Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE I

CHAPITRE XIII
D’Isac, fils légitime d’Abram.

Dieu ordonne à Abraham le sacrifice d'Isaac.

1.[1] Isac était aimé par-dessus tout de son père Abram, comme un fils unique qu'il avait eu sur le seuil de la vieillesse, par une faveur de Dieu. De son côté, l'enfant méritait cette tendresse et se faisait chérir de plus en plus de ses parents en pratiquant toutes les vertus, en montrant une piété filiale assidue et beaucoup de zèle dans le culte de Dieu. Abram mettait tout son bonheur à laisser un fils florissant après qu'il aurait fini de vivre. Cependant voici ce qui lui arriva par la volonté divine : comme Dieu voulait faire l'épreuve de sa piété envers lui, il lui apparut, lui énuméra tous les bienfaits dont il l'avait comblé, lui parla de la supériorité qu'il lui avait conférée sur ses ennemis, de sa félicité présente qu'il devait à la bienveillance divine et de la naissance de son fils Isac ; il lui demanda de lui offrir ce fils en sacrifice et en victime et lui ordonna de l'amener sur le mont Môrion[2] pour en faire un holocauste après avoir élevé un autel ainsi seulement il témoignerait de sa piété envers lui, si le salut de son enfant lui importait moins que le souci d'être agréable à Dieu.

[1] Genèse, XXII, 1.

[2] En hébreu : Môria. Dans l'Écriture (Gen., XXII, 2), il est question seulement d'une montagne qui se trouvait dans le pays de Môria. L'expression « mont de Môria » ne se rencontre que II Chron., III, 1, pour indiquer la montagne du Temple. Josèphe identifie plus bas ces deux montagnes, de même que la tradition (Gen. R., LV).

Préparatifs du sacrifice.

2. Abram, estimant que rien ne justifiait une désobéissance à Dieu et qu'il fallait le servir en tout, puisque c'est sa providence qui fait vivre tous ceux qu'il protège, dissimule à sa femme l'ordre de Dieu et ses propres desseins au sujet de l'immolation de son fils ; sans en rien découvrir à personne de sa maison[3], car on eût pu l'empêcher d'obéir à Dieu, il prend Isac avec deux serviteurs, et, ayant chargé sur un âne les objets nécessaires au sacrifice, il se met en route vers la montagne. Deux jours, les serviteurs firent route avec lui ; le troisième jour, quand la montagne fut en vue, il laissa dans la plaine ses compagnons, et s'avança avec son fils seul sur la hauteur où le roi David bâtit plus tard le temple[4].
Ils portaient avec eux tout ce qu'il fallait pour le sacrifice, hormis la victime. Comme Isac, qui avait vingt-cinq ans, édifiait l'autel et demandait ce qu'on allait immoler puisqu'il n'y avait pas là de victime, Abram lui dit que Dieu y pourvoirait, car il avait le pouvoir de procurer aux hommes ce qui leur manquait et de dépouiller de leurs biens ceux qui s'en croyaient assurés : il lui donnerait donc aussi une victime, s'il devait accueillir favorablement son sacrifice.

[3] Le Midrash dit aussi qu'Abraham prit bien soin de cacher à Sara le but réel de son départ avec Isaac. Dans Tanhouma (sur Gen., XXII, 4), Abraham dit à Sara qu'il emmène Isaac dans un endroit où on fera son instruction.

[4] Au lieu de David on attendrait Salomon.

Discours d'Abraham.

3. Lorsque l'autel fut prêt, qu'il y eut disposé les morceaux de bois et que tout fut dans un bel ordre, il dit à son fils : « Mon enfant, dans mille prières, j'ai demandé ta naissance à Dieu ; après que tu es venu au monde, il n'est aucune peine que je ne me sois donnée pour ton éducation, rien qui me parût plus heureux que de te voir parvenir à l'âge d'homme et te laisser en mourant héritier de mon pouvoir. Mais, puisque c'est la volonté de Dieu qui m'a fait ton père, et qu’il lui plaît maintenant que je te perde, supporte vaillamment le sacrifice ; c'est à Dieu que je te cède, à Dieu qui a voulu avoir de moi ce témoignage de vénération en retour de la bienveillance avec laquelle il s'est montré mon appui et mon défenseur. Puisque tu as été engendré d'une façon peu commune[5], tu vas aussi quitter la vie d'une façon peu ordinaire ; c'est ton propre père qui t'envoie d'avance à Dieu, père de toutes choses, selon les rites du sacrifice ; il n'a pas, je crois, jugé à propos que la maladie ni la guerre, ni aucun des fléaux qui assaillent naturellement les hommes, t'enlève à la vie : c'est au milieu de prières et de cérémonies sacrées qu'il recueillera ton âme et qu'il la gardera près de lui ; tu seras pour moi un protecteur et tu prendras soin de ma vieillesse — car c'est surtout vers cette fin que je t'ai élevé —, mais au lieu de toi, c'est Dieu dont tu me procureras l'appui[6]. »

[5] Nous suppléons ces mots nécessaires au sens et que le copiste a oubliés [T. R.]

[6] Bien entendu, tout ce discours est imaginé par Josèphe : on ne lit rien de semblable dans la Bible.

Isaac sauvé. Bénédiction de Dieu.

4. Isac — d'un tel père il ne pouvait naître qu'un fils magnanime — accueille avec joie ces paroles et s'écrie qu'il ne mériterait pas même d'être venu au monde, s'il voulait s'insurger contre la décision de Dieu et de son père et ne pas se prêter docilement à leur volonté à tous deux, alors que, son père seul eût-il pris cette résolution, il eût été impie de ne point s'y soumettre ; il s'élance donc vers l'autel et la mort. Et l'acte s'accomplissait, si Dieu n’eût été là pour l'empêcher ; il appelle Abram par son nom et lui défend d'immoler son fils : ce n'était pas le désir de sang humain, lui dit-il, qui lui avait fait ordonner le meurtre de son fils et il ne l'avait pas rendu père pour le lui enlever avec cette cruauté, il ne voulait qu'éprouver ses sentiments et voir si même de pareils ordres le trouveraient docile. Sachant maintenant l'ardeur et l'élan de sa piété, il était satisfait de tout ce qu'il avait fait pour lui, et il ne cesserait jamais de veiller de toute sa sollicitude sur lui et sur sa race ; son fils atteindrait un âge avancé et, après une vie de félicité, transmettrait à une postérité vertueuse et légitime une grande puissance. Il lui prédit aussi que leur race donnerait naissance à de grandes et opulentes nations dont les chefs auraient une renommée éternelle, et qu'ayant conquis par les armes la Chananée, ils deviendraient un objet d'envie pour tous les hommes. Après avoir ainsi parlé, Dieu fit sortir d'un lieu invisible un bélier pour le sacrifice ; quant à eux, se retrouvant ensemble contre toute espérance, après avoir entendu ces magnifiques promesses, ils s'embrassèrent, et, une fois le sacrifice accompli, s'en retournèrent auprès de Sarra, et menèrent une vie heureuse, car Dieu les assistait dans toutes leurs entreprises.

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