Histoire de la restauration du protestantisme en France

6. Lettre de Pictet à Corteiz, sur les assemblées

Janvier 1720a

a – Note de Court.

Monsieur et très cher frère,

Je vous avoue que j’ai toujours condamné les grandes assemblées, soit parce que je scay qu’il y a eu très souvent de la confusion et du désordre, soit parce que je scay de très bonne part qu’il s’en est tenu contre toutes les regles de la prudence chretienne, dans le temps que les Catholiques Romains, qui ne nous voulaient pas de mal, faisaient dire ou qu’on ne fit pas d’assemblée ou qu’on la finit avant midi, — car ils me l’on dit eux memes, — soit parce que j’ay appris que plusieurs fois des gens s’y mêlaient de precher qui ne scavaient pas ce qu’ils disaient, en sorte que des personnes de bon sens en étaient scandalisées, soit parce que dans ces grandes assemblées il se mêle souvent de faux frères qui reconnaissent ceux qui y sont et qui les deférent, soit parce que je suis persuadé qu’on instruit mieux dans de petites assemblées que dans des grandes, soit parce qu’on m’a assuré plusieurs fois que ce serait le moyen de vous rendre favorables les Puissances, soit parce qu’il y a eu des massacres, des meurtres, plusieurs envoyés aux galères, ou confinés dans des cachots, soit parce qu’il y a des temps où il vaut mieux instruire les gens dans leur particulier, lorsqu’on y a plus à risquer en le faisant en public que d’utilité, soit enfin pour des raisons que je ne puis confier au papier. On m’a même rapporté que plusieurs poussèrent à faire de grandes assemblées pour avoir plus d’argent et qu’il y on a eu qui ont osé desbaguer les doigts des femmes qui n’avaient point d’argent à leur donner.

Vous dites que la plus part des maisons ne sont pas commodes, mais il y en a qui le sont, où l’on peut s’assembler.

Vous dites qu’il y a des apprentifs et des domestiques papistes qui réveleraient ce qu’on ferait. Mais croyez-vous qu’ils ne le tairaient pas, et peut-etre on en convertirait quelques uns.

Vous dites que l’un se garde de sa belle fille, l’autre de sa belle mère ; mais pensez-vous que ces gens ignorent ce qui se fait, et de plus on peut, comme j’ay dit, choisir les maisons.

D’ailleurs ces dangers ne sont pas à craindre à présent où l’on permet de se tenir dans les maisons et d’y faire des exercices ; du moins on fait semblant de, n’en rien scavoir.

Vous dites que les uns ont de la dévotion dans une maison et d’autres n’en ont point, Cela ne serait-il pas dans les assemblées ?

Vous dites qu’une prédication en rase campagne touche davantage. Je conviens que le prédicateur crie plus haut, mais la crainte où l’on est d’être surpris, les incommodités que l’on souffre, en allant ou venant dans l’assemblée même doucement, ralentissent et troublent bien la dévotion.

Vous dites que 10 a 12 prédicateurs ne suffiraient pas. A cela je n’ay rien a dire, sinon qu’il s’en trouverait plusieurs qui iraient volontiers dans les maisons, mais qui ne veulent pas s’exposer aux assemblées.

Je ne doute pas que ce soit une grande consolation d’entendre parler de Dieu à des gens qui ne l’ont jamais oui. Mais ce n’est pas là de la question. Est-ce qu’il n’y a pas de certaines conjonctures où l’on ne doit pas faire tout ce qu’on pourrait à cause du danger, où l’on s’expose de se faire massacrer, de changer de nouveau de religion, et parce qu’on espère de se rendre les Puissances favorables, au lieu qu’en se raidissant contre elles, on les oblige quelquefois malgré elles à faire des choses qu’elles ne voudraient pas. Je ne suis pas le seul de ce sentiment ; mais je ne prétends pas que mon sentiment prevaille. Si vous vous trouvez bien de vos assemblées, j’en béniray Dieu avec autant d’ardeur que vous, et je le prie de tout cœur que ce zéle que vous témoignez produise tous les bons effets que vous en attendez.

Je scay fort bien que lorsque la parole de Dieu n’est plus prechée, c’est ie plus grand de tous les malheurs, mais elle peut être prechée en particulier et en public.

Je seray toujours pret de vous donner les avis que je jugera y vous être nécessaire, et je l’ay fait diverses fois, selon qu’on me les a demandés. Vous n’avez qu’a me marquer en quoi je puis vous être utile, et je le feray incessamment.

Je n’ay point vu la lettre que vous m’aves ecrite. M. Dul (?) m’en a parlé et me l’a promise, mais ne me l’a jamais donnée.

J’ay vu la lettre que M. Court a ecrite a M. Rey, d’ont j’ay eté très satisfait. Il n’y a que deux jours qu’il me l’a montrée, quoiqu’il l’aye reçue le 12 d’octobre. J’avais appris par diverses personnes qu’il y avait des choses dans cette lettre qui me regardaient ; mais il ne me l’apportait point. Etant venu me demander un témoignage pour aller a Paris, je lui en parlay, et il me la tira de sa poche, sans quoy je ne l’aurais point vue. J’ay benit Dieu d’apprendre tout ce qu’on a fait chez-vous, les bons reglements qu’on y a établis ; j’approuve fort que ceux, qui ne sont pas en état de faire des sermons, se servent de ceux qu’on a, plutôt que de débiter des discours sans ordre et s’écartant du vray sens de l’Écriture. J’ay parcouru avec plaisir le sermon de M. Court sur la nouvelle créature. J’ay vu qu’il a rassemblé avec beaucoup de jugement tout ce qu’on a fait sur ce beau texte ; et je voy avec joye qu’il a des dons considérables pour la chaire. Je croy qu’on fait fort bien de se servir des sermons qui ont été imprimés, d’en tirer la matière de ceux qu’on fait parce qu’on ne craindra pas de s’écarter et qu’on s’évitera beaucoup de peine ; mais je suis d’avis :

  1. que les sermons fussent moins longs ; les prédicateurs seraient moins fatigués et les auditeurs en rapporteraient plus.
  2. qu’on donnat en peu de mots le sens du texte et qu’on en tirat ensuite les vérités qu’il renferme d’une manière simple et instructive.
  3. que les applications fussent vives et tirées du texte, mais appliquées aux besoins présents.
  4. que l’on lit plus de catéchismes que de sermons, parce qu’on en tire beaucoup plus de fruit.
  5. que l’on choisit les textes les plus beaux, les plus aisés a retenir, les plus instructifs et les plus consolants.

J’avais dit à M. Rey d’écrire que j’avais dessein, si je pouvais me procurer un imprimeur, de vous envoyer de tems en tems des lettres qui…… l’exposition de l’Écriture moins étendue que dans les sermons, mais plus que dans les notes qui sont dans la Bible ; ce qui vous pourrait servir de commentaire, comme vous n’avez pas tous les livres dont vous avez besoin, et ce qui pourrait servir. à ceux qui vous entendraient, soit pour en profiter mieux et les retenir, soit pour les mieux comprendre.

J’attendray votre réponse sur ce sujet ; et j’aurais déjà fait quelque chose, si j’avais scu que vous le souhaitassiez.

J’ay fait des dialogues qui sont des entretiens du pasteur avec le fidèle, où j’expliquais ainsi des passages, je traitais des cas de conscience et j’y mêlais des histoires de confesseurs. Il y en a déjà 2 tomes. Mais on n’en trouve plus du 2e où j’avais commencé l’explication du V. et N. T. Pour cela vous… mieux que des lettres, je les continuerai pourvu que je trouve un imprimeur, et je refute de tems en tems les livres qui parlent contre nous.

Vous n’apprendrez que ce qui vous conviendra le mieux, et je vous aideray par mes livres autant qu’il me sera possible. J’en ay fait un depuis peu pour la consolation des malades qu’on vous doit envoyer.

J’ay fait une lettre contre ceux qui se marient avec des Catholiques, mais elle est manuscrite, et je l’ay remise a ceux qui me l’ont demandée ; peut-être la ferai-je imprimer.

(N° 17, toi. G, p. 189.)

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