Les idées religieuses en Palestine à l’époque de Jésus-Christ

INTRODUCTION
Critique des Documents originaux

Les Livres deutéro-canoniques de l’Ancien Testament. — Les Apocalypses et les autres écrits pseudépigraphes contemporains de l’ère chrétienne. — Les Livres du Nouveau Testament. — Les Paraphrases chaldaïques de l’Ancien Testament. — Les Écrits de Josèphe. — Le Talmud.

L’apparition du Christianisme est étroitement liée à un mouvement à la fois religieux et philosophique qui se manifesta au sein des sociétés antiques pendant les derniers siècles qui ont précédé notre ère. Un intérêt capital s’attache à l’étude des ouvrages composés alors. En les lisant, on apprend à connaître l’extraordinaire fermentation des esprits à cette époque ; toutes les questions y sont posées et leur solution au sens chrétien est peu à peu préparée, développée, amenée à terme. La période dont nous parlons s’étend de la mort d’Alexandre le Grand à la fin de l’âge apostolique. En Palestine, ce mouvement provoqua la rédaction d’un certain nombre d’écrits d’un caractère à la fois religieux et théologique. Quelques-uns de ces livres ont été conservés et forment la collection des sources que nous avons à consulter. On peut les partager en six groupes :

  1. les Livres deutéro-canoniques de l’Ancien Testament ;
  2. les Apocalypses et les autres écrits pseudépigraphes contemporains de l’ère chrétienne ;
  3. les Livres du Nouveau Testament ;
  4. les Paraphrases chaldaïques de l’Ancien Testament ;
  5. les Écrits de Josèphe ;
  6. le Talmud.

Les livres deutéro-canoniques de l’Ancien Testament.

Nous serons bref sur des questions qui ont déjà été traitées avant nous. Bornons-nous à rappeler les titres de quelques-uns de ces ouvrages et leur place dans l’histoire du Judaïsme. La sagesse de Jésus, fils de Sirach, appelée aussi l’Ecclésiastique, parce qu’on la lisait dans les églises, a été écrite en hébreu vers l’an 180 avant Jésus-Christ. L’auteur était de Jérusalem, et son petit-fils traduisit son livre en grec, une cinquantaine d’années plus tard. Des causes, restées inconnues, ont empêché que l’Ecclésiastique fit partie de l’Ancien Testament hébreu. Ce livre est intéressant, parce qu’il témoigne de la transformation qui s’opérait alors dans les idées religieuses. L’auteur, qui imite la manière du livre des Proverbes, nous offre un mélange bizarre d’idées nouvelles et d’idées anciennes ; tantôt il nous présente la vieille doctrine hébraïque : « Fais le bien et tu prospéreras ; » ou : « Le spectacle d’un ennemi mort est une source de joie ; » « Si l’homme honore ses parents, il vivra longtemps ; » tantôt il expose les idées philosophiques et humanitaires de son temps : il défend la notion de la Providence ; il évite les expressions qui supposent à Dieu des passions humaines. Le passage capital de son livre est celui où il parle de la Sagesse. Nous y surprenons le développement de cette curieuse doctrine qui deviendra, au premier siècle, l’idée du Verbe et préparera la formation du dogme de la Trinité.

Nommons encore le premier livre des Macchabées, qui fut aussi écrit en hébreu à la fin du second siècle avant Jésus-Christ. Il atteste en maint passage l’influence de l’hellénisme en Palestine.

Il en est de même du livre de Tobie, sorte de fiction poétique semblable à celle du livre de Job. Cet ouvrage, composé à une époque inconnue, nous donne d’importants détails sur la doctrine des démons

Nous ne parlons pas du second livre des Macchabées qui fut écrit en grec et offre un caractère exclusivement alexandrin. Il en est de même de la Sapience de Salomon. Pour nos citations des livres deutéro-canoniques palestiniens, nous nous sommes servi du texte du Vatican : Vetus Testamentum græcum juxta septuaginta interpretes… juxta exemplar originale Vaticanum Romæ editum, 1587 ; Lipsiæ Tauchnitz, 1835.

Les apocalypses et les pseudépigraphes contemporains de l’ère chrétienne.

Nous nous étendrons davantage sur la série d’écrits, pour la plupart apocalyptiques, qui forme le second groupe de nos documents. On les appelle pseudépigraphes, parce qu’ils sont tous d’auteurs supposés. L’époque de l’ère chrétienne a vu se produire une grande quantité d’écrits de ce genre. L’auteur d’un pseudépigraphe, au lieu d’écrire en son propre nom, choisissait un des grands hommes d’autrefois et composait son ouvrage sous le nom de ce personnage vénéré. L’écrivain supposé étant mort depuis plusieurs centaines d’années, son prétendu livre, qui rapportait des faits contemporains, devenait nécessairement un recueil de prophéties et de révélations (Apocalypses). On composait des Psaumes de Salomon sur la venue du Messie ; on écrivait un discours d’Énoch sur la fin du monde, comme nos écoliers composent une pièce de vers de Virgile ou écrivent un discours de Cicéron. Le terme de faussaire appliqué à ceux qui fabriquaient ces prophéties serait tout à fait impropre. Le faux en littérature était inconnu alors, et de tels ouvrages n’étaient que des compositions religieuses et des exercices de piété.

De tous ces livres, le plus important pour nous, porte le nom d’Énoch. A première lecture, on voit qu’il n’est pas tout entier du même auteur, mais qu’il est composé de morceaux détachés.

[Il fut découvert en 1773 par un savant anglais, Bruce, qui en rapporta d’Abyssinie deux manuscrits éthiopiens. Diverses éditions de cet écrit furent publiées en Angleterre et en Allemagne. Sylvestre de Sacy, en 1800, a publié quelques fragments du premier texte éthiopien. Laurence, en Angleterre, a fait paraître le livre dans son entier en 1821. Hoffmann (1833) a traduit en allemand ce texte anglais. Gfrœrer (1840) l’a traduit en latin. Enfin Dillmann (1851) a donné du livre d’Énoch une édition critique faite sur cinq manuscrits éthiopiens. Deux ans après il l’a traduit en allemand. C’est cette traduction que nous avons consultée : Dillman, Das Buch Henoch, Leipzig, 1853.]

Ces différentes parties ont été, croyons-nous, composées à la même époque. Elles dépendent les unes des autres et chaque développement a été, pour ainsi dire, le texte du développement qui lui fait suite. Une même tendance dogmatique règne du commencement à la fin, celle d’un Judaïsme strictement orthodoxe. La forme apocalyptique, l’état d’exaltation dans lequel semblent vivre sans cesse les auteurs, les allusions fréquentes aux Macchabées et à leurs luttes, la haine de l’hellénisme, tout indique, dans cet ouvrage, une protestation patriotique contre l’intrusion des idées grecques en Palestine. On comprend immédiatement la valeur d’une telle composition. Elle nous donne toute la pensée d’un juif orthodoxe cent ans avant Jésus-Christ ; elle nous révèle ses craintes, ses préoccupations, ses espérances. Au premier siècle, on lisait beaucoup ce livre. Les épîtres qui portent les noms de Jude et de Barnabas le citent l’une et l’autree. Qui sait si Jésus n’en a pas eu quelques fragments entre les mains ? Nous y lisons : « Mieux vaudrait pour eux n’être jamais nés (38.2). » A-t-il emprunté à ce passage le mot qu’il a prononcé sur Judas (Matth.26.24)) ? ou ne faut-il pas plutôt voir dans cette phrase une de ces exclamations populaires comme l’Ancien Testament en renfermait déjà (Job.3.3 ; Jér.20.14 ; Ecc.23.19) ?

e – Ép. de Jude, v. 14. Cf. livre d’Énoch, ch. 1. — Ép. de Barnabas, ch.  16.  1 Cf. livre d’Énoch, ch. 89, v. 56.

Le livre d’Énoch a été composé en Palestine, et écrit en araméen. Nous possédons quelques fragments d’une traduction grecque évidemment calquée sur un original hébreu. Les rédacteurs connaissent les plus petites localités de la Palestine, et, du reste, leur doctrine est trop pure pour ne pas être celle de Juifs palestiniens. Les Juifs disséminés (τῆς διασποράς), éloignés du temple, n’étaient pas aussi rigides. Il serait malaisé de dire entre combien d’auteurs il faut partager sa rédaction. Plusieurs savants l’ont essayé sans se mettre d’accord. Il est également fort difficile d’analyser et d’exposer son contenu. Toutes ces Apocalypses juives ou chrétiennes ont les mêmes allures. Le prophète, qu’il s’appelle Daniel, Énoch ou Jean, est ravi en extase, transporté dans un monde supérieur, et il assiste, sous la conduite d’un ange, à tout ce qui se passe dans le ciel et à tout ce qui se passera sur la terre. Les secrets de l’avenir lui sont découverts. « Il ne marche pas par la foi, mais par la vue (2Cor5.7). » Le plus ancien et le plus important passage du livre d’Énoch est vraisemblablement celui qui commence au chap. 37 au chap. 70.

La date de la composition de l’ouvrage tout entier peut être approximativement fixée. Il est du second siècle avant Jésus-Christ.

[Si le chapitre 89 désigne Judas Macchabée, il faut remonter jusqu’à l’an 160, c’est l’avis de Langen. Si, au contraire, il ne s’agit pas ici de Judas Macchabée, il faut placer la rédaction de l’Apocalypse en 115 ou 110, c’est l’opinion de Dillmann. M. Volkmar croit que le livre d’Énoch a été écrit au moment de la révolte de Bar-Kokeba, sous Adrien (première moitié du second siècle après Jésus-Christ). La destruction du temple lui semble indiquée (89.72). Les bergers, dont il est parlé dans le même chapitre, désigneraient les empereurs romains. Il y en a douze ; ce sont les douze empereurs qui ont régné d’Auguste à Adrien. (Galba, Othon et Vitellius, considérés comme des usurpateurs, n’entreraient pas en compte). Lücke l’a cru aussi ; mais il a modifié son opinion dans la seconde édition de son ouvrage. Gfrœrer le réfute victorieusement ; il n’est question dans le passage invoqué que de la ruine du temple et de la ville sous Nabuchodonosor. Plus loin l’auteur parle de la reconstruction du temple et de l’histoire qui a suivi l’exil. Il est évident que le livre d’Énoch a sa date dans ce chapitre 89. Le tout est de savoir qui il faut entendre par les bergers. Les personnes qui voudraient étudier cette question, trouveront dans Langen (Op. cit., p. 55) une discussion très approfondie des diverses opinions émises par la critique. Gebhart et Schürer (Neutestamentliche Zeitgeschichte) placent la date de la rédaction du livre d’Énoch pendant le dernier tiers du iie siècle avant J. -C.]

Quelques savants croient qu’il a eu à subir plus tard des interpolations chrétiennes ; nous ne saurions nous ranger à leur avis. La doctrine messianique du livre d’Énoch est purement juive, dégagée de tout élément chrétien. Si l’idée du fils de l’homme (appelé aussi fils de la femme) y est largement développée, il n’y a rien dans ces développements qui soit étranger aux préoccupations juives du premier siècle. Le nom de fils de l’homme n’est pas particulier au Nouveau Testament. Le Messie ne doit venir au monde que pour exercer un jugement. L’auteur ne fait aucune distinction entre une première et une seconde venue du Christ, ce qu’un interpolateur chrétien n’aurait pas manqué d’établir. D’après lui, le Messie serait apparu d’abord aux élus et ensuite il serait revenu pour juger le monde. Les Juifs, qui vivaient immédiatement avant Jésus, croyaient, au contraire, que le Messie n’apparaîtrait qu’une fois et pour le jugement. L’enseignement de Jean-Baptiste ne laisse aucun doute à cet égard. Et quand le livre d’Énoch affirme que le Messie n’apparaîtra qu’une fois « pour la Rédemption des justes et le jugement des injustes, » il porte la marque indélébile de son origine purement juive. Les agneaux dont il est parlé (90.6) comme étant sortis du sein des brebis, c’est-à-dire des Israélites, ne sont pas les chrétiens, mais les Chasidim, les pieux orthodoxes. Dans la Jérusalem nouvelle, c’est devant les Israélites que se prosterneront les païens. Un Juif seul pouvait s’exprimer ainsi. Enfin le nom de Fils de Dieu (105.2) était employé pour désigner le Messie bien avant Jésus-Christ (Psa. 2).

[M. Hilgenfeld rapproche le passage 42.2 de Jean.1.10 et suiv. « La Sagesse, y est-il dit, est venue habiter parmi les hommes et elle n’a pas trouver de lieu pour habiter, alors elle est retournée et a pris sa place parmi les anges. » — « Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reçu », dit saint Jean, en parlant du Verbe. Nous croyons que la ressemblance de ces deux phrases est tout à fait fortuite. Jamais dans le livre d’Énoch, la Sagesse n’est identifiée avec le Fils de l’homme, avec le Messie. Le même passage dit aussi : « L’injustice est venue habiter parmi les hommes et y a trouvé sa place » ; la sagesse, l’injustice, sont ici des abstractions. De plus, le retour de la sagesse au ciel est en contradiction avec Jean.1.14, où il est dit que le Verbe a été fait chair et est venu habiter parmi les hommes.]

Si le livre n’a pas été remanié par un chrétien, il serait possible qu’il ait eu un Essénien pour dernier rédacteur ; non pas un de ces Esséniens cloîtrés, qui demeuraient sur les bords de la mer Morte, mais un de ceux qui vivaient dans le monde en laïques et dont la Palestine était peuplée. Plusieurs passages sont favorables à cette hypothèse : la tendance mystique de l’ouvrage tout entier, la doctrine des Anges qui y est soigneusement exposée, la foi en une rétribution à venir ; on rencontre ça et là des versets tout à fait esséniens, et la conclusion du livre est essénienne.

[Par exemple 83.11, 17.4 et suiv. Dans ce dernier passage, le Voyant est transporté à l’occident, au lieu où chaque jour le soleil se couche. Il y voit un fleuve de feu qui se jette dans une mer immense. « C’est un pays où règne une grande obscurité et où sont les morts. » Or les Esséniens, d’après Josèphe, avaient une croyance semblable (D. Bell. Jud. ii, 8, 11). Ils disaient que le royaume des élus était au delà de l’Océan.]

En résumé, le livre d’Énoch est purement juif ; il relève directement de l’Ancien Testament et ne renferme pas d’interpolations chrétiennes. Il a été écrit au milieu ou à la fin du second siècle avant Jésus-Christ, par des Chasidim, désireux de protester contre les idées grecques et qui n’ont pas pu se soustraire entièrement eux-mêmes à leur influence. Son importance capitale pour l’histoire que nous allons raconter réside principalement dans ses données sur le Messie à venir. Il nous dira exactement quel était le Messie attendu cent ans avant Jésus-Christ.

C’est là aussi la valeur des Psaumes de Salomon, rédigés 63 ans avant la naissance de Jésus. Ils sont au nombre de dix-huit, fort bien imités et offrant tous les caractères de la poésie de l’Ancien Testament.

[Ils ont été apportés pour la première fois de Constantinople en 1615. (Fabricius, Codex apocr. V. T.) ; on les mettait quelquefois dans les Bibles. Un manuscrit de Vienne les intercale entre la Sapience et l’Ecclésiastique. Le Codex alexandrinus les a insérés à la fin du Nouveau Testament. L’édition la plus commode est celle de Fritzsche : Libri Veteris Testamenti pseudepigraphi selecti Recensuit O. F. Fritzsche, Lipsiæ, 1871.

Les prophéties que renferme un pseudépigraphe aident souvent à déterminer la date de sa composition (Edouard Geiger, Der Salomonische Psalter, 1870.) Si la prédiction est naïve, vague, sans portée, elle n’a pas été composée après l’événement prédit. Dans le cas contraire, l’auteur ne résiste pas au plaisir de prédire en détails et de faire l’oracle. Dans les psaumes de Salomon il est fort question « d’une profanation qui souille le temple et l’autel » (1.8 ; 2.3 ; 8.12-14). Le passage 17.8 et suiv., montre qu’il s’agit du scandale que donna Pompée 63 ans avant Jésus-Christ (Langen, op. cit., p. 68). Les Juifs eurent la douleur et l’humiliation de le voir pénétrer avec sa suite dans le « Lieu très-saint, » où le grand-prêtre seul pouvait entrer (Munk, La Palestine, p. 536). C’était la première fois, dit Tacite (Hist. v, 9), qu’un romain pénétrait dans ce sanctuaire. (Voir Maurice Vernes, Histoire des idées messianiques depuis Alexandre jusqu’à l’empereur Hadrien, p. 129).]

Nous ne possédons, bien entendu, que la traduction grecque de l’original hébreu. La Judée, tombée au pouvoir des Romains, ses destinées changées une fois de plus, l’œuvre glorieuse des Macchabées anéantie, quelle occasion pour un poète juif de chanter quelques psaumes sur le mode antique, et de composer sur ces événements des prières du grand roi Salomon ! Les épreuves que le peuple subit sont le châtiment mérité de l’impiété des derniers Macchabées. La puissance politique d’Israël n’existe plus ; le poète n’attend plus de secours que du ciel ; il soupire après le Libérateur. Aussi l’espérance messianique s’y exprime-t-elle avec énergie, surtout dans les deux derniers poèmes.

Le premier siècle de l’ère chrétienne vit aussi paraître quelques pseudépigraphes. Le Livre des Jubilés, sorte d’abrégé de la Genèse, rédigé en araméen ; Jérôme l’appelait : Petite Genèse.

[Ce livre a été découvert, vers 1838 par un missionnaire, en Abyssinie. Il faisait partie de la Bible éthiopienne dont se servaient les chrétiens de ce pays ; M. Dillmann nous en a donné la traduction allemande. (Ewald, Jahrbücher der biblischen Wissenschaft, vol. II, 1849, p. 230-256 et vol. III, 1850-1851, p. 1-96).]

L’auteur débute par un discours qu’il place dans la bouche de Dieu lui-même s’adressant à Moïse avant son ascension. Ensuite il donne la parole à « l’Ange de la face » qui raconte à Moïse l’histoire du monde depuis la création jusqu’à la sortie d’Egypte des enfants d’Israël. Il modifie le récit de la Genèse d’après la théologie de son temps. La chronologie de cet écrit est rigoureuse ; elle est basée sur la période jubilaire de 49 ans ; de là son titre Livre des Jubilés. Il est authentiquement juif et palestinien. Il a été écrit au commencement du premier siècle. L’auteur, en effet, connaît le livre d’Énoch, et il est cité par le Testament des douze Patriarches ; tout porte à croire qu’il a rédigé son livre sous le règne d’Hérode le Grand.

L’Assomption de Moïse est citée, comme le livre d’Énoch, dans l’épître de Jude. Moïse, en l’an 2500, raconte l’avenir à Josué. Il lui fait l’histoire du peuple juif jusqu’aux temps messianiques. Une discussion s’engage ensuite, entre eux, sur la nécessité de la mort de Moïse.

[Appelée par les Pères Ανάληψις Μουσέως (Origène, De princ., III, 2), elle disparut vers l’an 1000. En 1862, Ceriani en a retrouvé et publié un fragment en latin. Cette apocalypse juive ne renferme aucune interpolation chrétienne. Nous ne discuterons pas ici la question de la date de sa composition. On s’accorde généralement à la placer entre 54 et 70 après Jésus-Christ. M. Volkmar tient seul pour 137 ou 138. On ne peut savoir si l’original était grec ou hébreu ; cette dernière hypothèse est la plus probable ; le latin est détestable, il a été transcrit par des copistes qui ne le savaient certainement pas. Du reste, nous n’avons que le commencement du livre ; la fin tout entière manque ; et encore, est-il écrit sur un palimpseste dont plusieurs passages n’ont pu être déchiffrés. Voir pour les diverses questions relatives à cet ouvrage : Hilgenfeld, Mosis Assumptionis quæ supersunt nunc prima édita et illustrata. Merx et Schmidt, Archiv fur die Wissenschaftliche Erforschung des A. T. Halle, 1868, 2e Heft. Nous nous sommes servi de l’édition de Fritzsche. Elle rapporte aussi rapporté une contestation entre l’archange saint Michel et le diable « sur le corps de Moïse » (Voir Ép. de Jude, v. 9).]

L’auteur est un Pharisien ou un Essénien. Le passage le plus important est celui qui a trait aux désordres des prêtres et à l’inconduite des docteurs de la loi vendant la justice au plus offrant. Il y est fait allusion à la terrible intervention de Varus, celui qui fut plus tard tué en Germanie. Envoyé en Palestine quatre ans avant l’ère chrétienne, c’est-à-dire l’année même de la naissance de Jésus, il mit fin à une révolte en crucifiant deux mille insurgés. Certaines descriptions rappellent beaucoup la manière de saint Jude dans son épître, dont nous avons aussi une reproduction au chap. 2 de la seconde épître de saint Pierre.

[Il est encore question dans l’Assomption de Moïse, d’un certain Taxo, qu’on a pris à tort pour le Messie. M. Carrière a donné une ingénieuse explication de ce mot taxo : Revue de théologie de Strasbourg, année 1868, page 65 et suiv.]

Le quatrième livre d’Esdras a été rédigé peu après l’an 70 Son origine n’est pas exclusivement juive. Il a été écrit en Palestine en langue grecque après la destruction de Jérusalem. L’auteur connaissait le christianisme. Il fait allusion à l’évangile selon saint Matthieu. De plus, les chrétiens l’ont interpolé. Il est un verset (7.8) où ils ont effacé le mot messie pour y substituer celui de : Jésus. Aussi ne faut-il se servir de ce pseudo-Esdras qu’avec une certaine défiance.

On appelle : I Esdras, notre Esdras canonique : II Esdras, le livre de Néhémie ; et III Esdras, une compilation de passages de l’A. T. faite à une époque inconnue. Le meilleur texte est celui de Fritzsche. On le trouve aussi dans la Vulgate.

Cette défiance est plus nécessaire encore avec le Testament des douze patriarches, un pseudépigraphe des premières années du second siècle. Le titre en indique le contenu. Les douze fils de Jacob sont censés avoir, avant leur mort, prédit l’avenir à leurs enfants. Ici il n’y a pas à se méprendre ; il ne s’agit pas seulement d’interpolations. C’est un Judæo-chrétien qui a écrit cet ouvrage. On ne peut consulter son livre qu’à titre de renseignements, et il ne saurait passer pour une source authentique du Judaïsme des premiers siècles.

Nommons encore l’Apocalypse de Baruch qui nous fournit quelques détails sur le péché (ch. 56) et affirme la chute originelle. Il parle aussi du Messie (ch. 72-74), mais ce livre est d’une date très postérieure à l’apparition du christianisme. Il dépend du IVe livre d’Esdras et nous ne pourrons nous en servir qu’avec une grande prudence.

Les livres du Nouveau Testament.

Les écrits des premiers chrétiens, réunis plus tard sous le nom de Nouveau Testament, furent presque tous composés dans la seconde moitié du premier siècle. Ces documents ont été étudiés et critiqués comme jamais livres ne l’ont été au monde. Du reste, nous n’avons pas à nous prononcer ici sur les questions d’authenticité et d’intégrité qu’ils soulèvent. Il nous suffira de constater qu’ils reflètent fidèlement l’image de leur temps. Les évangiles, surtout les trois premiers, renferment une quantité de renseignements sur les Juifs contemporains de Jésus. Quant aux épîtres de saint Paul, rédigées par un ancien Pharisien, elles offrent un intérêt tout particulier. Le grand apôtre a gardé pendant la seconde moitié de sa vie plusieurs des allures de la première. Il s’en vante lui-même : « Je suis Pharisien, » s’écrie-t-ilf après ses voyages missionnaires et lorsqu’il était chrétien depuis nombre d’années. Il a raison. Il n’a pas seulement conservé la fierté native du Pharisien, mais toute son éducation première a laissé en lui des traces ineffaçables.

f – Non, Paul ne se vante pas d’être pharisien : dans le premier cas (Actes.23.6), c’est une ruse pour se tirer d’une situation délicate, dans le second (Philip.3.5), c’est justement pour dénigrer le prestige et les privilèges que lui valait autrefois son appartenance à cette secte ; toujours cette même tendance chez Stapfer à vouloir ramener le spirituel à un déterminisme psychologique humain… (ThéoTEX)

La forme de sa pensée, ses raisonnements relèvent directement des écoles de Jérusalem. Il lui arrive de citer la loi comme la cite le Talmud, sans qu’il y ait de rapport entre le fait qu’il avance et le passage qu’il indique à l’appuig. Il allégorise l’histoire d’Agar et de Sarah (Gal.4.21). On croirait entendre son maître, Gamaliel le Vieux. Il accepte les traditions rabbiniques sur le rocher d’Horeb suivant les Israélites dans le désert (1Cor.10.4). Il sait les noms des magiciens qui s’opposèrent à Moïse, ils s’appelaient Jannès et Jambrès (2Tim.3.8). Enfin ses développements sur le messie, second Adam, sur la résurrection des corps, sur la prédestination, sont bien ceux d’un Pharisien.

g – 1Cor.14.21 ; 9.9-10 ; Gal.4.16 ; Act.22.5, etc.

Les paraphrases chaldaïques de l’Ancien Testament.

Depuis longtemps déjà les Juifs ne parlaient plus l’ancien hébreu et le peuple ne pouvait lire la loi et les prophètes dans l’original. Il fallait lui traduire la Bible en langue vulgaire, en chaldéen ; le jour du sabbat un interprète était chargé de cette traduction faite à haute voix en même temps que la lecture du jour. Les idées particulières de cet interprète, qui était sans doute un scribe « un docteur de la loi, » apparaissaient dans sa traduction. Il développait, il commentait, quelquefois il modifiait les passages difficiles. Il faisait une paraphrase.

Plus tard, on écrivit ces paraphrases chaldaïques de l’Ancien Testament (Targoums) et deux d’entre elles nous ont été conservéesh : celle d’Onkelos sur la loi, c’est-à-dire les cinq livres attribués à Moïse, et celle de Jonathan sur les Prophètes, la seconde partie du canon sacré, qui renfermait, outre les Prophètes, un certain nombre de livres historiques. On a cru longtemps qu’Onkelos écrivit son Targoum pendant la vie même du Christ en Palestine.

h – Elles ont été imprimées par Wallon dans sa Bible polyglotte qui se trouve dans plusieurs de nos bibliothèques publiques. Elles ont aussi été insérées dans la Polyglotte de Paris.

[C’était l’avis de Winer. D’après les derniers travaux de MM. Frankel (Zu dem Targum der Propheten, Breslau, 1872, pag. 8 et 11) et Geiger (Jüdische Zeitschrift, 1871, pag. 86 et 1872, p. 199), ces deux Targoums ne seraient que du IIIe ou du IVe siècle après J.-C. M. Ernest Havet (Rev. pol. et litt., n° du 6 Février 1875, art. sur Philon) est du même avis. Mais il les croit copiés sur de plus anciens textes. (Voir aussi Revue de théologie de Lausanne, n° de Juillet 1877, p. 342, art. de M. Soulier.) La date de la composition des deux Targoums qui nous ont été conservés a peu d’importance en elle-même. Il est certain que des paraphrases, semblables à celles que nous possédons, étaient lues ou plutôt faites de vive voix au commencement du premier siècle dans les synagogues de la Judée et de la Galilée, et c’est l’essentiel. (Winer, De Onkel, p. 8. — Herzog’s Real Encyclopedie, t. XV, p. 673.)]

Sa paraphrase est simple, naturelle ; elle n’est point surchargée d’éléments étrangers, et ne renferme aucune allusion au christianisme, ni à la destruction du Temple. L’écrit de Jonathan est en tout cas postérieur. Le Talmud cependant fait de son auteur un disciple d’Hilleli. Sa paraphrase est beaucoup plus étendue que celle d’Onkelos ; et il altère sans scrupule un grand nombre de passages. Il nous donne, dans ces modifications intentionnelles du texte, des renseignements de toutes sortes sur les idées religieuses de ses contemporains. Chaque altération des passages qui parlent de Dieu, des anges, de la Parole, nous révèle quelque détail de la théologie juive des premiers siècles. Il ne faut cependant user qu’avec circonspection du Targoum de Jonathan, parce qu’il renferme un certain nombre d’interpolations.

iBababathra, fol. 134 a. Tout porte à croire qu’il s’agit, en effet, dans ce passage, de l’auteur du Targoum (Gesenius, Comment, über d. Is. i, 1, 66).

Les écrits de Josèphe.

Dans ce premier siècle, la littérature juive semble avoir voulu lutter de fécondité avec la jeune littérature chrétienne. L’historien Josèphe, né en 37, écrit ses histoires de la guerre des Juifs et des Antiquités juives. Elles abondent en renseignements historiques ; il parle de Caïphe, d’Hérode et d’Hérodiade, de Ponce-Pilate et de Jean-Baptiste, et tous ses développements sont frappants de réalitéj. Il entre dans des détails circonstanciés sur les Pharisiens, les Saducéens, les Esséniens ; mais il faut se défier extrêmement d’un certain nombre de ses assertions. Juif de naissance, il veut paraître le moins Juif possible aux lecteurs païens pour lesquels il écrit. Il pactise avec l’étranger ; il est à moitié Romain dans sa politique et à moitié Grec dans sa religion. Il veut faire des Juifs un peuple de philosophes. « Il y a, dit-il, trois philosophies parmi les Juifs qui remontent aux temps les plus anciens de leurs aïeux, le Pharisaïsme, le Saducéisme, l’Essénisme. » C’est une vanterie sans portée.

j – Son passage sur Jésus n’est pas authentique, au moins sous sa forme actuelle. Il a été certainement retouché, peut-être même écrit en entier par un chrétien.

[Voir sur les idées messianiques de Josèphe, Die Weissagungen des A. T. in den Schriften des F. Josephus, par Gerlach, 1863. Le seul passage de Josèphe sur le Messie se trouve D. B. Jud., vi, 5, 4.]

Le Talmud.

Il nous reste à parler du Talmud. Nous nous sommes servi pour nos citations talmudiques du recueil latin de Lightfoot. Grâce à cet admirable travail, nous avons pu parcourir sans effort tous les passages importants de ce colossal ouvrage, et il n’est pas une de nos affirmations qui ne soit appuyée sur un texte authentique. Or c’est dans le Talmud qu’il faut chercher surtout « la vraie notion des circonstances où se produisit Jésusk. »

k – E. Renan, Vie de Jésus introd., p. 12. Le Talmud sera la plus importante des sources de notre second volume : La vie religieuse et sociale en Palestine à l’époque de J.-C.

La vaste compilation qui porte le nom de Talmud fut faite de l’an 200 à l’an 500 après Jésus-Christ. Les traditions qui en sont la base ont pris naissance au moins deux siècles avant l’ère chrétienne, et, à l’époque même du Christ, il existait probablement déjà un texte écrit. Hillel, quarante ans avant la naissance de Jésus, avait préparé un travail qui devint plus tard la Mischna (Répétition de la loi) terminée en 219 par Judas le Saint.

Cette Mischna, recueil de paraboles, de proverbes, de sentences qui ont parfois une parenté étroite avec les préceptes de Jésus, n’est pas encore le Talmud, mais seulement le texte des commentaires talmudiques. Ce texte devint, en effet, le sujet des discussions des rabbins de Tibériade, et ces discussions, écrites pendant près de deux cents ans, forment le premier des Talmuds, celui de Jérusalem (Talmoud Yerouschalmi) terminé en 390. C’est le plus ancien, le plus intéressant et le plus court des deux, bien qu’il remplisse douze volumes in-8°. Son rédacteur principal fut Rabbi Yochanan. A Babylone, on fit aussi un Talmud (Talmoud Babyl) ; commencé en 367 par Asché, continué par son fils Mar et par son disciple Marimor, il fut achevé au commencement du vie siècle. D’après l’estimation de M. Schwab, il ne compterait pas moins de soixante volumes in-8°, et cependant le style en est concis jusqu’à l’obscurité. Ces Talmuds, appelés aussi Guemaras (compléments) sont un amas, disons mieux, un fouillis indescriptible de règlements et de préceptes aussi minutieux que puérils. Mais il y règne, à côté d’une scolastique sans portée, un sentiment religieux profond et une foi indomptable ; on y trouve mille légendes aussi touchantes que curieuses, et çà et là on découvre d’admirables préceptes.

[C’est à bon droit que nous attribuerons à l’époque même de Jésus, ce qui existait un peu avant ou un peu après lui. En Orient, et surtout en Palestine, les idées, les coutumes, le modus Vivendi, sont bien autrement tenaces que chez nous (Delitzsch, op. cit., p. 8) ; aussi les sentences du Talmud qui ne remontent pas au premier siècle (et la plupart sont dans ce cas) ont cependant beaucoup à nous apprendre. Elles font passer sous nos yeux un état de choses qui certainement ne s’était pas essentiellement modifié depuis l’époque de Jésus-Christ.]

Nous nous servirons beaucoup du Pirké Aboth (Sentences des Pères) qui n’est autre qu’un des traités de la Mischnal le plus complétée plus précieux. Il nous donne une foule de sentences d’Hillel, de Gamaliel le Vieux : on y entend parler les Pharisiens du temps de Jésus-Christ, on y trouve leurs aphorismes, leurs raisonnements, leur morale, leur théologie.

l – Sauf le dernier chapitre. Voir Anspach, Rituel des prières journalières à l’usage des Israélites. Cet ouvrage donne le texte du Pirké Aboth, avec la traduction française en regard.

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