Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE I

CHAPITRE III
Le déluge ; comment Noé, sauvé dans une arche avec sa famille, s’établit dans la plaine de Sinar.

Corruption des hommes ; les fils des anges ; Noé.

1.[1] Durant sept générations, ces hommes ne cessèrent de considérer Dieu comme le souverain de l'univers et de prendre en tout la vertu pour guide ; mais, dans la suite des temps, ils s'écartent pour malfaire des coutumes de leurs pères ; ils ne rendent plus à Dieu les honneurs qui lui sont dus et ne se préoccupent plus de justice envers les hommes ; ils font paraître par leurs actes deux fois plus d'ardeur pour le vice qu'ils n'en montraient naguère pour la vertu ; c'est ainsi qu'ils s'attirèrent l'inimitié divine. Beaucoup d'anges de Dieu s'unirent à des femmes et engendrèrent une race d'hommes violents, dédaigneux de toute vertu, tant était grande leur confiance dans leur force brutale. Les exploits que leur attribue la tradition ressemblent aux tentatives audacieuses que les Grecs rapportent au sujet des Géants[2]. Noé (Nôchos), indigné de leur conduite et voyant avec chagrin leurs entreprises, tenta de les amener à de meilleures pensées et à de meilleures actions[3] ; mais voyant que, loin de céder, ils étaient complètement dominés par le plaisir des vices, il craignit d'être tué[4] par eux et quitta le pays avec sa femme, ses fils et ses belles-filles.

[1] Genèse, VI, 1.

[2] On retrouve cette assimilation dans le Livre d'Hénoch (A. Lods, p. 73) ; le IIIème livre des Oracles Sibyllins, d'origine juive, identifie aussi la donnée biblique avec la légende grecque des Titans (cf. F. Delaunay, Moines et Sibylles, pp. 336 sqq.)

[3] Dans le Talmud (Sanhédrin, 108 a et b), Rabbi Yosé de Césarée et, un peu plus loin, Rabba disent aussi que Noé adressa des remontrances à ses contemporains, mais sans succès. Voir aussi Targoum Onkelos, sur VI, 3 ; B. R ; 30 ut 31.

[4] On ne trouve rien de semblable ni dans la Bible, ni dans le Midrasch.

Le déluge et l'arche.

2.[5] Dieu l'aimait pour sa justice et non seulement condamna ces hommes à cause de leur corruption, mais il résolut d'exterminer tous les hommes qui existaient en ce temps et de créer une autre race exempte de vices, dont il abrégerait la vie, en réduisant la longévité primitive à cent vingt ans[6]. A cet effet il changea la terre ferme en mer. Tandis que tous disparaissent ainsi, Noé seul est sauvé, Dieu lui ayant fourni un moyen et un engin de salut comme il suit. Il construit une arche à quatre étages[7] de 300 coudés de long, 50 de large et 30 de profondeur ; il s'y embarque avec [ses fils][8], la mère de ses enfants et les femmes de ceux-ci ; il y met tous les objets nécessaires à leurs besoins, y introduit des animaux de toute espèce, mâles et femelles, pour conserver leurs races et, pour certains d'entre eux, il prend sept couples[9]. L'arche avait les parois, les joints et la toiture assez solides pour n'être ni submergée ni défoncée par la violence des eaux. C'est ainsi que Noé fut sauvé avec les siens. Il était le dixième descendant d'Adam, car il était fils de Lamech, qui avait pour père Mathousalas[10], fils d'Anoch, fils de Jared. Jared était fils de Marouël, que Caïnas[11], fils d'Enôs(os), avait engendré avec beaucoup de sœurs[12]. Enôs était fils de Seth, fils d'Adam.

[5] Genèse, VI, 7.

[6] Genèse, VI, 3.

[7] Trois seulement dans l'Écriture.

[8] Il faut suppléer ces mots, qui manquent dans le texte.

[9] Dans l'Écriture, Noé prend deux couples d'animaux impurs (VI, 19) et sept couples des animaux purs (VII, 2).

[10] Héb. : Melhousélah, LXX : Μαθουσάλα

[11] Héb. : Kainan, LXX : Καινᾶν.

[12] ἀδελφαίς. On a proposé la correction ἀδελφοίς : frères.

Époque du déluge.

3.[13] La catastrophe eut lieu la 600ème année de la vie[14] de Noé, dans le second mois, que les Macédoniens appellent Dios, et les Hébreux Marsouan[15], suivant la façon dont ils ont arrangé le calendrier en Égypte, Moïse fit de Nisan, c'est-à-dire de Xanthicos, le premier mois pour les fêtes, parce que c'est en Nisan qu'il avait mené les Hébreux hors de l'Égypte ; il fit encore commencer l'année par ce mois pour tout ce qui concerne le culte divin ; mais pour les ventes et achats et toutes les autres affaires, il conserva l'ancien ordre[16]. Il dit que le déluge commença le vingt-septième jour[17] dudit mois. Cette époque tombe 2.262 ans[18] après la naissance d'Adam, le premier homme ; la date est inscrite dans les saints Livres ; on marquait alors avec un soin extrême la naissance et la mort des gens illustres.

[13] Genèse, VIII, 6, 11.

[14] Le texte dit : « du règne » (ἀρχῆς)

[15] On ne trouve pas les noms des mois hébreux dans la Bible, à l'exception des derniers livres. On appelle généralement les mois : premier, second, etc. Μαρσουάνης est la transcription de l'Hébreu [hébreu]. Quant aux mois macédoniens, Dios et plus loin Xanthicos, Josèphe se sert la plupart du temps de ces noms, sans indiquer toujours les mois hébreux correspondants.

[16] Pour tout ce passage sur les mois hébreux et le commencement de l'année hébraïque, cf. Talmud, Rosch-haschana, 2 a, 8 a, Gen. R., XXIII. Josèphe a la même opinion qu'une baraïta (ibid., 11 b) attribue à R. Eliezer (Tanna du Ier siècle ap. J.-C.), à savoir que le deuxième mois dont il est parlé dans la Genèse est Marheschwan.

[17] La Bible dit « le 17 » ; le texte de Josèphe a peut-être été corrigé, d'après les LXX, qui ont également « le 27 ».

[18] La fin de ce paragraphe et le paragraphe suivant présentent de sérieuses difficultés. Nous suivons la leçon des manuscrits qui portent δισχιλίων διακοσίων ἑξήκοντα δύο, leçon justifiée par Niese (Praef., p. XXXV). C'est la seule qui s'accorde avec les nombres de la généalogie des patriarches qui suit immédiatement. L'autre leçon, 1 656 années, n'est pas admissible, si les nombres de la généalogie sont justes. Mais il semble bien que l’ensemble soit altéré. Car Josèphe prétend expressément s'inspirer des Livres saints ; or, le total, selon la Genèse, est de 1 656 ans. Les manuscrits qui ont 2 656 sont corrigé d'après la Bible ; ceux qui portent 2 262, d'après la Septante, où le total est avec une légère variante (167 ans pour Mathousalas au lieu de 187 ans) identique, à savoir 2 242. La vérité, c'est apparemment que le texte primitif était conforme aux données de la Genèse ; et les copistes ont introduit les différentes variantes selon les deux systèmes, dans le but de reculer la date de la création du monde par l'addition de quelques centaines d'années. Voir à ce sujet Destinon, Die Chronologie des Fl. Jos., pp. 6, 24, 25.

Chronologie des patriarches.

4.[19] Adam eut pour fils Seth à l'âge de 230 ans ; celui-ci[20] vécut 930 ans. Seth à l'âge de 205 ans engendra Enôs, qui, à 905 ans, remit le soin de ses affaires à son fils Caïnas, qu'il avait eu à 190 ans. Enôs vécut en tout 912 ans. Caïnas, qui vécut 910 ans, eut son fils Malaël à l'âge de 170 ans. Ce Malaël mourut, âgé de 895 ans, laissant un fils Jared, qu'il engendra à 165 ans. Celui-ci vécut 969 ans[21] ; son fils Anoch le remplace ; il était né quand son père avait 162 ans ; à l'âge de 365 ans, il retourna vers la divinité[22]. Aussi sa mort n'a-t-elle pas même été consignée. Mathousalas, que Anoch eut à 165 ans, eut pour fils Lamech à 187 ans ; il lui remit le pouvoir, qu'il avait détenu 969 ans. Lamech le garda 777 ans et mit à la tête des affaires son fils Noé, qu'il avait eu à l'âge de 188 ans, et Noé gouverna les affaires pendant 950 ans. Ces chiffres, additionnés ensemble, donnent le total mentionné plus haut. On ne doit pas examiner l'année de la mort de ces personnages, car leur vie se prolongeait durant celle de leurs enfants et de leurs descendants ; qu'on se borne à regarder leurs dates de naissance.

[19] Genèse, V, 6.

[20] ὅς se rapporte bien à Seth. Ce patriarche aurait donc vécu 930 ans selon Josèphe ; or ce chiffre de 930 ans est attribué à Adam dans la Genèse : l'altération du texte ou l'erreur de Josèphe est visible.

[21] Confusion avec le total des années de la vie de Mathusalas. Pour Jared, la Genèse et les LXX donnent 962 ans.

[22] Les LXX ont : μετέθηκεν ὁ Θεός (Gen., V, 24) : « Dieu le transporta », le traducteur de l'Ecclésiaste dit également d'Enoch : μετετέθη (XLVI, 16). La Sapience : μετετέθη et ἡρπάγη

Fin du déluge.

5. Dieu fit un signe et commença à faire pleuvoir[23] ; les eaux se mirent à tomber pendant quarante jours pleins, de manière à s’élever de 15 coudées au-dessus de la surface de la terre. Cela fut cause qu'il ne put se sauver un plus grand nombre d'hommes, faute d'endroit où s'enfuir. Quand les pluies cessèrent, l'eau se mit à baisser à peine après 150 jours ; c'est dans le 7e mois, le 7e jour du mois, que les eaux commencèrent à se retirer[24]. L'arche alors s'arrête sur la cime d'une montagne en Arménie : Noé s'en aperçoit, ouvre l'arche, voit un peu de terre qui l'environne et, renaissant déjà à l'espérance, il se rassérène. Quelques jours après, l'eau ayant baissé davantage, il lâche un corbeau, pour savoir s'il y avait sur la terre un autre endroit laissé à découvert où l'on pût débarquer avec sécurité ; mais le corbeau trouva toute la terre encore couverte d'eau et revint vers Noé. Sept jours après, il envoie une colombe[25] à la découverte. Elle revient souillée de boue, rapportant un rameau d'olivier ; Noé, voyant que la terre est délivrée du déluge, attend encore sept jours ! puis il fait sortir les animaux de l'arche, en sort lui-même avec sa progéniture, sacrifie à Dieu et célèbre un festin avec les siens. Les Arméniens donnent à cet endroit le nom de débarcadère ; c'est là que l'arche s'était échouée et que les indigènes en montrent encore les débris[26].

[23] Proprement, Dieu commença à pleuvoir : les Grecs disaient Ζεὺς ὕει. Josèphe démarque volontiers certains traits de la mythologie grecque et les adapte aux anciens récits de la Genèse. Cf. plus loin, εἴ ποτε χειμάσοιμι « si je suscite jamais des tempêtes ».

[24] La Genèse dit que les eaux commencèrent à diminuer au bout de 150 jours et que l'arche s'arrêta le 17e jour du 7e mois. Le texte de Josèphe est sûrement altéré. Nous lisons παυσαμένου δὲ τοῦ ὑετοῦ μόλις ήρξατο ὑποβαίνειν (var. ὑπονοστεῖν) τὸ ὕδωρ μεδ' (mss. ἐφ') ἡμέρας ἑκατὸν καὶ πενττκοντα, ὡς μηνὶ ἑβδομῳ... κατ' όλιγον ἀπολήγοντος [T. R.]

[25] Dans la Genèse, la colombe est envoyée à trois reprises reconnaître l'état du sol (VIII, 8, 10, 12).

[26] Josèphe parle ici sur la foi des chroniqueurs qu'il cite plus loin. Mais il semble qu'il y ait eu aussi une tradition agadique au sujet des restes de l'arche. Le Talmud (Sanhédrin, 96 a) raconte que Sanhérib, le roi d'Assyrie, trouva une planche de l'arche de Noé, ce qui lui fit dire : « C'est un Dieu puissant qui a sauvé Noé du déluge, etc. »

Témoignages d'auteurs païens sur le déluge.

6. Le déluge et l'arche sont mentionnés par tous ceux qui ont écrit l'histoire des barbares ; de ce nombre est Bérose le Chaldéen[27]. Dans son récit des événements du déluge, il s'exprime ainsi : « On dit qu’il reste des fragments du navire en Arménie sur le mont des Cordyéens ; quelques personnes s'en emparent en les débarrassant du bitume ; on s'en sert comme de talismans ». Il est question aussi de ces choses chez Hiéronyme l’Égyptien, l'auteur de l'Archéologie phénicienne[28], chez Mnaséas[29] et chez beaucoup d'autres. Nicolas de Damas, dans le XCVIe livre[30], raconte ces faits en ces termes : « Il y a, au-dessus du pays de Minyas[31] en Arménie, une haute montagne appelée Baris, où plusieurs réfugiés du déluge trouvèrent, dit-on, le salut ; un homme, transporté dans une arche, aurait abordé au sommet du mont et les épaves ont été conservées longtemps : cet homme pourrait bien être le même dont parle Moïse, le législateur des Juifs ».

[27] Fr. 7 Müller (Fraç. hist. graec., II, 501). Le récit entier du déluge dans Bérose nous a été conservé par Alexandre Polyhistor (ap. Syncell., p. 30 A). Mais ce déluge est celui des Chaldéens et le héros s'appelle Xisouthros, non Noé, ce que Josèphe s’est abstenu de relever. Les détails du récit babylonien sont, d'ailleurs, tellement analogues à celui du récit de la Genèse qu'il est impossible que l'un ne dérive pas de l'autre. Bérose, prêtre babylonien hellénisé, né sous Alexandre le Grand, dédia à Antiochus Soter (280-261) une histoire babylonienne en trois livres [T. R.]

[28] Historien inconnu, peut-être identique au remanieur de la Théogonie orphique (Susemihl, Gesh. der Alexandrin. Literatur, I, 376).

[29] Fr. Müller (F. H. G., III, 155), Mnaséas de Patras ou de Patara, disciple d'Eratosthène, polygraphe et antiquaire (fin du IIIe siècle av. J.-C.).

[30] Fr. Müller (F. H. G., III, 415) = Textes relatifs au judaïsme, p. 81, n° 41.

[31] Il faut se garder de corriger ce mot (avec Vossius) en Mylias ; voir Textes, loc. cit. Josèphe nous apprend ailleurs (Ant., XX, 2, 2, § 25) que les débris de l'arche étaient situés dans le district de Charræ, au sud-est d'Édesse, qui ne correspond pas à l'emplacement ordinairement assigné au mont Baris [T. R.].

Sacrifice de Noé.

7.[32] Noé, craignant que Dieu n'inondât chaque année la terre dans le dessein arrêté d'anéantir les hommes, lui offrit des holocaustes et le supplia de conserver à l'avenir l'ordre primitif et de ne plus déchaîner un tel fléau qui vouerait à la mort tout le règne animal ; les méchants une fois punis, il devait épargner ceux que leur vertu avait sauvés et qui avaient mérité d'échapper à la catastrophe. Leur sort serait plus misérable que ceux de ces méchants, ils seraient condamnés à une peine bien pire, s'ils n'étaient pas désormais absolument à l'abri, si on les réservait pour un autre déluge ; après avoir appris l'histoire épouvantable du premier, ils seraient les victimes du second[33]. Il le prie donc d'agréer son sacrifice, et de ne plus faire éclater sur la terre un tel courroux, afin qu'on puisse se livrer avec ardeur à l'agriculture, bâtir des villes, mener une vie heureuse, sans être privé d'aucun des biens dont on jouissait avant le déluge, arriver à une vieillesse avancée et obtenir une longévité semblable à celle des hommes d'autrefois[34].

[32] Genèse, VIII, 20.

[33] Après ἀπώλειαν il faut suppléer παθόντες.

[34] Tous les manuscrits donnent : τοῖς τάχιον, ce qui n'offre aucun sens : nous avons traduit selon les éditions qui restituent : τοῖς πάλαι.

L'arc-en-ciel.

8. Noé ayant fini ses supplications, Dieu, qui aimait cet homme pour sa justice, lui fit signe qu'il exaucerait ses prières ; ceux qui avaient péri n'avaient pas été ses victimes : c'est par leurs propres crimes qu'ils avaient encouru ce châtiment ; s'il avait eu le dessein d'anéantir les hommes une fois nés, il ne les aurait pas appelés à l'existence ; car il était plus sage dès le principe de ne point les gratifier de la vie, que de la retirer sitôt donnée : « C'est, dit-il, l'arrogance avec laquelle ils répondaient à ma bonté et à ma vertu qui m'a contraint à leur infliger cette peine. Mais dorénavant je m'abstiendrai de châtier les crimes avec une telle rigueur ; je m'en abstiendrai surtout à ta prière. Si d'aventure je suscite de fortes tempêtes, ne vous effrayez pas de la violence des pluies. Jamais plus l'eau ne submergera la terre[35]. Cependant je vous exhorte à ne point verser de sang humain, à vous tenir purs de tout meurtre et à punir ceux qui commettraient un tel crime ; vous pourrez faire de tous les autres animaux l'usage qui vous conviendra selon vos désirs ; car je vous ai faits maîtres d'eux tous, qu'ils vivent sur la terre, dans l'eau, ou qu'ils se meuvent parmi les airs ; je fais une réserve pour le sang, car c'est en lui que réside l'âme[36]. Je vous manifesterai la trêve que je conclus avec vous par un signe de mon arc. C'est l'arc-en-ciel qu'il désignait ainsi, car on croit dans ces pays que c'est l'arc de Dieu[37]. Dieu, après ces paroles et ces promesses, se retire.

[35] Genèse, VIII, 21 ; IX.

[36] Josèphe explique le verset 4 du ch. IX selon une exégèse un peu différente de celle du Talmud (Houllin, 102). Il relie ensemble les mots benafschô damô. La tradition rabbinique les sépare pour en tirer deux prohibitions : celle de manger la chair d'un animal vivant et celle de manger du sang.

[37] Ici encore une explication du récit de la Genèse d'un caractère mythologique ; on songe aux dieux toxophores (Artémis, Apollon) du Panthéon grec (cf. G. Tachauer, Das Verhältniss von Fl. Josephus zur Bibel und Tradition, Erlangen, 1871, p. 20).

Longévité des patriarches.

9. Noé vécut après le déluge 350 ans, qu'il passa toujours heureusement ; il meurt âgé de 950 ans. Que personne, comparant la vie de ces anciens à la nôtre d'un nombre d'années si restreint, n'aille tenir pour faux ce qui est raconté de ces hommes : qu'on ne se figure point, parce que nul aujourd'hui n'atteint dans son existence un âge aussi avancé, que ceux-là non plus n'aient pu la prolonger à ce point. D'abord, ils étaient aimés de Dieu et nés de Dieu lui-même ; leur nourriture les rendait plus propres à durer davantage ; il est donc vraisemblable qu'ils ont pu vivre aussi longtemps. Ensuite, c'est pour leur vertu et c'est pour faciliter leurs recherches dans l'astronomie et la géométrie, inventées par eux, que Dieu leur accordait cette longévité ; ils n'auraient rien pu prédire avec certitude s'ils n'avaient vécu 600 ans, car c'est là la durée de la grande année[38]. J'ai là-dessus le témoignage de tous ceux, Grecs ou Barbares, qui ont écrit des antiquités : Manéthon, qui a fait les annales des Égyptiens ; Bérose, qui a rassemblé ce qui concerne la Chaldée ; Mochos, Hestiée ainsi que Hiéronyme l'Égyptien, auteurs d'histoires phéniciennes, sont d'accord avec moi ; Hésiode, Hécatée, Hellanicos, Acusilaos, ainsi qu'Ephore et Nicolas, rapportent que ces premiers hommes vivaient mille ans[39]. Mais sur ce sujet, que chacun décide comme il lui plaira.

[38] Dans tout ce passage, Josèphe s'inspire encore, sans le nommer, de Bérose dont il a cité précédemment un court fragment. Bérose s'étend, en effet, sur les sciences, astronomie et géométrie, qui ont fleuri chez les premiers hommes et sur la longévité primitive ; le terme grec dont parle Josèphe est le cycle de 600 ans. Voir Bérose, cf. 4 Müller ; Tannery, Recherches sur l’histoire de l’astronomie ancienne, p. 306-322.

[39] Manéthon, Bérose, Hésiode, Ephore, Nicolas (de Damas) sont bien connus. Hiéronyme l'Égyptien a été mentionné plus haut. Hestiæos (ou Histiæos, d'après St. Byz.) est un historien d'époque inconnue (F. H. G., IV, 433), que Josèphe cite encore plus loin : la correction de Naber est absurde, Môchos est un vieil historien, peut-être fictif, de Sidon, dont l'ouvrage avait été traduit en grec par Laitos (F. H. G., IV, 437). Hécatée (de Milet, non d'Abdère), Acusilaos, Hellanicos sont des chroniqueurs célèbres du Ve siècle [T. R.]

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