Histoire ecclésiastique - Eusèbe de Césarée

LIVRE VIII

[1] Nous avons exposé en sept livres entiers la succession des apôtres ; dans ce huitième livre, nous avons pensé que les événements qui nous furent contemporains sont dignes d'être décrits d'une façon spéciale et que c'était une chose tout à fait indispensable de les transmettre à la connaissance de ceux qui viendront après nous. Aussi bien notre récit commencera à partir de là.

CHAPITRE I
CE QUI PRÉCÉDA LA PERSÉCUTION DE NOTRE TEMPS

[1] Quelle et combien grande, avant la persécution de nos jours, fut la considération et la liberté dont jouissait auprès de tous les hommes grecs et barbares la doctrine de la religion du Dieu de l'univers annoncée au monde par le Christ, il serait au-dessus de nos forces de le raconter dignement. [2] On en peut voir la preuve dans les actes de bienveillance des princes envers les nôtres ; ils leur confiaient même le gouvernement des peuples, ils les exemptaient de l'obligation angoissante de sacrifier, à cause de la grande inclination qu'ils gardaient eux-mêmes pour notre croyance. [3] Que dire de ceux qui étaient dans les palais impériaux, et par-dessus tout, des princes eux-mêmes ? Ceux-ci laissaient à leurs familiers, en leur présence, en ce qui concerne la divinité, une liberté entière de parole et de conduite ; il en était de même pour les épouses, les enfants et les serviteurs ; ils leur permettaient presque de se vanter de la liberté de leur foi ; c'était d'une façon extraordinaire et plus que les autres officiers qu'ils les avaient en faveur. [4] Tel ce Dorothée qui leur était plus dévoué et plus fidèle que tous et, à cause de cela, plus singulièrement honoré que ceux qui étaient dans des charges et des gouvernements ; et avec lui, le célèbre Gorgonius et tant d'autres qui étaient pareillement jugés dignes par les princes de la même distinction à cause de la doctrine de Dieu. [5] Il fallait voir de quel accueil les chefs de chaque église étaient l'objet de la part de tous les procurateurs et gouverneurs. D'autre part, comment décrire ces innombrables entrées de gens dans l'Église, les foules dans les assemblées de chaque ville et les remarquables concours de la multitude dans les maisons de prières ? Aussi bien, à cause de cela, on ne se contentait désormais plus des édifices d'autrefois, et dans chaque ville on faisait sortir du sol de vastes et larges églises. [6] Aucune haine n'empêchait tout cela d'avancer avec le temps, et d'ajouter chaque jour un progrès et un accroissement ; aucun démon dans sa malice n'était capable de le conjurer par un sort, ni de l'empêcher par les machinations des hommes, tellement la main de Dieu du haut du ciel couvrait et gardait son peuple ; celui-ci du reste en était digne.

[7] Cependant, comme il arrive dans la plénitude de la liberté, les choses parmi nous tournèrent à la mollesse et à la nonchalance ; nous nous jalousions les uns les autres, nous nous lancions de grossières injures, et il s'en fallait peu que nous nous fissions la guerre les uns aux autres, quand cela se trouvait, avec les armes et les traits que sont les paroles ; les chefs déchiraient les chefs, les peuples divisés se soulevaient contre les peuples ; l'hypocrisie maudite et la dissimulation montaient au plus haut degré de malice. Alors le jugement de Dieu, ainsi qu'il aime à le faire, agissait avec ménagement et les assemblées se réunissaient encore ; il exerçait sa charge avec douceur et modération ; ce fut par les frères de l'armée que commença la persécution. [8] Comme des gens insensibles nous ne mettions aucun empressement à faire en sorte de rendre la divinité bienveillante et miséricordieuse ; semblables à des athées qui pensent que ce qui nous concerne n'est pas l'objet d'une vigilance et d'une surveillance, nous entassions les fautes les unes sur les autres. Ceux qui paraissaient nos pasteurs, dédaignant la règle de la religion, se laissaient enflammer les uns contre les autres par les jalousies ; ils ne faisaient uniquement progresser que les disputes, les menaces, la rivalité, l'inimitié et la haine réciproques ; ils revendiquaient avec ardeur les objets de leur ambition comme on fait pour des tyrannies, et cela justement alors que suivant la parole de Jérémie : « Le Seigneur étendit les ténèbres de sa colère sur la fille de Sion et rejeta du ciel la gloire d'Israël, il ne se souvint plus de son marchepied au jour de sa colère ; mais il noya toute la beauté d'Israël et détruisit tous ses retranchements ». [9] Et selon ce qui est prophétisé dans les Psaumes : « Il a détruit le testament de son serviteur et il a jeté bas son sanctuaire » par la ruine des églises, « il a renversé tous ses retranchements, il a rempli de frayeur ses forteresses, tous ceux qui passaient dans le chemin ont pillé les multitudes de son peuple, et il est devenu en outre la honte de ses voisins. Car le Seigneur a exalté la main de ses ennemis, il a détourné le secours de son glaive, il ne l'a point aidé dans la guerre, mais il l'a dépouillé de sa pureté, il a brisé son trône sur la terre, il a abrogé les jours de son temps et surtout il l'a arrosé de honte. »

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