Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE I

CHAPITRE X
Abram, ayant marché contre les Assyriens, les défait, délivre les prisonniers sodomites et reprend le butin que l’ennemi avait emporté.

Victoire d'Abraham sur les Assyriens.

1.[1] Abram, à la nouvelle de leur défaite, éprouva de la crainte pour Lôt, son parent, et de la pitié pour les Sodomites, ses amis et ses voisins. Avant résolu de leur porter secours, sans différer, il se met en route, atteint la cinquième nuit les Assyriens près de Dan(os) (tel est le nom d’une des deux sources du Jourdain), les surprend avant qu'ils se mettent en armes ; ceux qui se trouvaient au lit, il les tue sans qu’ils se rendent compte de ce qui se passe ; et ceux qui ne s'étaient pas encore livrés au sommeil[2], mais que l'ivresse rendait incapables de combattre, prennent la fuite. Abram les poursuit, les serre de près jusqu'au jour suivant, où il les refoule dans Ob, du pays des Damascéniens ; ce succès fit voir que la victoire ne dépend pas du nombre ni de la multitude des bras, mais que l'ardeur résolue des combattants et leur valeur à raison du nombre, puisque c'est avec trois cent dix-huit de ses serviteurs et trois amis qu'Abram vint à bout d'une si grande armée. Tous ceux qui purent s'échapper s'en retournèrent sans gloire.

[1] Genèse, XI, 13.

[2] Un passage tout à fait analogue se lit dans Philon, De Abr., § 40 (M., II, p. 34) : ... δεδειπνημένοις ἤδη καὶ πρὸς ὕπνον μέλλουσι τρέπεσθαι. Καὶ τοὺς μὲν ἐν εὐναῖς ἱέρευε, τοὺς δὲ ἀντιταχθέντας ἄρδην ἀνῄρει. Πάντων δὲ ἑρρωμένως ἐπεκτράτει, τῷ θαρρελέῳ τῆς ψυωῆς μᾶλλον ἢ ταῖς παρασκευαῖς « ils avaient déjà mangé et se préparaient à dormir. Il (Abraham) immola ceux qui étaient au lit, et tailla en pièces ceux qui lui opposèrent résistance. Enfin il remporta sur eux une victoire complète, due à la vaillance de son âme plutôt qu'à ses armes. » Josèphe suit d'un peu plus près les données bibliques.

Rencontre avec Melchisédech.

2. Abram, ayant délivré les captifs Sodomites qui avaient été pris par les Assyriens, ainsi que son parent Lôt, s'en revint en paix. Le roi des Sodomites vint à sa rencontre dans l’endroit qu'on appelle Plaine royale. Là, le roi de Solyme, Melchisédech(ès), le reçoit ; ce nom signifie roi juste[3] ; il était, en effet, réputé tel partout : c'est même pour cette raison qu'il devint prêtre de Dieu ; quant à cette Solyma, elle s’appela ultérieurement Hiérosolyma[4] (Jérusalem). Ce Melchisédech traita avec hospitalité l'armée d'Abram, pourvut avec abondance à tous leurs besoins et, au milieu du festin, se mit à faire l'éloge d'Abram et à rendre grâce à Dieu d'avoir livré les ennemis entre ses mains. Abram lui offrit la dîme du butin, et il accepta ce cadeau. Quant au roi des Sodomites, il consentit à ce qu'Abram emportât le butin ; mais il désirait emmener ceux de ses sujets qu'Abram avait sauvés des mains des Assyriens. Abram lui dit qu'il n'en ferait rien et qu'il n'emporterait d'autre avantage ce butin que les provisions de bouche nécessaires à ses serviteurs ; cependant il offrit une part à ses amis qui avaient combattu avec lui : ils s'appelaient, le premier, Eschôl(ès), les autres, Ennèr(os)[5] et Mambrès.

[3] La même interprétation, conforme, d'ailleurs, à l'hébreu, se trouve dans Philon, entre autres passages : Leg. alleg., III, § 25 (M., p. 103).

[4] Cette étymologie fantaisiste de Jérusalem est donnée avec plus de précision au livre VII, § 67 ; cf. B. Jud., VI, § 438. Saint Jérôme prétend que le Salem (Solyma) de Melchisédech était une bourgade voisine de Scythopolis, qui avait consacré ce nom jusqu'à son temps [T. R.]

[5] En hébreu : Anèr, LXX : Αὐνᾶν.

Promesses de Dieu à Abraham.

3. Dieu loua sa vertu : « Tu ne perdras pas, dit-il, la récompense que tu mérites pour ces belles actions ». Et comme il demandait quel serait le bienfait d'une telle récompense, s'il n'y avait personne pour la recueillir après lui (car il était encore sans enfant), Dieu lui annonce qu'un fils lui naîtra dont la postérité sera si grande que l'on en comparera le nombre à celui des étoiles. Après avoir entendu ces paroles, Abram offre un sacrifice à Dieu sur son ordre. Voici comment ce sacrifice eut lieu : il se composait d'une génisse de trois ans, d'une chèvre de trois ans et d’un bélier du même âge, d'une tourterelle et d'une colombe ; Abram reçut l'ordre de les diviser en morceaux, sauf les oiseaux qu'il ne divisa pas. Ensuite[6], avant l'érection de l'autel, comme les oiseaux tournoyaient, attirés par le sang, une voix divine se fit entendre, annonçant que ses descendants auraient de méchants voisins pendant quatre cents ans en Égypte, qu'après y avoir souffert extrêmement, ils triompheraient de leurs ennemis, vaincraient à la guerre les Chananéens et prendraient possession de leur pays et de leurs villes.

[6] Genèse, XV, 13.

Agar et Ismaël.

4.[7] Abram habitait près du chêne appelé Ogygé[8], — c'est un endroit de la Chananée, non loin de la ville des Hébroniens —. Affligé de la stérilité de sa femme, il supplie Dieu de lui accorder la naissance d'un enfant mâle. Dieu l'engage à se rassurer ; c'est pour son bonheur en toute chose qu'il lui a fait quitter la Mésopotamie et, de plus, des enfants lui viendront. Sarra, sur l'ordre de Dieu, lui donne alors pour concubine une de ses servantes, nommée Agar(é), de race égyptienne, afin qu'il en ait des enfants. Devenue enceinte, cette servante osa prendre des airs d'insolence envers Sarra, faisant la reine parce que le pouvoir devait être attribué au rejeton qui naîtrait d'elle. Abram l'ayant remise à Sarra pour la châtier, elle résolut de s'enfuir, incapable d'endurer ses humiliations et pria Dieu de la prendre en pitié. Tandis qu'elle va à travers le désert, un envoyé divin vient à sa rencontre, l'exhorte à retourner chez ses maîtres. Sa condition sera meilleure, si elle fait preuve de sagesse, car présentement, c'était son ingratitude et sa présomption à l'égard de sa maîtresse qui l'avaient conduite à ces malheurs. Si elle désobéissait à Dieu en poursuivant son chemin, elle périrait ; mais si elle rebroussait chemin, elle deviendrait mère d'un enfant, futur roi de ce pays. Ces raisons la convainquent, elle rentre chez ses maîtres, et obtient son pardon ; elle met au monde, peu après, Ismaël(os) : ce nom peut se rendre exaucé par Dieu, à cause de la faveur avec laquelle Dieu avait écouté sa prière.

[7] Genèse XIII, 18 ; XVI, 1.

[8] C'est la localité appelée dans l'Écriture les Chênes de Mambré. Josèphe lui donne, d'ailleurs, lui-même ce nom un peu plus loin (XI, 2). Quant à Ogygé, ce nom rappelle celui d'un roi de l'antiquité grecque, à l'époque duquel les traditions placent un déluge analogue à celui de la Bible. Josèphe semble y avoir songé en écrivant Ogygé, soit par une confusion involontaire, soit afin de suggérer un rapprochement.

Naissance d'Isaac. La circoncision.

5.[9] Abram avait atteint sa quatre-vingt-sixième année, quand ce premier fils lui naquit ; quand il eut quatre-vingt-dix-neuf ans, Dieu lui apparut pour lui annoncer qu'il aurait également un fils de Sarra ; il lui ordonne de l'appeler Isac(os), lui révèle que de grands peuples et des rois sortiront de lui, qu’après des guerres, ils occuperont la Chananée tout entière depuis Sidon jusqu'à l'Égypte. Il lui prescrivit aussi, pour que sa race ne se mêle pas avec les autres[10] de pratiquer la circoncision et cela, le huitième jour après la naissance. Quant à la raison de notre pratique de la circoncision, je l'indiquerai ailleurs[11]. Comme Abram s'informait aussi d'Ismaël, demandant s'il vivrait, Dieu lui fit savoir qu'il deviendrait très âgé et serait le père de grandes nations. Abram en rendit grâce à Dieu et se circoncit aussitôt, ainsi que tous les siens et aussi son fils Ismaël, qui eut ce jour-là treize ans, tandis que lui-même accomplissait sa quatre-vingt-dix-neuvième année.

[9] Genèse, XV, 18 ; XVII, 8.

[10] Ce motif n'est pas exprimé dans l’Écriture. De la phrase suivante : « Quant à la raison de notre pratique de la circoncision », il semble résulter que Josèphe distinguait le motif historique de sa prescription de son sens rationnel ou symbolique.

[11] Allusion à un ouvrage qui devait traiter de la signification rationnelle des lois hébraïques. Cet ouvrage est probablement le même dont Josèphe parie dans le préambule et dans plusieurs autres passages des Antiquités.

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