François Coillard T.2 Missionnaire au Lesotho

VI
à léribé
1869-1871

Tournée dans le Lesotho. — Voyage à Natal. — Le travail à Léribé. — Construction du temple. — Molapo sous protectorat anglais. — La guerre franco-allemande. — Angoisses. — Nouvelle séparation. — Dédicace du temple de Léribé.

En juin et juillet 1869, M. et Mme Coillard allèrent visiter Bérée, Thaba-Bossiou, Morija, Mabolèla :

« Ce qui nous réjouit surtout dans notre voyage au Lesotho, ce fut de juger par nous-mêmes des progrès que Dieu a faits pendant ces dernières années. C’était un spectacle tout nouveau et digne des anges que de voir, à Bérée comme à Thaba-Bossiou, des foules avides d’entendre la bonne nouvelle du salut, accourir de tous côtés, encombrer l’église et, faute de place, former en plein air une seconde assemblée à laquelle il fallait bien aussi administrer le pain de vie. Et puis, ces centaines de candidats au baptême, ce sont là des triomphes éclatants de la grâce de Dieu.

Nous avions formé le plan, en retournant à Léribé, de faire une tournée d’évangélisation, et de visiter autant de villages que possible dans une partie de notre district, entre les rivières Poutiatsana et Hlotsé. Quelques-uns de nos chrétiens vinrent à notre rencontre pour s’associer à nos travaux. Tous les jours, nous tînmes des réunions dans différents villages, partout nous reçûmes un bon accueil et réunîmes bon nombre de gens. Un samedi, nous arrivâmes sur les bords d’une rivière, trop tard pour pouvoir la traverser sans danger, et force nous fut de dételer loin de tout village. Le lendemain, nous partîmes à cheval pour évangéliser. Nous avions pensé à un village central, et, en nous y rendant, nous nous efforcions d’emmener avec nous autant de monde que possible. En y arrivant, nous n’y trouvons personne, si ce n’est quelques vieilles femmes qui nous apprennent que tout le monde est allé au prêche. Cela nous étonne ; nous passons outre, donnons de l’éperon, gravissons un coteau, puis un autre, tournons une montagne, et voilà que, tout à coup, des chants de cantiques retentissent à nos oreilles. Nous nous arrêtons muets d’étonnement, cherchons des yeux, et apercevons bientôt là-haut, au pied du rocher qui couronne la montagne, la congrégation qui chante les louanges de Dieu. Desseller nos chevaux, gravir la pente escarpée de la montagne, ce fut l’affaire d’un instant. Nous nous glissâmes sans bruit derrière l’assemblée. Là se trouvaient à peu près deux cents personnes qui écoutaient avec recueillement la prédication de Silas, l’évangéliste de Cana. Il parlait sur la nouvelle naissance ; je fus très édifié, et j’ajoutai peu de chose à cette exhortation si pressante. Voilà l’œuvre qu’accomplissent nos évangélistes du Lesotho. Si Silas n’avait pas été à Cana, ce n’est point le doux son de l’Évangile et le chant des cantiques que nous eussions entendus, mais bien probablement le bruit de fêtes païennes et les orgies des ivrognes. Aussi bien fûmes-nous plus d’une fois surpris d’entendre les pâtres dans les vallées et les jeunes filles au village, loin de toute station, chanter quelques-uns de nos plus beaux cantiques sur des airs populaires. C’est ainsi que les vérités religieuses, portées sur les ailes de la musique, font leur chemin parmi nos Bassoutos, et se répandent au loin.

Voilà déjà quatre mois que nous sommes de retour à Léribé. Les autorités de l’État libre ont jugé bon jusqu’ici d’ignorer notre présence, et, quelque pénible que soit, à tous égards, l’incertitude de notre position, nous bénissons le Seigneur de ce temps de répit. Hélas ! l’orage gronde encore dans le lointain. Nous ne pouvons naturellement nous occuper d’aucun travail matériel, et nous regrettons un temps précieux qui pourrait être activement employé à l’établissement de notre station. La chapelle que nous bâtissions pendant la guerre n’est qu’une ruine, et nous tenons les services et l’école en plein air. Dans cette saison, où les vents soufflent presque sans relâche, l’école est pour tous une rude corvée, et le dimanche n’est plus une fête. Nous ne pouvons compter pour l’école que sur les enfants des chrétiens, et pour les services que sur ceux qui ont vraiment faim et soif de l’Évangile. Que sera-ce dès que commencera la saison des pluies, ou en été, lorsque le soleil sera brûlant ? Quand le temps est beau, nous avons de grands auditoires.

Notre troupeau est animé de beaucoup de zèle. Depuis mon retour, je n’ai eu aucun cas de discipline à régler. L’union, la responsabilité et les vexations auxquelles nos chrétiens n’ont cessé d’être en butte, ont été leur sauvegarde. Je trouve dans les hommes de précieux auxiliaires pour l’évangélisation de l’immense district commis à ma charge. »

Le 29 septembre, Coillard quittait de nouveau Léribé pour aller à Natal chercher les bagages qu’il n’avait pas pu emporter à Motito.

Dimanche 3 octobre 1869. — Me voici donc voyageant seul ! J’ai quitté Christina mercredi matin. C’est une longue séparation, six semaines ou deux mois. Et elle redoute d’être toute seule. Je me sentais le cœur défaillir. Nathanaël est venu m’accompagner ; il est retourné le lendemain, après avoir passé une nuit blanche. Nous avons causé, tant causé, qu’au lever du soleil nous n’avions pas fermé l’œil. Je me sens de plus en plus attaché à cet homme. Quelle piété ! Quelle vie ! Comme il dévoile le paganisme dans toute son horreur !

Nous avions pris un chemin affreux que je ne prendrai plus. Heureusement que j’ai un bon Zoulou qui s’entend au wagon et nous fait voyager rondement. Passé le dimanche dans les champs, jour heureux et béni. Oh ! il y a longtemps que je n’ai eu un si beau jour ! On a prié pour moi.

Le même dimanche, au matin, il écrivait à sa femme :

« Je suis tout plein de toi, ma bien-aimée, et j’ai hâte de prendre ma plume pour te le dire. C’est curieux quelle disproportion il y a entre le cœur qui bouillonne et la plume qui griffonne ! Celle-ci ne brûle pas le papier. C’est le moment où les gens vont commencer à arriver au service. Je sais combien tu vas te sentir triste et seule. La maison est bien grande et vide, quand nous n’y sommes pas tous les deux. Sans doute que les exhortations de nos gens te rappelleront encore que tu es seule. Je crois que, si Nathanaël parle ce matin, il édifiera. Sais-tu que cet homme m’étonne beaucoup par le fond de vie, de piété et d’expérience qu’il possède, et souvent, en l’écoutant, je me répète ces paroles du Sauveur que « les premiers seront les derniers ».

J’ai taillé mon crayon courageusement et j’ai composé deux chants que je t’enverrai. L’un se chante sur ce joli canon : « Belle étoile qui le soir ; » l’autre se chante aussi sur un canon. Je ne sais pas pourquoi mon esprit roule dans les canons ; c’est sans doute qu’il faut être au moins deux pour chanter un canon et que, dans ce moment, j’ai besoin de me faire illusion et de te croire près de moi, partageant mes travaux.

As-tu senti que quelqu’un priait pour toi ces jours-ci ? Ce matin, pour la première fois, je me suis réveillé avec quelque chose qui ressemble à de la paix et du calme. J’ai senti qu’on priait pour moi. Toi, tu pries toujours pour moi ; mais il est possible aussi que le retour du dimanche m’ait rappelé plus vivement au souvenir de nos gens et les ait portés à prier plus spécialement et avec plus de ferveur pour leur pasteur absent. De mon côté, j’étais bien décidé à ne pas regarder dans l’encrier.

Au Drakensberg, mardi 5 octobre 1869.

« Je n’eus pas de peine à reconnaître, dans la montagne, l’endroit où peu s’en fallut que je ne tombasse victime de mon dévouement à ces ingrats Bassoutos, quand j’allais avec Nathanaël chez M. Shepstone. Nous sommes enfin au Drakensberg et toute la Natalie se déroule à nos pieds en un magnifique panorama. Tu n’as pas idée de la beauté de ce pays dans cette saison. Ce n’est qu’un tapis émaillé de fleurs. C’est un plaisir empoisonné que de jouir de cette belle nature sans toi. »

Coillard arriva à Pietermaritzburg, le 13 octobre 1869 ; après mille contretemps, les premiers jours de novembre, il reprit, avec son wagon, le chemin du retour. Il écrit à sa femme, le 2 novembre :

« Le wagon a quitté la ville hier ; mais il nous a été impossible de monter la montagne ; le wagon est très chargé, les bœufs glissaient, tombaient. Il a recommencé à pleuvoir le soir. J’étais si mouillé et le wagon paraît si inconfortable, manque de place, que je suis revenu à Pietermaritzburg passer une bonne nuit. Aujourd’hui, à 6 heures du matin, le soleil luit, un vent fort souffle, est-ce pluie ou beau temps ? Je n’ose y penser. Oh ! je me dis bien que c’est la dernière fois, ma bien-aimée, que je te quitte pour si longtemps. Ce que j’ai souffert moralement ne peut se décrire. Je n’ai reçu que deux lettres de toi, depuis que j’ai quitté Léribé… Je ne puis pas me décider à clore ma lettre. Je voudrais pouvoir aller avec elle. Adieu. »

Dans la seconde moitié de novembre, Coillard rentrait à Léribé, après un voyage riche en fatigues et en aventures. Il reprit alors, avec une grande activité, les travaux de construction du temple.

« Vous serez bien aise de savoir que notre santé est bonne, écrit-il à sa mère le 9 janvier 1870 ; je me sens plus fort que je ne l’ai été depuis ma première maladie. Mais Christina se fatigue et maigrit à vue d’œil. Sa charge est, en ce moment, très lourde. La maison est pleine d’ouvriers blancs et noirs qu’il s’agit de nourrir. Et c’est sur elle que retombe ce fardeau-là. Nous avons un menuisier, un faiseur de briques, nous attendons un ou deux maçons ; nous allons commencer, ou plutôt recommencer, la construction de notre église. Vous vous souvenez peut-être que la bâtisse était presque finie lors de notre expulsion ; mais, à notre retour, nous la trouvâmes en ruines, et il faut recommencer. C’est une terrible affaire que de bâtir dans ce pays, je vous assure, mais c’est encore plus terrible d’être obligé de prêcher en plein air, dimanche après dimanche, par le beau et le mauvais temps. Nous sommes maintenant en plein été, le soleil est de feu. Je me sers d’un « en-tout-cas », espèce de parapluie de calicot doublé de vert, ou bien je garde mon grand chapeau sur la tête. Ma congrégation se cache sous des nattes, je puis pourtant voir leurs gros yeux blancs fixés sur moi, et cela me fait oublier tout le reste. C’était aujourd’hui dimanche, j’ai prêché sur Proverbes.28.13. « Celui qui cache ses transgressions ne prospérera point, mais celui qui les confesse et qui les délaisse obtiendra miséricorde. » L’attention était très grande, malgré la chaleur accablante d’un jour d’orage.

Vous vous souvenez, peut-être, qu’il y a cinq ans, lorsque nous posâmes les fondements de l’église, il y eut une grande assemblée, où le chef et ses gens souscrivirent pour la bâtisse. La guerre qui éclata et nous dispersa bientôt m’empêcha de recueillir ces souscriptions. Nous reprenons la chose maintenant. Je suis allé, l’autre jour, au Létséma, soit à la corvée du chef. Il avait appelé tous ses sujets pour sarcler ses champs de blé. Il s’y trouvait donc quelques milliers d’hommes, conduits par leurs petits chefs. C’était un jour de fête et d’excitation. On chantait, on sautait, on applaudissait. Une fête païenne ou une assemblée païenne ne manque jamais de quelque confusion. Tous nos chrétiens, les enfants de l’école, les catéchumènes étaient à part et travaillaient ferme. Ils chantaient, mais leurs voix étaient noyées dans le brouhaha. Quand je vis cela je m’élançai parmi eux avec une pioche à la main, et j’entonnai un chant très populaire. Voici la traduction du premier verset :

Le Lesotho, le pays de nos aïeux,
Est le plus beau de tous les pays,
Car c’est là que nous sommes nés,
C’est là que nous avons grandi,
C’est pourquoi nous l’aimons.

L’effet fut magique. Aussitôt cessèrent tous les chants païens ; tout le monde se groupa autour de nous et nous avions déjà gagné des douzaines de voix quand nous arrivâmes au dernier verset :

O Seigneur, sauve le Lesotho !
Mets fin aux guerres et aux troubles !
Oh ! que ce pays, ce pays de nos pères,
Jouisse des bienfaits de la paix !

« Bientôt tout le monde se rassembla pour entendre les discours du chef et des orateurs. Molapo me fit demander : à ma requête, nous commençâmes par la prière ; puis tous les chrétiens ensemble se frayèrent un chemin à travers la foule, jusqu’au cercle où se trouvaient le chef et ses conseillers, et, debout, pendant que tout le monde était assis ébahi, ils entonnèrent ce même chant. C’était certainement une grande nouveauté, j’espère que ce fut plus. Le chef, hors de lui de joie, fit un admirable discours pour recommander l’école et le temple que nous allons bâtir. J’ajoutai quelques paroles, on nous rompit les oreilles d’applaudissements et nous nous séparâmes. Qu’en résultera-t-il ? Nous verrons. En tous cas j’ai été heureux de saisir cette occasion de montrer à la tribu que l’Évangile ne détruit pas le citoyen et n’enseigne pas la révolte.

La chaleur est excessive, nous n’avons pas de pluie, le maïs a séché dans le jardin, avant de monter en épis. Les arbres dépérissent, on n’a jamais vu chose pareille. On me dit que des fermiers, qui ont jeté plus de cinquante sacs de semence en terre, n’en récolteront pas la moitié. Tout fait présager la famine. Et, pour ajouter à nos calamités, des nuées de sauterelles sont venues ravager et ravagent encore une partie du Lesotho et de l’État libre.

Je sens bien un peu la chaleur, mais je n’ai pas lieu de me plaindre, ma santé est meilleure qu’elle n’a été depuis longtemps. Je dirais maintenant que je n’ai pas le temps d’être malade, j’ai trop à faire.

Votre dernière lettre m’a fait un grand plaisir en m’assurant que, pour votre âge, vous vous portez bien. Ma pauvre mère ! Comme mon cœur se serre chaque fois que je pense à vous ! Oui, à votre âge vous en avez vu beaucoup passer dans l’éternité ! Que c’est donc solennel ! »

Coillard se rendit seul à la Conférence des missionnaires du Lesotho qui se réunit à Thaba-Bossiou le 15 mars, « dans des circonstances de joie et de tristesse mélangées ». En effet, une grande fête chrétienne avait été convoquée à Thaba-Bossiou ; Moshesh s’était converti et était mort peu après (9 mars), et le même jour, M. Lemue, un des doyens de la mission, s’éteignait aussi. La situation politique était toujours difficile à Léribé.

9 février 1870. — Que de jours, que de choses se sont passés depuis que j’ai tracé un mot dans ce journal ! Nous sommes bien de retour à Léribé, malgré les Boers et Molapo. Ceux-là nous oublient, celui-ci nous tourmente et nous persécute plus que jamais. Je me demande souvent avec inquiétude ce qu’il en résultera. Seigneur augmente-nous la foi !

11 avril. — Je suis effrayé de voir comme le temps passe sans qu’il me soit possible d’écrire un mot dans mon journal. M. Bowker est arrivé aujourd’hui pour recevoir Molapo des mains de l’État libre, sous la protection britannique. Je suis allé pour le voir, je l’ai manqué. Molapo est hautain comme toujours.

Nous commençons à bâtir l’église. Prêché hier sur Marc.5.16 : « Ne crains point, crois seulement. » Sermon qui paraît avoir fait beaucoup de bien.

12 avril. — Réception officielle de Molapo par le gouvernement anglais. Été au village, entrevue avec M. Bowker ; assisté au pitso, assez piètre. Journée d’émotion pour nous. Oh ! que le Seigneur est bon.

Molapo était désormais libéré de la suzeraineté de l’État libre et, comme les autres Bassoutos, il reconnaissait le protectorat anglais. Désormais, la situation de Coillard était parfaitement claire ; il n’avait plus rien à redouter, politiquement parlant, ni de Molapo ni des Boers, et il pouvait reprendre son travail en toute tranquillité. Les chrétiens bassoutos n’avaient plus rien à craindre de leur chef, Nathanaël pouvait revenir sur la station.

Un passage du journal de ce même jour montre que Coillard croyait à l’intervention constante de la Providence et jusque dans les moindres détails de sa vie ; il ne faisait au hasard aucune place. Il possédait un étui contenant de petites fiches de papier sur lesquelles il inscrivait, depuis de nombreuses années, les passages qui lui avaient fait du bien et qui lui étaient venus comme un message d’En-Haut, et c’est aussi à cet étui que, dans un esprit de prière, il avait parfois recours pour recevoir un message.

Dimanche 24 avril 1870. — Rentré hier d’une course d’évangélisation. J’étais parti vendredi, accompagné de Nathanaël et de Joas. Je me sentais triste, préoccupé, abattu ; avant de partir, j’ouvre ma Bible au Psaume 69. Les premiers versets répondent si bien à mon état d’âme, que j’ouvre mon étui, je prends un bout de papier pour les écrire, puis je tourne le papier et j’y trouve écrites ces paroles : « Ma main est-elle raccourcie tellement, que je ne puisse racheter ? » Frappant !

Le soir, avant mon départ, c’était jeudi, j’avais donné mon étui à Tiny qui se sentait très abattue, elle en avait tiré ce passage : « Il vous sera fait selon votre foi. »

Hier soir (samedi), j’étais si fatigué que je dus me retirer de bonne heure. Que prêcherai-je demain ? me disais-je. Et ce texte de me retentir aux oreilles : « Je crois, Seigneur, aide-moi dans mon incrédulité. » Non, me disais-je, je ne suis pas assez préparé. Je prêcherai un vieux sermon que je méditerai à nouveau. Dès le matin, je me mis à me préparer sur : « Quand je serai élevé… » Mais l’autre texte s’imposait tellement à mon esprit que je le pris. Mais je n’avais fait que commencer à déblayer mes matériaux, quand arrivèrent Nathanaël, Johanné, Kémuel, qui ne me quittèrent plus. Il m’arriva, au cours de l’entretien, de citer mal ce passage : « Qui es-tu, grande montagne, devant Zorobabel ? Une plaine. » (Zach.4.7) Christina me le dit ensuite. J’ouvre ma Bible et, en continuant ma lecture, ces paroles tombent comme un baume sur mon cœur : « Les mains de Zorobabel ont fondé cette maison, ses mains l’achèveront. » Et comment, après tout cela, pourrais-je encore être dévoré de soucis au sujet de la maison de prière que nous bâtissons. Je n’ai pas d’ouvriers, je n’ai pas d’argent, mais que je me le dise : « L’Éternel y pourvoira. Seigneur, je crois, aide-moi dans mon incrédulité. »

Samedi soir, 7 mai 1870. — Nathanaël et sa famille, Maboté et sa famille sont descendus de la montagne et se sont enfin installés sur la station. La maison de Nathanaël est gentille. Christina les a reçus avec viande, citrouille, etc. Ils étaient tous si heureux !

La construction de l’église était une grande préoccupation.

« Je bâtis, et bâtir dans ce pays, vous savez ce que c’est. Notre troupeau est animé des meilleures dispositions. Notre chef, maintenant, nous témoigne autant de bienveillance qu’il prenait à tâche, naguère, de nous montrer d’hostilité. Pauvre Molapo ! c’est une âme qui n’a pas la paix, tant s’en faut. Il est l’objet constant de nos prières, et je ne puis croire que le Seigneur tarde à nous exaucer et à ramener cet enfant prodigue. Ce sera un beau jour que celui-là ! Sa femme Lydia marche fidèlement ; je l’ai reçue dans l’église depuis plusieurs mois. C’est quelque chose de bien touchant que son zèle et son humilité.

L’œuvre spirituelle avance sans bruit. Nos auditoires ne diminuent pas, loin de là, et ce qui nous réjouit vraiment, c’est bien moins le nombre que l’attention et le recueillement profond de nos assemblées. Nathanaël Makotoko et Johanné Nkélé nous sont d’un puissant secours dans l’œuvre.

Qu’il nous tarde d’avoir terminé nos bâtisses, afin de nous livrer plus librement et entièrement à l’évangélisation et à l’instruction. Nous sommes écrasés par le travail et quelquefois nous nous sentons bien fatigués, mais nous ne perdons pas courage.

Le Seigneur est bon envers nous. Si nous le bénissons de nous avoir ramenés ici, de nous y avoir maintenus, comme par miracle, au milieu de tant de circonstances adverses et de nous y tailler force travail, nous ne l’en bénissons pas moins de m’avoir rendu la santé et presque les forces des premières années que j’ai passées en Afrique.

Si vous nous secondez, l’année prochaine les bâtisses seront finies et l’établissement de notre Ébénézer complet. »

Coillard terminait ainsi une lettre du 8 septembre 1870. Tout à coup, la nouvelle arrive de la guerre franco-allemande et des premiers désastres ; les missionnaires français qui ont vécu cette époque peuvent seuls savoir les souffrances qu’endurèrent leur cœur de patriote et les difficultés de tout genre qui surgirent pour eux : « Le cœur de François éclate d’indignation et de pitié », écrit Mme Coillard.

Qui fournirait aux missionnaires ce qui leur était indispensable pour vivre ? Les difficultés matérielles étaient particulièrement grandes pour Coillard qui, avec l’autorisation de la Conférence, était engagé dans d’importants travaux. Il se rendit en novembre à Bérée pour une Conférence extraordinaire où devaient être prises des décisions financières au sujet de Léribé et au sujet des traitementsa, puis à Thaba-Bossiou pour jouir de quelques jours de repos ; c’est là qu’il écrit à sa femme, le 19 novembre 1870 :

a – Les missionnaires renoncèrent, cette année-là, à un tiers de leur traitement. Jousse, La Mission française, t. II, p. 156.

« En ouvrant cette lettre, tu me sauras donc à Thaba-Bossiou avec nos bons amis Jousse. Tu vois que je suis égoïste, puisque j’ai cédé à tes instances et que je me suis décidé à me reposer un ou deux jours. Après avoir quitté Léribé, mon cheval s’est abattu et est tombé sur moi. J’en ai été quitte pour la peur et un terrible mal de tête. Je suis arrivé chez Phofolo, et, comme la pluie y est arrivée en même temps que moi, j’y ai passé la nuit. J’ai dormi comme un véritable sans-souci. J’étais à Bérée pour le dîner. J’ai devancé tout le monde. Les frères sont tous arrivés dans la soirée. Nous avons beaucoup causé. Ah ! comme on sent vite la différence entre un Français et le meilleur des Suisses ! Au sujet de la reddition de l’empereur et de toute son armée, on a dit : « Eh bien ! voilà au moins 90 000 hommes de sauvés ! » Quelle abomination ! Et les complications et les épouvantables désastres occasionnés par cet acte d’incomparable lâcheté ? On n’en dit rien.

J’ai couché avec Mabille sur des barres de fer recouvertes d’une ou deux couvertures de laine. Le lendemain mercredi (16 novembre 1870), jour de séances. Oh ! mon amie ! te dire ce que j’ai éprouvé, cette après-midi où l’on s’est occupé de nos affaires, non, je ne le peux. »

Il était douloureux pour Coillard d’avoir engagé la mission dans des dépenses extraordinaires ; d’autre part, il n’avait rien fait sans l’autorisation de ses collègues. Nul ne pouvait prévoir la guerre : que déciderait la Conférence ? Les travaux étaient trop avancés pour être suspendus.

« La difficulté, c’est le manque de fonds. J’ai, en fort peu de mots, donné d’abord connaissance de mon contrat, puis exposé mes dépenses et mes dettes, et je me suis entièrement retiré de la discussion. Un moment l’on a dit qu’il fallait tout arrêter, je me suis tu.

Naturellement, j’ai promis ou bien de ne bâtir la maison d’habitation que plus tard ou pas du tout. Tous nos billets de cette année, on tâchera de les payer. Voilà le résultat de la Conférence. Si j’avais jamais désiré faire des collectes, c’est bien maintenant. »

Il fut donc décidé que les travaux de construction du temple seraient continués. Mais les soucis matériels n’étaient pas à comparer aux angoisses ressenties pour la patrie et pour tous les êtres aimés pris dans la tourmente.

« C’est avec un sentiment d’effroi que j’essaie de vous écrire. Depuis que les foudroyantes nouvelles des calamités qui désolent notre chère patrie nous sont parvenues, nous vivons sous l’empire d’un horrible cauchemar dont rien, de jour et de nuit, ne peut nous débarrasser. C’est en tremblant que nous ouvrons un journal que nous avons pourtant hâte de dévorer. Nous nous attendons au pire et nous redoutons de l’apprendre. Nous avons entendu, indirectement, parler de quelques avantages, puis de nouveaux revers. Les pluies extraordinaires que nous avons eues depuis deux mois ont tellement gonflé les rivières que les communications avec nos plus proches voisins sont à peu près nulles. Je n’y tiens plus ; demain j’envoie un exprès pour le Bas-Lesotho, et, comme c’est un bon nageur, j’ai quelque espoir qu’il ne tardera pas à nous apporter des nouvelles. Je ne me souviens pas d’avoir tant souffert dans mon esprit, et cela au milieu de mes bâtisses, avec des engagements pécuniaires auxquels il n’était plus au pouvoir du Comité de faire face. Naturellement, bien que notre première chaumière tombe en ruines, il n’est plus question pour nous de bâtir une maison d’habitation. Nous sommes trop reconnaissants de voir enfin achevée la maison de Dieu pour penser à la nôtre ! Et quand nous pensons aux malheurs de la France, à tant de misères et de larmes ! Oh ! que le Seigneur dans sa colère se souvienne d’être miséricordieux !

Nous ne recevons plus rien de Paris et la guerre nous place, nous aussi, dans des circonstances d’autant plus critiques que nous venions d’être à peu près ruinés par celle des Boers. Mais le Seigneur pourvoit à nos besoins d’une manière qui confond notre petite foi.

Je suis dans une angoissante inquiétude au sujet de ma mère. »

A la même date, Coillard écrivait à celle-ci :

« Non, ma mère bien-aimée, je ne puis pas vous dire la douleur que j’ai au cœur en pensant à cette affreuse guerre et à vous. Les dernières nouvelles que nous avons eues étaient du 5 novembre. Que s’est-il passé depuis ? Les Prussiens auront-ils osé aller jusqu’à Bourges et dévaster le Berry ? Et vous-même, ma bonne mère, vous pensiez aller à Foëcy : l’aurez-vous fait ? Comment aurez-vous passé l’hiver ? Je pense à vous tout le jour ; la nuit je vous vois dans mes rêves, et, bien que je sois accablé d’occupations et de soucis, rien ne peut m’arracher aux tristes pensées que j’associe à votre nom chéri. Oh ! que ne donnerais-je pas pour savoir où vous êtes, comment vous allez ! Je ne cesse de vous remettre aux soins de notre bon Père céleste, et, quand j’ai prié, je me sens plus tranquille.

Je n’ai pas pu vous envoyer de l’argent par Paris à cause de la guerre. Je vais tâcher de vous envoyer quelque chose par ma belle-mère et mes belles-sœurs en Angleterre. Si seulement je vous possédais sous notre toit, comme nous vous soignerions, ma mère bien-aimée ! Quand vous écrirez, donnez-nous des nouvelles de toute la famille. Qu’est devenu mon frère Coillard qui était à Orléans ? A-t-il perdu beaucoup ? Quels sont ceux de mes neveux qui sont allés à la guerre ? Nous, ici, nous avons été mis dans une extrême difficulté à cause de nos travaux et du manque d’argent. Mais le Seigneur y pourvoit. Nous n’avons pas arrêté la construction de notre temple ; maintenant il est presque terminé et nous espérons en faire la dédicace en mars. Ce sera une grande fête et je pense baptiser plusieurs de mes catéchumènes ; M. Jousse, qui viendra avec son église, nous amènera aussi son contingent. Notre temple est un grand bâtiment en pierre de 70 pieds sur 34. Il est couvert en fer galvanisé, a dix fenêtres et peut aisément contenir de 600 à 650 auditeurs.

Nos chrétiens nous ont beaucoup aidés et avec une bonne volonté qui ne s’est jamais démentie. Nous sommes bien fatigués et nous voyons avec joie approcher le moment où nous n’aurons plus sur les bras d’ouvriers à nourrir et à payer. »

Coillard se rendit seul à la Conférence de Thabana-Morèna, en avril 1871. Ces séparations étaient toujours douloureuses. Mme Coillard s’inquiétait. Déjà le passage de la petite rivière Hlotsé lui donnait du souci ; aussi, dès qu’il l’a traversée, Coillard griffonne quelques mots au crayon :

« Je viens de passer la Hlotsé et suis sain et sauf. Maintenant, ma bien-aimée, ne sois pas triste. C’est un manque de foi de s’inquiéter comme tu le fais à mon sujet.

Est-ce que j’ai laissé le Seigneur à la maison ? Ne suis-je pas encore avec lui en voyage, aimé par lui et gardé par lui ? Et toi de même, ma bien-aimée. Comme cette pensée me fait du bien. Je te regardais jusqu’à ce que nous ayons disparu dans les bas-fonds. Nos yeux comme nos cœurs s’envoyaient des messages électriques. Je me sentais le cœur bien gros ; puis cette pensée est venue me faire du bien ; je me suis dit : « Non, ce n’est ni avec Mikéa, ni avec Nathanaël que je laisse ma femme, mais c’est avec notre bon Père et notre Ami. » Eh bien ! reste en paix, ma chérie, oui, en paix. »

A propos du parti que Mme Coillard avait pris de rester seule à Léribé, son mari lui écrit de Morija le 17 avril 1871 :

« On dit que tu es une héroïne. Pauvre consolation dans ta solitude ! »

Au moment où la Conférence se réunissait, la nouvelle arrivait de la conclusion de la paix.

« C’est donc la paix, une paix onéreuse et qui ne durera pas longtemps assurément.

Les travaux de la Conférence ont commencé hier et, malgré moi, j’ai aussi ma petite part de travail et la prédication du dimanche. Je le regrette pour les gens, j’ai prié Germond de demander quelqu’un d’autre, mais on n’a pas voulu en entendre parler et la chose m’est restée. Je me demande ce que je vais prêcher. Ce passage de Zacharie éclipse tout : « J’ouvrirai les cieux… »

Dimanche 23 avril 1871.

« Aujourd’hui, à 11 heures, a commencé le service, il y avait plus de mille auditeurs, c’était magnifique. J’ai prêché sur le témoignage du chrétien, Actes.1.8. M. Maitin a fait une allocution puis, avec M. Germond, a procédé au baptême de trente-neuf personnes. »

Coillard comptait prolonger son absence ; mais, ayant dû avancer la date de la dédicace du temple de Léribé, il rentra à sa station les derniers jours d’avril pour tout préparer. Il raconte cette solennité à sa mère dans une lettre du 4 juin :

« Ma mère bien-aimée, je ne puis pas vous dire la joie que j’ai éprouvée en recevant votre bonne lettre l’autre jour et en apprenant que le Seigneur a miséricordieusement veillé sur vous pendant ces temps de calamité nationale. Pendant ces longs mois où vous avez gardé le silence, je comptais les jours et je me demandais avec angoisse quand j’entendrais parler de vous. Je dévorais avec avidité tous les petits détails de cette affreuse guerre. Les journaux me montraient déjà les Prussiens à Vierzon, d’autres assuraient même qu’ils avaient pris Bourges. Ce que nous avons souffert dans notre esprit, ma femme et moi, ne peut pas se dire. Ce n’est que dans la prière que nous pouvions trouver le calme pour nos esprits agités. Enfin votre lettre et d’autres sont venues nous tranquilliser.

Que je plains mon pauvre frère qui a perdu tout son mobilier à Orléans ! Où est-il, lui et sa famille ? J’aurais voulu vous écrire plus tôt, mais mes occupations ne me l’ont pas permis. Vous savez, ma chère mère, que, lorsque les nouvelles de la guerre nous sont arrivées, nous étions en train de bâtir notre temple. Nous avons passé par des moments de solennelle inquiétude. Notre unique ressource était la prière. Un jour que je me sentais abattu plus que d’habitude et que j’épanchais mon cœur devant Dieu, ma femme, qui a toujours été mon ange consolateur, me demanda de lire un passage et je tombai sur celui-ci : « J’ai exaucé ta prière, j’ai vu tes larmes. » Ce fut comme une voix directe du ciel, et ce ne fut pas la seule ; je pus moi aussi, comme le prophète Élie au désert, couché sous son genêt, me lever, prendre des forces pour continuer la grande tâche que le Seigneur m’avait confiée.

Un dimanche matin, c’était le 8 janvier, je ne l’oublierai jamais, bien que j’aie mauvaise mémoire pour les dates, j’étais allé à cheval prêcher à une de nos annexes. Le temps approchait pour mes paiements, et, bien que je me sentisse calme et confiant dans le Seigneur, j’avais toujours cette perspective devant mon esprit. Le soleil était de feu, je rentrai le soir à la maison, fatigué et peu disposé à causer. Ma chère Christina, toujours aux petits soins, était toute radieuse : « Voici des lettres, me dit-elle, qui sont arrivées pendant ton absence, veux-tu les lire ? » — « Non, ma chérie, je me sens trop fatigué. » — « Lis-les, elles te feront du bien ; veux-tu que je les lise, moi ? » Je les prends, et quelle n’est pas ma surprise d’y trouver une liste de souscriptions de près de 2500 francs. C’était notre précieux ami, M. Buchanan, le pasteur presbytérien de Natal, qui avait fait un appel, et nos amis de Natal y avaient répondu avec un empressement et une générosité qui nous confondent et nous humilient. Depuis lors, plusieurs amis nous sont venus en aide ; même nous avons reçu, d’un missionnaire allemand de notre connaissance, 75 francs, avec une lettre admirable que je voudrais pouvoir vous envoyer.

C’est dimanche dernier, le jour de Pentecôte (28 mai 1871), que nous avons fait la dédicace de notre joli temple. MM. Jousse, Maitin, Keck, Dyke, Mabille et Casalis, avec leurs familles, sont venus pour l’occasion. Mon vieil ami, le chef Molitsané, qui vient d’être baptisé sous le nom d’Abraham, était là aussi et tous les élèves de l’école supérieure. Tout ce monde-là a été hébergé par nous. Les wagons des missionnaires et leurs tentes formaient un joli campement dans le jardin, sur la pelouse, à côté de la maison. A peu près trois cents chrétiens d’autres églises, des anciens, des catéchistes, des délégués étaient venus prendre part à notre fête. Eux étaient logés par nos chrétiens qui avaient bâti des chaumières rondes tout exprès, avec un courage qui ne s’est pas démenti. Ma pauvre femme a eu beaucoup à faire. Nous nous étions préparés de notre mieux pour la circonstance. Nous avions du bois, de la farine et de la viande en abondance. Les services ont commencé le samedi par une réunion de salutations fraternelles où il s’est dit d’excellentes choses.

Le dimanche matin, à 11 heures, des centaines de chrétiens et de païens, la plupart endimanchés, se trouvaient réunis devant la remise du wagon, là où nous avions tenu si longtemps nos services en plein air. Après avoir invoqué la bénédiction du Seigneur, nous nous rendîmes en procession à l’église, chantant des cantiques. Nous nous arrêtâmes à la porte, que j’ouvris, au milieu d’un profond silence, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Nous entrâmes avec ordre ; mais le temple fut bientôt comble, et mon ami Casalis, aidé de Johanné et d’Elia, rassembla, près de la remise, les centaines de païens que la circonstance avait attirés et leur prêcha l’Évangile. A l’église, je pris possession de la chaire pour y déposer la Parole de Dieu ; je fis un tout petit discours. M. Mabille lut la prière de Salomon, M. Dyke fit la prière de dédicace, M. Jousse prêcha et M. Maitin termina le service. M. Jousse prit pour texte « Ébénézer ». Je me sentais si ému que je ne pus retenir mes larmes tout le temps du service. Que le Seigneur est bon, qu’il est fidèle ! Tout le passé se retraçait avec force à mon esprit, et c’était trop pour moi.

J’avais composé des cantiques pour l’occasion, que Mabille avait imprimés sur des feuilles volantes et que nous avons distribués. On les a chantés en chœur à quatre et à cinq parties. Cela m’a fait souvenir d’Asnières.

Le premier c’est une paraphrase des paroles de Jacob :

« Certainement le Seigneur est ici, et je n’en savais rien ; que ce lieu est redoutable ! C’est ici la maison de Dieu, c’est ici la porte des cieux. Seigneur, prends possession de cette maison que nous osons te dédier. Ne t’y arrête pas seulement en passant, mais fais-y ta demeure permanente. Mais pourrais-tu y demeurer ? Oui, tu y demeureras, bien que les cieux et la terre ne puissent te contenir. Oh ! incline ton oreille vers nous, quand nous te prierons dans ce lieu. Quand nous y sommes enseignés, que ce soit toi qui nous enseignes. Oh ! verse sur nous ton Saint-Esprit. Ouvre, ouvre les canaux des cieux et que, de tous côtés, ce ne soient que des pluies abondantes et des torrents de bénédictions. »

Notre deuxième cantique, c’est une antienne :

« Il est bon et sa miséricorde demeure à toujours. Louons-le tous. Ceux qui se confient en Lui sont comme la montagne de Sion qui ne peut être ébranlée. Il est un secours et un bouclier pour tous ceux qui le craignent. »

Notre troisième cantique était notre Ébénézer :

1. C’est ici notre Ébénézer, le monument que nous avons élevé à ta gloire, Seigneur. Quand nous étions dans la difficulté, quand nous étions dans les larmes, au milieu des épreuves, au milieu de nos détresses, jusqu’ici tu nous as secourus. De la voix et du cœur nous te glorifions. Tu es rempli d’un amour qui ne peut finir.

2. C’est ici notre Ébénézer, le monument de notre reconnaissance. Nous l’avons élevé avec des cœurs débordants de joie. C’est un témoin de ton amour et de tes bénédictions dont la grandeur et le nombre ne sauraient se dire. De la voix et du cœur nous te glorifions. Tu es rempli d’un amour qui ne finira jamais.

3. C’est ici notre Ébénézer, le monument de notre foi. En te possédant, nous possédons toute bénédiction. Tout est joie dans le cœur, c’est la paix pour toujours. De la voix et du cœur nous ne cesserons de te glorifier. Si tu nous as secourus jusqu’ici, tu continueras à nous secourir. Tu es bon, tu es patient, Père nous espérons en toi. Tu es rempli d’amour, ton amour ne finira jamais.

Le service a duré plusieurs heures, mais il ne m’a paru qu’un moment. L’après-midi, nous dûmes avoir le service en plein air à cause de l’affluence des païens. Pendant que mes frères et sœurs prenaient un peu de bouillon en guise de dîner, j’avais déjà improvisé des sièges sur l’herbe et une chaire devant le temple. Une immense congrégation se trouvait réunie. Christina et moi, assistés de quelques frères et des anciens de l’église, nous amenâmes en procession les cinquante et quelques candidats qui devaient être baptisés, en chantant une paraphrase du Psaume 23 : « L’Éternel est mon berger. » A leur approche, l’assistance se leva et entonna un beau cantique : « Vous qui désirez entrer dans le troupeau du Seigneur…, » pendant que les catéchumènes prenaient leurs places. Plusieurs frères firent d’émouvants discours, entre autres Mabille, qui toucha vivement l’auditoire, et M. Keck. Après quoi eurent lieu les baptêmes. Ce fut un moment très solennel. Je baptisai vingt-six de mes catéchumènes de Léribé, hommes et femmes, dix-sept ou dix-huit de Koakoa, et M. Jousse sept ou huit de Thaba-Bossiou.

Le lendemain eut lieu une conférence publique avec les membres des diverses églises, où se traitèrent des questions de discipline ecclésiastique. L’après-midi, nous eûmes la sainte Cène avec plus de trois cents communiants. Tous les missionnaires et leurs femmes communièrent d’abord en français, M. Keck et moi officiant ; l’émotion était grande lorsque nous entonnâmes dans notre langue : « Gloire soit au Saint-Esprit… » Les frères, deux à deux, servirent les autres tables. Nous ne sortîmes de l’église qu’après le coucher du soleil. Après le thé, la cloche nous y rappela. C’était pour une réunion d’adieux fraternels, présidée par mes deux anciens Élia et Nathanaël. Elle dura jusque vers onze heures, mais personne ne trouva le temps long. On sentait que ceux qui parlaient, parlaient du cœur. Le lendemain, les natifs commencèrent à partir, et nous eûmes un jour de repos et de jouissance avec nos frères et sœurs, mais eux aussi, le surlendemain, mercredi, durent partir. Nous les accompagnâmes jusqu’à la première étape, puis, nous dûmes pourtant nous séparer et revenir à la maison. Au retour, c’est au temple que nous nous rendîmes1, comme par instinct, et là seuls, tout seuls, nous nous abandonnâmes au courant des pensées qui remplissaient nos cœurs.

Il est donc passé ce beau jour, le jour le plus beau de notre vie de missionnaires ! Est-ce bien une réalité ? Toute notre carrière repassait devant notre esprit avec ses épreuves, ses combats, nos mille et une causes de découragement, puis la guerre qui a désolé le Lesotho, notre expulsion, notre long exil, nos pérégrinations, nos maladies, puis notre retour avec ses joies et ses amertumes, puis nos travaux, notre entrain, notre bonne entente, et puis ce sombre, cet épais nuage qui venait couvrir le tout comme d’un linceul, les malheurs de la patrie, nos angoisses ! Mais non, il suffit : « C’est ici notre Ébénézer ! Jusqu’ici le Seigneur nous a secourus. » Il nous semblait qu’un rayon divin vint alors nous illuminer, que, dans cet endroit sacré, nous étions dans la compagnie des anges, que la porte des cieux s’était ouverte, et que nous aussi, comme Jacob, nous entendions la voix de Dieu nous parler, pour l’avenir, de bénédictions et de prospérité. »

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