Le comte de Zinzendorf

6.5 – Zinzendorf demande à déposer la présidence.

Ne montrer dans la vie d’un serviteur de Dieu que le déploiement de son activité et la marche triomphante de sa foi, ce serait présenter une image incomplète, un tableau sans ombre, qui flatterait un instant peut-être le besoin que notre esprit a de l’absolu, mais qui n’exciterait jamais chez nous cet intérêt sympathique et véritablement humain que la réalité seule a le privilège de produire. L’écharde en la chair et l’ange de Satan donné à Paul pour le souffleter nous unissent de cœur au grand apôtre des Gentils, que son héroïsme et ses ravissements au troisième ciel eussent fait disparaître à nos yeux dans les pâles régions de l’idéal. « Nous voulons », disait-il, « que vous sachiez l’affliction qui nous est survenue en Asie. Nous avons été chargé excessivement au delà de ce que nous pouvions porter ; nous nous sommes vu comme si nous avions reçu en nous-même la sentence de mort, afin que nous n’eussions point de confiance en nous-même, mais en Dieu qui ressuscite les morts. » (2 Corinthiens 1.8-9)

C’est ainsi que Zinzendorf, au milieu même de son activité, se sentait succomber sous le fardeau dont il était chargé. Depuis son retour des Indes, il n’avait jamais recouvré entièrement la santé. A la fin de l’an 1740, une nouvelle maladie, dont les accès se produisaient avec une extrême violence, avait remis sa vie en danger : il avait cru y voir distinctement un avertissement paternel, destiné à attirer son attention sur une circonstance dans laquelle il n’avait pas agi d’une manière conforme aux directions du Seigneur. Les divers manquements qu’il se reprochait dans l’exercice de ses fonctions de président de la communauté le préoccupèrent dès lors et l’affligeaient singulièrement. Il sentait, disait-il, que la plupart des dons requis pour remplir dignement cette charge lui avaient de tout temps fait entièrement défaut ; il sentait en outre que les dons mêmes qu’il pouvait avoir eus pendant un temps, il les avait actuellement perdus. Il conçut donc le désir ardent de déposer la présidence, comme l’année précédente il avait voulu déposer l’épiscopat, et s’en ouvrit à quelques-uns des Frères. Mais il ne parvint pas à les persuader : on était attaché à lui et l’on ne savait comment on parviendrait à se passer de lui ; aucun autre n’était aussi complètement au fait, dès l’origine, des affaires de la communauté. On espérait donc le voir revenir de sa résolution.

Il répond aux objections des Frères dans un mémoire assez détaillé, en date du 3 février 1741, dans lequel il déclare qu’il se sent incapable de s’acquitter dorénavant d’une manière convenable des devoirs que lui impose sa charge.

« Depuis mon anniversaire de l’année dernière », dit-il entre autres choses, « je me trouve dans un état qui me va tout à fait : j’ai perdu absolument le don de diriger ; je suis arrivé à être dans une disposition après laquelle j’ai soupiré des années entières, mais dont les circonstances m’avaient jusqu’ici fait une impossibilité. Je m’en remets au Sauveur heure par heure, et ce qu’Il m’accorde, je ne l’ai qu’au moment où Il me l’accorde. Or, un don est quelque chose de permanent, quelque chose sur quoi l’on peut compter, et celui qui n’en a plus la jouissance constante devient par là inhabile à remplir son emploi. Laissez-moi donc, pour aussi longtemps qu’il plaira au Sauveur, dans cet état d’impuissance auquel Il m’a réduit. Mettez-vous sous sa direction ; faites usage des ouvriers excellents qu’Il n’a pas cessé de vous donner. Envisagez-moi toujours comme un membre de votre corps, mais comme un membre que le Seigneur a frappé de paralysie. Ne comptez plus sur rien de ce que je pourrai encore faire pour vous. Profitez des dons que ma femme emploie à votre service, de la bénédiction qui repose sur eux, du succès qui en accompagne l’exercice ; demandez au Sauveur qu’Il continue à faire des choses merveilleuses pour elle et pour sa maison. Et s’il plaisait au Sauveur de m’accorder de temps à autre quelque grâce pour vous en faire part, ou si, dans quelques années, Il jugeait bon de me relever de la poussière dans laquelle je suis assis avec joie, alors je serais de nouveau tout à vous, du moins dans les affaires spirituelles ; car mon cœur n’est pas mort à ces choses, bien que souvent ma bouche soit fermée. S’il me reste encore quelque crédit auprès de quelque personne ou dans quelque pays, je le dépenserai volontiers pour vous. »

Les Frères, ne sachant comment remplacer le comte, refusèrent d’accepter pour le moment sa démission. Malgré son intime persuasion il se plia sans murmures à leur désir unanime et consentit à conserver la présidence. Mais déjà son insatiable désir de gagner des âmes à Jésus l’entraînait à de nouveaux projets. Cette même année 1741 devait voir encore ce chevalier errant de l’Évangile en Suisse et en Hollande, en Angleterre et en Amérique.

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