Préparation évangélique

LIVRE XI

CHAPITRE XVII
DE PLOTIN SUR LA SECONDE CAUSE

« Si l’on s’étonnait de voir que le monde fût doué de sensibilité, en considérant sa grandeur, sa beauté, l’ordre imprimé de toute éternité à sa rotation, les dieux tant visibles, qu’invisibles, qui y sont répandus, les démons, les animaux et les piaules, qu’on se reporte vers son Archétype, qui est son plus véritable aspect : là, on trouvera toute intelligence, et qu’il n’y a rien en lui que d’éternel, tant dans son intellect que dans sa vie essentielle ; on y découvrira l’entendement, (νοῦς) sans mélange, qui en est le régulateur suprême avec la sagesse infime.

Plus bas il ajoute :

« Quel est donc celui qui l’a engendré ? l’Etre simple, qui avant que cette multitude d’Etres eût apparu, a été cause de leur existence en une aussi immense quantité : celui qui a fait le nombre. Le nombre n’a pas d’existence a priori. Qu’aurait été, en effet, un, sans la dualité, et comment deux aurait-il donné l’idée de second en dehors de l’unité.

En suivant il dit encore :

« Comment donc, et quelle idée peut-on s’en former ? Celle d’une lumière diffuse autour d’une substance inaltérable en essence, que nous comparerons à la clarté éblouissante qui environne le soleil. Il en est de même à l’égard de Dieu : C’est une émanation constante de lui-même sans changement dans le principe qui l’a produite ; et tous les Êtres, aussi longtemps qu’ils subsistent, tirent leur existence hypostatique de son existence nécessaire et antécédente, à laquelle ils rattachent la leur, toute extérieure qu’elle soit, et qu’ils tiennent de sa seule puissance ; c’est comme une image permanente des archétypes dont il émane. Le feu répand ainsi sa chaleur hors de lui, et la neige ne concentre pas en elle tout le froid qui la condense. Les corps odorants en donnent surtout l’idée : tant qu’ils continuent d’être, ils projettent autour d’eux une hypostase qui est perçue par tout ce qui s’en rapproche. De même que tous les sujets parvenus à leur développement engendrent, de même l’être parfait, de toute éternité doit éternellement engendrer ; mais ce qu’il engendre lui est inférieur. Que doit-on dire de l’être pariait par excellence ? rien de lui, abstractivement parlant ; mais que les plus grandes choses en proviennent. La plus grande essence de toutes, après, lui, et la seconde, est le νοῦς, l’intelligence ; car le νοῦς le voit et n’a besoin que de lui, tandis que lui n’a pas besoin du νοῦς. Ce qui est engendré par l’intelligence suprême doit être intelligence ; car l’intelligence est la meilleure de toutes les choses, parce que toutes les choses viennent après elle. »

Il ajoute à la suite :

« Tout ce qui est engendré est chéri par son auteur ; surtout quand ils sont seuls, le générateur et l’engendré. Mais quand cet auteur est ce qu’il y a de plus excellent au monde, l’engendré se rattache à lui par nécessité ; en sorte qu’il n’y a pas d’autre distinction entre eux que l’existence différente. Nous disons que le νοῦς est l’image de son auteur, par l’obligation de nous rendre, intelligibles. »

Après toutes ces choses, il dit encore.

« Voici la cause de la triple expression de Platon. Toutes les fois qu’il parle du Roi, il dit premier, en parlant des premières notions ; second, en parlant des secondes ; troisième en parlant, des troisièmes. Il dit qu’il est père de la cause, appelant la cause νοῦς ; le Démiurge est pour lui synonyme de νοῦς. Il ajoute qu’il fait provenir l’âme dans cette coupe. Le νοῦς donc, ou l’intelligence, étant la cause, le père il le nomme τἀγαθόν (le bien), la chose au-dessus du νοῦς et au-dessus de toute substance ; souvent encore il l’appelle l’Etre τὸ ὄν, et le νοῦς il l’appelle l’Idée (ἰδέα) ; en sorte que Platon reconnaît que l’intelligence (νοῦς) est procréée par le bien τἀγαθόν, et que du νοῦς procède l’âme (ψυχή). Ces manières de parler ne sont pas nouvelles ni d’aujourd’hui, mais anciennes, quoique dites d’une manière enveloppée ; les façons de dire actuellement employées ne sont que les interprétations des anciennes, et nous donnerons la preuve que-ces opinions sont anciennes par les textes de Platon lui-même. »

Voici en quels termes Plotin s’énonce. Pour Numénius, qui soutient les doctrines, de Platon dans son traité περὶ τἀγαθοῦ (du bien suprême), écoutons ses explications sur la seconde cause.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant