Le comte de Zinzendorf

7.10 – Retour à Londres. Temps de retraite.

Peu après son arrivée à Londres, Zinzendorf déclara, comme il l’avait dit à Ebersdorf, qu’il voulait dorénavant suivre exclusivement sa vraie vocation, en se consacrant tout entier à la prédication de l’Évangile et à la cure des âmes. Il désirait à cet effet se démettre des emplois qu’il remplissait dans l’église, car il sentait, disait-il, « qu’il se devait à tous les hommes » et ne voulait plus être autre chose qu’un disciple de Jésus. Ce nom de disciple lui resta et fut celui sous lequel le désignèrent ordinairement les Frères ; on appela dès lors aussi maison des disciples ce que l’on nommait auparavant la maison ou la communauté des pèlerins. Mais il était absolument impossible de satisfaire à son désir : il avait en main toutes les affaires de la communauté, personne n’eût consenti à le remplacer, personne n’eût été en état de le faire, et il dut renoncer une fois encore à réaliser son vœu le plus cher. Cette retraite était pourtant devenue pour lui une nécessité, après les agitations, les négociations, les affaires et les inquiétudes de tout genre au milieu desquelles il avait passé les années qui venaient de s’écouler. Il demanda donc avec instance à tous ceux qui composaient sa maison et à tous ses amis de Londres de bien vouloir, pendant quelques mois, le considérer comme absent, afin qu’il pût s’entretenir librement avec le Sauveur et repasser tout ce qu’il avait fait depuis trente années employées au service de l’église des Frères. On se conforma à son désir du mieux que l’on put ; bien souvent pourtant on ne pouvait faire autrement que d’aller le consulter.

« A cette occasion, » dit Spangenberg, « je dois dire quelque chose de la manière de travailler du comte. Il ne se concentrait point dans le moment présent, mais avait toujours aussi devant les yeux les années, les mois, les semaines, les jours et les heures passés et à venir. Il calculait d’avance ce qu’il avait à faire et le temps qu’il devait y mettre ; puis il traçait par écrit son plan de travail pour plusieurs mois à l’avance. Chaque jour, il fixait de la même manière l’emploi de ses heures. Si quelque incident venait le déranger, il cherchait à regagner le temps perdu et était souvent obligé d’y consacrer la plus grande partie de la nuit. Au bout de quelque temps, il relisait son plan général de travail, pour voir ce qu’il avait fait et ce qui était resté en arrière. On a trouvé après son délogement plusieurs de ces plans chargés de nombreuses annotations : tantôt il y remercie le Seigneur de ce qu’il a pu, par sa grâce et avec son secours, venir à bout de ce qu’il s’était proposé ; tantôt il lui demande pardon de n’avoir pas su s’acquitter d’un travail qu’il avait regardé comme nécessaire. On peut sans crainte affirmer qu’il a cherché à employer fidèlement son temps au service de Dieu et de son prochain et qu’il y a réussi. »

« Quand on allait le voir, » dit encore Spangenberg, « pour s’entretenir avec lui d’affaires ou pour le consulter sur quoi que ce fût, il vous accueillait avec une grande affabilité. Mais s’il était alors préoccupé de quelque autre travail, il ne fallait pas trop se fier à ce qu’il vous répondait, car dans ces cas-là il n’avait pas entièrement l’esprit à ce qu’on lui disait. Aussi, ceux qui savaient cela retournaient toujours le consulter une seconde fois, afin d’être sûrs d’avoir réellement son opinion. »

En l’arrachant sans cesse à cette solitude qu’il aimait, pour l’entraîner au milieu des hommes et dans les devoirs de la vie pratique, le Seigneur lui donnait, on n’en saurait douter, la tâche la plus conforme à son génie, dont il paraît avoir lui-même ignoré la nature. C’était dans le commerce des hommes, en présence d’une œuvre à accomplir, d’une difficulté à vaincre, que l’inspiration le saisissait et que son jugement s’exprimait avec autant de rectitude que de netteté. Dans les élucubrations de sa solitude, l’imagination l’entraînait quelquefois dans des écarts, ou bien son impatience ne lui laissait pas le loisir de finir ce qu’il avait commencé ou d’étudier suffisamment les sujets qu’il voulait traiter. C’est ce que l’on voit, par exemple, dans l’Enchiridion ou Manuel de l’Écriture sainte qu’il composa à cette époque. Ce livre, qui devait être un extrait de toute la Bible et qui finit à l’Exode, était en même temps un nouvel essai de traduction de l’Ancien Testament. Spangenberg, tout en rendant hommage aux mérites de cette traduction, avoue qu’il ne peut la comparer à celle de Luther, sans songer à ce mot de l’Évangile : « Il n’y a personne qui, ayant bu du vieux, veuille aussitôt du nouveau, car il dit : Le vieux est meilleur (Luc 5.39). »

La retraite momentanée de Zinzendorf ne l’isolait que des affaires administratives ; il se livrait d’autant plus librement au besoin qu’il éprouvait de prêcher l’Évangile. Dès son retour à Londres, il avait recommencé à avoir dans sa maison des réunions quotidiennes d’édification auxquelles chacun pouvait assister. Ces réunions étaient souvent assez longues ; mais les chants, les prédications et les prières s’y succédaient alternativement, afin de reposer l’attention, et jamais un discours n’était de plus d’un quart d’heure. Jésus-Christ était toujours plus exclusivement l’objet de ses prédications. « Croyez-moi, disait-il, si je me fais ainsi le champion du Sauveur, ce n’est pas simplement chez moi cette fidélité qu’Il reconnaîtra un jour en me confessant devant son Père. Non, c’est que je n’agirais pas en homme d’honneur si je ne combattais pas pour Lui. Car je sais avec la plus entière certitude qu’il n’y a de salut en aucun autre, que c’est le seul Nom qui ait été donné aux hommes par lequel nous puissions être sauvés. Si je parlais autrement à quelqu’un, je le tromperais sciemment, je mentirais à ma conscience. Voilà pourquoi je tiens tant à cela, pourquoi je ne puis rien céder sur ce point. Car celui qui cherche et croit trouver ailleurs le bonheur est trompé pour le temps et pour l’éternité. Si j’insiste tellement là-dessus, ce n’est point, autant qu’on pourrait le croire, affaire de cœur et de sentiment ; non, il entre là dedans beaucoup d’abstraction ; c’est affaire de conviction, c’est la vérité tout unie. »

« Je vous conjure tous », dit-il dans un autre discours, « de courir à Celui qui est l’objet unique de nos prédications, de nos chants, de nos entretiens ; je vous conjure de vous donner sans réserve à Lui, du cœur, de l’esprit, de la volonté, de tout votre être, en un mot. Vous apprendrez alors à connaître une béatitude plus grande qu’on ne saurait le dire, beaucoup, beaucoup plus grande que je ne puis vous la décrire, quoiqu’il y ait déjà un certain temps que j’en fais l’expérience. Cette béatitude est éternelle de sa nature ; nous ne la perdrons point avec notre existence mortelle, mais elle nous accompagnera et nous demeurera jusque devant notre Sauveur et ne fera que s’accroître pendant toute l’éternité. »

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