Homélies

Les adieux de saint Paul aux pasteurs d’Éphèse

Paul s’était proposé de passer au delà d’Éphèse, afin de ne point séjourner en Asie, parce qu’il se hâtait d’être, s’il lui était possible, le jour de la Pentecôte à Jérusalem. Or, il envoya de Milet à Éphèse, pour faire venir les anciens de l’Église, qui étant venus vers lui, il leur dit : Vous savez de quelle manière je me suis conduit avec vous dès le premier jour que je suis entré en Asie ; servant le Seigneur en toute humilité, et avec beaucoup de larmes, et parmi beaucoup d’épreuves, qui me sont arrivées parles embûches des Juifs ; et comment je ne me suis épargné en rien de ce qui vous est utile, vous ayant prêché, et ayant enseigné publiquement, et par les maisons ; prêchant tant aux Juifs qu’aux Grecs, la repentance envers Dieu et la foi en Jésus-Christ notre Seigneur. Et maintenant, voici, étant lié par l’Esprit, je m’en vais à Jérusalem ; ignorant les choses qui m’y doivent arriver ; sinon que le Saint-Esprit m’avertit de ville en ville, disant que des liens et des tribulations m’attendent. Mais je ne fais cas de rien et ma vie ne m’est point précieuse, pourvu qu’avec joie j’achève ma course, et le ministère que j’ai reçu du Seigneur Jésus, pour rendre témoignage à l’Évangile de la grâce de Dieu. Et maintenant, voici, je sais qu’aucun de vous tous, parmi lesquels j’ai passé en prêchant le royaume de Dieu, ne me verra plus. C’est pourquoi je vous prends aujourd’hui à témoins, que je suis net du sang de vous tous ; car je ne me suis point épargné à vous annoncer tout le conseil de Dieu. Prenez donc garde à vous-mêmes, et à tout le troupeau sur lequel le Saint-Esprit vous a établis évêques, pour paître l’Eglise de Dieu, laquelle il a acquise par son propre sang. Car je sais qu’après mon départ il entrera parmi vous des loups très dangereux, qui n’épargneront point le troupeau ; et qu’il s’élèvera d’entre vous-mêmes des hommes qui annonceront des doctrines corrompues, afin d’attirer des disciples après eux. C’est pourquoi veillez, vous souvenant que, durant l’espace de trois ans, je n’ai cessé nuit et jour d’avertir chacun de vous avec larmes. Et maintenant, mes frères, je vous recommande à Dieu, et à la parole de sa grâce, lequel est puissant pour achever de vous édifier, et pour vous donner l’héritage avec tous les saints. Je n’ai convoité ni l’or ni l’argent de personne. Et vous savez vous-mêmes que ces mains m’ont fourni les choses qui m’étaient nécessaires, et à ceux qui étaient avec moi. Je vous ai montré en toutes choses, qu’en travaillant ainsi il faut supporter les infirmes, et se souvenir des paroles du Seigneur Jésus qui a dit que c’est une chose plus heureuse de donner que de recevoir. — Et quand Paul eut dit ces paroles, il se mit à genoux, et fit la prière avec eux tous. Alors tous fondirent en larmes, et se jetant au cou de Paul, ils l’embrassèrent, étant tristes surtout à cause de cette parole qu’il leur avait dite, qu’ils ne le verraient plus. Et ils le conduisirent au navire.

(Actes 20.16-38)

On a dit de ce discours de saint Paul aux pasteurs d’Éphèse qu’il était l’oraison funèbre de son apostolat. Il fut prononcé en tout cas dans un moment et sous une impression qui lui donnent une importance singulièrement caractéristique. A la veille de la catastrophe dont le pressentiment va grandissant dans son âme, ce n’est pas seulement aux pasteurs d’Éphèse, que l’apôtre fait ici ses adieux : c’est à cette Asie qui avait été pendant tant d’années le théâtre de son activité missionnaire, c’est à son passé tout entier et pour ainsi dire à son ministère lui-même.

Commençons par nous remettre au courant des circonstances qui ont précédé cet émouvant épisode ; cela nous aidera à en mieux comprendre l’intérêt et la portée.

Après un séjour de trois ans à Éphèse et dans la province voisine, Paul avait accompli un rapide voyage en Grèce et en Macédoine, dans le double but de réprimer par sa présence les abus qui s’étaient introduits dans quelques églises de ce pays, particulièrement dans celle de Corinthe, et d’y exhorter les disciples à contribuer de leurs biens en faveur des pauvres d’entre les saints qui étaient à Jérusalem. Le succès sur ce dernier point avait dépassé son attente. Ces petites églises, comme il le dit lui-même, s’étaient montrées si riches malgré leur extrême pauvreté par l’abondance de leurs aumônes, que l’apôtre s’était décidé à porter lui-même à Jérusalem les secours considérables qu’il en avait obtenus. Et afin de n’encourir aucun blâme dans l’administration de ces aumônes, il avait exigé que les églises nomassent elles-mêmes des représentants qui l’accompagneraient jusqu’à Jérusalem.

Embarqué de Macédoine en compagnie de Luc, de Silas, de Timothée, et des députés des églises, Paul descendit d’abord à Troas où il s’arrêta l’espace d’une semaine. — Avant de continuer son voyage, le dimanche soir, il rassembla les disciples de cette ville pour leur adresser à la table sacrée ses dernières et ses plus tendres exhortations. L’assemblée était réunie dans une chambre haute à un troisième étage, à la lumière des flambeaux. On avait déjà passé l’heure de minuit quand le jeune Eutyche, accablé de fatigue, s’endormit et tomba de la fenêtre dans la rue. A peine l’émotion de cet événement était-elle calmée que Paul reprit la suite de son discours, et il leur parlait encore quand le jour parut et l’avertit que le moment du départ était arrivé. C’est ainsi qu’il se préparait aux fatigues du voyage.

Il prit alors congé de ses frères bien-aimés, et sans avoir réparé ses forces par le sommeil, il partit à pied de Troas pour Assos, où il avait donné rendez-vous à ses compagnons de voyage, qui devaient l’y rejoindre.

Il est vraisemblable qu’en choisissant de faire cette route à pied, sans ses compagnons, Paul n’avait d’autre but que de se ménager ainsi au milieu des œuvres de Dieu, dans une contrée montagneuse et pittoresque, quelques heures de ce recueillement et de cette solitude si nécessaires à ceux qu’un ministère actif et extérieur appelle sans cesse à s’oublier eux-mêmes pour se donner aux autres. Que de fois l’Évangile ne nous montre-t-il pas Celui qui est venu du ciel chercher et sauver ce qui était perdu, le modèle de Paul et de tous les pasteurs, se soustrayant à la foule, quittant même ses disciples, pour consacrer quelques heures de la nuit à prier dans un lieu écarté, sur une montagne ! Il faut que celui qui donne aux autres renouvelle sa provision de grâces et de forces spirituelles à la source suprême de toute grâce et de toute force ; il faut qu’il se prêche à lui-même, qu’il se répète l’avertissement de Paul aux pasteurs d’Éphèse : Prenez garde à vous-mêmes, comme à tout le troupeau sur lequel le Saint-Esprit vous a établis !

Arrivé à Assos, Paul retrouve ses compagnons de voyage qui l’avaient devancé par mer. Il s’embarque alors avec eux, et après avoir touché Mitylène et Samos, ils viennent enfin jeter l’ancre dans la cité opulente et corrompue de Milet, car Paul, dit le texte, s’était proposé de passer au delà d’Éphèse, afin de ne point séjourner en Asie, parce qu’il se hâtait d’être, s’il lui était possible, le jour de la Pentecôte à Jérusalem.

Quand on considère que Paul avait passé trois ans à Éphèse, qu’il y avait amené un nombre considérable d’âmes à l’Évangile, et fondé une Église florissante au prix des plus grandes fatigues et des plus grands dangers ; quand on considère combien de relations intimes, précieuses, bénies, devaient avoir été le fruit de ses travaux, dans cette villa ; quand on considère qu’il n’en était qu’à la distance de douze petites lieues à peine, on comprendra que ce ne fut que par un douloureux sacrifice au devoir qu’il se refusa l’entrée de cette ville où tant d’intérêts l’attiraient et dont il pensait alors s’éloigner pour toujours. Outre la perte de temps qui aurait pu compromettre le résultat de son voyage, il craignait sans doute de voir la fermeté de sa résolution ébranlée par des larmes, des embrassements, des supplications, comme celles dont il eut plus tard à se défendre lorsqu’il disait aux frères de Césarée : O mes amis, que faites-vous en pleurant ainsi et en me brisant le cœur ? Je suis prêt non seulement à être chargé de chaînes à Jérusalem, mais même à y souffrir la mort pour le nom du Seigneur Jésus.

Il ne les oublia pas cependant. Son premier soin en débarquant à Milet, fut d’envoyer promptement à Ephèse pour faire venir auprès de lui les anciens de cette Église, dont il voulait prendre un solennel congé ; et ceux-ci à peine avertis, se hâtèrent de se rendre à son invitation. Jugez de leurs émotions. Ils arrivent à Milet. Paul les attendait. Ils entrent dans la chambre ; ils retrouvent leur père spirituel, cet apôtre bien-aimé, qui les avait amenés avec tant de sollicitude et d’amour au pied de la croix du Sauveur. Ils revoient avec lui Silas, Luc, Timothée, qu’ils avaient appris à connaître et à aimer déjà précédemment comme ses anciens collaborateurs, lorsqu’il était au milieu d’eux, d’autres frères venus de Corinthe, de Philippe, et dont les noms au moins ne leur étaient pas étrangers. Ils se voient réunis, l’élite des Églises de la Grèce et l’élite des Églises d’Asie, autour de celui auquel ils devaient plus que la vie. — Mais hélas ! ils apprennent qu’ils n’ont à passer avec lui qu’une heure rapide, et que cette heure, selon toutes les probabilités humaines, sera la dernière ! Paul n’a voulu s’arrêter avec eux que juste le temps de leur adresser ses dernières exhortations, de se mettre à genoux, de prier avec eux tous, de recevoir leurs derniers embrassements. Le navire qui doit l’emmener le jour même, déploie déjà ses voiles sur le rivage de Milet.

Que va faire Paul dans un moment si solennel, dans une circonstance si émouvante ? Chose remarquable ! Il se contente d’appeler sa conduite au milieu d’eux en témoignage de la vérité qu’il leur a annoncée, et de la leur proposer comme exemple. Le sens de son discours est tout entier dans ces deux mots : Vous savez de quelle manière je me suis toujours conduit au milieu de vous dès le premier jour que je suis entré en Asie… Prenez donc garde à vous-mêmes et à tout le troupeau que le Saint-Esprit vous a confié ! — Et en effet, quelle prédication que d’avoir vu à l’œuvre, d’avoir connu, d’avoir compris, un homme tel que saint Paul ! Toute vie est une parole, comme l’a dit Vinet. Écoutons donc attentivement la conduite du grand apôtre, comme lui-même nous y invite. Pénétrons avec les pasteurs d’Éphèse dans la chambre de Milet ; contemplons quelques Instants le portrait qu’il nous trace de lui-même comme homme, comme chrétien, comme pasteur, portrait spontané, vraie photographie, singulièrement utile à considérer dans les jours que nous traversons. Et puissions-nous nous appliquer à nous-mêmes, devant ce grand modèle, l’exhortation qu’il adresse si souvent aux lecteurs de ses épîtres : Soyez tous ensemble mes imitateurs, comme je le suis moi-même de Christ, et considérez ceux qui marchent suivant le modèle que vous avez en nous.

Ne voyons d’abord en saint Paul, tel qu’il se présente à nous dans ce discours, que l’homme. — Quel noble et beau type que le sien ! Quelle grande figure ! Grande…. oui, mais d’une grandeur tout intérieure, grande par le caractère, par l’âme. Ne cherchez point en saint Paul ce qui frappe les yeux, ce qui parle à l’imagination. Il est pauvre, gagnant son pain comme un simple artisan, son extérieur n’a rien qui prévienne en sa faveur, ses mains témoignent de la rudesse de son travail. Il n’a pas même les dons extérieurs de l’éloquence et du génie. On disait de lui : Ses lettres sont graves, mais la présence du corps est faible et sa parole est méprisable. Il écrivait d’Éphèse même aux disciples de Corinthe : Jusqu’ici je souffre de la faim et de la soif ; je suis nu, on me frappe au visage ; je n’ai point de demeure assurée, je me fatigue à travailler de mes propres mains ; on me dit des injures et je bénis ; on me persécute et je souffre ; on m’outrage de paroles et je prie ; je suis en un mot traité comme la balayure du monde, et comme le rebut de toute la terre. — En le voyant pour la première fois, vous auriez dit de lui peut-être ce qu’on disait de Farel quand il arriva à Genève : « C’est un pauvre prédicant, chétif et mal vêtu. » Sa grandeur, loin d’être en rien relevée par les avantages extérieurs, est toute en dépit de ces apparences. Mais elle n’en est que plus frappante.

Quelle noblesse, déjà, dans la candide franchise avec laquelle il s’exprime ! Dès les premiers mots de son discours, ne vous êtes-vous pas senti le cœur au large avec lui ? Ne vous êtes-vous pas dit à vous-mêmes : Voilà un homme qui ouvre tout son cœur parce qu’il n’a rien à cacher. Point ici de cette modestie affectée qui trahit l’amour-propre et la préoccupation personnelle ; point de ces réticences qui attirent l’attention sur les mérites de celui qui parle ; pas un mot de flatterie, pas une ombre de dissimulation. Impossible de parler de soi davantage qu’il ne le fait en ce discours, où il ne parle que de lui ; mais impossible en même temps de s’oublier plus complètement soi-même. — Il en est de même dans ses épîtres. Sa manière d’exposer la vérité, de la développer, de la prêcher, la plupart du temps consiste simplement à raconter comment il l’a reçue, comment il la comprend, quels sentiments elle produit dans son cœur et quels fruits dans sa vie ; et cependant, qui a jamais fait un reproche à saint Paul de parler de lui ? Son langage est l’enveloppe transparente de son âme, voilà tout ! Et cela seul, convenez-en, est déjà le signe d’une âme rare. Remarquez ensuite la noble indépendance de caractère que nous révèle son discours. Il n’a voulu être à charge à personne ; il a toujours préféré travailler de ses mains pour gagner son pain. Je n’ai demandé l’or ni l’argent de personne, et vous savez vous-mêmes que ces mains tri ont fourni les choses qui m’étaient nécessaires et à ceux qui étaient avec moi. Ce n’est pas qu’il ne reconnût le droit qu’il aurait eu de vivre aux dépens de ceux qu’il évangélisait. Ne savez-vous pas que ceux qui servent à l’autel vivent de l’autel ? écrit-il aux Corinthiens. Le Seigneur a ordonné tout de même que ceux qui annoncent l’Évangile vivent de l’Évangile. Cependant, je ne me suis point prévalu d’aucune de ces choses, et je n’écris pas même ceci afin qu’on en use de cette manière envers moi ; car j’aimerais mieux mourir que de voir que quelqu’un m’ôtât cette gloire ! Ne croyez pas cependant qu’il entrât dans ce sentiment aucun orgueil. Le même saint Paul qui mettait sa gloire à n’être aucunement à charge à ceux qu’il venait évangéliser, saura cependant accepter d’eux des aumônes, quand leur cœur les portera à lui venir en aide. Je me suis fort réjoui, écrit-il plus tard aux Philippiens, de ce que vous avez fait revivre le soin que vous avez de moi. Je ne dis point ceci ayant égard à quelque indigence, car j’ai appris à être content de l’état où je me trouve. J’ai appris tant à être rassasié qu’à avoir faim, tant à être dans l’abondance que dans la disette. Je puis tout en Christ qui me fortifie. Néanmoins vous avez bien fait de, prendre part à mon affliction. — Voilà une grandeur qui vaut mieux assurément que celle de la richesse et qui la domine de bien haut. Il ne voulait être redevable à ses auditeurs que de la parole qu’il leur apportait.

Remarquez sa générosité. Pas une pensée pour lui, toutes pour les autres. Non seulement il a travaillé pour ne leur être point à charge, mais encore il s’est efforcé de leur montrer en toutes choses, par son exemple et par ses dons, qu’en travaillant ainsi il faut supporter les infirmes, et se souvenir des paroles de notre Seigneur Jésus-Christ, qui a dit que c’est une chose plus heureuse de donner que de recevoir. Non seulement il ne s’est point épargné, pour leur annoncer tout le conseil de Dieu, mais encore il ne s’est épargné en rien de ce qui pouvait leur être utile. On le voit, ne tenant aucun compte, ni de sa propre pauvreté, ni de ses propres privations, ni même des souffrances et des persécutions auxquelles il a été en butte ; ne se tenant point pour acquitté envers eux, quand il leur a annoncé cette bonne nouvelle de la grâce de Dieu, pour laquelle il est envoyé ; mais encore, s’employant à leur service, les prévenant en toutes choses, à l’exemple de son Maître, dont chaque pas était marqué par un bienfait.

Voyez enfin sa sensibilité. Quel cœur aimant respire d’un bout à l’autre de ce discours ! Quel attachement profond suppose en lui pour chacun de ces frères, chacune des paroles qu’il leur adresse !… jusqu’à cette scène, où sur le point de les quitter, après avoir prié avec eux, il ne peut résister à leur émotion, et les voyant pleurer, il pleure avec eux comme un père qui va se séparer de ses enfants. Et cette scène, vous la verrez se renouveler dans chacune des Eglises qu’il lui restera encore à traverser jusqu’à Jérusalem, témoignant de la profonde affection qu’il avait su imprimer à tous les cœurs. Et cette tendresse, vous la lui verrez exprimer dans chacune de ses épîtres, à chacun de ce qu’il a enfantés à la vie éternelle. Nous avons été doux au milieu de vous, comme une nourrice qui prend soin de ses propres enfants… Nous souhaitions de vous donner non seulement l’Évangile de Dieu, mais aussi nos propres âmes, parce que vous étiez fort aimés de nous… Séparés de vous pour un peu de temps, de vue et non de cœur, nous avons d’autant plus tâché de vous aller voir, que nous en avions un fort grand désir… Aussi n’y pouvant plus tenir, nous avons trouvé bon de demeurer seuls à Athènes, et nous vous avons envoyé Timothée, notre frère.

Encore une fois, quel cœur, n’est-ce pas, mes frères, que celui de saint Paul ! Qui ne se sent attiré par ce caractère si généreux et si dévoué ? gagné à la confiance par cette âme si candide et si désintéressée ? Qui ne lui rend ici le plus éclatant témoignage ? Qui ne voudrait avoir un ami tel que saint Paul ? Qu’on cesse donc de dire, ou ce qui revient au même, de penser que le christianisme tend à rétrécir ou à rapetisser les caractères ! Qu’on cesse donc de représenter et de se représenter les chrétiens comme des hommes timides, étroits, absorbés par des minuties, étrangers à cette noblesse de sentiments, à cette grandeur d’âme, à cette générosité, qui se retrouvent dans l’homme naturel, quelquefois même jusque chez de grands pécheurs, comme une trace frappante de la glorieuse origine de notre race ! Rien n’est plus faux qu’une telle prévention. Et s’il y a parmi nous des chrétiens qui y donnent lieu, ce sont des chrétiens manqués, comme des fruits qui ont séché sur place avant d’atteindre leur maturité au grand air et au grand soleil. Tout ce qui est grand dans la nature humaine, tout ce qui est beau, tout ce qui est noble, le christianisme le reconnaît, s’en empare, l’élève, l’ennoblit, l’embellit encore, en le purifiant et en le sanctifiant. Toutes les choses qui sont véritables, toutes les choses qui sont honnêtes, toutes les choses qui sont pures, toutes les choses qui sont aimables, toutes les choses qui sont de bonne réputation, et où il y a quelque vertu et qui sont dignes de louanges, que toutes ces choses occupent vos pensées ! écrit saint Paul. Vous les avez apprises, reçues et entendues de moi, et vous les avez vues en moi. Faites les aussi, et le Dieu de paix sera avec vous.

Est-il besoin de le dire, en effet ? dans l’homme, vous avez déjà reconnu le chrétien. Et qui que vous soyez, si vous voulez devenir ses imitateurs par les traits que nous avons développés jusqu’ici, il faut que vous vous décidiez à commencer de lui ressembler par un trait plus relevé qui les domine et qui les explique : sa foi. Il croit ce qu’il a prêché à Éphèse, et il ne l’a prêché que parce qu’il le croit. Il n’a engagé juifs et grecs à se convertir à Dieu et à croire en Jésus-Christ notre Seigneur, que parce que lui-même, le premier, il est converti à Dieu, et a cru en Jésus-Christ notre Seigneur de toute la plénitude et de toute la force de son âme.

C’est sa foi qui donne à saint Paul ce caractère de détachement qui paraît d’une manière si prononcée dans tout son discours : Je ne fais cas de rien et ma vie ne m’est point précieuse, pourvu que j’achève avec joie ma course et le ministère que j’ai reçu du Seigneur Jésus, pour rendre témoignage à l’Évangile de la grâce de Dieu. Voilà le propre de la foi : elle nous ouvre une perspective toute nouvelle, et nous transporte pour ainsi dire d’avance et en esprit de la terre au ciel. Celui qui croit commence par devenir étranger ici-bas. Il connaît un autre monde dans lequel son âme vit. C’est de là, et non plus de la terre, que lui viennent les mobiles de ses actions. C’est là, et non plus sur la terre, que s’arrêtent ses regards et se portent ses espérances. Il parle comme un envoyé. La mort lui apparaît comme un événement naturel, qui loin de faire succéder une économie d’incertitude à une économie de réalité, fera succéder au contraire l’économie de la vue et des réalités, à celle de la foi et des espérances. Comparez à ce point de vue le discours d’adieux de saint Paul aux pasteurs d’Éphèse avec le discours d’adieux du Seigneur à ses disciples : c’est le même caractère avec la différence inévitable entre le Maître descendu du ciel et parlant du ciel comme de son domicile éternel, et le disciple sachant seulement qu’au terme de sa course l’attend le prix de la vocation céleste en Jésus-Christ. Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père, si cela n’était pas je vous l’aurais dit. Je m’en vais vous préparer une place, et quand je m’en serai allé et que je vous aurai préparé une place, je reviendrai et vous prendrai à moi, afin que où je serai, vous y soyez aussi.

Au reste, les Éphésiens avaient pu dès l’entrée et depuis longtemps remarquer ce trait dans les sentiments de l’apôtre, ainsi qu’il le leur rappelle lui-même en leur rappelant sa conduite au milieu d’eux et particulièrement la manière dont il a enduré les persécutions auxquelles il y a été en butte. Quel étonnement déjà, et quel sujet de réflexions pour eux, à voir un homme quitter sa patrie, renoncer aux douceurs d’une vie paisible, pour parcourir le monde, au mépris de tous les périls, dans l’espérance de gagner quelques âmes à ses convictions ! Évidemment, celui qui agissait ainsi prouvait bien par sa conduite qu’il agissait en vertu d’un mobile bien différent des intérêts vulgaires de ce monde. Ils l’avaient vu aux prises avec les plus cruelles épreuves dans leur ville. Quoique le récit des Actes ne se soit pas étendu sur ces événements, nous savons par les épîtres de Paul que dans une occasion, il y fut sous le coup d’une condamnation à mort et qu’il se vit même une fois exposé aux bêtes féroces dans l’amphithéâtre, sans que nous puissions savoir de quelle manière inespérée il fut délivré de leur atteinte. Dans toutes ces occasions, les Éphésiens, avaient pu reconnaître l’homme qui ne fait cas de rien et à qui sa vie n’est point précieuse, pourvu qu’il achève avec joie le ministère qu’il a reçu du Seigneur.

Et que dire de la manière dont plus tard, dans ses épîtres, il témoigna jusqu’en présence de la mort de sa paix et de ses espérances ? Il faudrait citer des pages entières, il faudrait citer tout ce qu’il a écrit en vérité, pour montrer jusqu’à quel point il était l’homme qui marche par la foi, non par la vue, qui se conduit comme étant bourgeois du ciel, comme étant déjà ressuscité avec Christ, et ayant sa vie cachée avec Christ en Dieu.

Voilà, mes frères, ce qui s’appelle faire briller sa lumière devant les hommes et rendre témoignage à l’Évangile. Paul n’était pas chrétien en paroles seulement, mais ce qui lui permettait de l’être en paroles, c’est qu’il l’était d’abord de fait et de pratique, c’est que ces mots solennels de Dieu, d’éternité, de condamnation, de rédemption, de salut, de ciel, n’étaient pas pour lui des mots, mais des réalités, et les réalités les plus réelles, les plus sérieuses ; c’est que, à côté de cela, il n’estimait pas avoir à faire cas de rien pour lui-même, il regardait toutes choses comme de la boue au prix de la connaissance de notre Seigneur Jésus-Christ. Pour les autres, sa vie même ne lui était point précieuse, pourvu qu’il pût poursuivre la course de son ministère et amener les âmes captives au pied de la croix.

Quant à nous, mes frères, convenez qu’il existe toujours plus ou moins un élément de convention dans notre christianisme. Les grandes réalités de la foi sont toujours plus ou moins des idées que nous adoptons, que nous respectons, une doctrine que nous professons, plutôt qu’elles ne sont des faits exerçant sur nous l’empire absolu de la réalité. Nous sommes chrétiens, passez-moi l’expression, toujours plus ou moins sous bénéfice d’inventaire. A nous entendre, nous déclarons recevoir la vérité, toute la vérité, telle qu’elle est dans la Bible ; nous ne voulons pas qu’on y touche. Mais voulons-nous aussi bien qu’elle nous touche ? Ah ! si elle nous avait touchés une bonne fois, si elle nous avait touchés comme elle avait touché saint Paul, si nous nous en étions comme lui saisis, si elle était véritablement devenue pour nous la vérité, comme elle était pour lui la vérité, comme lui aussi nous en vivrions.

Si Jésus était notre tout pour nous comme pour lui, notre renoncement serait complet comme le sien ; nous ne nous appartiendrions plus à nous-mêmes, nous ne vivrions plus pour nous-mêmes. Mais n’est-il pas vrai que les biens spirituels ne se sont pas tellement emparés de notre âme, qu’elle ne soit restée encore pour une bonne part attachée aux choses de la terre et que tout en nous donnant à Jésus, nous ne soyons bien aises de nous ménager à tout événement des consolations et des compensations ici-bas ?

Si les choses invisibles avaient à nos yeux la réalité qu’elles avaient à ceux de saint Paul, si nous aussi nous savions dire avec le même accent que lui qu’il n’y a nulle comparaison entre la souffrance du temps présent et la gloire à venir qui doit être manifestée en nous, notre paix serait complète comme la sienne, aussi, au milieu des tribulations de cette vie et en face de la mort qui nous attend. Mais au lieu de cela, ne nous reste-t-il pas toujours comme une arrière-pensée qu’en perdant les biens de la terre, en nous rattachant à ceux du ciel, nous lâchons le solide pour le factice, le sûr pour l’incertain ?

Si nous marchions par la foi et non par la vue, enfin, comme saint Paul, si notre âme vivait habituellement dans les régions élevées où se mouvait la sienne, loin des mesquines préoccupations qu’engendrent les intérêts de la terre, notre caractère se développerait comme le sien en désintéressement, en franchise, en sérénité. Notre âme est un miroir ; si elle était véritablement tournée vers le ciel, elle refléterait la paix et la sérénité du ciel. Ce qu’elle reflète encore de trouble, d’agitation, de péché enfin, vient de ce qu’elle regarde encore trop à ce monde de trouble et de mal.

Mais c’est là une affaire de travail, d’effort, de progrès. Saint Paul nous en donne l’exemple. Écoutez comment il s’exprime : Mes frères, pour moi, je ne me persuade point d’avoir atteint le but, mais je fais une chose, c’est que, oubliant les choses qui sont derrière moi, et m’avançant vers celles qui sont devant moi, je cours vers le but ; savoir au prix de la céleste vocation qui est de Dieu en Jésus-Christ. Puis il ajoute : Soyez tous ensemble mes imitateurs, mes frères, et considérez ceux qui marchent suivant le modèle que vous avez en nous.

Mais c’est enfin et surtout l’apôtre, qui se montre à nous dans ce discours, l’homme qui ayant saisi la vérité, l’ayant goûtée, en vivant pour lui-même, a reçu le mandat de la répandre et fait sans relâche briller sa lumière autour de lui dans le monde.

Vous aurez été frappé d’une chose, à l’ouïe des paroles de saint Paul, c’est que si par sa foi, nul ne nous paraît pouvoir s’élever plus haut au-dessus de la terre et de ses vicissitudes, d’autre part, à considérer son zèle, nul ne saurait se montrer à nous pénétré d’un plus ardent intérêt, ni animé d’un plus absolu, d’un plus constant dévouement pour ses frères. Ne vous en étonnez pas, c’est là une de ces contradictions apparentes, un de ces paradoxes de l’Evangile qui s’expliquent dès qu’on y réfléchit un instant. Combien n’est-il pas naturel, en effet, que dans la mesure même où un homme a goûté le don céleste, il se sente pressé de le faire aussi goûter aux autres ! Tout chrétien à proportion qu’il est chrétien, devrait se sentir responsable de l’âme de ceux qui ne le sont pas. C’est ce qui a fait les premiers apôtres, c’est ce qui fait encore aujourd’hui les missionnaires, les pasteurs fidèles, et c’est par là aussi que saint Paul nous apparaît bien comme un modèle accompli pour tous ceux qui se consacrent à l’œuvre du Seigneur. J’ai cru, dit-il quelque part, c’est pourquoi j’ai parlé. J’ai cru : malheur à moi, si je n’évangélise !

Quel sentiment de sa responsabilité ! — Je vous prends aujourd’hui à témoins, que je suis net du sang de vous tous. Il s’est souvenu de cette terrible déclaration du Seigneur, et s’en est fait à lui-même l’application : Voici donc, fils de l’homme, je t’ai établi pour sentinelle à la maison d’Israël ; tu écouteras donc la parole de ma bouche, et tu les avertiras de ma part. Quand donc j’aurai dit au méchant : Tu mourras ! et que tu ne l’auras pas averti, ce méchant mourra sans doute en son iniquité, mais je redemanderai son sang de ta main. Que si cependant tu l’as averti, et qu’il ne se soit point converti, il mourra dans son. iniquité, mais pour toi, tu auras délivré ton âme. La responsabilité que ces paroles font peser sur la tête de tout ministre chargé de paître l’Église de Dieu, et à laquelle nul ne saurait penser sans crainte et tremblement, Paul s’en sent déchargé parce qu’il ne s’est point épargné pour annoncer tout le conseil de Dieu.

Il a annoncé tout le conseil de Dieu. Je ne vous ai rien caché, leur dit-il, de tout ce qui vous était utile. Je ne me suis point abstenu de vous en instruire. Sa sagesse, sa prudence, était de délivrer tout entier le message dont il était chargé, malgré les clameurs et les persécutions dont il se voyait assailli. Si dans les choses qui ne portaient aucune atteinte à la doctrine, il se faisait tout à tous, peu lui importait d’ailleurs que la vérité qu’il annonçait fût appelée folie ou scandale pourvu qu’elle demeurât la sagesse et la puissance de Dieu à salut pour ceux qui croiraient. A Dieu ne plaise qu’il eût honte de l’Évangile de Christ ! A Dieu ne plaise qu’il se permît de substituer sous aucun prétexte à sa sainte et divine simplicité les inventions de sa propre sagesse ! A Dieu ne plaise qu’il voulût savoir autre chose que ce que Dieu lui-même lui avait révélé : Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié ! A Dieu ne plaise qu’il altérât en aucune manière le conseil de Dieu pour le rendre plus supportable aux hommes, ou qu’il en retint jamais aucune des vérités captives par une fausse et présomptueuse prudence ! A Dieu ne plaise qu’il allât jamais consulter l’opinion des hommes pour savoir ce qu’il pouvait leur dire ou devait leur taire dans l’intérêt de sa considération ou de son repos ! Nous ne frelatons point la parole de Dieu, comme font plusieurs, écrivait-il aux Corinthiens, mais nous la prêchons avec sincérité devant Dieu et devant Christ !

Il l’annonçait à tous, sans négliger personne. Il conjurait, nous dit-il, les juifs comme les païens et les païens comme les juifs. Ni les préjugés de son éducation, ni la haine que sa charité provoquait chez ses compatriotes n’avaient pu l’empêcher de se regarder comme redevable aux Grecs et aux barbares, aux savants et aux ignorants, et de répandre l’Évangile parmi les gentils depuis Jérusalem jusqu’en Illyrie. Et d’un autre côté, ni la haine opiniâtre des juifs, ni leurs embûches, ni leurs incessantes persécutions, n’avaient pu l’empêcher, dès qu’il arrivait dans une ville, d’aller d’abord dans la synagogue conjurer avec larmes les malheureux et coupables enfants d’Israël de se convertir à Dieu, et de croire en Jésus-Christ, notre Seigneur.

Il l’annonçait avec une infatigable persévérance : Durant trois ans, nuit et jour, enseignant publiquement et dans les maisons ; ne se laissant rebuter par aucun obstacle, bravant tous les dangers, toutes les menaces, ne se contentant pas d’exposer une, fois la vérité, mais la répétant sans relâche en temps et hors de temps ; ne se contentant pas de l’exposer devant la foule dans les synagogues et dans l’école d’un nommé Tyrannus, mais allant de maison en maison pour presser un chacun de se convertir. Je t’adjure devant Dieu le Père, écrivait-il à Timothée, et devant le Seigneur Jésus-Christ, qui doit juger les vivants et les morts, prêche, reprends, exhorte, insiste en temps et hors de temps, avec toute douceur d’esprit et avec doctrine.

Il l’annonçait avec une ardente charité, — avec beaucoup de larmes. Ah ! comprenons-nous bien ce trait ? Ne passe-t-il pas tout ce que nous avons vu jusqu’ici et toutes les idées que nous nous formons d’ordinaire du caractère de saint Paul ? On se représente aisément son ardeur et son zèle, on y retrouve l’impétuosité de Saul de Tarse avant sa conversion. Mais vous représentez-vous ses larmes ? Vous représentez-vous le grand apôtre du monde païen, celui qui tint tête si souvent à l’émeute sur la place publique, celui qui fit plus d’une fois trembler des proconsuls par la hardiesse et la fidélité de son langage, le conquérant spirituel de tant de milliers d’âmes, le second fondateur du royaume de Dieu sur la terre, le héros dont le nom est resté si grand même à côté de celui du Maître auquel il rendait toute gloire ;… vous représentez-vous saint Paul dans le cours de ses travaux quotidiens, devant un pécheur de la ville d’Éphèse, le suppliant d’avoir pitié de son âme, de fuir la colère à venir, de se convertir, et pour dernier argument, quand il était à bout de paroles et de supplications, s’arrêtant, se troublant,… finissant par fondre en larmes ? Le voyez-vous plus tard, écrivant ses épîtres, la seule manière de prêcher qui lui restât, et s’émouvant jusqu’aux larmes à la pensée de ceux qui résistaient encore à la voix de Christ ? Je vous l’ai dit déjà, et je vous le dis maintenant encore, en pleurant : il y en a plusieurs parmi vous qui sont ennemis de la croix de Christ, et qui ne s’attachent qu’aux choses de la terre. De là enfin cette sollicitude, qui porte ses regards en avant dans l’avenir, et lui inspire les touchantes recommandations par lesquelles il termine son discours. Pressentant des dangers pour leur Église, il en avertit les pasteurs d’Éphèse, il les engage à faire bonne garde et les recommande enfin eux-mêmes à la grâce du Seigneur. Prenez garde à vous-mêmes, et à tout le troupeau sur lequel le Saint-Esprit vous a établis évêques pour paître l’Eglise de Dieu, laquelle il a acquise par son propre sang. Car je sais qu’après mon départ, il entrera parmi vous des loups très dangereux qui n’épargneront point le troupeau, et qu’il se lèvera d’entre vous-mêmes des hommes qui annonceront des doctrines relâchées, dans la vue d’attirer des disciples après eux. (Quelle prévoyance et quelle prophétie !) C’est pourquoi, ajoute-t-il, veillez, vous souvenant que durant l’espace de trois ans, je n’ai cessé nuit et jour d’avertir un chacun de vous avec larmes. Et maintenant, mes frères, je vous recommande à Dieu et à la parole de sa grâce, lequel est puissant pour achever de vous édifier et pour vous donner l’héritage avec tous les saints ! — Un père, en mourant, recommanderait-il sa famille avec une plus tendre sollicitude ? Que de leçons pour nous tous dans ces paroles ! Quel exemple pour nous autres pasteurs ! Quels avertissements pour une Église ! Quels sujets de réflexions et quelles applications pour chacun !

En se reportant à ce qui précède, en songeant quel ami allait perdre l’Église entière d’Éphèse, quel chef ses conducteurs ; en songeant aux tristes pressentiments que Paul avait exprimés sur l’avenir, comme on comprend bien cette scène d’attendrissement qui eut lieu ensuite ! Paul venait de faire ses adieux, c’est comme si l’on eût assisté à son dernier moment.

Après avoir parlé, il se mit à genoux, tous l’imitèrent. Il les recommanda alors à la grâce du Seigneur dans une prière qui ne nous a pas été conservée, mais où retrouvèrent sans doute leur place toutes les choses sérieuses et solennelles qu’il venait d’exprimer.

En se relevant tous étaient dans les larmes, ils se jetèrent dans les bras les uns des autres, ils embrassèrent Paul leur apôtre bien-aimé. Ils étaient tristes surtout à cause de cette parole qu’il leur avait dite qu’ils ne le verraient plus. Et, en effet, sa voix s’était fait entendre pour la dernière fois au milieu d’eux ; ils avaient vu pour la dernière fois son visage. — Ils le conduisirent alors jusqu’au navire. Paul continua son voyage, eux retournèrent à Éphèse.

Quelques années plus tard Paul expirait à Rome, eux en Asie. Et maintenant ils sont ensemble réunis dans la même gloire auprès du même Maître, parce qu’une même foi les a conduits au même but. — En serait-il ainsi de nous, mes frères, si nous ne devions plus nous revoir ? C’est sur cette question que je veux vous laisser ; et sous cette impression que je vous fais mes adieux : — A Dimanche prochain, s’il plaît à Dieu ! Qui sait ?… Mais en tout cas : — Au rendez-vous que saint Paul donnait à ses auditeurs de Milet, n’est-ce pas ?

Ainsi soit-il !

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