Les idées religieuses en Palestine à l’époque de Jésus-Christ

8. L’Éternité

Le règne messianique ne durera pas éternellement. — Le second jugement. — Comment s’est formée la foi en la résurrection du corps et celle en l’immortalité de l’âme. — On ne croit d’abord qu’à la résurrection des justes. — Le Paradis. — Le sort des élus. — Le sort des damnés. — La résurrection « tant des justes que des injustes ».

Nous avons dit que le Messie ne devait pas mourir. Son règne sera-t-il donc éternel ? Oui, avaient répondu les prophètes de l’Ancien Testament dont les espérances ne dépassaient pas l’horizon terrestre ; et, au premier siècle, plusieurs auraient sans doute répondu comme les prophètes. La foi en une résurrection partielle n’avait rien changé à cette croyance. Les justes, ressuscités au moment de l’avènement du Messie, devaient vivre éternellement avec lui dans une Jérusalem nouvelle, capitale du monde entier, qui ne serait habitée que par les heureux adorateurs de Jahveh.

Mais, dans le quatrième livre d’Esdras, nous surprenons l’existence d’un autre courant d’idées, d’après lesquelles le règne du Messie ne durera qu’un certain temps. L’auteur de cette apocalypse le limite à 400 ansa. Une ancienne tradition disait déjà que le monde durerait six mille ans, deux mille ans avant la Loi, deux mille sous la Loi et deux mille sous le Messie.

a – Au bout desquels le Messie mourra. Nous avons dit ce que nous pensons de cette idée qui n’est certainement pas d’un Judaïsme bien authentique.

[Lightfoot, op. cit. sur Matthieu 24.3 ; Talmud, Sanhédr. fol. 97 a. Ces six mille ans correspondent aux six jours delà création ; car il est écrit (Psaumes 90.4) que devant le Seigneur mille ans sont comme un jour, et un jour comme mille ans. Après la dernière période de mille ans, qui serait une ère de bonheur pour les Juifs, surviendrait un « silence de sept Jours » (4Esdras, vii, 30), puis on verra les « nouveaux temps. »]

Un certain nombre de Juifs, au milieu et à la fin du premier siècle, admettaient donc que la durée du règne du Messie serait limitée ; mais, comme il ne devait pas mourir, il reparaîtrait et on verrait commencer un nouveau règne messianique qui serait éternel. Ces Juifs, on le voit, dédoublaient l’ère messianique et attendaient deux jugements et deux apparitions de l’Oint du Seigneur : la première serait purement terrestre et serait signalée par la conversion des païens (premier jugement) ; la terre tout entière adorerait Jahveh ; le Messie régnerait en paix pendant mille ansb. Ensuite tous les hommes seraient jugés (second jugement) et la vie éternelle commencerait.

b – Ce fut le chiffre définitif et officiel. De là le nom de « millénium » qui fut donné à cette première époque messianique.

Cette foi en deux époques messianiques n’est pas aussi compliquée qu’elle le paraît d’abord. Les chrétiens partagent une idée semblable, croyant qu’avant la fin du monde la terre entière se convertira au christianisme ; alors le royaume de Dieu sera réalisé ici-bas. Plus tard viendra la fin du monde, le jugement dernier et la vie du ciel.

Il est assez difficile de savoir si on croyait à ces deux apparitions du Messie avant le christianisme. Le livre d’Énoch ne parle que d’un seul jugement.

[Les Targoums ne parlent aussi que de deux mondes : le monde actuel avant le Messie ; et le monde à venir avec le Messie. Quant aux premiers chrétiens, on comprend aisément quelles furent leurs croyances. Juifs d’abord, ils attendaient un Messie qui fonderait le royaume de Dieu sur la terre. Le Messie paraît sous les traits du prophète Jésus de Nazareth. Ils le suivent, ils l’acclament, mais Jésus meurt sans avoir fondé le Royaume de Dieu ; il reviendra, se disent-ils alors, pour le fonder. Son retour, sur les nuées du ciel, est imminent. Plus tard, ils conçurent d’une manière plus spirituelle le règne messianique ; le vrai royaume de Dieu serait réalisé dans le ciel ; celui de la terre ne devait plus durer qu’un temps limité.]

Bien que l’explication psychologique de l’attente du retour physique de Jésus-Christ chez les premiers chrétiens paraisse admissible, il n’en est pas moins vrai que l’assurance de ce retour leur a été promise par Jésus lui -même, et qu’elle leur fut confirmée surnaturellement le jour de l’ascension, Actes 1.11 : « Ce Jésus, qui a été enlevé au ciel du milieu de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu allant au ciel. » (ThéoTEX)

Il est probable que la théorie des deux jugements était nouvelle ; c’était de la haute théologie que les savants seuls comprenaient. Il semble bien que pour la masse de la nation, le Messie ne devait apparaître qu’une fois et pour un seul jugement.

Du reste, une certaine tolérance régnait certainement à cet égard. Chacun pensait un peu ce qu’il voulait dans ce siècle d’enfantement où l’on voyait paraître tant d’idées étranges. En tout cas, on avait une tendance à ne plus faire de l’époque messianique attendue qu’une préparation à l’éternité. Les premiers chrétiens, pour lesquels il y avait deux apparitions messianiques, la première étant la vie de Jésus de Nazareth, mort sur la croix, la seconde son retour glorieux sur les nuées du ciel, contribuèrent peut-être à affermir dans l’esprit des Juifs qui les entouraient la foi en deux jugements. Il est certain qu’il n’en est expressément parlé que par des auteurs postérieurs au christianisme. Mais d’autre part, on peut retrouver des allusions à ce dédoublement de l’ère messianique dans des apocalypses de la première époque. Il ne serait pas impossible que Daniel y fit allusionc. Et, dans le livre d’Énoch, quand l’auteur nous décrit le séjour des bienheureux et celui des damnés, il parle probablement d’une vie extra-terrestre et de ce qui se passera après la fin du monde, c’est-à-dire après une première ère messianique. Si on se préoccupait du sort des bons et des méchants dans la vie future, c’est qu’on voyait par delà le règne messianique terrestre, un monde à venir, ce que nous appelons le ciel.

c – Il se pourrait, en effet, que les événements du chap. 7 ne fussent pas les mêmes que ceux du chap. 12.

Il importe de reprendre ici une question que nous n’avons fait qu’indiquer dans notre chapitre anthropologique. Nous voulons parler de la résurrection et de la vie future.

Pour les Prophètes de l’Ancien Testament, ceux-là seulement qui vivraient au moment de l’avènement du Messie auraient leur part de bonheur. De ceux qui étaient descendus dans le mystérieux séjour appelé le Scheol, il n’était point question. Nous n’avons pas à traiter ici le problème de la vie à venir pour les Hébreux. Rappelons seulement deux faits qui sont affirmés par tous les documents : 1° l’homme reçoit sa récompense sur la terre ; 2° après la mort, il descend au Scheold ; là, se rencontrent les bons et les méchants ; ils n’y éprouvent ni peine, ni plaisir, ni souffrance, ni joie (Psaumes 6.6 ; 30.10 ; Ésaïe 38.18). Çà et là les Prophètes pressentent autre chosee. Mais les Hébreux avaient un ensemble de lois et de croyances qui empêchait l’idée de la vie future de se développer. L’imagination religieuse de l’Israélite restait tout entière absorbée par l’avenir de son peuple sur la terre.

d – L’Adès des Grecs, l’Amenthès des Égyptiens. Proverbes 9.18 ; 21.6 ; Ésaïe 14.9.

eÉsaïe 26.1-13, 17-20 ; 32.9-14 ; 30.18-26 ; Ézéchiel 37.1-14.

La formation d’une doctrine de la résurrection des corps à l’époque des Macchabées se comprend, au contraire, très facilement. Trop souvent la foi des Juifs en un avenir glorieux avait reçu le plus cruel démenti. Il fallait s’y résigner ; l’homme de bien n’était pas toujours récompensé ici-bas. Mais Dieu existe et il est juste ; il viendra donc un jour où les méchants seront punis et les bons récompensés. Connaissant le Mazdéisme, dont l’eschatologie était si riche, le théologien juif, avec sa pauvre idée du Scheol, se sentait bien inférieur au docteur persan.

[Nous n’insisterons pas sur les ressemblances étonnantes de l’eschatologie juive et de l’eschatologie persane. Ces ressemblances viennent certainement d’emprunts faits par les Juifs aux Perses. A côté de ces ressemblances, il y a entre les deux doctrines d’assez notables différences qui prouvent un développement original des idées juives sur ce sujet. Les Perses n’auraient pas eu d’eschatologie que les Juifs auraient certainement eu la leur ; elle était nécessitée par leur développement religieux et théologique. Les docteurs de la Loi, créant une eschatologie, se trouvaient naturellement entraînés à la bâtir sur le modèle de celle qu’ils connaissaient déjà. — Cette remarque peut s’appliquer aussi à l’angélologie et à la démonologie juives dont nous avons parlé plus haut.]

Pendant les guerres d’indépendance de Judas Macchabée, quand les Juifs patriotes tombaient par milliers sur les champs de bataille, on ne pouvait s’empêcher de se dire : « Il n’est pas possible que ces justes, ces saints aient péri sans retour. » Depuis longtemps ce problème tourmentait les âmes élevées. « Eh quoi, » pensait-on, « l’homme pieux qui souffre sur la terre ne verra-t-il pas un jour réparer toutes les iniquités dont il aura été l’objet ? n’y aura-t-il pas une rémunération ? le jour de la justice distributive ne se lèvera-t-il pas ? »

Le livre de Job, composé, selon toute vraisemblance, aux jours du roi Salomon, marque une des phases du développement de cette question : le moment du doute. L’auteur nous montre l’homme de bien malheureux, et il se demande pourquoi ? Il cherche à ce malheur toutes sortes de raisons plus ou moins bonnes et les met dans la bouche des amis de Job. Un moment, vers la fin du poème, il s’élève à cette idée sublime : Dieu seul sait ces choses ; nous sommes trop petits pour les comprendre. Mais, dans l’épilogue, il revient à la solution vulgaire : l’homme de bien retrouve sur la terre tout ce qu’il a perdu ; il reçoit sa récompense ici-bas.

Sous Antiochus Épiphane ces doutes disparurent, et les Pharisiens commencèrent à affirmer la résurrection du corps. Le livre de Daniel porte le premier la trace de cette croyance nouvellef. Affirmer la résurrection du corps était un moyen ingénieux de résoudre la question qui avait si longtemps troublé les consciences sans rien renier de l’antique foi mosaïque. Moïse avait dit : l’homme reçoit sa récompense sur la terre. Chaque jour cette promesse était démentie par les faits. Le juste mourait sans avoir reçu ce qu’il avait mérité. Les guerriers tombaient en foule les armes à la main pour la sainte cause de Jahveh, une mère et ses sept fils avaient péri martyrs de leur foi et, pour eux, tout serait fini ! Non, ces héros revivront. Ils n’en ont pas fini avec l’existence ; et ils sortiront vivants de leurs tombeaux quand le Messie paraîtra ; ils seront là le jour de son avènement, et ils auront part, avec nous qui vivrons encore, à la gloire à venir.

fDaniel 12.2. Ce n’est encore que la résurrection partielle : « Plusieurs de ceux qui dorment dans la poussière de la terre se réveilleront. »

[Les premiers chrétiens, et en particulier saint Paul, exposent la même doctrine : à l’avènement du Seigneur, ceux qui sont morts dans la foi au Messie ressusciteront premièrement ; ensuite « nous qui vivrons (ἡμεῖς οἱ ζῶντες) et qui serons restés sur la terre, nous serons enlevés tous ensemble dans les nuées, au devant du Seigneur, en l’air. » 1 Thessaloniciens 4.17 et suiv. — Dans le chap. 15 de la 1re aux Corinth., il expose la doctrine de la résurrection telle que Gamaliel la lui a enseignée.]

Pas du tout ! L’idée qu’au moment de la résurrection des justes, les chrétiens encore vivants sur terre soient métamorphosés et enlevés avec eux dans les airs est entièrement nouvelle. C’est par une révélation spéciale que Paul l’a appris, et non en suivant les leçons de Gamaliel : « Voici, je vous dis un mystère : nous ne mourrons pas tous, mais tous nous serons changés, en un instant, en un clin d’œil, à la dernière trompette. La trompette sonnera, et les morts ressusciteront incorruptibles, et nous, nous serons changés. » (1 Corinthiens 15.51-52) « Voici, en effet, ce que nous vous déclarons d’après la parole du Seigneur : nous les vivants, restés pour l’avènement du Seigneur, nous ne devancerons pas ceux qui sont morts. » (1 Thessaloniciens 4.15)

Les Saducéens, restés fidèles à la vieille tradition, passèrent bientôt pour hérétiques. La foi en la résurrection devint la foi orthodoxeg et officielle ; cependant elle ne fut d’abord enseignée et comprise que dans les écoles. Pendant longtemps plusieurs personnes refusèrent d’y croire. Pendant la vie de Jésus, il ne restait plus que le peuple qui ne l’admettait pas. Il avait delà peine à comprendre ce que signifiait « ressusciter des morts. »

g1 Maccabées 7.9, 14, 23 ; 12.43-44. Les sept fils sont soutenus par leur foi en la résurrection.

[Jésus Sirach n’y croyait pas : Sira.17.26,28 ; 40.2,6 ; 41.1-2 ; 22.10,14 ; 44.9. Voir aussi Baruch 2.17.] Le lecteur peut consulter ces passages dans notre édition de la Septante, il constatera qu’aucun d’eux ne permet de dire que le Siracide niait la résurrection ; il exprime seulement l’abattement de l’âme humaine devant la brièveté et la vanité de sa vie terrestre ; d’une manière très semblable à celle l’Ecclésiaste ou à celle de David dans les Psaumes (ThéoTEX).

Plus tard, du vivant de l’historien Josèphe, tous sans exception, croyaient à la résurrection.

[Jos. D. Bell Jud., ii, 8, 14. Ant. Jud., xviiii, 1, 3. Actes 23.8. Quand on songe à la rapidité avec laquelle s’établit la foi en la résurrection de Jésus, on comprend combien il est important de savoir exactement ce qu’on pensait de la résurrection au premier siècle.]

Quand on voulut trouver la résurrection des morts dans l’Ancien Testament, ce fut très facile (Matthieu 22.31-32) ; les passages abondaient : l’histoire de la disparition d’Énoch (Genèse 5.24), de l’enlèvement d’Élie (2 Rois 2.11), l’évocation de l’ombre de Samuel (1 Samuel 28.7-20) ; il n’en fallut pas davantage ; ces faits furent cités comme des preuves.

Nous avons dit, dans un précédent chapitre, qu’il ne s’agissait d’abord que d’une résurrection partielle, celle des justes. On ressuscitait pour recevoir une récompenseh, ceux qui sont morts dans la foi au Messie, et qui ont salué de loin son apparition, et surtout ceux qui sont morts les armes à la main, pour la cause de l’indépendance nationale ressusciteront, c’est-à-dire sortiront vivants de leurs tombeaux. La toi en une résurrection générale ne se forma que peu à peu ; et il y eut un long temps d’élaboration et de genèse, où les idées de vie future et de résurrection n’étaient ni clairement définies, ni nettement exprimées.

hMatthieu 27.52. « Plusieurs corps des saints qui étaient morts ressuscitèrent. »

D’après certains passages du Nouveau Testament, il semblerait que le Juif attendait la résurrection dans son tombeau. Cependant l’opinion généralement reçue était que, au moment de la mort, les anges aidaient l’âme du juste à se délivrer de son enveloppe visible et puis ils la gardaient et la portaient « dans le sein d’Abrahami. » Le Talmud de Babylone nous représente, au contraire, les hommes de l’Ancien Testament, dans leurs sépulcres, à Hébron, vivants et animés. Ces contradictions prouvent quel rôle jouait l’imagination dans ces questions mal comprises et imparfaitement résolues. Nous avons parlé ailleurs de l’anéantissement des méchants ; mais s’il était affirmé par les uns, il était nié par les autres. Daniel n’y croyait pasj. Leur sort à venir avait été d’abord passé sous silence. La résurrection n’avait pas été imaginée pour eux. Plus tard, au contraire, leur existence dans l’éternité fut aussi certaine que celle des justes.

iJean 11.24 ; 4 Esdras, ch. vii. Luc 16.22.

jDaniel 12.2. Il parle d’un « opprobre et d’une ignominie éternelle. »

[L’expression de saint Paul (Actes 24.15) : « J’attends la résurrection tant des justes que des injustes, » nous fait croire que c’est en présence de l’opposition saducéenne que la foi des Pharisiens se sera exaltée et que la résurrection générale de tous aura été enseignée. Quelques théologiens disaient encore qu’après leur mort. les méchants subiraient une « seconde mort ». Targ. Onkel. sur Deutéronome 33.6 ; Targ. Jonath. sur Ésaïe 22.14 ; Énoch, xxii, 13.]

Le livre d’Énoch a une théologie complète sur la vie future des élus d’une part, des damnés de l’autre. Ses idées, sur ce sujet, sont très originales et assez précises. Il enseigne qu’après la mort le juste va au « Paradis » et il entend par là, l’Éden, le Paradis terrestrek, où avaient vécu Adam et Eve, jardin délicieux, dont l’idée avait été fournie aux Juifs par la théologie des Perses. Là se trouve l’arbre de la vie qui nourrit les bienheureux et celui de la connaissance du bien et du mal qui leur donne la sagesse. Ce séjour n’est que provisoire et le Messie par sa venue et le jugement qu’il exercera y mettra fin. Les justes dans ce Paradis prient pour les hommes.

k – L’auteur dit qu’il est placé à l’est de la mer Érythréenne (xxxii, 2) ; il subit là l’influence de l’hellénisme.

[Les premiers chrétiens adoptèrent cette idée : Justin Martyr, Dial. avec Tryphon, en. 80 ; Irénée, Adv. hær. v, 31, 2, parle d’un endroit où les âmes sont transportées après la mort ; Origène (De Princ., ii, 11), assigne à ceux qui sont morts un premier séjour « dans cet endroit appelé, par l’Écriture, le Paradis. »]

Quant aux méchants, ils vont après la mort dans le Hadès ; et c’est là qu’ils attendent le jugement. Il est à l’Occident, à l’endroit où s’enfonce chaque soir le soleil couchant. Là coule un fleuve de feu qui se jette dans « la grande mer. » Le Paradis terrestre des bons est, au contraire, à l’Orient.

Ce n’est pas précisément le Hadès des Grecs ; pour ceux-ci, le Hadès était le séjour de tous les hommes, bons ou méchants, après la mort. Les damnés étaient ensuite jetés dans le Tartare, que le livre d’Énoch appelle la Géhenne.

On voit que ce Paradis et ce Hadès n’ont rien de commun avec le ciel et avec l’enfer. Ce sont des lieux de séjour provisoire ou les morts attendent la venue du Messie et le jugement qui sera suivi pour ceux-ci de la félicité céleste, pour ceux-là de la damnation éternelle.

Un mot de Schammaï qui nous a été conservé, semble indiquer que les pharisiens admettaient un purgatoire ; il disait : « Il y aura trois classes d’hommes au jour du jugement : les bons, les méchants et ceux qui appartiendront aux deux catégories à la fois. Les premiers iront à la vie éternelle ; les seconds à la mort éternelle ; les troisièmes dans le purgatoire où ils seront purifiés par les tourments, les pénitences et la prière. » Mais Hillel répliquait : « Non, Dieu est grand par la miséricorde, et les hommes de la classe intermédiaire ne traverseront pas le purgatoire. Leurs mérites effaceront leurs fautes. » (M. Schwab, Trad. du traité Berakhoth. Introd., p. 22-23). L’auteur d’Énoch xxii, 13, admet aussi un véritable purgatoire destiné à ceux pour lesquels des peines éternelles seraient trop sévères.

En quoi consistera cette félicité céleste des justes ? « Les justes, est-il dit, brilleront comme le soleil et les étoiles. » Ils jouiront d’un repos bienheureux dans la société des anges et ils se tiendront devant Dieu (εἵναι παρὰ Θεόν) dans un état de pureté parfaite et inaccessible à tout péché.

Ils auront des vêtements blancs et lumineuxl, sortes d’enveloppes célestes, semblables à celle qu’Élie passait pour avoir revêtue au moment de son enlèvement au ciel.

l – Ass. d’Isaïe, i, 5, et iv, 16.

Un rabbin disait : « le monde à venir ne ressemblera pas à celui-ci ; il n’y aura ni manger, ni boire, ni cohabitation, ni commerce, ni jalousie, ni haine, ni discussion ; mais les sages revêtus de leurs couronnes jouiront de la vue de la Providence, comme il est écrit : la vue de Dieu équivaut au manger et au boirem. » Rappelons aussi le mot de Jésus : « Après la résurrection les hommes ne prendront point de femmes ni les femmes de maris ; mais ils seront comme les anges qui sont dans le ciel. » Dans l’Apocalypse de Jean nous trouvons encore ces paroles sur les bienheureux : « Ils n’auront plus ni faim, ni soif, et le soleil ne frappera plus sur eux ni aucune chaleur (Apocalypse 7.16-17). »

m – Talm. Babyl. Berakhoth, fol, 17 a (Trad. de M. Schwab., p. 291.)

Le passage du Talmud que nous venons de citer est en contradiction avec une idée très populaire au premier siècle et qui consistait à se représenter la vie future ou « le Royaume » comme un festin. On y sera à table (Luc 13.29 ; 22.30) avec les hommes pieux de l’Ancien Testament, Abraham, Isaac, Jacob, etc., et comme les anciens mangeaient à demi-couchés et inclinés les uns vers les autres, on disait qu’on serait « dans le sein d’Abrahamn. »

nLuc 16.22. Cf. Jean 1.18. « Le Fils unique qui est dans le sein du Père. »

Là on boira du vin nouveau et on mangera. On désignait même les animaux qui figureraient au repas ; le Léviathan et le Behemoth devaient y être servis.

Il nous reste à parler du sort des damnés. Ils habiteront le Gehinnom (Géhenne). Ce mot venait du nom de la vallée de Hinnom, endroit réputé infâme par le souvenir de l’effroyable culte de Moloch auquel on offrait des enfants brûlés vifs. On se le représentait comme un lieu de supplices, où l’on serait tourmenté par une soif dévorante, et même brûlé dans un feu qui ne s’éteindrait point. Les peuples du Midi et de l’Orient pour lesquels l’été a des chaleurs accablantes étaient naturellement amenés à se représenter les peines éternelles sous cette image. On a remarqué que, dans les pays du Nord, l’enfer était, au contraire, représenté comme un étang glacé. Cette croyance au feu infernal était très répandue.

Il y avait trois entrées à la Géhenne, l’une dans le désert, la seconde dans la mer, la troisième à Jérusalem. Il était généralement admis que les peines infernales seraient éternelles.

Nous avons dit qu’en attendant leur condamnation, les âmes des méchants seraient dans le Hadès, sorte de vestibule de l’enfer, comme le paradis l’était du ciel. Après la mort, disaient quelques personnes, l’âme s’élance vers le Très-Haut et si elle est trouvée coupable, elle erre çà et là jusqu’au jour du jugement.

[Nous disons l’âme du méchant. Si le Targ. de Jonath. parle des souffrances corporelles des damnés, c’est au figuré (Si elles sont corporelles, elles ne sont donc pas au figuré, il faut choisir ! ThéoTEX). Voy. Énoch, xcviii, 3 ; ciii, 8 ; cviii, 3. Ce sont les esprits des pécheurs qui sont précipités dans la fournaise pleine de feu. Cf. Jos. D. Bell. Jud., n, 8, 14. Ant. Jud., xviii 1, 3.]

Mais l’opinion commune voulait qu’elle restât dans le Hadès. Celui-ci était fermé par des portes en airain garnies de barres de fer. Les uns disaient

que l’archange Uriel briserait ces portes au dernier jour, les autres qu’elles seraient consumées dans l’incendie qui embraserait le monde. Les anges armés de fouets brûlants chasseraient alors les âmes du Hadès et les amèneraient au tribunal de Dieu.

Carm. Sybill., ii, 288 et suiv. vii, 225 et suiv. Quant aux anges déchus, ils quitteront aussi leur séjour provisoire et seront précipités en enfer. Le jugement d’Azazel et de ses démons nous est raconté par Énoch, lv, 4.

Telle était là doctrine des Juifs sur le ciel et sur l’enfer. Elle n’est pas passée tout entière dans la théologie chrétienne. Celle-ci, par exemple, n’a jamais distingué le ciel du Paradis ni l’enfer du Hadès. Mais elle a toujours enseigné que le ciel était réservé aux élus et l’enfer aux damnés, et plusieurs des détails de la croyance des Juifs du premier siècle sont devenus la doctrine orthodoxe du Christianisme. Au moyen âge surtout, le peuple se représentait le monde à venir sous un aspect grossièrement réaliste. L’enfer, en particulier, avec ses fournaises ardentes et ses démons agissait puissamment sur l’imagination des masses. Les images dont on se servait alors étaient celles-là même, que le livre d’Énoch rendait populaires plus de cent ans avant l’apparition du Christianisme.

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