Histoire ecclésiastique - Eusèbe de Césarée

LIVRE II

CHAPITRE VI
NOMBREUX MALHEURS ARRIVÉS AUX JUIFS APRÈS LE MEURTRE DU CHRIST

[1] Après la mort de Tibère, Gaïus obtint l'empire et il fit sentir sa violence à beaucoup de gens, en beaucoup de rencontres, mais il ne nuisit à personne plus qu'à toute la race juive. [2] On peut s'en rendre compte rapidement dans ce passage de Philon dont voici le texte :

« Gaïus avait un caractère tout à fait anormal pour tout le monde, mais à un tout autre degré pour la race des Juifs. Il les poursuivait durement de sa haine, s'emparait des oratoires qu'ils avaient dans les villes, à commencer par ceux d'Alexandrie, pour les remplir des images et des statues de sa propre personne ; car permettre à d'autres de les y placer c'était bien le faire lui-même. Le temple de la ville sainte, demeuré inviolable jusque là, et jouissant du droit d'asile complet, fut désaffecté et il le changea en son propre sanctuaire qui fut consacré au Nouveau Jupiter Visible, à Gaïus. »

[3] Il arriva aux Juifs d'Alexandrie sous ce prince bien d'autres malheurs qui dépassent ce qu'on en peut raconter. Le même écrivain les a rapportés dans un autre ouvrage qu'il a intitulé Des Vertus. Josèphe s'accorde avec lui pour constater que les calamités qui accablèrent le peuple juif tout entier, commencèrent au temps de Pilate et de leur criminelle entreprise contre le Sauveur. [4] Voici ce qu'il écrit en propres termes au second livre de la Guerre des Juifs :

« Envoyé en Judée par Tibère avec le titre de procurateur, Pilate introduisit à Jérusalem pendant la nuit sous un voile les images de César qu'on appelle enseignes. Avec le jour, cela excita un très grand tumulte parmi les Juifs ; ceux-ci en effet s'étant approchés, ils furent frappés de stupéfaction à cette vue ; leurs lois étaient foulées aux pieds, car il était interdit de dresser aucune image dans la ville. »

[5] Si l'on compare ceci avec ce que l'Évangile nous raconte, on verra qu'il fallut peu de temps pour que se retournât contre eux le cri qu'ils poussaient devant le même Pilate et par lequel ils proclamaient qu'ils n'avaient pas d'autre roi que César.

Le même écrivain nous raconte ensuite en ces termes un autre malheur qui les atteignit :

« Après cela, dit-il, Pilate fit naître une autre sédition. Il s'empara du trésor sacré, appelé Corban. Il voulait s'en servir pour amener l'eau à Jérusalem : elle était à trois cents stades de là. Ce fut la cause d'un soulèvement de la multitude. [7] Lorsque Pilate vint à Jérusalem, les Juifs l'entourèrent en poussant des cris ; mais il avait prévu ce trouble et avait pris la précaution de mêler à la foule des soldats armés et vêtus d'habits ordinaires. Ils avaient l'ordre de ne pas se servir de leurs épées, mais de frapper à coups de bâton les mécontents qui crieraient. Pilate donna lui-même le signal de son siège. Ainsi frappés, les Juifs ou bien périssaient sous les coups ou bien s'écrasaient les uns les autres dans le désordre de la fuite. Le peuple, effrayé à la vue du malheur de ceux qui étaient morts, rentra dans le silence. »

[8] Le même nous dit qu'il y eut encore beaucoup d'autres révolutions dans la ville même de Jérusalem ; il ajoute qu'à partir de cette époque, les séditions, les guerres et les calamités de toutes sortes se succédèrent sans interruption tant à Jérusalem que dans toute la Judée, jusqu'au dernier siège qui arriva sous Vespasien. Voilà comment la justice divine vengea les crimes que les Juifs commirent contre le Christ.

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