Histoire ecclésiastique - Eusèbe de Césarée

LIVRE VII

CHAPITRE XXVIII
COMMENT PAUL APRÈS AVOIR ÉTÉ CONVAINCU FUT DÉPOSÉ

[1] A cette époque, une dernière réunion d'un très grand nombre d'évêques fut tenue. Pris en flagrant délit et alors reconnu par tous clairement coupable d'hétérodoxie, le chef de l'hérésie d'Antioche est banni de l'église catholique qui est sous les cieux.

[2] Celui qui travailla le plus à lui faire rendre compte et à le convaincre de dissimulation fut Malchion, homme disert du reste, qui était à Antioche chef d'une école de sophistes où l'on donnait renseignement des Grecs ; d'ailleurs à cause de la pureté extraordinaire de sa foi dans le Christ, il était honoré du sacerdoce dans l'église de ce pays. Il se leva donc contre lui, et comme les tachygraphes notaient sa discussion avec Paul, elle nous est parvenue et nous la connaissons ; seul parmi les autres il fut assez fort pour surprendre cet homme dissimulé et trompeur.

[3] D'un commun accord les pasteurs assemblés là écrivent une lettre unique qu'ils adressent à la personne de l'évêque de Rome, Denys, et de Maxime, l'évêque d'Alexandrie, et ils renvoient à toutes les provinces. Ils établissent clairement pour tous leur diligence, l'hétérodoxie perverse de Paul, les réfutations et les questions qu'ils s'étaient efforcée de lui adresser ; de plus ils racontent toute la vie et la conduite de cet homme. Pour la mémoire de ces choses, il sera peut-être bon de citer ici les termes dont ils se servent.

« [4] A Denys et à Maxime et à tous ceux qui exercent avec nous le ministère sacré dans toute la terre, évêques, prêtres, diacres et à toute l'Église catholique qui se trouve sous le ciel, Hélénus, Hyménée, Théophile, Théotecne, Maxime, Proclus, Nicomas, Elien, Paul, Bolanus, Prologène, Hiérax, Eutychius, Théodore, Malchion, Lucius et tous ceux qui habitent avec nous les villes et les pays voisins, évêques, prêtres et diacres, ainsi que les églises de Dieu, aux frères aimés dans le Seigneur, salut. »

[5] Peu après ils ajoutent ceci : « Nous avons écrit à beaucoup d'évêques éloignés et nous les avons en même temps exhortés à guérir cet enseignement de mort, nous avons agi ainsi pour Denys d'Alexandrie et pour Firmilîen de Cappadoce, tous deux bienheureux. Le premier d'entre eux écrivit une lettre à Antioche, mais il ne fit pas l'honneur de saluer le chef de l'erreur et ce ne fut pas à sa personne mais à l'église tout entière qu'il s'adressa ; nous avons joint plus bas la copie de cette épître.

[6] Firmilien d'autre part vint deux fois [à Antioche] et condamna les innovations introduites par lui ; nous le savons et en témoignons, nous qui sommes présents ici, et beaucoup d'autres le savent avec nous. Paul promit qu'il allait changer ; Firmilien le crut et espéra que sans dommage pour la doctrine, l'affaire aurait l'issue qu'il fallait ; il différa de conclure, trompé par cet homme qui reniait et son Dieu et son Seigneur, et qui ne gardait pas la foi qu'il avait eue auparavant. [7] Firmilien dut alors reprendre encore le chemin d'Antioche ; il était arrivé jusqu'à Tarse et il savait par expérience la malice de ce renégat de Dieu ; cependant, sur ces entrefaites, nous nous étions réunis, nous appelions de nos vœux et nous attendions sa venue quand il trouva la fin de sa vie. »

[8] Plus loin encore ils décrivent la vie de Paul et sa conduite en ces termes : « Depuis qu'il s'est écarté de la règle pour passer à des doctrines falsifiées et bâtardes, il ne faut pas juger ses actions puisqu'il est hors [de l'Église], [9] pas même quand, ayant été autrefois dans la pauvreté et la mendicité, n'ayant point reçu de bien de ses pères, et n'en ayant point acquis par industrie ou occupation quelconque, il est aujourd'hui arrivé à une fortune excessive par des injustices, des voies sacrilèges, comme aussi par ce qu'il a demandé et sollicité des frères, pratiquant la concussion à l'égard de ceux qui avaient commis l'injustice, promettant moyennant salaire de les secourir, les trompant eux-mêmes et sans motif tirant profit de la facilité de ceux qui ont des affaires à donner quelque chose pour être délivrés des gens qui les tracassent, estimant que la religion était une source de gain ; [10] pas même quand il est orgueilleux et fier et qu'il se revêt de dignités séculières, et préfère être appelé ducénaire plutôt qu'évêque, quand il s'avance avec magnificence sur les places et que là il lit des lettres et y répond en public, marchant escorté de gardes qui le précèdent et qui le suivent en grand nombre, si bien que la foi devient un objet d'envie et de haine, grâce à son faste et à la morgue de son cœur ; [11] pas même quand il organise une pompe théâtrale dans les assemblées de l'église, recherchant la gloire, impressionnant l'imagination et frappant les esprits des simples par des procédés de cette sorte. Il s'est fait préparer un tribunal et un trône élevé comme ne doit pas l'avoir un disciple du Christ ; il a un cabinet particulier ainsi que les magistrats du siècle et il lui donne le même nom ; il frappe de la main sur sa cuisse et des pieds sur son tribunal. Ceux qui ne le louent pas et qui n'agitent pas leurs mouchoirs comme dans les théâtres, qui ne poussent pas de cris, qui ne se lèvent pas, ainsi que font ceux de son parti, hommes et mégères qui l'écoutent ainsi d'une façon indécente, ceux qui l'entendent comme [on doit le faire] dans la maison de Dieu, avec respect et retenue, il les reprend et leur fait des reproches. Les interprètes de la parole qui ont quitté ce monde, il les traite avec inconvenance, d'une façon grossière dans l'assemblée, tandis qu'il se vante lui-même avec emphase, non comme un évêque mais comme un sophiste et un charlatan. [12] Quant aux chants en l'honneur de Notre Seigneur Jésus-Christ, il les a fait cesser comme trop modernes et écrits par des hommes trop modernes ; mais en son honneur et en pleine église, le grand jour de Pâques, il a fait chanter des femmes qu'on aurait horreur d'entendre. C'est encore ainsi que le flattent les évêques des campagnes et des villes voisines, et aussi les prêtres dans leurs homélies au peuple et il les laisse faire.

« [13] Il ne veut pas confesser avec nous que le fils de Dieu soit venu du ciel (pour dire tout de suite quelque chose de ce que nous devons écrire plus loin ; du reste cela ne sera pas affirmé dans une simple déclaration, mais démontré très abondamment par les documents que nous envoyons et surtout par le passage où il dit que Jésus-Christ vient d'en bas) ; mais ceux qui chantent en son honneur et font son éloge dans le peuple disent que leur maître impie est un ange venu du ciel ; cela, il ne l'empêche pas, il assiste au contraire à leurs discours, l'insolent qu'il est.

« [14] Quant à ses femmes admises à vivre avec lui, comme les appellent les gens d'Antioche, et à celles des prêtres et des diacres qui l'entourent, il cache avec eux cela et d'autres fautes qui sont incurables, quoiqu'il les connaisse et en ait la preuve, afin qu'il ait les coupables dans sa main, et que pour les méfaits qu'il commet dans ses discours et ses actions, ils n'osent pas l'accuser par crainte de ce qui leur arriverait à eux-mêmes ; bien plus, il les a fait devenir riches et c'est la raison pour laquelle il est aimé et admiré par ceux qui recherchent cela. Pourquoi écrire ces choses ? [15] Nous savons, en effet, frères aimés, qu'il faut que l'évêque et tout le sacerdoce soit pour le peuple un modèle de toutes bonnes œuvres et nous n'ignorons pas combien, pour avoir introduit des femmes avec eux, sont tombés ; d'autres ont été soupçonnés, si bien que lors même qu'on accorderait à quelqu'un qu'il n'a rien fait de déshonnête, cependant il lui faudrait prendre garde au soupçon qui naît d'une pareille affaire, afin de ne scandaliser personne et de ne pas porter les autres a l'imiter. [16] Comment en effet pourrait-il reprendre autrui ou l'avertir de ne pas en venir à cohabiter désormais avec une femme et de se garder ainsi de tomber, selon qu'il est écrit, lui qui en a bien renvoyé une mais qui en a avec lui deux autres dans la fleur de l'âge et d'aspect séduisant ; partout où il va il les emmène, et cela dans une vie de bonne chère et de luxe débordant. [17] C'est pour cela que tous gémissent et se lamentent en eux-mêmes ; ils craignent sa tyrannie et son pouvoir au point de ne pas oser l'accuser.

« [18] Oui, ainsi que nous l'avons dit plus haut, on pourrait demander raison de cela à un homme qui aurait des sentiments catholiques et qui serait compté parmi les nôtres, mais à lui qui raille le mystère, qui se fait gloire de l'infâme hérésie d'Artémon (car est-il besoin de montrer, on n'y aurait pas de peine, qu'il en est le père ?), nous pensons qu'il ne faut nullement lui demander compte de ces choses. »

[19] Puis à la fin de la lettre ils ajoutent ceci : « Nous avons donc été obligés après avoir excommunié cet adversaire de Dieu, malgré sa résistance, d'établir à sa place, pour l'église catholique un autre évêque, afin d'obéir à la Providence divine, c'est Domnus, le fils du bienheureux Démétrien qui a excellemment, avant Paul, gouverné cette même église ; il est orné de toutes les qualités qui conviennent à l'épiscopat ; nous vous en informons afin que vous lui écriviez et que vous receviez ses lettres de communion ; l'autre, qu'il écrive à Artémon et que les partisans d'Artémon communiquent avec lui. »

[20] Paul, en même temps qu'il avait perdu l'orthodoxie de la foi, était donc déchu de l'épiscopat ; Domnus, ainsi qu'il est dit, lui succéda dans le gouvernement de l'église d'Antioche. [21] Mais voilà que Paul ne voulut absolument pas sortir de la maison de l'église ; l'empereur Aurélien, auquel on recourut, rendit une décision très heureuse sur ce qui devait être fait ; il ordonna que la maison fût attribuée à ceux à qui les évêques d'Italie et de la ville de Rome l'auraient adjugée. Ce fut donc ainsi que l'homme susdit fut chassé de l'église avec la dernière honte par le pouvoir séculier.

[22] Telles étaient à ce moment les dispositions d'Aurélien à notre égard ; mais dans la suite de son règne, ses sentiments envers nous devinrent hostiles ; il était alors excité par certains conseils à soulever contre nous une persécution et il en était fortement question auprès de tous ; [23] il allait même l'entreprendre et pour ainsi dire mettre sa signature aux édits préparés contre nous, quand la justice divine l'atteignit et le retint presque par le bras d'entreprendre cela ; elle fit voir clairement à tous que jamais les chefs de ce monde n'auraient la facilité d'agir contre les églises du Christ, à moins que la main qui nous protège, par un jugement divin et céleste, pour corriger et convertir, et encore au temps où elle l'estimera propice, ne permît de le faire.

[24] Aurélien ayant donc régné six ans, son successeur est Probus ; celui-ci possède l'empire dans le même temps et le laisse à Carus et à ses enfants, Carinus et Numérien ; ceux-ci à leur tour ne lui survivent pas trois années entières, et le pouvoir souverain passe à Dioclétien et à ceux qui lui ont été associés. Sous eux s'est accomplie la persécution qui eut lieu de notre temps, ainsi que la destruction des églises de cette époque. [25] Mais peu avant cela, Denys, évêque de Rome, après avoir achevé neuf années d'épiscopat, avait eu pour successeur Félix.

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