Etudes bibliques (A.T. et N.T.)

Les Anges

Le sujet qui va nous occuper a ses charmes, mais aussi ses périls. Le voile du mystère dont il est couvert fait son attrait. Le péril auquel on s’expose en le traitant, c’est de se confier, sur ce terrain qui fait partie du domaine sacré, à un guide non suffisamment qualifié, l’imagination.

Pour éviter autant que possible cet écueil, nous demanderons à la nature les inductions, à l’histoire les analogies qu’elles peuvent nous fournir ; puis, mettant ces données en rapport avec celles que contient le livre des révélations, nous chercherons à éclairer ces éléments divers par leur rapprochement mutuel. Puissé-je réussir à tirer ce sujet intéressant de l’obscurité où il reste plongé pour un si grand nombre d’esprits ! C’est un rôle secondaire, sans doute, mais important encore, que celui que jouent, dans le grand drame de l’œuvre de Dieu sur la terre, ces êtres qui vont nous occuper.

Quatre points fixeront notre attention :

  1. L’existence et la nature des anges ;
  2. Le mode de leur développement ;
  3. Les relations qu’ils ont entre eux ;
  4. Celles qu’ils soutiennent avec nous.

I

L’existence des anges ne saurait être mise en doute par celui qui adhère au contenu des enseignements bibliques. Pour celui qui rejette ces révélations ou qui hésite à s’en approprier le contenu sur tous les points, n’existerait-il aucune raison propre à lui faire admettre la réalité d’un ordre d’êtres à certains égards supérieurs à l’homme ?

Nous connaissons sur la terre trois ordres d’êtres vivants : la plante, l’animal, l’homme. Si nous venions à reconnaître que ces trois classes de créatures sont les premiers échelons d’un système des êtres, dans lequel un quatrième et dernier degré, tout en manquant de fait ici-bas, n’en est pas moins impérieusement réclamé de droit par la pensée, ne résulterait-il pas de là avec une certaine vraisemblance que cet ordre supérieur, indispensable à l’harmonie de l’ensemble, existe réellement quelque part, dans un domaine de la création inaccessible à nos organes actuels ? — C’est précisément là le fait que nous allons constater.

Observons le rapport de l’individu à l’espèce dans les trois ordres d’êtres vivants que nous présente la nature, et nous verrons si ce rapport ne nous conduit pas à supposer l’ordre supérieur dont nous parlons.

Dans le monde végétal, ce qui existe proprement, c’est l’espèce, l’espèce seule ; l’individu n’en est que la représentation ; rien au delà, rien au-dessus. Placez une rose dans le milieu propre à son développement, elle n’y sera pas autre chose que ce qu’aurait été toute autre rose placée dans les mêmes conditions. La langue applique aux individus, dans le monde des plantes, le terme d’exemplaires. C’est qu’ils sont à l’espèce, ce que les exemplaires d’une photographie sont au cliché qu’ils reproduisent identiquement. Il n’y a réellement qu’une rose, le genre rose, qui vit et renaît sans cesse dans les apparitions passagères dans lesquelles nous le contemplons. La plante est semblable à une hoirie indivise, où chaque ayant-part vit uniquement sur la masse et pour la masse. Dans le monde des plantes, l’individu n’existe pas comme tel ; l’espèce seule est.

Chez l’animal, l’espèce est encore l’essentiel ; mais l’individu est déjà quelque chose à côté et au-dessus d’elle. L’individualité commence à poindre. Cependant l’animal est dominé par l’instinct. Or, qu’est-ce que l’instinct, sinon le pouvoir de l’espèce dans l’individu ? Soumis à cette loi irréfléchie et irrésistible, l’individu est incapable de tirer une détermination de son propre fonds, de prendre une résolution qui soit véritablement la sienne. De là l’absence de responsabilité ; de là aussi le manque de progrès. Le lion d’aujourd’hui fait exactement ce qu’ont fait ses ancêtres, ce que feront ses descendants les plus reculés. A moins que l’homme ne lui tende la main par la dressure, l’animal tourne et retourne sans cesse dans le cercle que lui trace l’instinct. L’individu vit, mais comme un captif de l’espèce. Son geôlier lui permet bien de faire quelques pas à sa fantaisie dans le préau de la prison, jamais d’en franchir la muraille.

Le passage de l’animal à l’homme est marqué par un renversement complet du rapport de l’individu à l’espèce. Celle-ci existe encore chez l’homme, sans doute. Nous parlons, non sans raison, d’une espèce humaine. Chaque homme doit l’existence à des parents ; et c’est là le trait qui constitue l’espèce. Chez l’homme, aussi bien que chez l’animal, l’espèce est le fond primordial, obscur, mystérieux, duquel se détache chaque existence individuelle. Mais, — et voici en quoi consiste le renversement du rapport, — la loi de l’instinct, tout en exerçant sur l’homme sa puissance, ne le domine point fatalement. L’instinct est son premier maître, mais nullement son éternel tyran. L’homme peut lutter contre les appétits naturels ; il peut même, à l’aide de la science et de la réflexion, surmonter la sollicitation des désirs et les immoler sur l’autel de l’obligation morale. Le captif peut forcer la porte du préau et sortir de sa prison. Et, puisqu’il le peut, il le doit. L’individu ne devient vraiment homme que dans la mesure où il use de cette glorieuse prérogative. S’il néglige d’en faire usage, il reste au niveau de l’animal et finit même par le dépasser en brutalité. Il tombe, pour son châtiment, au-dessous de ces instincts naturels qu’il aurait dû dompter. De cette faculté de s’affranchir résulte chez l’homme celle de progresser. L’instinct, berceau et sauvegarde temporaire de l’individu, n’est que le point de départ de son développement. Dès qu’il a rompu cette barrière par un acte de volonté réfléchie, l’homme voit s’ouvrir devant lui la carrière de tous les perfectionnements individuels et sociaux. L’espèce existe donc encore dans l’humanité ; mais l’individu n’est pas absolument subjugué par son étreinte. La noble mission de l’homme est d’arriver à être lui, en subordonnant librement les instincts aveugles de sa nature à l’obligation morale. L’homme n’est ni un exemplaire, ni uniquement un individu ; c’est une personne.

Du rapprochement de ces trois formes d’existence qu’offre à nos yeux la nature terrestre, ressort une loi qui paraît être celle de la création : c’est, à mesure qu’on s’élève, la prépondérance croissante de l’individu relativement à l’espèce. Au premier degré, l’individu n’est pas ; au second, il est, mais à l’état d’esclave ; au troisième, il apparaît libre et maître de ce qui constitue en lui la vie de l’espèce. N’existerait-il point un quatrième état, un ordre d’êtres supérieur même au troisième et complétant tout le système ?

Dans toute série mathématique, on peut, connaissant trois termes, calculer avec certitude le quatrième. Les deux termes moyens connus permettent de conclure du premier extrême connu au second encore inconnu. L’animal et l’homme ne seraient-ils pas dans le système de la vie ces deux termes moyens par lesquels la pensée peut s’élever de l’idée de la plante, le premier extrême, à celle du second, encore inconnu, l’ange ?

Nous avons constaté ici-bas trois formes d’existence : l’espèce sans l’individu, l’individu assujetti à l’espèce, l’espèce domptée par l’individu ; il reste une quatrième forme possible, antipode de la première : l’individu sans l’espèce. Cette formule un peu étrange indique, si l’on y pense bien, un mode d’existence extrêmement simple et beaucoup moins compliqué que le nôtre ; un ordre d’êtres chez lequel, l’espèce n’existant pas, chaque individu doit son existence, non à des parents semblables à lui, mais immédiatement à la volonté créatrice. Ne serait-ce point là l’ange, dont l’existence compléterait ainsi le système de la création ?

Le mode d’existence que nous venons de décrire est précisément celui que l’Écriture sainte attribue aux êtres mystérieux qu’elle désigne de ce nom. Tandis qu’en parlant de nous elle emploie fréquemment l’expression de fils d’homme, elle appelle les anges fils de Dieu, jamais fils d’ange. Pourquoi, sinon parce qu’ils sont arrivés à l’existence par voie de création directe, non de procréation ? Dans la déclaration la plus explicite que nous présentent les Écritures sur la nature des anges, Jésus établit un rapprochement remarquable entre les anges et les fidèles glorifiés. « Les enfants de ce siècle, dit-il, épousent des femmes, et les femmes des maris ; mais ceux qui seront jugés dignes d’avoir part au siècle à venir et à la résurrection d’entre les morts ne se marieront point et ne seront point donnés en mariage ; car aussi ils ne pourront plus mourir, vu qu’ils seront semblables aux anges et qu’ils seront fils de Dieu, étant fils de la résurrection. » (Luc 20.34-36)

Cette déclaration renferme quatre données remarquables sur la nature des anges : 1° Ces êtres ont un corps, puisque le corps des ressuscités doit être semblable au leur. 2° Ce corps ne doit point l’existence à un procédé de filiation, mais à une création immédiate, puisque son origine est semblable à celle du corps dont les fidèles seront revêtus par le fait de leur résurrection. Aussi dans l’existence à venir les fidèles glorifiés seront-ils, comme les anges, dignes de porter le nom de fils de Dieu ; « ils (les fidèles) seront fils de Dieu, en tant que fils de la résurrection. » 3° Les relations conjugales n’existeront pas plus chez les hommes glorifiés qu’elles n’existent chez les anges. 4° Cet affranchissement des relations conjugales correspondra dans ces deux ordres d’êtres à l’exemption de la mort. — Ce contenu si net de la déclaration du Seigneur concorde aussi exactement que possible avec le résultat auquel nous a conduits l’observation des êtres vivants que nous présente la nature.

Pour peu donc que nos inductions soient fondées et que Jésus ait parlé en homme qui connaît le sujet sur lequel il se prononce, nous pouvons considérer la question de la réalité et de la nature des anges comme résolue et les envisager comme des êtres qui doivent chacun son existence à Dieu seul ; qui ont un corps d’une nature supérieure à notre corps actuel ; chez lesquels, enfin, n’existent ni la distinction des sexes, ni la déperdition de la vie qui aboutit à la mort. Nous pouvons maintenant faire un second pas dans notre étude et rechercher quel doit être le mode de développement de ces êtres.

II

Une échelle s’est dressée devant nous : au degré inférieur, l’espèce sans individu ; au-dessus, l’individu enfermé dans l’espèce ; plus haut, l’individu se dégageant de l’espèce ; au sommet, enfin, l’individu sans l’espèce, l’ange. Au-dessous de cette échelle de la création vivante, et comme le sol sur lequel elle repose, la matière inanimée, privée de vie individuelle aussi bien que collective ; au-dessus de l’échelle, enfin, à une hauteur incommensurable, l’Être à la main duquel elle est suspendue, et en qui espèce et individu ne sont qu’un, Dieu. L’ange a donc sa place marquée et distinctement formulée dans le système des êtres. Pouvons-nous connaître quelque chose de son histoire ? Et d’abord sur le rapport du corps ?

L’imagination des peintres a revêtu d’une forme gracieuse l’existence corporelle de l’ange. Ne la matérialisons pas, sans doute, en prêtant réellement des pieds et des ailes à ces êtres ; mais ne la nions pas non plus dédaigneusement ; ils ont réellement un organisme, quoique différent du nôtre ; nous venons de nous en convaincre.

S’ils ont un corps, ils doivent aussi avoir un séjour. Quel est-il ? Les anges formeraient-ils la population des cieux étoilés ? On s’expliquerait ainsi le double sens que paraît avoir dans nos Écritures cette expression fréquemment employée, « le Dieu des armées, » terme qui signifie à la fois le Dieu des astres et le Dieu des anges. On comprend aussi à ce point de vue la demande de l’oraison dominicale : « Ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. » Cependant il y a peut-être des sphères supérieures qui se distinguent de celle que nous habitons, moins par la distance locale que par une nature et une qualité différentes. Quand Jésus dit de ceux qu’il appelle « les petits », que leurs anges voient continuellement la face de Dieu, c’est-à-dire sont les êtres les plus rapprochés de son trône, ce n’est pas à mi-chemin des nébuleuses, dans ces soleils qui brillent au-dessus de nos têtes, qu’il faut placer ces anges-là. Ils sont à la fois et plus haut et plus bas ; plus haut, puisqu’ils entourent de si près le trône ; plus bas, puisqu’ils sont comme attachés à ces êtres faibles, qui, sur cette terre, ont le plus besoin de protection. Le ciel qu’ils habitent n’est donc pas topographiquement distant de notre sphère. Il la pénètre d’une manière analogue à celle dont la toute-présence divine pénètre toutes choses, à celle dont peut-être l’impalpable éther pénètre toute la nature tangible.

Quant au développement moral des anges, nous savons d’abord que ces êtres sont des créatures libres. Cela ressort de la place suprême qu’ils occupent dans l’échelle des êtres vivants. Dégagé des liens de l’espèce, par conséquent de la puissance de l’instinct aveugle, l’ange doit même être plus libre que l’homme qui traîne après lui la lourde chaîne de l’existence collective et de l’involontaire solidarité de l’espèce. Or, la loi de la créature libre, c’est l’épreuve. A peine l’homme était-il placé sur le théâtre de son activité future, qu’il fut soumis à cette loi. Une mise en demeure d’obéir ou de résister, voilà la première dispensation de Dieu à l’égard de la créature libre, après qu’il s’est fait connaître à elle comme celui qui lui a accordé l’existence et tous les bienfaits qui l’accompagnent. Et qu’est la vie humaine autre chose qu’une série d’épreuves de chacune desquelles nous sortons ou plus librement dépendants, ou plus obstinément rebelles ? Nous donner ou nous garder, confirmer avec amour notre dépendance ou la renier orgueilleusement, voilà le progrès en bien ou en mal auquel nous oblige impérieusement la périlleuse prérogative de la liberté. Si l’ange est libre comme nous, plus complètement que nous, il n’a donc pu échapper à la condition de l’épreuve.

Nous savons ce qu’a été l’épreuve de l’homme ; elle était appropriée à son point de départ, à son état enfantin, à son instinct de jouissance. Essaierons-nous de soulever le voile qui couvre l’épreuve, toute différente sans doute, à laquelle les anges ont été soumis ? Non ; rappelons-nous seulement que pour l’homme lui-même, il existe des tentations plus perfides et plus subtiles que celles de la chair, des séductions d’un ordre purement spirituel, celles du contentement de soi-même, par exemple, de l’esprit de domination, de l’amour de la louange, de l’abus des facultés intellectuelles, de la substitution du moi à Dieu dans le culte intérieur de l’âme. Or des tentations de ce genre sont d’autant plus concevables chez un être, qu’il est d’une nature plus spirituelle et doué de plus de liberté et d’indépendance personnelle.

L’épreuve des anges a eu lieu ; l’Écriture, qui ne nous en dévoile pas la nature, nous en fait connaître le résultat. Ce résultat diffère sur un point essentiel de celui de la nôtre ; chez nous la race est tombée tout entière, précisément parce que nous sommes une race et que dans un pareil mode d’existence le sort de tous les individus est solidairement lié, du moins quant à l’ordre naturel. L’humanité ressemble à un arbre unique chargé de branches nombreuses. Coupez-en le tronc ; par ce seul et unique coup, chacune des branches se trouve séparée de la racine, aussi bien que si le coup l’eût frappée elle-même. Il doit en être tout autrement là où il n’y a pas race, filiation, espèce. Le peuple des anges au lieu de ressembler à un arbre portant une multitude de branches, est comparable à une forêt, composée d’une foule d’arbres indépendants les uns des autres. Chez les anges, l’épreuve a donc pu avoir des résultats différents, opposés. Et, selon l’Écriture, cette possibilité est une réalité. Elle nous dit de certains anges qu’ils n’ont « pas gardé leur origine, » « qu’ils ont abandonné leur propre demeure, » « qu’ils ne demeurent pas dans la vérité, » tandis qu’elle donne à d’autres anges le titre de « saints anges » et « d’anges élusa. » Les premiers ont donc renié le principe de leur existence, la volonté de leur Créateur ; c’est-à-dire qu’ils ont fait de leur volonté propre le principe de leur activité. Ils sont ainsi tombés de la sphère de la réalité, qui n’est qu’en Dieu, dans celle du mensonge ; leur existence est devenue factice ; ils oscillent incessamment entre l’illusion et l’imposture, alternativement trompés ou trompant. Car il leur manque tout point d’appui en dehors d’eux-mêmes, auquel ils puissent se cramponner. Ils ne possèdent pas Dieu, qu’embrassent les anges fidèles ; ils ne jouissent pas non plus de notre monde, avec lequel la nature de leurs organes ne leur permet pas de communiquer directementb, et par lequel les hommes pécheurs se dédommagent momentanément de la perte de Dieu. Ils vivent et agissent dans le vide de leur propre subjectivité, vide qu’ils cherchent à peupler de leurs créations mensongères. Ils n’ont, pour se consoler dans ce triste état, que la lutte contre la vérité et le bien, et la séduction des autres êtres libres qu’ils s’efforcent d’entraîner avec eux dans cette activité fiévreuse, toujours impuissante.

aJude 1.6 ; Jean 8.44 ; comp. Matthieu 25.411 Timothée 5.21 ; Matthieu 25.31.

b – Ils cherchent d’autant plus à le faire indirectement par l’intermédiaire des hommes en qui ils parviennent à trouver accès. De là les possessions.

Les saints anges au contraire, en se conformant à la volonté de Dieu, sont devenus participants de sa puissance et de sa sainteté ; ils sont ses joyeux instruments dans la sphère de l’univers à laquelle chacun d’eux est préposé. Aussi toutes les opérations extraordinaires de la puissance divine dans le domaine des choses extérieures leur sont-elles attribuées et le Fils de l’homme parle-t-il de ses miracles comme d’anges qui montent et descendent (Jean 1.51). La récompense de leur soumission volontaire est d’être en réalité ce qu’ils sont par destination, tout ce que renferme leur nom d’anges, c’est-à-dire des messagers du ciel, des agents de Dieu. En Dieu, ils possèdent la garantie de la réalité de leur existence et de leur activité.

III

Quels rapports soutiennent entre eux ces êtres ? Forment-ils une hiérarchie ? Sont-ils liés par une organisation quelconque ?

Nulle part sur la terre nous ne trouvons la complète égalité ; et plus nous montons l’échelle des êtres, plus s’accentue la supériorité des uns, la position subordonnée des autres. Trois formes d’inégalité qui existent à peine chez les êtres inférieurs à l’homme, se dessinent distinctement chez ce dernier : au sein de la famille, la supériorité de nature telle qu’elle appartient aux parents ; dans la sphère de l’état, celle de position ; dans la société en général, celle d’influence.

La première de ces trois formes de supériorité ne peut exister chez les anges ; quant à la seconde, St. Paul nous parle de trônes, de dominations, de principautés, de puissances, autant de termes qui désignent évidemment les degrés d’une hiérarchie (Éphésiens 1.21 ; Colossiens 1.16, etc.). Et quant à la supériorité qui résulte de l’ascendant, nous pourrions l’affirmer chez les anges même indépendamment du témoignage de l’Écriture. Partout dans l’humanité ne rencontrons-nous pas des individus qui subissent l’influence, d’autres qui l’exercent ? La société humaine ressemble à une pyramide sur les plus bas degrés de laquelle est placée la foule qui ne possède ni pensée ni volonté propres. Au-dessus d’elle siègent les talents qui reproduisent et vulgarisent, avec une certaine puissance, le mot d’ordre qui leur a été donné de plus haut. Au sommet, place étroite, réservée à un petit nombre d’élus, se dressent les génies qui ouvrent à la pensée de l’homme des horizons inconnus et créent à son activité des voies nouvelles. Ce sont les vrais potentats de l’humanité, phares lumineux comme Luther, foyers consumants comme Voltaire. S’il en est ainsi chez les hommes, combien plus chez les anges, ces êtres plus élevés que nous en intelligence et en liberté. Il y a d’abord à la base de la pyramide les simples anges ou messagers ; c’est peut-être ceux que l’Écriture appelle puissances ; au-dessus d’eux les principautés, puis les dominations, qui réunissent sous leur sceptre certains groupes d’anges de plus en plus considérables ; au sommet, enfin, les trônes que l’Écriture appelle aussi archanges ou chefs d’anges.

Parmi ces derniers l’Écriture en désigne nommément trois, deux parmi les anges élus, un parmi les déchus.

Elle donne aux deux premiers les noms de Michaël et de Gabriel, noms qui expriment dans la langue humaine le rôle qu’ils remplissent dans l’œuvre de Dieu. Michaël signifie : Qui est comme Dieu&nbsop;? Le voilà, l’être qui occupe le sommet de l’échelle des créatures. Il est pénétré d’un sentiment unique, qui résume son existence, celui de l’incommensurable distance qui le sépare du Créateur. Le plus élevé de tous, il sent plus que tous les autres son néant. Le zèle pour la gloire du Dieu qu’il adore en se voilant, est l’âme de son activité, le principe même de son existence. C’est de ce sentiment que résulte la nature de son rôle, qui est de renverser tout ce qui ose s’égaler à Dieu ou s’opposer à lui, en particulier le paganisme sous ses formes diverses. Dans l’Ancien aussi bien que dans le Nouveau Testament, Michaël apparaît comme le protecteur d’Israël et le champion du monothéisme dont ce peuple est le dépositaire, comme le vainqueur de Satan et le destructeur de ses œuvres (Daniel 9.13 ; 12.1 ; Jude 1.9 ; Apocalypse 12.7). Cet archange prépare ainsi l’œuvre finale du Messie comme juge du monde.

Gabriel, le nom du second archange de lumière, signifie l’homme fort ou le héros de Dieu. C’est ici l’actif exécuteur des desseins de Dieu pour le salut. Tandis que Michaël foudroie ce qui s’oppose à Dieu, Gabriel travaille à la réalisation de son œuvre. C’est lui qui apparaît pour annoncer à Daniel le retour de la captivité et pour fixer l’époque de la venue, encore éloignée, du Messie ; c’est lui qui, dans le Nouveau Testament, annonce à Marie la naissance du Fils de Dieu (Daniel 8.16 ; 9.21 ; Luc 1.19,26). Gabriel est l’évangéliste céleste ; il prélude à l’œuvre du Messie en tant que sauveur du monde.

S’il y a des chefs parmi les anges élus, il est naturel qu’il y en ait aussi chez les rebelles.

Le seul être de ce genre que désigne nommément l’Écriture est celui qu’elle appelle Satan — ce nom, tiré de son rapport à Dieu, signifie l’adversaire — et le diable, mot qui signifie calomniateur ou accusateur, et qui est tiré de son rapport aux hommes. La puissance que l’Écriture sainte attribue à cet être dans son état de chute, témoigne de l’élévation de sa position et de l’excellence de ses facultés avant sa révolte. D’ailleurs, un fait dit tout : il a osé se mesurer, comme en champ clos, avec le Fils de Dieu. Quand il lui dit en lui montrant tous les royaumes de la terre : « Tout cela m’a été donné, » rien ne nous autorise à penser qu’il ne dise pas la vérité. Jésus lui-même a confirmé cette assertion en l’appelant à plusieurs reprises le prince de ce monde. Notre terre faisait-elle donc partie du domaine primitivement assigné à ce monarque ? Etait-elle son fief ? Y a-t-il légitimement exercé son autorité jusqu’au jour où de vassal il a tenté de se faire suzerain ? En est-il dès lors resté le maître de fait, quoique de droit dépossédé ? Quoi qu’il en soit, il habite encore une sphère supérieure à la nôtre, mais non pour cela distante de celle-ci et à laquelle St. Paul donne le nom de lieux célestes (Éphésiens 6.12). C’est de là qu’avec la foule des êtres semblables à lui et dominés par son ascendant, il exerce jusqu’à cette heure un incalculable pouvoir sur la portion de l’humanité sur laquelle Christ n’a pas encore étendu sa bienfaisante influence.

On a soutenu quelquefois que la mention de ces personnalités supérieures, bonnes ou mauvaises, dans les révélations scripturaires, est un emprunt fait aux religions babylonnienne et persane, avec lesquelles les Israélites se sont trouvés en contact pendant leur captivité dans les contrées de l’Euphrate et du Tigre. Mais dans ces religions il s’agit toujours de sept archanges, non de trois. Ce nombre sept, qui est en rapport avec celui des ministres des rois persans, se retrouve dans les documents juifs postérieurs à la captivité de Babylone ; mais l’Écriture se montre indépendante de ces fables. Il me paraît vraisemblable que les deux principaux anges de lumière qu’elle met en scène apparaissent déjà comme les compagnons de Jéhovah lors de sa visite à Abraham, dans le livre de la Genèse écrit bien longtemps avant la captivité de Babylone. Et quant à l’archange qu’elle nous dévoile comme le chef de l’empire des ténèbres, elle n’en fait nullement une divinité, comme les religions de l’Orient, mais une pauvre créature tremblante devant Dieu (Zacharie 3.2 ; Jacques 2.19) et d’autant plus misérable qu’elle avait été plus richement douée. La Bible maintient donc ici, comme en tout, le caractère indépendant de ses notions.

IV

Nous arrivons enfin à la question qui nous importe le plus, celle des relations que soutiennent les anges avec l’humanité. Une analogie historique jettera peut-être quelque jour sur cette question délicate. Jusqu’à la venue de Jésus-Christ, il semblait que le peuple d’Israël fût séparé par un mur d’airain de toutes les autres nations. Les Grecs et les Romains occupaient le devant de la scène ; Israël, dans sa position reculée et isolée, paraissait ne soutenir aucune relation avec ces grands acteurs de l’histoire. Cependant une étude plus approfondie fait voir que le développement du peuple de Dieu marchait, sur une foule de points, de pair avec celui des autres nations. L’histoire a progressé simultanément avec l’influence de cette nation unique, jusqu’à ce qu’enfin arriva le moment où, la barrière tombant, les deux courants, juif et païen, se réunirent. C’est dans l’Église que s’opéra cette jonction, terme de l’histoire ancienne. Ce résultat était voulu, prédit. Dès le commencement, Dieu visait à la réalisation de l’unité du genre humain par l’Évangile.

Il y a une unité plus vaste que celle du genre humain, unité non moins positivement voulue de Dieu, c’est celle de tous les êtres dont se compose l’univers moral, le royaume des cieux dans sa plus grande extension. Comme Dieu a préparé dans l’ancien monde la fusion des Juifs et des Gentils, dont la réalisation date de la venue de Jésus-Christ, durant toute l’économie actuelle il prépare une réunion supérieure et plus riche encore, celle des anges et des hommes, que consommera la réapparition glorieuse du même Jésus-Christ.

Il suffit d’ouvrir les yeux pour constater les rapports qui unissent le développement de notre race à celui des êtres dont nous nous occupons, rapports qui font rentrer notre histoire humaine dans un plus vaste tout, dans la grande histoire de l’univers. La tentation et la chute du premier homme et le rôle que joue Satan dans cet acte, sont les premiers faits qui révèlent la relation existant entre les deux sphères. La création même de l’humanité ne paraît pas avoir été hors de toute relation avec l’existence des anges. Si d’un côté Satan était, dans son état originaire, le monarque auquel Dieu avait confié le gouvernement de cette terre ; si de l’autre Dieu a réellement dit à l’homme, au moment de sa création : Domine sur la terre et sur tout ce qu’elle renferme, il n’y a qu’une conclusion à tirer de ce double fait : c’est que Dieu a voulu substituer l’homme à Satan, comme dominateur du monde ; c’est qu’en le créant il a suscité à cet archange déchu un successeur et un rival.

Satan était un vassal révolté ; Dieu a donné son domaine à l’homme. Mais celui-ci a été appelé à en faire lui-même la conquête ; et il devait remplir cette mission, non par la supériorité de la force, mais par celle de l’obéissance. Nous comprenons, à ce point de vue, l’empressement avec lequel Satan a travaillé dès la première heure à détourner l’homme de la soumission et à l’entraîner dans sa révolte. Quoi de plus intéressant pour un rebelle que de faire faire volte-face à l’armée mise sur pied pour le réduire, et de la conduire au combat contre celui-là même qui l’avait levée contre lui !

Mais que peuvent les ruses, les victoires même de Satan contre les plans de la souveraine sagesse ? La défection de l’humanité, ce chef-d’œuvre de l’habileté diabolique, a fait ressortir d’une manière plus éclatante la beauté du plan de Dieu.

Par le fait du péché de l’homme, Satan est demeuré, sans doute, le maître de cette terre ; il a même gagné un agent de plus. Celui qui devait lui enlever son empire, est devenu son allié, son esclave ; et quelles flétrissures n’a-t-il pas infligées à son malheureux captif ? De quelles pesantes chaînes ne l’a-t-il pas chargé ? L’idolâtrie avec ses honteuses pratiques, la guerre avec ses sanglantes horreurs, la mort avec ses inexprimables angoisses, le péché surtout avec ses turpitudes et ses remords, voilà les monuments du pouvoir de Satan sur l’humanité, les trophées de sa victoire sur notre terre.

Que fait Dieu ? Ecrase-t-il dans sa fureur son adversaire et le nôtre ? Ce ne serait pas l’avoir vaincu. Pour vaincre, dans une lutte comme celle-ci, il faut confondre, et confondre c’est se montrer non le plus fort, mais le meilleur.

Voyez-vous cet humble enfant couché dans une crèche ? Voilà le champion nouveau que Dieu se choisit et avec lequel il marche au-devant du prince de ce monde. Satan, créature, avait aspiré à l’autonomie et à la gloire d’un Dieu ; Dieu détache de son propre être une personne mystérieuse, un autre lui-même, qui, se dépouillant volontairement de l’état divin, se réduit à la dépendance et à l’infirmité de la créature. L’archange s’était fait Dieu, le Fils de Dieu devient homme ; le verbe se fait chair. Sous la forme de la vie humaine la plus humble, il réalise cette soumission absolue à Dieu à laquelle s’étaient refusés et l’archange orgueilleux et le premier homme. Satan sent cette fois dans l’humanité un point qui résiste ; il accourt. Il comprend que son pouvoir est menacé. Comme il l’avait emporté autrefois en Eden, dans le jardin de l’abondance, il espère vaincre maintenant au désert, au moyen de la privation. Mais son calcul est déjoué ; il a rencontré son vainqueur. Jésus demeure ferme, malgré toutes ses suggestions et ses offres ; il persiste à s’en rapporter uniquement à Dieu ; à Dieu, pour la conservation de son existence physique ; à Dieu, pour les moyens d’établir son règne ici-bas ; à Dieu, pour l’heure où il devra faire ses miracles. Toute la suite de son ministère n’est que la confirmation de cette dépendance sans réserve dont il a ainsi fait vœu au désert. Et après qu’il a consommé son œuvre expiatoire et réparatrice, il est couronné et installé comme le nouveau souverain de la terre. C’est le vrai changement de dynastie ici-bas (Jean 12.31) ; le monde passe à un autre maître. Satan est destitué, et sa souveraineté transmise à Jésus-Christ. Jésus la transmet à son tour à l’humanité, sa famille, au nom de laquelle il a lutté, obéi, vaincu.

Une telle transmission est possible ; car en vertu de la solidarité de l’espèce, qui est le caractère de l’humanité et qui la distingue des anges, l’humanité peut être sauvée tout entière en un. Un tel mode de salut ne serait pas applicable aux anges déchus ; car ils ne sont que des individus, sans existence collective. Aussi est-il dit « que Christ n’a pas pris les anges, mais la postérité d’Abraham (Hébreux 2.16). »

Dès ce moment Satan et son cortège luttent en désespérés contre ce nouveau pouvoir qui travaille patiemment à se substituer au leur. Des lieux célestes, de ces régions supérieures où ils résident encore et où ils exercent leur influence, ils cherchent à entraver l’Évangile et sa course à travers le monde. Mais Christ a eu l’habileté de faire de sa cause une seule et même cause avec celle de Dieu. Là est la garantie de sa victoire. Le trône de l’adversaire s’abaisse graduellement à mesure que s’élève ici-bas le sien. Le terme de ce double mouvement est aisé à prévoir.

Quelle part prennent les saints anges à cette œuvre de Dieu au sein de l’humanité ? Ils y jouent un rôle à la fois contemplatif et actif.

Ils avaient salué par des acclamations joyeuses la création de l’humanité. Ce fut, dit Job, « au milieu des chants de triomphe des fils de Dieu et des cris de joie des étoiles du matin, » que l’homme fit son apparition sur la terre. Plus tard, ils furent les aides et les serviteurs des prophètes, dont le ministère et les visions préparèrent la venue du Sauveur. Aussitôt que Jésus parut, ils l’environnèrent, semblables à une troupe de messagers dévoués, montant et descendant à ses ordres, instruments de l’intervention divine dans le monde physique, comme le Saint-Esprit l’est dans la sphère supérieure de l’œuvre du salut. A l’heure où se consomma le sacrifice éternel, ils se penchaient sur cet abîme et cherchaient à le sonder. Enfin les premiers ils publièrent la résurrection, comme les premiers ils avaient annoncé la naissance.

Depuis la fondation de l’Église, leur regard reste attaché sur ce chef-d’œuvre de l’amour divin. Ils y contemplent avec adoration une œuvre supérieure à celle de la nature, une création plus glorieuse et plus durable que celle des six jours. « La sagesse de Dieu, dit St. Paul, dans sa diversité infinie se dévoile dans l’Église aux principautés et aux puissances qui sont dans les lieux célestes (Éphésiens 3.10). » Sur ce théâtre nouveau les anges contemplent avec adoration et avec extase les voies multiples par lesquelles le Père amène au Fils le cœur des pécheurs et sauve ce qui était perdu. Et il y a une fête parmi eux chaque fois qu’un sourire ineffable, passant sur la face du Père, leur annonce qu’un de ces enfants qui était mort a été ramené à la vie.

C’est ainsi qu’en contemplant, ils apprennent, ils progressent, ils se réjouissent, ils pleurent, tantôt de joie, tantôt de douleur. Mais ils font plus. Comme ils ont été acteurs dans l’histoire du Maître, ils le sont aussi dans celle de l’Église. « Ce sont, est-il dit, des esprits serviteurs que Dieu envoie pour secourir à propos les héritiers du salut (Hébreux 1.14). » Les plus grands d’entre eux ne dédaignent pas de se tenir plus particulièrement auprès des plus faibles et des plus petits d’entre les fidèles (Matthieu 18.10). C’est ce que Jésus lui-même nous déclare, sans que nous ayons cependant le droit d’inférer de cette parole que chaque être humain ait un ange qui lui soit personnellement attaché.

Mais à quoi bon, demanderez-vous, cette assistance des anges ? Dieu ne pourrait-il pas nous assister par sa providence et par sa toute-puissance sans recourir à ces auxiliaires créés ? Il le pourrait assurément ; mais, pour être conséquent, demandez aussi pourquoi l’enfant qui naît trouve en entrant dans la vie des mains pleines de tendresse qui le comblent de soins ? Dieu ne pourrait-il pas l’emmailloter, le nourrir lui-même par sa puissance ? Demandez encore pourquoi, dans ce danger que vous avez couru, Dieu vous a sauvé la vie par le moyen d’un de vos frères, au lieu de le faire de sa propre main ? C’est que Dieu ne veut pas que le lien si doux qui unit éternellement l’obligé à son bienfaiteur n’existe qu’entre lui et nous. Dieu aime assez pour ne pas vouloir aimer et être aimé seul. Il estime trop l’amour, qui est son essence, pour ne pas travailler par tous les moyens à le multiplier entre tous les êtres qu’il a créés, aussi bien qu’entre lui et eux. C’est là le but de toutes ses voies, celui de ses abstentions aussi bien que de ses opérations. L’amour de lui pour tous, de tous pour lui, de tous pour tous, voilà ce qui fait la splendeur de son règne. Et voilà pourquoi il veut que nous nous entraidions les uns les autres, et que cette relation d’assistance mutuelle existe même entre les anges et les hommes. Il prépare ainsi le moment où ces deux peuples, plus différents encore que les Juifs et les Gentils, s’uniront étroitement dans son règne et ne formeront qu’un même corps.

Enfin, au terme de l’histoire, cette relation entre les hommes et les anges, contractée dès la création et resserrée durant tout le cours de leur développement, sera scellée par un fait suprême. D’une part les hommes « jugeront les anges (1 Corinthiens 6.3), » dit saint Paul, les hommes sanctifiés les anges rebelles ; de l’autre les anges trieront dans l’humanité l’ivraie et le bon grain, recueillant le second, brûlant la première : c’est ce qu’affirme Jésus (Matthieu 13.39 et suiv.).

Et après que chacune de ces deux classes d’êtres aura ainsi rendu hommage à la sainteté divine au sein de l’autre, le terme des voies de Dieu envers toutes deux se réalisera. Le Dieu « qui a résolu de rassembler toutes choses en Christ, tant celles qui sont aux cieux que celles qui sont sur la terre (Colossiens 1.20 ; Éphésiens 1.10), réunira les hommes et les anges sous ce Chef unique. Et comme les deux grands courants du monde ancien, les Juifs et les païens, après des rapprochements successifs, se sont enfin unis dans l’Église, ainsi les deux grandes classes d’êtres dont se compose l’univers moral, les hommes et les anges, à la suite de longs et bienveillants rapports, se soumettront au sceptre de Jésus-Christ, le Créateur des anges, le Créateur et le Sauveur des hommes, le Seigneur de tous.

Il nous paraît donc impossible d’écarter comme un point de nulle importance la croyance à l’existence et à l’activité des anges. Nous sommes conduits à cette foi par les inductions de la nature, par les analogies de l’histoire, et par les enseignements scripturaires. Et qui ne sentirait combien à ce point de vue s’étend pour nous le domaine de l’œuvre divine et s’élargit la sphère du monde de la lumière ? De même que la vue du ciel étoilé agrandit infiniment notre conception de l’univers physique, de même la foi à l’existence des anges donne le caractère de l’infini à l’idée que nous nous faisons du royaume de Dieu. — Comment ne pas sentir en même temps combien cette croyance est propre à rendre plus vif notre effroi, plus profonde notre horreur du mal ? Elle nous fait discerner dans chaque tentation un piège tendu par un ennemi mortel, dans chaque péché une complicité non seulement criminelle, mais insensée avec un être odieux et malfaisant. Ne comprendrions-nous pas enfin combien cette croyance concourt à exalter la personne de notre Rédempteur et à rehausser son œuvre ? Il n’est pas seulement le chef des hommes qu’il a sauvés par ses douleurs, il est aussi celui des anges auxquels il a donné l’existence et que du sein de sa gloire il conduit à la perfection. Ce fut un duo magnifique que celui qui retentit au sein de l’Église, lorsque pour la première fois les croyants d’entre les Juifs et les convertis d’entre les païens mêlèrent leurs voix pour entonner le cantique nouveau, l’hymne du salut. Ils célébraient, les uns et les autres, les choses merveilleuses de Dieu, mais chacun à sa manière ; les premiers louant surtout sa fidélité dans l’accomplissement de toutes les promesses faites à leurs pères ; les seconds publiant sa miséricorde envers les peuples à qui il n’avait rien promis, et qui, malgré leur complète indignité, avaient pourtant tout reçu (Romains 15.8-9). Il sera plus riche et plus sublime encore, cet hymne à deux voix qu’entonneront ensemble les anges élus et les hommes glorifiés, célébrant de concert l’œuvre de Dieu, mais sur des tons différents ; les uns, de cette voix sonore dont rien n’a jamais altéré l’éclat, publiant la fidélité du Très-Haut qui couronne magnifiquement l’humble et persévérante soumission à sa volonté ; les autres, sur un ton plus grave et avec un accent plus contenu, comme il convient à des êtres dont le chant est né dans les larmes, glorifiant sa grâce qui efface l’infidélité et pardonne la révolte ; ceux-là nous montrant à nous, hommes, dans leur exemple, l’échelle lumineuse sur laquelle on peut s’élever jusqu’à Dieu sans jamais sortir du bien, atteindre la perfection, non sans l’épreuve, mais sans la chute, réaliser le progrès au sein de l’innocence, glorifiant ainsi la sainteté et la véracité de ce Dieu qui ne permet pas que le péché puisse jamais être envisagé comme nécessaire ou même comme utile en soi ; et de l’autre côté, nous hommes, leur répondant en leur montrant, avec une humiliation profonde, les sombres abîmes du péché où nous nous étions précipités, mais d’où la main de Dieu nous a retirés par des prodiges sans pareils ; glorifiant ainsi à leurs yeux cette grâce « qui surabonde là où le péché a abondé » et qui, en changeant le mal même en bien, accomplit le miracle des miracles. Du sein des deux peuples qui n’en formeront plus qu’un, s’élèvera alors, sur des tons divers, cet hymne commun, dernier mot de l’histoire des êtres libres, dont le chant des anges et la louange des bergers dans la nuit de Noël fut le prélude : Gloire à Dieu et à l’Agneau qui est assis sur le trône ! Alléluia !

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