Méditations sur la religion chrétienne

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la vie chrétienne

Toute doctrine religieuse, morale ou politique, est tenue de subir une épreuve, la grande épreuve, l’épreuve de la mise en pratique. Il faut que l’idée se transforme en réalité, que la pensée devienne la vie.

Les philosophes mettent leur gloire à ne chercher que la vérité, à ne se préoccuper que de la vérité théorique de leurs idées, abstraction faite de toute autre considération. Ils ont raison en ce sens que la connaissance de la vérité, de la vérité en soi, est le but de l’esprit humain et peut seule le satisfaire ; c’est son droit et son honneur d’y prétendre ; quel que soit l’objet de son étude, il ne s’arrête et ne se repose que lorsqu’il se croit en possession de la vérité.

Il n’y a d’ailleurs en ceci point de privilège à reconnaître aux philosophes ; ils ne sont pas les seuls dont la vérité soit la loi ; tous les hommes ont droit à vivre sous son empire, soit qu’il s’agisse des faits ou des idées. Personne, pas même les plus dédaigneux de la théorie, n’oserait poser en principe qu’il ne faut pas se soucier d’avoir raison au fond, et que, dans la pratique, il n’y a point de différence entre la vérité et l’erreur.

Mais à quels signes se reconnaît la vérité ? N’y en a-t-il aucun autre que l’affirmation de ce spectateur curieux qui s’appelle l’esprit humain ? La vérité d’une idée et d’une doctrine ne se manifeste et ne se prouve-t-elle que par la parole, le raisonnement et la discussion ?

A cette prétention, si elle s’élève, je n’hésite pas à dire non et à répéter ce que je viens de dire : toute doctrine religieuse, morale ou politique, est tenue de subir l’épreuve de la mise en pratique. La transformation de l’idée en fait, la pensée devenant la vie, c’est là un des signes les plus certains auxquels se reconnaisse la vérité intrinsèque de l’idée, une des preuves qu’elle doit donner de sa légitimité rationnelle.

Il y a, entre le monde matériel et le monde intellectuel, une différence radicale. Les lois qui règlent et maintiennent l’ordre dans le monde matériel sont indépendantes de l’homme, de sa pensée comme de sa volonté. Qu’il les connaisse ou qu’il les ignore, qu’il se trompe ou non en les étudiant, n’importe ; elles n’en subsistent et n’en règnent pas moins ; l’homme n’a nul pouvoir pour changer, arrêter ou suspendre leur cours ; il n’y peut pas toucher. Galilée avait raison de dire de la terre, malgré ses juges : « Pourtant elle tourne ; » elle aurait également tourné quand Galilée n’en aurait pas su plus que ses juges, et le débat entre les tourbillons de Descartes et l’attraction de Newton était parfaitement indifférent au système général du monde. L’erreur de l’homme est ici absolument vaine et sans effet.

Dans le monde intellectuel et moral, il en est tout autrement ; l’homme n’y est pas seulement spectateur, il y est acteur, acteur libre et efficace. Selon sa pensée et par sa volonté, il concourt aux faits qui s’y accomplissent ; il connaît ou il méconnaît, il respecte ou il viole les lois qui y président, mais qui n’y président pas hors de lui et sans lui. Les erreurs et les fautes humaines ne sont pas ici sans conséquences réelles et graves ; il leur appartient de semer le mal et de porter le trouble dans le monde intellectuel et moral, livré ainsi, comme le dit la Bible, aux disputes des hommes.

Que les savants, dans l’étude et la connaissance du monde matériel, séparent donc absolument la science de ses applications pratiques, et ne se préoccupent, dans leurs recherches scientifiques, que de la théorie pure, je le comprends et je l’admets ; ils le peuvent en pleine sécurité pour la société et pour leur propre travail ; leurs ignorances et leurs erreurs ont sans doute des inconvénients graves ; les faits et les forces du monde matériel sont ou méconnus ou mal exploités ; l’homme et la société humaine ne recueillent pas tous les avantages que peut leur apporter, en ce genre, la connaissance vaste et exacte de la vérité ; c’est un mal réel, mais un mal négatif, un bien manqué ou retardé ; il n’en résultera aucun trouble général dans ce monde matériel qui est l’objet des travaux des physiciens ou des chimistes ; il ne subira pas l’effet, il ne portera pas la peine de leurs ignorances ou de leurs erreurs. Le monde intellectuel et moral court plus de péril et impose à ses docteurs une tâche plus sévère ; sans doute ils l’étudient aussi librement, et pour eux aussi la vérité est le but de l’étude ; mais la science n’échappe pas ici au poids de ses conséquences ; elle est une puissance aussi redoutable que sublime ; elle peut porter, dans le monde auquel elle s’adresse, le trouble au lieu de l’ordre, l’incendie au lieu de la lumière. Si la pratique n’est pas ici le but de la science, elle en est l’épreuve nécessaire et légitime ; les faits sont le miroir dans lequel la vérité ou l’erreur, le bien ou le mal des idées viennent se manifester.

Le christianisme a déjà subi depuis dix-neuf siècles, et il est, il sera continûment appelé à subir cette épreuve. Je n’ai pas besoin de dire que je ne songe pas à retracer ici comment il l’a déjà supportée et surmontée ; ce serait écrire son histoire ; je me renferme dans un seul coin, dans le coin le plus modeste de cette histoire ; je veux faire entrevoir ce qu’a fait, ce que fait tous les jours, pour l’honneur et le sort de l’individu, de la personne humaine, dans les diverses situations de la vie commune, le christianisme mis en pratique, la foi chrétienne devenant la vie chrétienne.

Deux mots, les droits de l’homme, ont été le drapeau et ont fait la puissance de la révolution française ; les droits de l’homme en tant qu’homme, à ce titre seul et en vertu de sa seule nature. Trois autres mots : liberté, égalité, fraternité, ont fait le commentaire de ces deux-là. C’est au nom de ces deux maximes que la révolution française fait le tour du monde ; de là sont sortis les biens et les maux, les progrès et les ruines de notre temps et d’un avenir inconnu.

Tout ce qu’il y a de vrai et de bon dans ces deux maximes est chrétien et a été proclamé par le christianisme. Il condamne et repousse expressément tout ce qu’il y a de faux et de funeste. Et non seulement, dans cette redoutable confusion, le christianisme proclame le bien et condamne le mal en principe ; il a seul, en fait, l’autorité et la force morales nécessaires pour dompter le mal sans que le bien périsse aussi dans la lutte.

Nous sommes fiers, justement fiers aujourd’hui d’être arrivés à considérer l’homme lui-même, l’individu, son existence et sa liberté personnelle, ses droits et les garanties de ses droits, comme le but essentiel de l’état social. Nous sommes enfin sortis de cette ornière de l’antiquité païenne, de la plus glorieuse comme de la plus grossière, qui subordonnait et sacrifiait l’individu à l’État, ne voyait dans l’homme que le citoyen, et abaissait, annulait, devant une seule classe, des milliers de créatures humaines. Il n’y a plus de Juifs et de gentils, de Romains et de barbares, de libres et d’esclaves. C’est le christianisme qui a, le premier, non seulement proclamé en principe, mais mis en pratique cette vérité supérieure. Le droit de tout homme en tant qu’homme, la valeur de l’âme humaine, de la personne humaine, indépendamment de toute situation extérieure, c’est le point de départ, l’idée fondamentale, le précepte dominant de la religion chrétienne. C’est, il est vrai, dans la société religieuse, dans l’Église chrétienne naissante, que ce principe a été d’abord proclamé et ce précepte mis en pratique ; le christianisme a fait, des rapports de l’homme avec Dieu, la première affaire de la vie humaine, et de la liberté religieuse la première des libertés humaines ; c’est devant Dieu que les chrétiens ont reconnu l’égale importance des âmes ; c’est entre eux qu’ils se sont appelés frères, et que la fraternité a enfanté la charité. Mais pour avoir pris sa source si haut et s’être d’abord appliquée dans un si petit théâtre, l’idée chrétienne n’a pas été moins puissante, ni moins féconde ; elle s’est maintenue, elle s’est répandue à travers les siècles et les espaces, malgré les obstacles et les revers ; elle a constamment fait effort pour pénétrer dans la société civile. Aux plus tristes époques de l’histoire du monde chrétien, au milieu des oppressions et des iniquités qui l’ont désolé, les voix hardies n’ont jamais manqué, tantôt celle de l’Église chrétienne contre les maîtres de la terre, tantôt, au sein de l’Église elle-même, de généreuses protestations contre ses désordres et ses violences

intérieures. Jésus-Christ dieu et homme avait relevé l’homme devant Dieu ; l’homme ne s’est plus complètement humilié et soumis devant aucune tyrannie humaine. En présence des inégalités terrestres les plus puissantes, le nom de frères n’a jamais cessé de retentir dans la société chrétienne. Et aujourd’hui même, après tous les progrès de l’égalité dans la société civile, c’est encore dans la société religieuse seule, dans les Églises chrétiennes, que les hommes s’entendent appeler frères.

Et ce n’est pas seulement dans l’État, dans les rapports des individus avec les pouvoirs publics ou des diverses classes entre elles, que la foi chrétienne a changé ainsi les conditions de la vie humaine ; elle a pareillement agi dans le sein de la première, la plus naturelle et la plus impérissable des sociétés, dans la famille. Là aussi elle a fait disparaître tantôt le despotisme du mari et du père, tantôt l’abaissement de la femme et l’indépendance brutale ou licencieuse des enfants. Qu’on prenne la peine de comparer la famille chrétienne, telle que l’ont faite la religion, les lois et les mœurs, avec la plus morale et la plus forte des familles de l’antiquité, la famille romaine ; on n’aura pas besoin d’un long examen pour voir de quel côté sont l’ordre vrai, la juste appréciation des sentiments naturels, le respect du droit et de la liberté.

Je viens de dire qu’en même temps qu’il proclame et met en pratique ce qu’il y a de vrai et de salutaire dans les maximes populaires de notre temps, les droits de l’homme, la liberté, l’égalité et la fraternité humaines, le christianisme condamne et repousse ce qu’elles ont de faux et de funeste. Un fait me frappe dans l’histoire de la fondation du christianisme, histoire non pas de quelques années, mais de trois siècles. C’est la résistance au pouvoir absolu, par la revendication de la liberté de conscience que le christianisme a commencé et s’est établi. Personne ne résistait plus dans le monde romain ; toutes les oppressions se déployaient ; toutes les libertés s’abandonnaient ; ce sont les chrétiens qui ont relevé le drapeau du droit et de la résistance au nom du droit ; mais ils n’ont jamais élevé celui de la révolte et de l’attaque à l’autorité ; la liberté défendue contre la tyrannie et jamais l’insurrection invoquée contre le pouvoir, des martyrs et point de meurtriers, c’est là l’histoire du christianisme depuis le jour où il est né dans la crèche de Jésus-Christ jusqu’au jour où il est monté sur le trône de Constantin.

C’est que, dès le berceau du christianisme, et dans le temps même où il luttait pour conquérir sa liberté, la liberté n’a pas été pour les chrétiens, ni dans la doctrine ni dans la vie, une idée exclusive ; ils ont reconnu, respecté, proclamé avec le même soin les deux principes sur lesquels repose l’ordre moral du monde, l’autorité et la liberté ; ils n’ont point sacrifié l’une à l’autre ni abaissé l’une devant l’autre ; maîtres et disciples, ils rapportaient tous le pouvoir à sa vraie source et rendaient hommage à son droit en même temps qu’ils maintenaient, contre le pouvoir, leur propre droit. Quand Jésus parlait, le peuple était étonné de sa doctrine, « car il les enseignait comme ayant autorité, et non pas comme les scribes (Matthieu 7.29). » Jésus déclarait formellement à ses disciples son autorité sur eux et la mission qu’il leur imposait : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais c’est moi qui vous ai choisis et qui vous ai établis, afin que vous alliez et que vous portiez du fruit, et que votre fruit soit permanent (Jean 15.16). » Et quand saint Paul, à travers toutes sortes de périls et de luttes, répandait dans le monde romain la doctrine de Jésus-Christ, il disait aux nouveaux chrétiens : « Que toute personne soit soumise aux puissances supérieures, car il n’y a point de puissance qui ne vienne de Dieu, et les puissances qui subsistent ont été établies de Dieu. C’est pourquoi il est nécessaire d’être soumis, non seulement par la crainte de la punition, mais aussi à cause de la conscience (Romains 13.1-6). » Et je ne puis pas ne pas répéter encore ici les paroles de Jésus-Christ lui-même aux pharisiens : « Rendez à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu (Matthieu 22.21). »

Le respect de l’autorité comme de la liberté, le droit du pouvoir comme le droit de la conscience, la séparation de la vie religieuse et de la vie civile, ce n’était pas là, pour les premiers chrétiens, de simples nécessités de situation et de simples conseils de prudence ; c’était des principes de doctrine et des préceptes de vie reconnus et pratiqués au nom de la justice et de la vérité.

La doctrine et la pratique chrétiennes ont été, je le sais, grandement altérées, oubliées, violées dans le cours de l’histoire du monde chrétien. La nature humaine succombe aisément aux tentations de la victoire et de la jouissance : quand une fois le christianisme est devenu puissant, les intérêts et les passions terrestres l’ont trop souvent envahi et défiguré ; l’ambition, la cupidité, l’orgueil, l’arrogance de la force, les mensonges de la ruse, tous les mauvais penchants, tous les vices que la foi chrétienne réprouve et combat, se sont déployés dans ce monde que certes elle n’avait pas conquis pour le leur livrer, mais dont elle ne les avait pas expulsés. Les grandes et salutaires croyances chrétiennes ont été elles-mêmes souvent détournées et profanées au service de l’égoïsme humain sous toutes ses formes et à tous ses degrés. Elles n’ont pas péri pourtant dans cet impur mélange et cet indigne emploi ; elles ont survécu, elles ont combattu, tantôt obscurément, tantôt avec éclat ; partout, à toutes les époques, il y a eu des voix chrétiennes, des vies chrétiennes, des réformes chrétiennes qui ont réclamé, protesté, lutté contre les passions et les corruptions humaines. Et tous ces siècles si agités, si sombres, si violents, si oppressifs, si pleins de mal moral et matériel, n’ont pas entraîné pourtant la décadence de l’homme et de la société humaine. La Grèce et Rome ont eu une belle et puissante jeunesse ; l’intelligence et la dignité humaines s’y sont glorieusement développées ; mais leur fortune a été courte, et ces deux brillantes sociétés n’ont pas trouvé dans leurs idées, leurs traditions leurs exemples, des forces morales suffisantes pour échapper et survivre aux séductions et aux corruptions de la grandeur matérielle et du succès humain. A travers toutes les souffrances, toutes les ténèbres, tous les crimes qui ont agité sa longue existence, la société chrétienne a été infiniment plus saine et plus forte ; elle a incessamment travaillé sur elle-même ; sur son lit de douleur, elle s’est retournée, redressée, renouvelée, rajeunie ; elle a grandi et prospéré en même temps que souffert ; et, malgré les maux, les vices, les périls dont elle a encore et dont elle aura toujours à se défendre, elle a devant elle, sur toute la face de la terre, un immense et fécond avenir. Elle le doit à son origine ; elle est née dans la crèche de Jésus-Christ.

C’est aujourd’hui une disposition commune, même chez des hommes sérieux et éclairés, de reconnaître les services que le christianisme a rendus au monde, mais de les attribuer à la morale chrétienne seule. On porte aux nues le caractère moral, les préceptes moraux de Jésus-Christ ; mais on repousse, on déplore les dogmes auxquels, dans la foi chrétienne, s’unit et s’incorpore la morale chrétienne ; on demande qu’elle s’en sépare et qu’elle se présente seule aux hommes, avec sa beauté intellectuelle et sa valeur pratique. Tout en reconnaissant ce qu’il y a d’humain dans l’origine et l’empire de la morale, je viens d’établir, dans ces Méditations mêmes, qu’elle est nécessairement liée aux croyances religieuses, et que, séparée de la source et de la sanction divines, elle demeure incomplète, inconséquente et impuissante, un rameau sans racine et sans fruits. Je vais plus loin maintenant et je complète ma pensée. Non seulement la morale chrétienne est intimement liée à la foi chrétienne, comme la foi chrétienne au dogme chrétien ; mais la morale chrétienne, la foi chrétienne, le dogme chrétien ont pris naissance et puisé leur force à une source plus haute encore et dans une autorité plus décisive. Le christianisme n’a pas commencé, il ne s’est pas levé sur le monde comme un corps de doctrine ou un code de préceptes ; dès ses premiers pas, il a été un fait étranger et supérieur au cours ordinaire des affaires humaines, un fait et un acte divin ; c’est à ce titre et par ce caractère que, tantôt soudainement, tantôt lentement, il a frappé et conquis les hommes, d’abord les petits et les simples, puis les grands et les doctes, les péagers et les empereurs, les pêcheurs du lac de Gennésareth et les disciples de Platon. A des heures et par des raisons diverses, tous ont vu, dans le berceau et l’élan du christianisme naissant, un fait sublime, surhumain, Dieu présent et agissant dans et par Jésus-Christ. Les uns l’ont reconnu et adoré dès qu’il a paru ; les autres l’ont observé avec trouble et colère ; mais à mesure que le fait s’est développé, ceux-là mêmes qui le détestaient ont douté de leur doute. « Le conseil et tous les sénateurs du peuple d’Israël avaient fait mettre Pierre et les apôtres en prison, et ils délibéraient de les faire mourir. Mais un pharisien nommé Gamaliel, docteur de la loi, honoré de tout le peuple, se levant dans le conseil, commanda qu’on fit retirer les apôtres pour un peu de temps, et il leur dit : Hommes israélites, prenez garde à ce que vous ferez à l’égard de ces gens. Car il y a quelque temps que Theudas s’éleva, se disant être quelque chose, auquel un nombre d’environ quatre cents hommes se joignit ; mais il fut tué, et tous ceux qui l’avaient cru furent dissipés et réduits à rien. Après lui, s’éleva Judas le Galiléen, du temps du dénombrement, et il attira à lui un grand peuple ; mais il périt aussi, et tous ceux qui le crurent furent dispersés. Je vous dis donc maintenant : Ne poursuivez plus ces gens-là, mais laissez-les en repos ; car si ce dessein est un ouvrage des hommes, il se détruira de lui-même ; mais s’il vient de Dieu, vous ne pouvez le détruire, et prenez garde qu’il ne se trouve que vous ayez fait la guerre à Dieu. — Et ils furent de son avis. (Actes 5.21, 33-39)

La question que Gamaliel posait ainsi sur le christianisme naissant n’était pas nouvelle ; le souverain sacrificateur d’Israël l’avait posée à Jésus-Christ lui-même : « Je t’adjure, par le Dieu vivant, de nous dire si tu es le Christ, le fils de Dieu. » Jésus lui répondit : « Tu l’as dit. » (Matthieu 26.63-64) A l’affirmation de Jésus, les Juifs répondirent par la crucifixion. Peu après, quand on voulut traiter les apôtres comme leur maître, Gamaliel conseilla qu’on attendît l’épreuve du temps, « en laissant ces gens-là en repos. » On ne laissa point ces gens-là en repos, et l’épreuve n’en fut que plus décisive ; à travers trois siècles de persécutions et de martyres, les grands faits chrétiens, la révélation, l’incarnation, la rédemption, l’inspiration des livres saints devinrent les grands dogmes chrétiens, la base de la foi chrétienne, base à son tour de la vie chrétienne. Seize siècles se sont écoulés depuis cette épreuve de son berceau, et le christianisme en a subi de nouvelles, plus rudes encore ; les intérêts terrestres, les erreurs et les passions humaines s’y sont profondément mêlés, et tantôt on a oublié les principes chrétiens, tantôt on s’en est fait un instrument ; jamais idée n’a été plus incessamment en contact ou aux prises avec les faits ; jamais doctrine n’a plus rigoureusement passé par toutes les formes et toutes les phases de la mise en pratique. Le dessein venu de Dieu a traversé et surmonté tous ces périls, les fautes de ses adhérents comme les coups de ses ennemis. Il est engagé de nos jours dans une lutte et une épreuve nouvelles ; il y entre avec les mêmes armes qui ont fait, il y a dix-neuf siècles, son triomphe, avec les grands faits qui sont la base de la foi chrétienne et les grands exemples qui sont la règle de la vie chrétienne. L’histoire du christianisme est la plus forte preuve de sa divinité et le plus sûr gage de son avenir.

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