Démonstration évangélique

LIVRE V

CHAPITRE PREMIER
SALOMON, CE ROI LE PLUS SAGE DES HÉBREUX, TÉMOIGNE DANS LE LIVRE DES PROVERBES QU’IL CONNAÎT UN PREMIER-NÉ PUISSANCE DE DIEU. COMME NOUS, IL L’APPELLE LA SAGESSE ET LE FILS DE DIEU

« Moi, la sagesse, j’ai habité dans le conseil et la science, et j’ai invoqué la réflexion. La crainte du Seigneur éloigne l’injustice, l’ignorance, l’orgueil et les voies des méchants. J’ai haï les voies obliques de l’homme pervers. A moi sont le conseil et la constance ; la prudence et la force m’appartiennent. Par moi les rois règnent, et les puissants rendent la justice ; par moi les grands s’élèvent, et les princes envahissent la terre. J’aime ceux qui m’aiment, et ceux qui me cherchent trouvent le bonheur. L’opulence et la gloire sont à moi, les possessions immenses et la justice. Il vaut mieux me posséder que de jouir de l’or et de l’abondance des pierres précieuses ; mes fruits sont plus beaux que l’argent pur. Je marche en la voie droite, et je me tiens dans les sentiers de l’équité, afin de partager à ceux qui me chérissent les biens véritables, et de remplir leurs trésors de richesses. Si je vous annonce ce qui se fait tous les jours, je rappellerai le souvenir des événements passés. Le Seigneur m’a formée au commencement de ses voies pour ses œuvres, il m’a établie avant le temps. Dès le commencement, avant d’avoir fait la terre, et creusé les abîmes, avant d’avoir fait jaillir les sources d’eaux, affermi les montagnes et élevé les collines, le Seigneur m’a engendrée. Le Seigneur a créé les déserts et les lieux hauts et peuplés de la terre. Lorsqu’il étendait les cieux et qu’il asseyait son trône sur les nuages, j’étais là avec lui. Quand il épaississait les nuées du ciel, et qu’il fixait les sources de la terre ; quand il donnait des limites à la mer, et les eaux ne les dépasseront pas ; quand il affermissait les fondements de la terre, j’étais auprès de lui, distribuant l’harmonie ; je faisais ses délices. Chaque jour je me jouais devant lui, en tout temps, quand il se réjouissait de l’univers qu’il avait créé et qu’il prenait plaisir à considérer les fils des hommes » (Prov., VIII, 12). Substance divine et douée de toute vertu, plus ancienne que toute créature, premier-né et image intelligente de l’Eternel, parmi les noms qui le révèlent et qui lui attribuent les perfections de Dieu, le Fils unique et véritable Dieu de l’univers, reçoit par la bouche du grand Roi le nom de la sagesse même, et l’honneur qui lui revient. Or, nous avons appris à l’appeler le Verbe de Dieu, la lumière, la vie, la vérité, et enfin le Christ, puissance de Dieu, sagesse de Dieu. En ce passage, il dit, par la bouche du sage Salomon, comme sagesse de Dieu vivant et subsistant par elle-même : « Moi, la sagesse, j’ai habité dans le conseil et la science, et j’ai invoqué la réflexion, » et ce qui suit. Puis, comme celui qui est la prévoyance est chargé de tout administrer et de prévoir tout, il ajoute : « Par moi les rois règnent, elles puissants rendent la justice ; par moi les grands s’élèvent. » Quand il a dit qu’il rappellera le souvenir des événements passés, il ajoute : « Le Seigneur m’a formée au commencement de ses voies pour ses œuvres ; il m’a établie avant le temps. » Il nous révèle encore par ces paroles qu’il est engendré, qu’il n’est pas celui qui ne fui pas engendré, mais qu’il a reçu l’être avant le temps, et qu’il a été produit comme le fondement de toutes les créatures. C’est sur ces paroles sans doute que l’Apôtre s’est appuyé quand il l’a appelé l’image de l’invisible, et le premier-né de toute créature ; car par lui tout a été créé dans le ciel et sur la terre. Il est appelé le premier-né de toute créature d’après ces paroles : « Le Seigneur m’a créée au commencement de ses voies pour ses œuvres. » Il est assurément encore l’image de Dieu, comme le fils de la science sans principe. C’est ce qu’il nous révèle par ces paroles, où il parle ainsi de lui-même : « Avant d’affermir les montagnes et d’élever les collines, il m’a engendrée. » Aussi nous appelons celle sagesse divine le Fils unique, le Verbe, premier-né du Père. Or la raison qui nous oblige à le dire engendré du Père mérite une explication particulière.

Nous ne comprenons point son ineffable génération par ces écoulements, ces diminutions, ces coupures on quelqu’un des autres moyens des générations de la terre ; car il ne faut pas assimiler sa naissance ineffable et insaisissable au langage, et sa substantialité (οὐσίωσις) à quelqu’une des générations périssables, ni lui comparer quelque image empruntée à ce qui est passager et mortel. Il ne serait pas religieux en effet de dire que, suivant les générations des êtres vivants qui nous entourent, le Fils, substance de substance, soit sorti du Père avec des douleurs ou des divisions, par séparation ou partage. Sans parties et sans membres, Dieu ne peut être coupé, divisé ou prolongé, réduit ou resserré, ni devenir supérieur, inférieur ou meilleur ; il n’a rien en soi d’étranger à son essence qu’il puisse perdre ; car tout ce qui est en quelque chose est, ou un accident, comme la blancheur qui manifeste un corps ; ou une substance en une substance, comme le fruit qu’une mère porte en son sein ; ou une partie dans le tout, comme dans le corps la main, le pied, le doigt, parties du tout, dont la perte, le retranchement ou la coupure laissent l’ensemble imparfait et mutilé, comme privé d’une de ses parties. Or, comparer à ces images inexactes la substance éternelle de Dieu et la génération de son Fils unique et premier-né, ce sérail le comble de l’impiété. Ainsi donc ce n’est pas comme une substance se trouve en une autre substance que le Fils coexistait sans génération au Père dès l’éternité, partie du Père qui changea plus tard et sortit de son sein : ce serait proprement une vicissitude. Alors il y aurait deux, sans génération, celui qui aurait engendré et celui qui eût été engendré. Or, quel serait l’état le plus élevé ? Assurément celui qui a précédé la désunion. Il sera donc possible de regarder le Fils comme une partie, comme un membre éternellement uni au tout, dont il s’est séparé plus tard ? Mais de telles pensées sont abominables et impies, déduites qu’elles sont de la nature corporelle et opposées à la substance spirituelle et immatérielle. Aussi déjà quelqu’un s’est-il écrié à ce sujet : Que dira sa génération ? Car il n’est pas sans danger d’embrasser l’opinion contraire, et d’avancer simplement que le Fils est sort du néant comme les autres créatures.. Autre, en effet, est la naissance du Fils, autre la création à laquelle a concouru le Fils. Or, puisque l’Ecriture sainte l’appelle le premier-né de toute créature, et que dans une magnifique prosopopée elle dit : Le Seigneur m’a créée au commencement de ses œuvres, et qu’elle le reconnaît engendré du Père : Avant d’élever les collines il m’a engendré (Isaïe, LIII, 8), ne sera-t-il pas raisonnable de la suivre et de confesser que le Verbe, ministre de Dieu, a précédé les siècles ; qu’il coexiste au Père, qu’il est Fils unique du Dieu de l’univers, ministre et coopérateur de son Père dans la création et la distribution de ce monde ? Si dans la nature il y a des obscurités et des ténèbres, et mille objets s’offrant ainsi à nos yeux, comme les promesses faites aux amis de Dieu : L’œil n’a pas vu, l’oreille n’a pas entendu, jamais le cœur de l’homme n’a éprouvé, etc., suivant le saint Apôtre, les mystères de la première génération du Fils unique de Dieu sont bien davantage au-dessus de toute pensée, de l’expression et du langage, de l’intelligence et du cœur, et nous n’avons plus à méditer et à dire que ces mots : Qui dira sa génération ? Et si dans les prétentions de la témérité on compare des mystères si sublimes aux êtres visibles et matériels, on pourra dire que douce vapeur, splendeur lumineuse de l’essence éternelle du Père et de la substance ineffable, le Fils existe dès l’origine des siècles, avant même tous les siècles ; qu’il coexiste à son père, qu’il est toujours avec lui comme l’odeur avec le parfum, et l’éclat avec la lumière ; non pas absolument comme ers exemples le témoignaient, mais selon les limites que nous avons déjà tracées. La matière en effet compte les accidents au nombre de ses qualités ; car l’éclat qui est de même nature que la lumière, et qui lui coexiste substantiellement, ne pourrait exister sans elle. Or le Verbe de Dieu tire son essence de lui-même, il coexiste au Père, non sans génération, mais comme le Fils unique engendré du Père avant tous les siècles. L’odeur qui est une émanation corporelle d’un objet, et qui embaume d’elle-même l’air environnant, est cependant matérielle, mais ce n’est pas ainsi qu’il nous faut entendre la première génération du Fils : une partage pas l’essence de l’Eternel par quelque souffrance ou quelque division de celui-ci ; il ne lui coexiste pas sans avoir de principe, puisque l’un est sans principe et l’autre est engendré : l’un est Père, l’autre est Fils. Or tout homme avouera que le Père existe avant le Fils qu’il précède. Ainsi encore il est image de Dieu d’une manière ineffable et incompréhensible ; image vivante du Dieu vivant, qui est par elle-même immatérielle, spirituelle, sans aucun mélange contraire : non pas semblable à ces images, œuvres imparfaites de notre habileté, qui ont leur essence propre et qui renvoient une forme étrangère, mais image fidèle, semblable en substance au Père : émanation vivifiante qui s’est élevée du Père d’une manière inconnue et inaccessible ; car en réalité toutes ses perfections surpassent le langage des hommes, et sont inaccessibles aux intelligences des mortels. Mais de quelque manière que nous l’entendions, c’est là ce que nous apprennent les oracles sacrés. Le grand Apôtre ne dit-il pas que ceux qui suivent ses traces et lui-même sont la bonne odeur de Jésus-Christ, à cause de l’esprit du Christ qui est avec eux (II Cor., II, 15) ? Dans le cantique des cantiques, l’époux céleste n’est-il pas appelé un parfum répandu ? Visibles et invisibles, corporelles et incorporelles, raisonnables et privées de raison, toutes les créatures ont été honorées d’une manière proportionnée de l’effusion et de la libéralité du Verbe de Dieu. Tout l’univers répand cette bonne odeur du souffle divin, sensible à ceux qui n’ont pas usé leurs sens spirituels, car les corps terrestres et corruptibles ont reçu un parfum spirituel et pur, qu’a répandu sur eux le Dieu souverain, Père du Verbe unique. Dieu suprême et véritable, qui engendre le second bien, le Fils, premier fruit de la première essence, déjà désigné comme le parfum de la substance du Père, par ces paroles auxquelles nous aimons à conformer notre croyance : Elle est une vapeur de la puissance de Dieu, une émanation pure de la gloire du Tout-Puissant, la splendeur de la lumière éternelle, le miroir sans tache de la majesté de Dieu et l’image de sa bonté (Sages., VII, 25). Cependant on peut leur attacher telle importance qu’on jugera convenable : pour nous il nous suffit de répéter ces mots, pleins de vérité et de religion, par lesquels nous résoudrons toute difficulté, et que nous avons déjà cités souvent : Qui dira sa génération ? Cette génération du Fils unique de Dieu est inaccessible à l’homme aussi bien qu’aux puissances supérieures, ainsi que le Sauveur et Seigneur de nos âmes l’enseigna à ses disciples, lorsqu’il les initiait à sa doctrine. Nul, dit-il, ne connaît le Père, si ce n’est le Fils ; et il ajouta : Et personne ne connaît le Fils, si ce n’est le Père (Luc, X, 22). Puis donc que les mystères du Père et du Fils sont impénétrables à tous, eux seuls exceptés, il faut écouter la sagesse qui dit mystérieusement, en ces paroles de Salomon déjà citées : Avant d’avoir affermi les montagnes, formé la terre et élevé les collines, le Seigneur m’a engendrée. Elle dit encore qu’elle était avec le Père qui créait les cieux : Quand il étendait les cieux j’étais là avec lui. Enfin elle manifeste son éternelle société avec le Père, en disant : J’étais auprès de lui distribuant l’harmonie ; je faisais tes délices ; chaque jour je me jouais devant lui. Or il faut prendre comme désignant la formation de l’univers, en indiquant le tout dans la partie, les abîmes, les sources d’eaux vives, les montagnes et les collines et tout ce qui est décrit en paroles vulgaires en ce passage, ou les entendre comme des figures qu’il faut transporter aux substances intelligentes et aux vertus célestes, dont la première, l’unique et seule progéniture de Dieu est la sagesse, le Verbe que nous appelons Christ, guidés en cela par l’Apôtre, qui l’appelle le Christ, la puissance de Dieu et la sagesse de Dieu ; mais on lui a donné avec raison le nom de sagesse… (Le reste du chapitre manque.)

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