière, l’intelligence et l’instinct ; il satisfait aux besoins de toute existence par sa seule puissance ; il donne enfin à l’homme une intelligence capable de connaître sa grandeur et sa sagesse ; il est présent à toutes choses, et montre évidemment que l’unité du monde est l’ouvrage d’un créateur unique, du Verbe. Tel est le Fils unique, l’interprète habile des conseils du Père, et le Créateur que le Dieu et Père de tout être et du Créateur lui-même a engendré avant tous, le confident et le coopérateur des raisons créatrices du monde futur, et le dépositaire des principes de la constitution du monde et des lois qui doivent le régir. Vos yeux ne sont-ils pas frappés du monde qu’un seul firmament enverra, des innombrables circuits cl des révolutions des astres autour de lui ? N’est-il pas seul encore le soleil qui fait disparaître dans ses feux l’éclat des autres astres ? Ainsi d’un Père unique doit naître un Fils unique ; et si quelqu’un est surpris que Dieu n’en ait pas engendré plusieurs, il devra s’étonner aussi qu’il n’ait pas formé un grand nombre de soleils, de lunes, de mondes ; semblable à l’insensé qui s’applique à renverser tout ce qui, de sa nature, est sage et admirable.

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