Histoire des dogmes de l’Église chrétienne

2.2 – Le dogme de la divinité de Jésus-Christ et de la Trinité

2.2.1 – La divinité de Jésus-Christ

Nous ne nous occuperons pas, dans cette période, des questions générales relatives à l’existence de Dieu, à sa nature, à ses attributs et à ses œuvres. Nous n’aurions à signaler aucune différence notable avec la période précédente ; et d’ailleurs ces questions, qui étaient d’une réelle importance alors que la lutte était engagée contre les païens et les hérésies païennes, perdirent beaucoup de leur intérêt quand cette double lutte fut terminée. Elles durent être abordées sans doute dans les quelques apologies qui s’écrivirent encore et dans la polémique contre les Manichéens ; mais, à part cet écho de la lutte antérieure, elles constituèrent désormais des points acquis et incontestés.

C’est ailleurs, sur le terrain spécifiquement chrétien, que se concentre le travail de la pensée théologique. Les deux questions qui sont, en Orient du moins, le pivot de tout le mouvement dogmatique, c’est, d’une part, celle de la Trinité, de l’autre, celle de l’incarnation.

La première de ces deux questions, qui embrasse les doctrines du Logos (ou de la divinité du Fils), du Saint-Esprit et de la Trinité, fera l’objet de ce chapitre. Il n’est pas inutile, avant de nous y engager, de jeter un coup d’œil sur la route déjà parcourue et de marquer le point précis où l’on était arrivé. Le travail dogmatique de l’Église sur ce sujet était passé par trois phases successives.

1. La première élaboration de la doctrine du Logos et de la Trinité s’était accomplie sous l’influence du philonisme. Justin, Tatien, Théophile d’Antioche conservaient la distinction philonienne entre le logos immanent et le logos émanant. Le Logos, d’après eux, était d’abord ἐνδιάθετος ; il devenait προφορικός au moment de la création et s’incarnait enfin dans l’homme Jésus. Quant au Saint-Esprit, ce n’était qu’une énergie divine, confondue tour à tour avec le Père et avec le Logos, comme étant un de leurs attributs. Dès lors, il n’y avait pas en Dieu de trinité métaphysique, mais une simple trinité de manifestations, une triplex œconomia. — Cette première conception était fort insuffisante, car elle compromettait à la fois la personnalité du Logos et sa divinité.

2. Athénagore et Clément réagirent contre cette influence philonienne. Ils effacèrent la distinction des deux Logos, en affirmant que la création n’avait rien changé à la manière d’être du Logos. Mais ils ne purent échapper à un double écueil : ou bien compromettre la personnalité du Logos, en ne voyant en lui, après comme avant la création, qu’une énergie divine ; ou bien atténuer sa divinité, même avant la création. Dans les deux cas, on méconnaissait la distinction éternelle au sein de l’existence divine, qui fonde seule la trinité métaphysique.

3. Pour échapper à ces écueils, il fallait affirmer nettement la personnalité du Fils et du Saint-Esprit. L’Église fut poussée dans cette voie par sa lutte contre les Monarchiens et les Aloges. La doctrine orthodoxe de la Trinité apparaît pour la première fois chez Irénée et Tertullien ; mais le premier ne lui donne pas une forme théologique et l’on rencontre chez le second certaines hésitations et certaines contradictions.

Origène, le premier, présente cette doctrine sous une forme scientifique. Il affirme la personnalité éternelle, l’éternelle génération du Fils ; il en établit la nécessité métaphysique. Il affirme aussi la personnalité éternelle du Saint-Esprit. Il reconnaît donc en Dieu trois hypostases éternelles, et s’élève à la notion de la trinité métaphysique.

Cependant, malgré ce progrès incontestable, la doctrine d’Origène présente une lacune et des côtés faibles.

D’abord, il n’y a pas, d’après Origène, identité d’essence entre le Père et le Fils, non plus qu’entre le Fils et le Saint-Esprit. De là, ces trois conséquences funestes : nul fondement métaphysique à la divinité du Fils et du Saint-Esprit ; nul fondement métaphysique à l’unité des trois hypostases, et excessive subordination du Fils.

De plus, grâce à sa théorie de la création éternelle, la génération éternelle du Fils et l’éternelle procession du Saint-Esprit ne sont que les postulats, les conditions, les instruments de l’éternelle activité créatrice de Dieu. Dès lors, la Trinité n’est plus une trinité vraiment métaphysique, ayant son fondement, sa raison d’être et sa réalité objective en Dieu : c’est simplement une trinité de manifestation.

Ainsi, nous trouvons dans la doctrine d’Origène trois affirmations très distinctes qui, prises isolément, peuvent conduire à des conséquences toutes contraires :

1° L’affirmation de la génération éternelle du Fils et de la personnalité éternelle du Saint-Esprit. — Cette affirmation conduit logiquement à l’identité d’essence entre le Père et le Fils, et à la Trinité métaphysique (trois hypostases distinctes, unes par l’unité de l’essence) ;

2° L’affirmation de l’hétéroousie, ou, du moins, d’une subordination très marquée du Fils et du Saint-Esprit, — ce qui conduit logiquement à faire d’eux des créatures, et ce qui détruit la doctrine de la Trinité ;

3° Cette affirmation enfin, que Dieu s’est manifesté sous forme trinitaire à l’occasion de la création, — ce qui conduit logiquement à affaiblir la distinction des hypostases, à l’effacer même, et à détruire ainsi d’une autre manière la doctrine de la Trinité.

Or, il arriva que chacune des deux dernières affirmations que nous avons relevées chez Origène, fut reprise, isolée du reste du système, développée jusque dans ses dernières conséquences, et fut ainsi constituée à l’état d’hérésie. Sabellius s’empara de la troisième, et nia la Trinité ; Arius s’empara de la deuxième, et nia la divinité de Jésus-Christ. Athanase, à son tour, reprit la première affirmation d’Origène, celle de la génération éternelle, l’accentua en face des deux hérésies sabellienne et arienne, en développa les conséquences logiques, et en fit ainsi la doctrine orthodoxe, la doctrine de Nicée.

Voilà pourquoi le nom d’Origène va se trouver mêlé à toutes les controverses dont nous nous occuperons, et sera invoqué à la fois par tous les partis. C’est l’apparition du sabellianisme qui provoque cette crise : de là l’importance historique de ce système. Il ouvre une phase nouvelle dans le développement du dogme. Il joue à l’égard de la théologie d’Origène, qui résumait le développement antérieur, le rôle de ces réactifs chimiques dont on se sert pour décomposer les corps et séparer les éléments divers qui les constituent. Sous son influence, le système d’Origène se résout en trois éléments ; deux de ces éléments deviennent des hérésies, le troisième reste la base de la doctrine orthodoxe ; mais cette opération rend nécessaire l’affirmation d’un élément nouveau, dont s’enrichira le dogme ecclésiastique.

Il vaut donc la peine de nous arrêter un instant devant les idées sabelliennes.

Sabellius, prêtre à Ptolémaïs, naquit à la fin de iie siècle et mourut en 261. Ce fut donc un contemporain plus jeune d’Origène. Il avait été disciple de Noëtus de Smyrne, l’un des représentants du monarchianisme au iie siècle. Mais il avait modifié les idées de son maître, et avait professé une doctrine nouvelle.

Ce qui fait l’originalité de son système, souvent mal compris, c’est qu’il est à la fois unitaire et trinitaire, mais en un autre sens que l’Église. La divinité peut, en effet, selon lui, être considérée sous un double aspect :

1° En elle-même, elle est unité pure, monade absolue, excluant toute distinction ;

2° Dans ses rapports avec le monde, elle se différencie et s’articule en triade. Elle se distingue en trois énergies ou manifestations successives — τρία ὀνόματα, τρία πρόσωπα — que Sabellius compare aux dons divers de l’Esprit d’après 1Cor. ch. 12. Cette expression, ὀνόματα, ne veut pas dire, comme on l’a cru quelquefois, que les distinctions dont il s’agit n’ont qu’un caractère purement subjectif, qu’elles ne sont que des points de vue sous lesquels nous envisageons la divinité, sans que rien d’objectif leur corresponde en Dieu, — ni même qu’elles ne sont que des façons diverses dont le monde reçoit l’action de Dieu, cette action demeurant d’ailleurs toujours identique à elle-même (comme les objets visibles sont diversement affectés et colorés par le rayon de la lumière, laquelle pourtant reste toujours la même). Ces distinctions de Sabellius sont des modes divers de l’action divine, auxquels correspondent, en Dieu, des modes d’être différents ; seulement, ces modes sont passagers, temporaires, successifs, et tous postérieurs à la création du monde, — bien différents en cela des hypostases divines de la doctrine ecclésiastique, qui sont éternelles et antérieures à la création.

Voici d’ailleurs les grandes lignes du système de Sabellius.

Au commencement est la monade divine, unité absolue, excluant toute distinction, toute différence, unité pure et nue, sans qualités, sans attributs, indétermination absolue, éternel repos et silence éternel. C’est le Θεὸς σιωπῶν. Mais cette monade n’est pas inerte : elle renferme en elle des virtualités, des énergies, des puissances infinies. Elle est le repos, mais non le néant ou la mort. Elle est capable d’entrer en mouvement et de produire la vie. Elle est le silence, mais elle peut devenir la parole, qui suppose la pensée et conduit à l’action. Le Θεὸς σιωπῶν peut devenir le Θεὸς λάλων, le Dieu qui s’exprime et se communique au dehors après avoir pris conscience de lui-même et de ses énergies infinies.

Mais l’acte suppose la puissance ; le fait de parler suppose le pouvoir de parler, et, par conséquent, de penser, c’est-à-dire, l’intelligence, la raison. Dieu, considéré comme Θεὸς λάλων, peut et doit s’appeler logos, ce qui signifie à la fois raison et parole. S’il parle, c’est qu’il est capable de parler, et ce qu’il est au moment où il parle, il l’est éternellement. Dieu a donc éternellement en lui un logos, par lequel il est capable. de penser et de parler, de s’exprimer au dedans de lui-même, par la réflexion, et au dehors, par la parole et par l’action. Ou plutôt Dieu est lui-même éternellement un logos, une parole. — Seulement ce logos peut demeurer silencieux ou s’exprimer. Dans le premier cas, c’est le λόγος ἐνδιάθετος, Dieu étant alors le Θεὸς σιωπῶν ; dans le second cas, c’est le λόγος προφορικός, Dieu devenant le Θεὸς λάλων. Et comme, pour Dieu, parler et agir, c’est tout un, le Θεὸς λάλων est le Dieu créateur, et leλόγος προφορικός, l’instrument de la création. — C’est d’ailleurs par une nécessité logique que Dieu passe du premier de ces états au second.

Sabellius compare ces deux états successifs de la divinité à la double attitude d’un bras tour à tour replié et étendu. Dieu renfermé en lui-même, — σιωπῶν, λόγος ἐνδιάθετος, — c’est le bras replié ; Dieu sortant de lui-même, — λάλων, λόγος προφορικός — c’est le bras étendu. Et, après s’être étendu, le bras se replie de nouveau, pour s’étendre, puis se replier encore. Ainsi Dieu, après s’être répandu et exprimé au dehors, se replie dans le silence, pour se répandre et s’exprimer derechef. Ce double mouvement d’expansion et de réabsorption, par lequel l’unité devient multiplicité et la multiplicité redevient unité, constitue le rythme de la vie divine, ce que Sabellius appelle la θεῖα διάλεξις. Ceci ressemble fort au panthéisme des néoplatoniciens ou de Hegel.

Dieu s’exprimant, se répandant au dehors, c’est le monde créé. Or, c’est seulement après la création du monde, et dans ses rapports avec le monde, que la monade se manifeste sous forme de triade, comme Père, Fils et Saint-Esprit, et cela, d’une manière successive. Comme Père, Dieu est l’auteur de la loi ; comme Fils, de la rédemption ; comme Saint-Esprit, de la sanctification du fidèle. Le Père, le Fils, l’Esprit, ne sont donc pas des hypostases contemporaines et coéternelles, ce sont des modes ou des faces de la divinité, des rôles ou des personnages — πρόσωπα — qu’elle joue aux différentes époques de l’histoire. Le Père répond à la période de la Loi, le Fils à celle de l’Évangile, l’Esprit à celle de l’Église. Mais, quand le rôle du Père est fini, il rentre dans la monade et laisse sa place au Fils ; celui-ci y rentre à son tour, sa tâche achevée, et laisse la place au Saint-Esprit, qui retournera lui-même à la monade, au jour de la consommation de l’Église. Ainsi, nulle préexistence, nulle survivance pour le Fils, non plus que pour le Père et l’Esprit : ce sont trois manières d’agir, ou plutôt trois manières d’être, de Dieu. C’est une trinité, non métaphysique, mais toute passagère et relative. Ce sont trois énergies divines procédant de la monade pour un temps et dans un but donnés, et qui, leur œuvre achevée, rentrent dans le foyer d’où elles sont émanées. Aussi Sabellius compare-t-il la monade, se manifestant sous forme de triade à travers les différentes périodes de l’histoire de l’humanité, au Soleil : ὄντος μὲν ἐν μιᾷ ὑπόστασει, τρεῖς δὲ ἔχοντος ἐνεργείας, τὸ τῆς περιφερείας σχῆμα τὸ φωτιστικὸν καὶ τὸ θάλπον (Epiphane de Salamine, Panarion, Contre Sabellius, 1).

Remarquons enfin que, pour Sabellius, le Verbe est tout autre chose que le Fils. Le Fils est le second terme de cette triade, que j’appellerai historique, parce qu’elle correspond aux trois grandes périodes de l’histoire. Le Verbe, au contraire, est éternel. Il est la condition de la vie divine, le principe, successivement créateur et rédempteur, de la θεῖα διάλεξις. C’est lui qui pousse la monade à sortir d’elle-même, à se manifester au dehors par le monde, et à se déployer ensuite en triade, à l’occasion de ses rapports avec le monde. C’est par le Verbe que le monde est produit, à l’origine des choses, et que, plus tard, après la création de l’homme et sa chute, sont successivement produits le Père, le Fils et le Saint-Esprit, qui doivent, après avoir achevé leurs rôles, rentrer dans la monade.

Le système sabellien est panthéistique au premier chef. La vie de Dieu s’y confond avec l’histoire du monde. La personnalité du Fils y est niée, et la divinité de Jésus-Christ rabaissée et compromise.

Les idées sabelliennes trouvèrent un grand accueil en Egypte. Plusieurs évêques les adoptèrent, et, pour se mettre la conscience à l’aise, ils invoquèrent à leur appui les idées d’Origène et de ses disciples sur la création éternelle provoquant le déploiement de l’unité divine en triade.

Denys, évêque d’Alexandrie, s’en émut, et prit la plume pour réfuter Sabellius et sauvegarder la personnalité distincte et divine du Fils. Il voulut, lui aussi, invoquer le nom et l’autorité d’Origène, et cela lui était facile, car personne plus qu’Origène n’avait insisté sur cette réelle personnalité. Denys releva donc avec force cet élément de la doctrine origéniste, faisant ressortir les expressions qui établissaient l’existence distincte et la différence d’essence du Fils — ἕτερος κατ᾽ οὐσίαν — et sa subordination à l’égard du Père — πρεσβύτατον τῶν δημιουργημάτων. — Mais il fut entraîné par l’ardeur de la polémique à renchérir sur Origène, et à employer des expressions qui pouvaient donner à penser que, pour lui, le Fils n’était que la première des créatures. Il ne dit pas seulement ἕτερος κατ᾽ οὐσίαν, il dit ξένος κατ᾽ οὐσίαν τοῦ πατρός ; il ne l’appelle pas seulement πρεσβύτατον τῶν δημιουργημάτων, il l’appelle ποίημα τοῦ πατρός, et il établit entre le Fils et le Père le même rapport qui existe entre la vigne et le vigneron, entre le navire et son constructeur : ποίημα καὶ γενητὸν εἶναι τὸν υἱὸν τοῦ Θεοῦ, μήτε δὲ φύσει ἴδιον, ἀλλὰ ξένον κατ᾽ οὐσίαν αὐτὸν εἶναι τοῦ πατρός, ὥσπερ ἐστὶν ὁ γεωργὸς πρὸς τὴν ἄμπελον καὶ ὁ ναυπηγὸς πρὸς τὸ σκάφος. καὶ γὰρ ὡς ποίημα ὢν οὐκ ἦν πρὶν γένηται (Lettre à Euphranor). Il résultait de là que le Fils n’était pas éternel, qu’il fut un temps où il n’était pas, et que le Père n’avait pas toujours été père. Enoncer ces propositions, c’était rabaisser la divinité du Fils ; c’était contredire l’affirmation de la génération éternelle du Fils, déjà proclamée par Origène et considérée comme élément essentiel de la foi orthodoxe.

Un autre Denys, évêque de Rome, s’émut à son tour des résultats auxquels conduisaient les affirmations imprudentes de son homonyme. Il écrivit contre Denys d’Alexandrie un traité intitulé Ἀνατρόπη, dans lequel il lui reprochait les conséquences signalées plus haut : si le Fils a été créé, disait-il, il y a eu un temps où il n’était pas — εἰ τοίνυν γέγονεν ὁ υἱὸς, ἦν ὄτε οὑκ ἦν. — Et il invoquait en faveur de son opinion l’autorité du même Origène, insistant sur la génération et l’éternelle personnalité du Fils. Il ajoutait à cette affirmation d’Origène l’idée antérieure que le Fils procède de l’essence même du Père, et revenait aux métaphores proscrites par Origène comme suspectes d’émanatisme.

Denys d’Alexandrie répondit par son Ἔλεγχος καὶ ἀπολογία, où il se justifia en désavouant les conséquences qu’on tirait de ses paroles, en expliquant leur véritable sens, et en abandonnant même tout à fait les images malheureuses dont il s’était servi.

Cette polémique des deux Denys est le prélude de la controverse arienne. L’arianisme, comme les affirmations malsonnantes de Denys d’Alexandrie, fut une réaction contre le sabellianisme. Il provoqua les protestations d’Athanase, comme les affirmations de Denys d’Alexandrie avaient provoqué les protestations de Denys de Rome. Et, là encore, le nom d’Origène fut invoqué par les deux parties. Seulement il faut reconnaître que les Ariens tirent, des affirmations d’Origène, des conséquences qu’Origène eût désavouées, et qu’ils y ajoutent d’autres affirmations étrangères à Origène.

Arius, originaire de Lybie, était un élève de l’école d’Antioche. Il y avait acquis une grande érudition exégétique et des habitudes de clarté et de précision. C’était un esprit plus lucide que vaste, plus logique que profond. Orateur éminent et très populaire, poète à ses heures (il avait composé des chants pour les matelots), il s’était fait à Alexandrie, où il devint prêtre, beaucoup d’admirateurs et d’amis par ses talents et sa vie austère. Il prit parti, comme l’avait fait avant lui Denys d’Alexandrie, contre le sabellianisme. Mais il fit plus, et attaqua aussi la doctrine orthodoxe de la génération éternelle du Fils procédant de l’essence même du Père, professée par Denys de Rome. Cette doctrine conduisait, selon lui, soit au sabellianisme, soit au dithéisme. Si, disait-il, le Fils éternellement engendré a la même essence et les mêmes attributs que le Père, ou bien il se confond avec lui, et c’est la doctrine sabellienne, ou bien il s’en distingue, mais alors il y a deux dieux. Pour éviter ce double écueil, il insiste sur la subordination du Fils, et reproduit, comme Denys d’Alexandrie, une affirmation d’Origène, l’affirmation de l’hétéroousie, ou de la différence d’essence entre le Père et le Fils. Mais il l’isole, en négligeant les autres affirmations d’Origène qui servaient de correctif à celle-là, et il l’exagère jusqu’à faire du Fils une véritable créature.

Voici le résumé de la doctrine d’Arius.

Un seul Dieu, le Père, non engendré et éternel. Le Fils n’est pas éternel et a commencé à être. Il fut un temps où il, n’était pas — ἦν ποτε ὄτε οὐκ ἦν — Arius ajoutait, il est vrai, que le Fils a précédé le temps — ὑπέστη πρὸ χρόνων καὶ πρὸ αἰωνων, — c’est-à-dire qu’il a existé avant le moment où le monde a été créé, et où, le monde ayant été créé, il commença à y avoir un temps. Mais il n’est pas éternel pour cela : il n’a pas toujours été, car il n’existait pas avant d’avoir été engendré — οὐκ ἀεὶ ῇν ὁ υἱὸς, οὐ γάρ ἦν πρὶν γεννηθῇ — Le mot de génération éternelle est une expression contradictoire. Aussi le Père n’a-t-il pas toujours été père : il l’est devenu à un moment donné — οὐκ ἀεὶ ὁ θεὸς πατὴρ ἦν, ἀλλ᾽ ὕστερον γέγονεν (Athan. contra Arian. orat. I, 5).

Telle est la première affirmation caractéristique d’Arius. Voici la seconde :

Ce Fils, qui n’est pas éternel, n’est pas engendré de l’essence du Père. Il est tiré du néant, comme toutes les autres créatures, par la libre et souveraine volonté du Père — οὔκ ἐστιν ἐκ τοῦ πατρὸς, οὔτε ἐξ ὑποκειμένου τινὸς, αλλ᾽ ἐξ οὔκ ὄντων θελήματι καὶ βουλῇ θεοὺ ἐκτίσθη, — et ailleurs : ἐξ οὔκ ὄντων ὑπέστη κτίσμα γὰρ ἐστι καὶ ποίημα. Il résultait de là que le Fils adoré par les Chrétiens en Jésus-Christ n’est pas véritablement Dieu, qu’il ne possède pas les attributs divins : la toute-science, la toute-puissance, la souveraine bonté, l’immutabilité.

Dès lors, le Père est incompréhensible au Fils comme à toutes les créatures. Ce qui a commencé à être ne saurait comprendre ce qui est sans commencement. Le Fils ne peut connaître le Père que dans une certaine mesure, et pour autant qu’une créature peut connaître le Créateur. Il ne connaît même pas sa propre substance : il ne peut donc pas nous révéler Dieu pleinement — οὐκ οἶδε τὸν πατέρα ἀκριβῶς ὁ υἱός.

Ce n’est pas, d’ailleurs, en vue de lui-même, mais en vue de nous, que le Fils a été créé : son existence est subordonnée à celle des autres créatures. Quand Dieu a voulu nous créer, il a d’abord créé un être qu’il a appelé la Parole, la Sagesse, afin de nous former par cet être et à l’image de de cet être. Si Dieu n’avait pas voulu nous créer, le Fils n’aurait pas été créé.

Ce Fils ne possède pas plus l’immutabilité que l’éternité et la toute-science — οὔκ ἐστιν ἄτρεπτος ὡς ὁ πατήρ, — mais il est sujet au changement comme les créatures — τρεπτός ἐστι φύσει, ὡς τὰ κτίσματα.

Il n’a pas non plus les attributs moraux de Dieu. Il n’est pas saint comme Dieu. Il était libre de demeurer bon, tel qu’il était au sortir des mains de Dieu, ou de se tourner vers le mal, comme le diable. C’est parce que Dieu a prévu qu’il persévérerait dans la voie du bien, qu’il l’a adopté pour son fils et lui a communiqué dès le commencement sa gloire divine. Il ne possède par nature rien de divin. La gloire céleste lui a été donnée par grâce, par un acte de la libre volonté de Dieu. « Par la volonté sage de Dieu il est devenu, dit Arius, la sagesse du Dieu sage, la Parole de Dieu ». Mais il n’est pas par lui-même la Sagesse et la Parole de Dieu. Il y a en Dieu une Sagesse et une Parole éternelle, par laquelle Dieu a fait toutes choses, même le Fils, et qu’il faut distinguer de ce Fils.

Du reste, Arius exalte cette divinité d’adoption, qui est celle du Fils, et il lui prodigue ses hommages. Mais toutes ces protestations ne sont qu’un leurre et ne parviennent pas à voiler le fond des choses. La doctrine d’Arius renversait les fondements mêmes de l’Évangile. Jésus-Christ cessait d’être le Fils éternel de Dieu et le Sauveur des hommes. Il descendait de son trône divin pour rentrer dans les rangs des créatures. Sans doute, c’était la première, la plus excellente des créatures, créée avant toutes les autres, avant la création elle-même, pour devenir l’instrument et l’organe de cette création. Mais enfin, c’était une créature tirée du néant, comme les autres, par un acte souverain de la volonté de Dieu.

Dès lors, le Fils n’a plus droit à notre adoration religieuse, au don sans réserve de notre cœur, à notre obéissance et à notre amour. Et cependant, il a réclamé tout cela. « Il faut, a-t-il dit, que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père. Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi. Moi et mon Père, nous sommes un. Nul ne vient au Père que par moi. Je suis la vérité et la vie… » Que penser de ces déclarations ? Ou bien Jésus-Christ s’est trompé, ou bien il nous a trompés. Il faut qu’il soit un halluciné, un visionnaire, un fou, ou un menteur, un imposteur vulgaire. Il n’y a pas d’autre alternative.

S’il en est ainsi, non seulement il ne mérite plus l’adoration des hommes, mais il est indigne de l’admiration que professent pour lui ceux-là mêmes qui ne croient pas en lui. Tout homme qui a le jugement sain et la conscience délicate lui est moralement supérieur. — En tous cas, il n’est pas le Fils de Dieu, il ne peut nous révéler Dieu. Il n’est pas le Sauveur, le médiateur unique et efficace qui accomplit la réconciliation de nos âmes. Et, par suite, il n’y a plus de religion chrétienne, car le christianisme repose tout entier sur cette doctrine. Il n’y a même plus de religion, car la religion chrétienne, la religion de la révélation et de la rédemption parfaites, est la seule qui réponde aux aspirations de la conscience religieuse. L’humanité doit chercher ailleurs la satisfaction de ses besoins, qu’elle n’a trouvée nulle part.

J’insiste sur la portée des affirmations d’Arius et sur leurs conséquences religieuses, — bien que d’ailleurs il les atténuât et les désavouât lui-même, — afin de maintenir à la controverse provoquée par son système son vrai caractère. On a voulu rapetisser le débat, n’y voir qu’une querelle de mots, qu’une rivalité de personnes, une lutte de l’épiscopat contre le presbytérat. De telles causes ne suffiraient pas à expliquer le retentissement immense de cette controverse, qui dura près d’un siècle et qui remua profondément l’Église tout entière. Sans doute, il se mêla bien des misères à la lutte ; mais une question vitale y était engagée, question qui touchait au fond même de la religion chrétienne.

Je n’entrerai pas dans le détail de tous les incidents de la controverse ; je ne rappellerai que les faits principaux.

L’évêque d’Alexandrie était Alexandre, vieillard faible et maladif, qui ne serait peut-être pas entré en lutte avec Arius, s’il n’avait eu à ses côtés un jeune homme aux convictions ardentes et au caractère énergique, Athanase, alors diacre, qui stimula son zèle. Alexandre fit d’abord venir Arius devant lui, ou, selon d’autres, lui écrivit, et le réprimanda sévèrement. Il lui reprocha d’enseigner une doctrine erronée, contraire à la parole de Dieu et à la foi de l’Église, et que le grand Origène aurait certainement condamnée. Il lui fit défense de la prêcher à l’avenir. Ensuite Arius, n’ayant pas tenu compte de cette défense, fut cité par son évêque devant un synode réuni à Alexandrie en 321 ; il y fut condamné, dégradé et exclu de la communion de l’Église.

Mais Arius avait beaucoup d’amis à Alexandrie. Son éloquence et sa vie ascétique l’avaient rendu populaire ; le peuple et les matelots du port chantaient ses hymnes. Il avait même beaucoup de partisans parmi les évêques de Syrie et d’Asie Mineure, auxquels il avait écrit pour leur exposer sa doctrine, prétendant que ses adversaires tombaient dans le sabellianisme tandis qu’il ne portait lui-même aucune atteinte à la divinité du Christ. Les uns, comme Eusèbe de Nicomédie, lui donnaient raison contre Alexandre et partageaient sa doctrine. Les autres, comme Eusèbe de Césarée, sans se prononcer entre les deux adversaires, estimaient que la question débattue n’engageait pas la foi. Ces évêques se réunirent en deux synodes, de Bithynie et de Palestine, et, en opposition avec le synode d’Alexandrie, ils demandèrent la réintégration d’Arius. Mais ces réclamations ne furent point écoutées, et Arius, séparé de l’Église officielle, constitua ses partisans d’Egypte en une Église particulière, au milieu de laquelle il célébra le culte.

L’Église d’Orient fut ainsi divisée en deux partis, et l’agitation devint très grande. Constantin s’en émut. La querelle arienne troublait, en effet, cette unité religieuse à laquelle il tenait tant et qui était pour lui une garantie de l’unité politique. Il intervint de sa personne, et écrivit à la fois à Alexandre et à Arius, les invitant à laisser de côté ces questions obscures et inaccessibles à l’esprit humain, à se faire de mutuelles concessions et à ne plus troubler la paix de l’Église et de l’Empire. « Rendez-moi, leur disait-il, des jours tranquilles et des nuits sans trouble, et puisque je ne puis vous contraindre à penser de même sur une question qui ne mérite pas tant de discussions, contenez du moins votre bavardage vis-à-vis du peuple, afin de ne pas l’amener, par le spectacle de vos querelles, soit à des blasphèmes, soit à des divisions. »

Constantin chargea un évêque de sa cour, Osius de Cordoue, de porter cette lettre, avec la mission de faire une enquête et de pacifier l’Église d’Egypte. La missive impériale resta sans effet ; mais la conclusion de l’enquête d’Osius fut qu’Arius avait été justement condamné.

Constantin s’enflamma alors d’un beau zèle contre Arius. Il lui écrivit de nouveau pour réfuter ses erreurs, et mêla à ses arguments des menaces de châtiment pour lui et ses adhérents. Arius, qui comptait beaucoup sur l’ascendant qu’il pourrait prendre sur l’esprit de l’empereur, s’il entrait en conférence avec lui, fit le voyage de Constantinople, demanda et obtint une audience de Constantin, et lui exposa ses vues avec tant d’habileté et de subtilité que l’empereur ne sut que répondre et se trouva dans une perplexité fort grande. Il voulait à tout prix terminer la querelle et faire la paix dans l’Église. N’ayant pu y réussir par son intervention directe, il fit ce qu’il aurait dû faire dès le commencement, il invita l’Église à trancher elle-même la question en assemblée générale, et il provoqua la réunion du concile de Nicée (325). Ce fut le premier concile œcuménique, c’est-à-dire représentant l’Église universelle répandue par toute la terre habitable (οἰκουμένη).

C’était un grand spectacle, au lendemain des persécutions, que ces solennelles assises de la chrétienté, convoquées et présidées par un empereur romain. Plus de trois cents évêques s’y rendirent (315 évêques d’Orient, 3 ou 4 d’Occident). On y voyait de vénérables confesseurs, montrant leurs glorieuses blessures, comme Paul de Néo-Césarée et Paphnuce de Thèbes. Osius de Cordoue présidait les séances. Trois partis se trouvèrent en présence dans le concile :

  1. Le parti d’Alexandre et d’Athanase, qui était en minorité ;
  2. Le parti d’Arius, appuyé par Eusèbe de Nicomédie, peu nombreux aussi, mais très ardent ;
  3. Le parti neutre, ou tiers parti, qui était celui d’Eusèbe de Césarée ; parti modéré, qui s’en tenait à la doctrine d’Origène, dont il conservait les affirmations contradictoires. Ce parti constituait la majorité de l’assemblée.

Il semblait que le résultat du concile dût être une décision moyenne, simplement origéniste. Il n’en fut rien. Le parti d’Alexandre prévalut, quoiqu’il fût en minorité. Trois causes contribuèrent à ce triomphe : le talent que déploya dans la discussion l’archidiacre d’Alexandrie, Athanase ; l’influence de Constantin, qui demandait une formule de foi assez précise pour terminer la controverse, et enfin l’empressement avec lequel Arius se ralliait aux formules proposées par la majorité, ce qui risquait de faire manquer le but du concile.

Les débats s’ouvrirent le 19 juin 325. Arius exposa et justifia de son mieux sa doctrine dans des conférences privées et dans des séances publiques. Il rencontra un redoutable adversaire en Athanase, qui prit dès le commencement un rôle considérable dans le concile, et fut vigoureusement appuyé par Osius et par Marcel d’Ancyre. — Pour clore la discussion, les membres de la majorité proposèrent de s’en tenir à la simple déclaration que « le Fils est issu du Père. » Les Ariens acceptèrent cette formule. Athanase et ses amis la combattirent comme trop vague, car, ajoutaient-ils, « on peut également dire des créatures qu’elles sont issues de Dieu, en tant qu’elles n’ont pas en elles-mêmes le principe de leur existence ».

On proposa alors la rédaction suivante : « le Fils est issu de la substance du Père. » Comme les Ariens se montraient disposés à l’accepter aussi, alléguant qu’on peut dire, en un certain sens, que toutes les créatures sont issues de la substance du Père, Athanase et ses partisans proposèrent de dire : « le Fils est consubstantiel au Père » — ὁμοούσιος τῶ πατρί — afin de couper court aux interprétations équivoques et tortueuses des Ariens par un mot décisif, marquant nettement l’abîme qui sépare le Fils des créatures. Les Ariens rejetèrent le terme ὁμοούσιος comme étranger à l’Écriture, comme entaché de sabellianisme et comme ayant été condamné à ce titre dans la bouche de Paul de Samosate par le concile d’Antioche de 269. A cela Athanase répondit que, si le mot n’est pas dans la Bible, le sens en est parfaitement biblique, ce qu’il exprime étant la conséquence naturelle de la filiation divine attribuée par l’Écriture à Jésus-Christ, — et qu’en le condamnant, le concile d’Antioche n’avait, condamné que le sens sabellien dans lequel il était employé par Paul de Samosate. Depuis lors d’ailleurs, ajoutait-il, ce terme avait été employé par des docteurs orthodoxes.

Le premier point était désormais acquis. On avait trouvé une formule à opposer aux Ariens. Restait à savoir quelle attitude prendrait en face de cette formule le parti moyen, qui formait la majorité. Les Ariens firent tout pour l’attirer de leur côté. Les Ariens modérés, comme Eusèbe de Césarée, proposèrent dans ce but une confession très orthodoxe en apparence, mais rédigée en termes assez élastiques pour que tout le monde, depuis Arius jusqu’à Athanase, pût y adhérer. Le Christ y était appelé le Verbe de Dieu, Dieu issu de Dieu, lumière issue de la lumière, vie issue de la vie, le premier né de toute la création, engendré par le Père avant tous les temps ». Sabellius seul était expressément condamné dans cette formule, et la doctrine de la consubstantialité était passée sous silence. Comme cette doctrine, ainsi que le mot ὁμοούσιος, était quelque peu suspecte depuis le concile d’Antioche, la confession proposée par Eusèbe de Césarée avait d’assez sérieuses chances de succès.

C’est alors que Constantin intervint, poussé sans doute par Osius et Athanase, mais aussi dans la crainte que le résultat qu’il voulait obtenir ne fût pas atteint par une détermination aussi vague. Il n’avait, disait-il, rien à reprocher à la confession d’Eusèbe, sinon qu’il y manquait la chose essentielle, le mot ὁμοούσιος, lequel est nécessaire pour écarter de la notion du Fils toute idée de ressemblance avec les créatures et affirmer sa pleine et parfaite divinité. Il ajouta une explication de la doctrine de la consubstantialité qui n’était pas à coup sûr fort orthodoxe, et qui trahissait les influences néoplatoniciennes sous lesquelles s’était développé son esprit : « Le Fils a toujours existé, car, avant d’avoir été engendré, il a existé virtuellement dans le Père. Le Père a donc toujours été père comme le Fils a toujours été virtuellement roi et sauveur. » Cette explication, qui réduisait l’éternité du Fils à une simple virtualité ou possibilité d’existence, sentait quelque peu l’hérésie ; mais elle passa inaperçue, grâce sans doute au prestige de la majesté impériale.

En définitive, le mot ὁμοούσιος fut adopté, et le concile proclama en ces termes la foi orthodoxe :

Symbole de Nicée

Πιστεύομεν εἰς ἕνα Θεὸν Πατέρα παντοκράτορα πάντων ὁρατῶν τε καὶ ἀοράτων ποιητήν.

καὶ εἰς ἕνα Κύριον Ἰησοῦν Χριστὸν τὸν Υἱὸν τοῦ Θεοῦ, γεννηθέντα ἐκ τοῦ Πατρὸς μονογενῆ τουτέστιν ἐκ τῆς οὐσίας τοῦ Πατρος Θεὸν ἐκ Θεοῦ, Φῶς ἐκ Φωτός, Θεὸν ἀληθινὸν ἐκ Θεοῦ ἀληθινοῦ, γεννηθέντα, οὐ ποιηθέντα, ὁμοούσιον τῷ Πατρί, δι᾽ οὗ τὰ πάντα ἐγένετο τά τε ἐν τῷ οὐρανῷ καὶ τὰ ἐν τῇ γῇ, τὸν δι᾽ ἡμᾶς τοὺς ἀνθρώπους, καὶ διὰ τὴν ἡμετέραν σωτηρίαν, κατελθόντα, καὶ σαρκωθέντα, καὶ ἐνανθρωπήσαντα, παθόντα, καὶ ἀναστάντα τῇ τρίτῃ ἡμέρᾳ, ἀνελθόντα εἰς τοὺς οὐρανούς, ἐρχόμενον κρῖναι ζῶντας καὶ νεκρούς.

Καὶ εἰς τὸ Ἅγιον Πνεῦμα.

Τοὺς δὲ λέγοντας Ἠν ποτε ὅτε οὐκ ἦν, καὶ πρὶν γεννηθῆναι οὐκ ἦν, καὶ ὅτι ἐξ οὐκ ὄντων εγένετο, ἢ ἐξ ἑτέρας ὑποστάσεως ἢ οὐσιάς φάσκοντας εἶναι ἢ κτιστόν ἢ τρεπτόν ἢ ἀλλοιωτὸν τὸν Υἱὸν τοῦ Θεοῦ, τούτους ἀναθεματίζει ἡ ἁγία καθολικὴ καὶ ἀποστολικὴ ἐκκλησία.

Si l’on compare le symbole de Nicée au symbole apostolique, on reconnaît qu’il est fait sur le même modèle. Seulement l’article sur le Saint-Esprit n’est pas enrichi des développements sur l’Église. En revanche, il y a quelques modifications dans l’article sur le Père (« les choses visibles et invisibles » substitué à : « les cieux et la terre »), et surtout des développements nouveaux dans l’article sur le Fils. C’est là ce qu’il y a de plus important, dans la formule de Nicée. Le mot essentiel, décisif, est le mot ὁμοούσιος, indiquant l’identité d’essence entre le Père et le Fils. Ce mot, qui devint le mot d’ordre de l’orthodoxie pendant les controverses ultérieures, constitue un progrès sur Origène : désormais, la divinité du Fils a un fondement métaphysique.

Signalons aussi l’importance de la contre-partie négative, sous forme d’anathème, de ce même article. Les formules caractéristiques de l’arianisme y sont condamnées.

Le formulaire rédigé à Nicée fut déclaré l’unique et véritable expression de la foi chrétienne, de la foi nécessaire au salut. Arius fut excommunié et exilé. L’exil fut aussi prononcé contre tous ses adhérents et tous ceux qui ne signeraient pas le symbole. Tous les évêques d’ailleurs le signèrent, même les Ariens, sauf deux, Théonas et Secundus, égyptiens tous les deux. Ils furent exilés en Illyrie avec Arius. Eusèbe de Nicomédie et Théognis de Nicée, qui, tout en signant le symbole, refusèrent de souscrire à la condamnation d’Arius, eurent le même sort et furent envoyés en Gaule.

Mais la controverse ne fut pas terminée pour cela. Les évêques ariens n’avaient signé que pour la forme, et, de retour dans leurs diocèses, ils déclarèrent persévérer dans leurs opinions. De plus, un grand nombre d’évêques du tiers parti, malgré leurs signatures, avaient des préventions contre le terme ὁμοούσιος et déclaraient ne pas l’admettre. La lutte continua donc et se prolongea jusque vers la fin du siècle (concile de Constantinople, 381).

On peut distinguer dans cette lutte quatre phases successives :

  1. Du concile de Nicée à la mort de Constantin (325-337). C’est la revanche d’Arius et le triomphe momentané de l’arianisme ;
  2. De la mort de Constantin à la fin du règne de Constance (337-364). C’est le temps de la constitution et du triomphe du parti eusébien, ou arianisme modéré ;
  3. De la mort de Constance à la mort de Valens (364-379). Le parti eusébien se divise et donne naissance au parti des semi-Ariens et à celui des Ariens rigides. Les semi-Ariens se rapprochent des Nicéens. Les Ariens se font persécuteurs ;
  4. De la mort de Valens à la mort de Théodose (379-395). Triomphe définitif de la foi de Nicée.

Reprenons rapidement ces quatre phases.

I. Le triomphe momentané d’Arius, pendant les dernières années du règne de Constantin, fut amené par un brusque changement d’attitude de la part de l’empereur lui-même. Ce changement, dont l’histoire des controverses suivantes nous offre plus d’un exemple, s’explique par la facilité avec laquelle l’empereur, incompétent et indifférent sur le fond du débat, subissait les influences de son entourage. Sa sœur Constance, veuve de Licinius, avait été gagnée par un prêtre arien, ami d’Eusèbe de Nicomédie. Avant de mourir, elle persuada à son frère qu’Arius avait été injustement condamné, et le supplia de réparer le tort qu’on lui avait fait. Eusèbe fut rappelé, et, avec d’autres évêques de son parti, qui avaient quelque crédit à la cour, il agit dans le même sens sur l’esprit de Constantin. On présenta à l’empereur une profession de foi d’Arius, très habilement rédigée, dont les termes équivoques lui parurent d’une orthodoxie irréprochable. Aussitôt l’arrêt de bannissement qui frappait Arius et ses amis est rapporté (328), et l’empereur donne des ordres pour qu’Arius soit rétabli dans sa charge de prêtre à Alexandrie.

Mais le vieil évêque Alexandre venait de mourir, et il avait été remplacé par Athanase, qui s’opposa d’une manière absolue à la réintégration d’Arius. Il invoquait la décision du concile, contre laquelle un décret de l’empereur ne saurait prévaloir. Il en faisait une affaire de conscience et de fidélité à sa foi, Constantin, surpris et irrité de cette résistance inattendue, menaça Athanase de destitution. Celui-ci n’en persista pas moins dans son attitude ferme. Il représentait la cause de l’indépendance de l’Église et de la foi chrétienne. Il avait pour lui le dévouement absolu du peuple d’Alexandrie, et la menace impériale ne fut pas pour le moment exécutée.

Cependant l’orage se formait contre Athanase et allait toujours grossissant. Ses ennemis obtinrent de l’empereur la convocation d’un synode à Tyr, en 335. Composé presque exclusivement d’amis d’Arius, le synode de Tyr fit le procès d’Athanase, portant contre lui les accusations les plus absurdes. On prétendit qu’il était en relations avec une femme de mauvaise vie, qu’il avait tué lui-même un évêque mélétien, nommé Arsénius, puis qu’il lui avait coupé la main droite, et qu’il avait salé et conservé cette main pour l’employer à des enchantements. Or Arsénius était à Tyr, caché dans un coin de la salle. Athanase l’interpella, et l’adjura de montrer à tous son bras droit, qu’il tenait prudemment caché sous son manteau.

Athanase n’en fut pas moins condamné, déposé et exilé à Trêves par Constantin, comme coupable d’empêcher les blés d’Egypte d’arriver à Constantinople. Ce fut le commencement des longues persécutions qu’il eut à subir pour sa foi, et qu’il supporta sans faiblir un seul instant.

En même temps, Arius était solennellement rétabli dans la communion de l’Église, à Jérusalem. Quelques jours après, il entrait en triomphe à Constantinople. La veille du jour où il devait se rendre à la cathédrale pour y officier, malgré les protestations de l’évêque Alexandre, celui-ci alla s’agenouiller devant l’autel, et adressa à Dieu, d’après Athanase, la prière suivante. : « Si Arius doit entrer demain dans l’église, ôte-moi auparavant de ce monde. Mais, si tu as pitié de ton Église, et je sais que tu en as pitié, n’abandonne pas ton héritage à la ruine et à la honte, et ôte Arius de cette terre, afin que l’hérésie et l’impiété n’entrent pas avec lui dans l’église. » Le soir du même jour, Arius, traversant la ville avec quelques amis, fut contraint de se retirer en un certain endroit, où il mourut subitement (346). Ses partisans accusèrent leurs adversaires de l’avoir empoisonné ; ceux-ci virent, au contraire, dans sa mort soudaine un châtiment et une intervention surnaturelle de Dieu, qui avait voulu protéger son église contre la profanation dont elle était menacée. Le lendemain de l’événement, l’évêque célébra les louanges de Dieu, « non qu’il se fût réjoui de la mort d’Arius, dit Athanase, mais parce qu’il voyait dans cet événement un jugement du Seigneur lui-même. » — L’âge avancé d’Arius permet d’attribuer sa mort à une cause naturelle : il avait quatre-vingts ans.

Constantin mourut lui-même l’année suivante (337), après avoir reçu le baptême des mains d’Eusèbe de Nicomédie, laissant l’arianisme triomphant à Constantinople et en Asie, et l’Église profondément divisée.

II. Après Constantin, la situation se détendit. Ses trois fils se partagèrent l’empire. En Orient, Constance se prononça pour l’arianisme ; en Occident, Constantin II et Constant se déclarèrent pour l’orthodoxie. Les trois frères décidèrent, dans une entrevue qu’ils eurent à Sirmium, que les évêques bannis seraient rappelés. Athanase rentra à Alexandrie. L’évêque de Nicomédie, Eusèbe, qui devint évêque de Constantinople, et était plus que jamais en faveur à la cour, chercha à rallier les esprits modérés, et se rapprocha d’Eusèbe de Césarée. Il devint le chef d’un parti, qui prit de lui le nom d’eusébien, et qui, tout en résistant aux décisions de Nicée et en tendant la main aux disciples d’Arius, allait cependant moins loin que ces derniers. Ce parti rédigea au concile d’Antioche (341) le symbole de sa foi. C’est une sorte de compromis habile entre la doctrine de Nicée et la doctrine arienne, dans lequel on cherche à faire la part égale entre toutes deux. Ainsi, tandis que, d’un côté, on exalte la grandeur de Jésus-Christ, en reproduisant les expressions de Nicée — Θεὸν ἐκ Θεοῦ, Φῶς ἐκ Φωτός — et que l’on condamne l’expression arienne ἐξ οὐκ ὄντων, on y évite avec soin, de l’autre, le terme décisif ὁμοούσιος, on le considère même comme entaché de sabellianisme, et l’on se contente de formules vagues auxquelles les Ariens peuvent adhérer.

Athanase fut déposé pour la seconde fois par ce concile d’Antioche, qui lui donna pour successeur Georges de Cappadoce. Il se réfugia à Rome, où l’évêque Jules Ier réunit un synode qui annula la sentence de celui d’Antioche. Dès lors, l’église était divisée en deux partis : celui des Nicéens en Occident, qui se rangeait autour du symbole de Nicée, et celui des Eusébiens, en Orient, qui avait formulé sa foi à Antioche. Ce dernier parti comprenait à la fois les modérés qui avaient formé la majorité à Nicée et les Ariens proprement dits, avec lesquels ils avaient conservé la communion ecclésiastique, et auxquels ils reconnaissaient droit de cité dans l’Église. Les orthodoxes leur donnaient à tous, à cause de cela, le nom d’Ariens, quoique tous ne professassent point l’arianisme proprement dit.

Constantin II, ayant voulu dépouiller son frère Constant, avait été battu et tué à Aquilée (340). Constant était resté seul maître de l’Occident. Afin de ramener l’unité dans l’Église et dans l’empire, il s’entendit avec Constance pour convoquer un concile œcuménique dans la ville de Sardique, située en Illyrie, sur la frontière des deux empires. Le concile se réunit en effet à Sardique en 347 ; mais, au lieu d’amener la pacification de l’Église, il ne fit que constater le schisme avec plus d’éclat. Athanase avait accompagné les évêques occidentaux, parmi lesquels se trouvaient Jules de Rome et Osius de Cordoue, qui présida, paraît-il, comme à Nicée. Ces évêques admirent Athanase au concile, avec droit de vote. Arrivés les premiers, ils commencèrent à se réunir et à délibérer. Les Eusébiens, venus plus tard, contestèrent ce droit à Athanase, au nom de la sentence dont il avait été précédemment l’objet, et ils prétendirent que toute délibération commune était impossible, aussi longtemps qu’Athanase n’était pas exclu. En même temps ils quittèrent Sardique, et allèrent se réunir à Philippopolis, ville voisine de Thrace, où ils se constituèrent en concile. Ainsi, le concile se dédoubla, et il y eut deux assemblées au lieu d’une : celle de Sardique, où furent confirmées la foi de Nicée et la réhabilitation d’Athanase, et celle de Philippopolis, où furent sanctionnés le symbole d’Antioche et la condamnation d’Athanase.

La situation demeura donc la même, et les deux partis se retrouvèrent en présence, après comme avant le concile.

1° Le parti eusébien avait pour lui, en Orient, le nombre et la faveur de Constance ; mais il manquait d’homogénéité ; il renfermait en son sein deux éléments assez contraires : les modérés, qui tenaient une sorte de milieu entre Athanase et Arius, les accusant l’un et l’autre d’exagération, — et les ariens proprement dits. Le seul lien qui unît ces deux éléments, c’était leur opposition commune à l’expression ὁμοούσιος. En dehors de ce point, ils n’avaient pas de drapeau, de mot d’ordre précis et fixe. Le symbole qui leur servait de centre de ralliement devait être vague et flottant, pour ne froisser ni les uns ni les autres ; on le modifiait et on le corrigeait souvent, ce qui affaiblissait la cohésion du parti. De plus, l’alliance avec les Ariens était compromettante pour les Eusébiens, et leur aliénait la masse des fidèles, pour qui Arius était un ennemi du Christ ;

2° Le parti nicéen au contraire était très compacte, très uni, avait un symbole précis, un mot d’ordre bien arrêté, qui tenait tout entier dans la seule expression de ὁμοούσιος. Cela lui donnait déjà une grande force dans la lutte. De plus, il avait pour lui l’appui de l’église latine, et, en particulier de l’église de Rome, le nom, l’autorité et le talent d’Athanase, et enfin, la conscience chrétienne de l’Église, la sympathie secrète des fidèles qui réprouvaient d’instinct tout ce qui amoindrissait le Christ. Aussi l’avenir appartenait-il aux Nicéens : cependant la victoire demeura d’abord à leurs adversaires.

Constance, devenu empereur d’Occident par la mort de son frère, imposa, aux synodes d’Arles (353) et de Milan (355), le symbole eusébien d’Antioche aux évêques d’Occident. Athanase, qu’il avait autrefois rappelé sur les instances de Constant, fut une troisième fois exilé. Les évêques qui prirent son parti furent déposés, et l’eusébianisme régna, du moins en apparence, en Crient et en Occident. Mais ce fut sa victoire même qui le perdit.

III. Les éléments divers qui composaient le parti eusébien, n’étant plus réunis dès lors par le lien d’une lutte commune, le seul qui les rapprochât en effet, se séparèrent et se constituèrent en deux partis distincts :

1° Les semi-Ariens, groupés autour de Basile d’Ancyre et de Georges de Laodicée, continuent l’eusébianisme modéré, tout en rompant formellement avec les Ariens stricts pour se rapprocher visiblement d’Athanase : ils n’acceptent pas le mot ὁμοούσιος, suspect à leurs yeux de sabellianisme. C’est dans les actes du concile d’Ancyre (358) que la doctrine semi-arienne a été le plus complètement formulée. On y reconnaît que le Fils a été engendré de l’essence du Père — ἐξ οὐσίας τοῦ πατρὸς γεννηθείς. — Mais on n’admet pas que le Fils soit de la même essence que le Père : il est seulement d’essence semblable. Il n’est pas ὁμοούσιος, mais il est ὁμοιούσιος τῷ πατρί. Par là, le terme de ἑτερούσιος est rejeté, tout aussi bien que celui de ὁμοούσιος. Le Fils n’a pas été, comme disent les Ariens, créé, tiré du néant : il était engendré du Père avant tous les temps par la volonté de Dieu. Et il possède une substance semblable à celle du Père, — ὅμοιός ἐστι κατ᾽ οὐσίαν, — mais non une substance identique ou égale, car elle n’était pas non-engendrée — ἀγέννητος — comme la substance du Père. Le Fils occupe donc une place intermédiaire entre Dieu et la créature. De même qu’il a été homme sans être identique aux hommes par rapport au péché, de même il a été dieu sans être identique à Dieu par rapport à l’éternité absolue et à l’être en soi (ἡ ἀγεννήσια). C’était là un point de vue subtil et inconséquent. On nomma les semi-Ariens ὁμοιουσίασται. Entre eux et les Nicéens, il n’y avait que la différence d’un iota.

2° A côté des semi-Ariens se constitue le parti des Ariens rigides, qui portèrent divers noms : Aëtiens, Eunomiens, etc., à cause de leurs chefs, Aëtius d’Antioche, Eunomius de Cappadoce et Acacius de Césarée. Ils rejetaient non seulement le terme de ὁμοούσιος, mais encore celui de ὁμοιούσιος, et professaient l’arianisme strict, d’après lequel le Fils n’est pas éternel, et n’est pas engendré de l’essence divine, mais du néant, avant l’origine des siècles, par un acte souverain de la volonté du Père. Le Fils, d’après eux, est un κτίσμα ἐξ οὐκ ὄντων. De là les noms qu’on leur donnait : ἀνομοιουσίασται, ἀνόμοιοι, ἐξουκόντιοι. — Ces nouveaux Ariens vont même beaucoup plus loin qu’Arius dans la voie des négations. Ils creusent plus profondément l’abîme qui, d’après le système de leur chef, sépare Dieu et le Fils. Arius avait dit que Dieu se communique au Fils par grâce : les nouveaux Ariens n’admettent plus cela. Arius avait dit : οὐκ οἶδε τὸν πατέρα ἀκριβῶς ὁ υἱός ; les nouveaux Ariens suppriment le mot ἀκριβῶς, et disent simplement : οὐκ οἶδε τὸν πατέρα. Pour eux, plus le Fils s’efforce de connaître Dieu, plus Dieu se cache devant lui. Et, par une singulière inconséquence, après avoir rabaissé ainsi le Fils, ils exaltent l’homme jusqu’à la similitude avec Dieu. L’homme peut connaître parfaitement Dieu et l’imiter. D’après Eunomius, « Dieu ne connaît pas mieux sa propre essence que nous ne la connaissons. »

Il y avait un abîme entre ces nouveaux Ariens et les Nicéens, mais l’abîme était presque aussi grand entre eux et les semi-Ariens. Ceux-ci étaient beaucoup plus près d’Athanase que d’Eunomius. Aussi Athanase, rappelé de l’exil en 361, par Julien, Basile de Césarée et les autres chefs du parti nicéen, traitèrent-ils toujours les semi-Ariens avec beaucoup déménagements et d’égards. Ils leur firent, au synode d’Alexandrie (362), les avances les plus cordiales, et ce rapprochement, qui, du reste, ne s’accomplit pas tout d’un coup, déplaça la majorité et l’influence : celles-ci passèrent dès lors de l’arianisme au nicéisme. Athanase, qu’on a représenté comme intraitable et entiché de lui-même, savait très bien faire des concessions, quand les grands intérêts de la foi n’étaient pas engagés. Il conseilla toujours de tendre aux semi-Ariens une main fraternelle, sans trop s’arrêter à leurs préventions contre le mot ὁμοούσιος. Sa controverse avec eux resta fort amicale. Il chercha à leur prouver que c’était par une inconséquence avec leurs propres convictions qu’ils rejetaient le mot ὁμοούσιος, pour adopter celui de ὁμοιούσιος. « Ce terme, leur disait-il, ne rend pas exactement votre pensée ; car vous croyez que le Fils a été engendré par le Père ; or il y a dans la nature bien des choses semblables qui ne sont pas engendrées l’une par l’autre. Ainsi l’étain et l’argent, le chien et le loup. L’idée de la génération du Fils devrait, au contraire, vous conduire à affirmer qu’il est de même essence que le Père, car, dans les générations humaines comme dans celles des animaux, le fils est toujours, non pas de nature semblable, mais de nature identique à celle du père. »

La controverse se concentra entre les Ariens et les Nicéens. Les Ariens employaient toute leur habileté exégétique et dialectique à trouver des arguments scripturaires et rationnels. Comme textes bibliques, ils invoquaient Proverbes 8.22 : κύριος ἔκτισέν με ἀρχὴν ὁδῶν αὐτοῦ εἰς ἔργα αὐτοῦ. — Jean 14.28 : ὁ πατήρ μου μείζων μού ἐστιν ; — et toutes les paroles de Jésus-Christ qui semblent indiquer une différence d’essence du Père et du Fils : « Nul ne le sait, pas même le Fils » (Marc 13.32) ; — « Mon âme est triste jusqu’à la mort » (Matthieu 26.38), etc. Comme arguments rationnels, les Ariens, s’attaquant surtout à l’idée de la génération éternelle, s’efforçaient de démontrer qu’elle impliquait une contradiction, et lui opposaient le dilemme suivant : si le Fils a été engendré, il n’est pas éternel, il a eu un commencement, car il n’était pas avant d’être engendré οὐκ ἦν πρèιν γεννηθῆναι. Si, au contraire, il est éternel, il n’a pas été engendré ; il est, comme le Père, ἀγέννητος, sans commencement ; et, dès lors, on a deux principes premiers, deux êtres suprêmes, deux dieux, ce qui est absurde. Du reste, les Ariens protestaient, non seulement contre l’idée d’une génération éternelle, mais aussi contre l’idée d’une génération du Fils par le Père. Il y avait là un anthropomorphisme grossier qui portait atteinte, selon eux, à la majesté de Dieu. Enfin, ils arguaient qu’à côté de l’être incréé il ne pouvait exister que des êtres créés du néant — ἐξ οὐκ ὄντων.

Athanase, Basile le Grand, les deux Grégoire, furent les plus éminents défenseurs de la foi de Nicée. Ils engagèrent avec les Ariens une polémique très vive, opposant argument à argument et texte à texte, réfutant les objections des adversaires et justifiant leur propre conception.

Et d’abord, ils écartaient le reproche d’inconvenance adressé par les Ariens à la doctrine de la génération du Fils par le Père. Sans doute, ce serait porter atteinte à la majesté de Dieu que de prendre cette expression à la lettre, et dans son sens matériel et humain. Il faut écarter toute idée de ce genre. Mais telle n’est pas, disent les Pères, la signification de l’expression incriminée. C’est une simple image, une pure métaphore, qui signifie que, dès le commencement, Dieu s’est donné un Fils, qu’il l’a fait sortir de lui-même, que ce Fils est de même nature et de même essence que le Père. De même que les fils des hommes sont des hommes comme leurs pères, ainsi le Fils de Dieu est Dieu comme son père. Quant au comment, au mode de la génération, c’est, ajoutent les écrivains orthodoxes, un mystère profond que nous ne prétendons pas expliquer. Nous n’employons le mot γεννηθέντα au lieu de ποιηθέντα que pour écarter l’idée que le Fils soit une créature tirée du néant.

Quant au reproche de contradiction adressé à la doctrine de la génération éternelle, Athanase l’écartait comme Origène avait écarté le même reproche, adressé à sa doctrine de la création éternelle. Celui qui crée, disait-on à Origène, existe nécessairement avant ce qui est créé. Dès lors, la création ne peut être éternelle. De même, les Ariens disaient : celui qui engendre est antérieur à celui qui est engendré ; celui-ci lui est, au contraire postérieur ; il n’est donc pas éternel. Origène avait répondu que la causalité ne supposait pas ipso facto l’antériorité historique, mais seulement l’antériorité logique. La cause peut, au lieu de précéder historiquement son effet, lui être contemporaine. Athanase répond de la même façon aux Ariens : la génération du Fils ne suppose pas, entre lui et le Père, une relation d’antériorité historique, mais simplement un rapport logique de causalité, en vertu duquel le Fils procède du Père. Dès lors, la génération du Fils peut être éternelle.

Athanase va plus loin ; et, après avoir écarté l’objection, il établit la nécessité de cette génération éternelle du Fils. Non seulement elle n’est pas impossible, mais elle est une conséquence logique de la perfection divine. Ici encore, Athanase s’inspirait d’Origène et reproduisait ses arguments. « C’est pour Dieu un bien infini, disait-il, une incomparable perfection que d’avoir un tel Fils, et Dieu ne pouvait manquer de posséder cette perfection de toute éternité ». Et il ajoutait, en reproduisant une image d’Origène : « Comme la lumière ne peut exister sans éclat, ainsi le Père ne peut exister sans le Fils, qui est le reflet de sa majesté et de sa gloire. » Sur ce point même, Athanase allait plus loin qu’Origène, et affirmait que ce n’est point par un acte libre de sa volonté, que le Père engendre le Fils, mais par une nécessité intérieure et morale de la nature divine.

Il faut remarquer que, tout en admettant l’homoousie, Athanase établissait une certaine subordination morale entre le Fils et le Père, comme aussi il en établissait une entre le Saint-Esprit et le Fils, quoique le Saint-Esprit fût, pour lui, de même essence que le Fils. « Le Fils, dit-il quelque part, est à la fois plus grand que le Saint-Esprit et égal à lui — μείζων καὶ ἴσος ; — plus grand par le rang, égal quant à la nature. » Et il en dit autant du Père à l’égard du Fils : « Le Fils glorifie le Père, comme le Saint-Esprit glorifie le Fils, car il y a le même rapport de rang entre le Saint-Esprit et le Fils qu’entre le Fils et le Père » (Contra Arian. orat. II).

Basile de Césarée est du même sentiment. Il affirme à la fois entre le Père et le Fils une unité d’essence et une subordination morale, et il invoque, en faveur de cette affirmation, une analogie, celle des anges, qui, étant tous de la même nature, sont néanmoins subordonnés les uns aux autres, selon les rangs d’une hiérarchie.

Nous retrouvons la même doctrine au ive siècle. Hilaire de Poitiers désigne le Père comme le Dieu qui ordonne — jubentem Deum, — et le Fils comme le Dieu qui exécute — facientem Deum — (De Trinitate, IV, 16) ; et il reconnaît que le Père est plus grand que le Fils, car celui qui envoie et qui ordonne est plus grand que celui qui est envoyé et qui obéit (III, 12).

Quant aux arguments tirés des textes bibliques, les défenseurs de la pleine divinité du Fils n’avaient point de peine à en trouver. Il ne leur était pas difficile non plus de réfuter certains arguments exégétiques de leurs adversaires. Mais il y en avait d’autres qui les embarrassaient, notamment la parole de Jésus : « Mon âme est troublée. » On s’en tenait généralement au point de vue d’après lequel le Logos était l’âme de Jésus, et était susceptible d’émotion — τρεπτός — On sentit plus tard l’insuffisance de cette explication.

Comme la réaction contre le sabellianisme avait amené, sous la plume de Denys d’Alexandrie, des affirmations ariennes, la réaction contre l’arianisme provoqua, au sein du parti de Nicée, un retour au sabellianisme. Marcellus d’Ancyre, et surtout Photin de Sirmium, dans l’ardeur de leur polémique contre les Ariens, se laissèrent entraîner à des opinions sabelliennes, qui allaient à effacer toute distinction réelle entre le Fils et le Père. Ils furent condamnés avec éclat au concile de Sirmium (351) par une majorité arienne ou semi-arienne, et ils durent être désavoués par les Nicéens, qui, dans un concile occidental, condamnèrent formellement Photin, lequel était allé beaucoup plus loin que Marcellus dans la voie du sabellianisme.

Cet incident fit tort au parti nicéen, en donnant une apparence de raison aux accusations de sabellianisme adressées par les Ariens et les semi-Ariens à la doctrine de l’homoousie. A cela, vinrent s’ajouter des querelles non moins fâcheuses entre les Nicéens d’Orient et les Nicéens d’Occident, à propos de la doctrine du Saint-Esprit et du terme ὑποστάσεις appliqué aux personnes de la Trinité. Je n’entrerai pas dans le détail des complications auxquelles donnèrent lieu ces controverses nouvelles venant s’ajouter à la controverse arienne proprement dite. Je ne parlerai pas des nombreux conciles qui se réunirent à Sirmium, à Séleucie, à Rimini et ailleurs encore, et des divers formulaires qui y furent rédigés ; des efforts tentés de différents côtés et en sens divers pour amener une entente, soit entre les diverses fractions du parti nicéen, soit entre les semi-Ariens et les Ariens, soit enfin entre les Nicéens et les semi-Ariens. Je ne parlerai pas non plus de la politique changeante et mobile des empereurs, qui tantôt favorisaient l’un des partis et persécutaient les autres, tantôt s’efforçaient de conclure entre eux tous des compromis qui ne satisfaisaient personne, et ne pouvaient, par conséquent, rien terminer d’une manière durable. Tout cela nous entraînerait trop loin, et n’offrirait d’ailleurs qu’un intérêt assez médiocre. Il suffira de dire que, malgré ces divergences sur des points de détail, le parti nicéen conserva une grande force de cohésion. Il avait depuis longtemps la majorité en Occident, et, en Orient, il ne cessa de gagner du terrain parce que le sentiment religieux de la masse des fidèles était avec lui et se prononçait d’instinct contre toute doctrine qui avait pour résultat de nier ou d’amoindrir la divinité du Sauveur.

Un rapprochement se fit peu à peu entre les Nicéens et les semi-Ariens. Il fut consommé pendant le règne de l’empereur Valens (364-379), qui professa un arianisme très accentué et qui enveloppa dans la même persécution les semi-Ariens et les Nicéens. Cette persécution fut sanglante. Plus de quatre-vingts évêques de l’un et de l’autre partis furent chassés de leurs églises, dépouillés de leurs biens, envoyés en prison, en exil ou à la mort. Athanase fut banni pour la cinquième fois. La communauté des souffrances fit ce que n’avaient pu faire d’une manière complète ni les arguments de la controverse, ni les efforts des conciles, ni les avances les plus fraternelles. Le rapprochement s’accomplit. Et lorsque, après Valens, Théodose, zélé partisan de la foi de Nicée, monta sur le trône, il trouva le nicéisme presque aussi dominant en Orient qu’en Occident.

IV. Théodose prit à tâche de détruire le paganisme et l’hérésie. Malheureusement il se laissa aller, lui aussi, à des violences contre ses adversaires. C’est par ses soins que fut convoqué le second concile œcuménique, qui se réunit à Constantinople, en 381, sous la présidence de Grégoire de Nazianze, patriarche de Constantinople, et dont le symbole confirma solennellement le symbole de Nicée. En voici le texte :

Symbole de Constantinople

Πιστεύομεν εἰς ἕνα θεὸν πατέρα παντοκράτορα, ποιητὴν οὐρανοῦ καὶ γῆς, ὁρατῶν τε πάντων καὶ ἀοράτων.

καὶ εἰς ἕνα Κύριον Ἰησοῦν Χριστόν, τὸν υἱὸν τοῦ θεοῦ τὸν μονογενῆ, τὸν ἐκ τοῦ πατρὸς γεννηθέντα πρὸ πάντων τῶν αἰώνων, φῶς ἐκ φωτός, θεὸν ἀληθινὸν ἐκ θεοῦ ἀληθινοῦ, γεννηθέντα, οὐ ποιηθέντα, ὁμοούσιον τῷ πατρί, δι’ οὗ τὰ πάντα ἐγένετο, τὸν δι’ ἡμᾶς τοὺς ἀνθρώπους καὶ διὰ τὴν ἡμετέραν σωτηρίαν κατελθόντα ἐκ τῶν οὐρανῶν, καὶ σαρκωθέντα ἐκ πνεύματος ἁγίου καὶ Μαρίας τῆς παρθένου, καὶ ἐνανθρωπήσαντα, σταυρωθέντα τε ὑπὲρ ἡμῶν ἐπὶ Ποντίου Πιλάτου, καὶ παθόντα καὶ ταφέντα, καὶ ἀναστάντα τῇ τρίτῃ ἡμέρᾳ κατὰ τὰς γραφάς, καὶ ἀνελθόντα εἰς τοὺς οὐρανούς, καὶ καθεζόμενον ἐκ δεξιῶν τοῦ πατρὸς καὶ πάλιν ἐρχόμενον μετὰ δόξης κρῖναι ζῶντας καὶ νεκρούς, οὗ τῆς βασιλείας οὐκ ἔσται τέλος.

καὶ εἰς τὸ πνεῦμα τὸ ἅγιον, τὸ Κύριον, τὸ ζωοποιόν, τὸ ἐκ τοῦ πατρὸς ἐκπορευόμενον, τὸ σὺν πατρὶ καὶ υἱῷ συμπροσκυνούμενον καὶ συνδοξαζόμενον, τὸ λαλῆσαν διὰ τῶν προφητῶν. εἰς μίαν, ἁγίαν, καθολικὴν καὶ ἀποστολικὴν ἐκκλησίαν. ὁμολογοῦμεν ἓν βάπτισμα εἰς ἄφεσιν ἁμαρτιῶν. προσδοκῶμεν ἀνάστασιν νεκρῶν, καὶ ζωὴν τοῦ μέλλοντος αἰῶνος. ἀμήν.

Ce symbole, appelé d’ordinaire niceno-constantinopolitain, se rapproche davantage du symbole apostolique que le symbole de Nicée :

1° Il ajoute à l’article sur le Père les mots ποιητὴν οὐρανοῦ καὶ γῆς qui se trouvent dans le symbole apostolique et qui manquent dans celui de Nicée ;

2° Il abrège la première partie de l’article sur Jésus-Christ, en Supprimant les mots τουτέστιν ἐκ τῆς οὐσίας τοῦ Πατρος Θεὸν ἐκ Θεοῦ, et, plus loin : τά τε ἐν τῷ οὐρανῷ καὶ τὰ ἐν τῇ γῇ. Il développe, au contraire, la seconde partie de ce même article, en reproduisant la plupart des termes du symbole apostolique, auxquels il ajoute quelquefois certains détails ;

3° Il contient les affirmations sur l’Église, la rémission des péchés, la résurrection, la vie éternelle, qui se trouvent dans le symbole apostolique et manquent à celui de Nicée ;

4° Il supprime l’anathème qui termine le symbole de Nicée ;

5° Enfin, il développe la doctrine du Saint-Esprit, se séparant en cela tout à la fois du symbole apostolique et du symbole de Nicée, qui se bornent à dire : εἰς τὸ Ἅγιον Πνεῦμα.

Le dogme toutefois n’était pas encore achevé. La spéculation chrétienne fit un dernier pas au siècle suivant. Ce fut Augustin qui accomplit ce dernier pas. Il dépassa Athanase, comme Athanase avait dépassé Origène.

Athanase avait dépassé Origène en affirmant l’homoousie du Fils à l’égard du Père. Mais, malgré cette identité d’essence entre le Fils et le Père, il admettait encore une subordination morale du Fils à l’égard du Père. Augustin écarta toute idée d’une subordination de ce genre, et affirma l’égalité absolue du Fils et du Père. Le symbole Quicumque, rédigé à la fin du ve siècle sous l’inspiration de la théologie d’Augustin, n’affirme pas seulement, comme ceux de Nicée et de Constantinople, que le Fils est consubstantiel au Père, mais qu’ils sont égaux — coœquales, — et toute idée de subordination est écartée : in Trinitate nihil majus aut minus. C’est la négation du μείζων καὶ ἴσος d’Athanase et du μείζων μοῦ ὁ πατήρ de Jésus.

Augustin et le symbole Quicumque, je n’hésite pas à le dire, ont dépassé et contredit les données de l’Écriture. Athanase avait eu raison d’affirmer l’homoousie. Le terme n’était pas biblique, mais la chose l’était : on peut la conclure de l’expression même de Fils employée par la Bible, qui implique, en effet, cette identité d’essence, car un rapport de filialité suppose une même nature entre le Père et le Fils. Cette affirmation, utile à établir, constituait un véritable progrès théologique, car elle donnait un fondement métaphysique à la divinité de Jésus-Christ. Le mot ὁμοούσιος a rendu de grands services en fournissant un mot d’ordre, un drapeau, un signe de ralliement, une bannière contre l’hérésie. Mais les conclusions d’Augustin n’ont pas le même caractère : ni le mot coœqualis ni la chose qu’il signifie n’est scripturaire. Augustin a eu tort de conclure de l’identité d’essence à la négation de toute subordination morale. Cela est contraire à l’expression de Fils, qui implique, en même temps que l’unité de nature, la subordination de la volonté et la dépendance à l’égard du Père, qui demeure l’unique principe premier. Cela est contraire aussi à une foule de textes et de déclarations, soit de Jésus lui-même, — comme celle que nous avons citée : « le Père est plus grand que moi » (Jean 14.28), — soit des apôtres, comme cette parole de Paul : « le Fils lui-même sera assujetti — ὑποταγήσεται — à celui qui lui aura assujetti toutes choses » (1 Corinthiens 15.28).

Ainsi, nous ne suivrons pas l’Église jusqu’au terme du développement qu’elle a donné à la formule de la divinité du Fils. Nous nous arrêterons à Athanase sans aller jusqu’à Augustin, aux symboles de Nicée et de Constantinople sans aller jusqu’au symbole Quicumque. Nous nous en tiendrons à l’affirmation scripturaire résumée dans le mot de Fils, si simple et si profond : nous en conclurons l’identité d’essence et la dépendance de volonté de Jésus-Christ par rapport à Dieu, et nous répéterons avec Athanase : ὁ πατὴρ μείζων καὶ ἴσος.

Voici, en résumé, et personnifiées par quatre noms, les étapes qu’a parcourues le dogme de la divinité de Jésus-Christ :

  1. Justin (iie siècle) affirme la préexistence et la divinité du Logos, ou du Fils, avant son incarnation, mais ne fait commencer sa personnalité qu’au moment de la création.
  2. Origène (iiie siècle) affirme la personnalité éternelle du Fils.
  3. Athanase (ive siècle) affirme l’homoousie du Fils, mais avec la subordination morale impliquée par ce mot de Fils.
  4. Augustin (ve siècle) affirme l’égalité absolue du Fils et du Père.

M. A. Réville (Histoire du dogme de la divinité de Jésus-Christ) voit dans ce développement l’apothéose, la divinisation progressive de Jésus, accomplie par l’exaltation croissante du sentiment chrétien de l’Église. D’après lui, ce n’est pas le Christ qui a fait les chrétiens, ce sont les chrétiens qui ont fait le Christ. Cette histoire serait tout à fait parallèle à celle de la divinisation de Marie. « La divinisation graduelle de Marie, dit-il, suit au sein de l’Église romaine une marche analogue, bien que beaucoup plus lente, à celle que l’Église des premiers siècles a suivie en élaborant la divinité de Jésus. Chez presque tous les auteurs catholiques de nos jours, Marie est la médiatrice universelle, tout pouvoir lui a été donné au ciel et sur la terre. Que dis-je ? Plus d’une tentative sérieuse a déjà été faite dans le camp ultramontain pour adjoindre d’une façon quelconque Marie à la Trinité, et si la mariolâtrie dure longtemps encore, cela viendra » (2e édit., p. 91-92).

Ces derniers mots sont vrais autant que spirituels. Mais il y a, dans l’analogie établie par l’auteur, une confusion étrange. Le point de départ du dernier développement n’est pas du tout le même que celui du premier. Avant l’élaboration progressive de la formule théologique destinée à exprimer la divinité de Jésus-Christ, il y a les grands faits qui établissent d’une manière invincible cette divinité elle-même : rien de pareil pour Marie.

1° Il y a d’abord la personne et la vie de Jésus-Christ, le témoignage qu’il s’est rendu à lui-même par ses paroles et par ses actes et celui que Dieu lui a rendu en le ressuscitant des morts. — Jésus s’est ouvertement donné pour le Fils de Dieu, il a demandé et obtenu les hommages et l’adoration de ses disciples, il n’a pas protesté quand Thomas s’est écrié : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Il a prononcé des paroles incomparables, et fait des œuvres que personne n’a faites. Il est ressuscité le troisième jour et il est monté dans la gloire. — Marie, au contraire, n’a jamais réclamé les titres qu’on lui donne ; jamais elle n’a fait de miracles ; elle n’est pas ressuscitée et montée au ciel. La modestie est le trait dominant de son caractère ; son individualité est effacée dans les Évangiles, et Jésus lui a dit un jour : « Femme, qu’y a-t-il entre toi et moi ? »

2° Il y a encore, en faveur de la divinité de Jésus-Christ, le témoignage des apôtres, qui la proclament tous : Pierre, Paul, Jean, Jacques lui-même. — Ils ne parlent même pas de Marie.

3° Il y a enfin la foi primitive de l’Église, qui, longtemps avant d’avoir formulé dans ses symboles le dogme de la divinité de Jésus-Christ, adorait le Sauveur, le priait et mourait pour lui. — Marie, au contraire, n’a tenu aucune place dans les adorations et les prières des premiers chrétiens.

Ainsi, la doctrine théologique élaborée par les conciles a pour point de départ un fait certain, unique, éclatant : Jésus affirmant et démontrant sa divinité, confessé Fils unique de Dieu par les apôtres inspirés et par les premiers chrétiens. Dans le culte de Marie, au contraire, il n’y a qu’une superstition tardive, manquant de fondement historique, et qui serait désavouée par celle qui en est l’objet, — superstition provoquée par le besoin d’une médiation nouvelle, pour remplacer celle de Jésus-Christ, qu’on a cessé de comprendre.

Mais la confusion faite par M. Réville s’explique, car ce théologien ne croit qu’au Jésus du sermon sur la montagne, il ne croit pas au Jésus du ive évangile. Pour lui, l’auteur du ive évangile est un théologien de la fin du iie siècle, postérieur à Justin Martyr, et philonien comme lui, qui poussa la spéculation chrétienne dans la voie où elle s’était déjà engagée.

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