Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE III

CHAPITRE II
Les Amalécites et les peuples d’alentour, ayant fait la guerre aux Hébreux, sont défaits et perdent la plus grande partie de leur armée.

Préparatifs de guerre des Amalécites.

1.[1] Comme le renom des Hébreux s'était déjà fort répandu partout et qu'on parlait beaucoup d'eux, il advint que les gens du pays ne furent pas médiocrement effrayés. S'envoyant mutuellement des députations, ils s'invitent à repousser et à tenter d'exterminer ces intrus. Les instigateurs de cette entreprise étaient les habitants de la Gobolitide et de Pétra[2], qui s'appellent Amalécites ; c'était le plus belliqueux des peuples de ce pays. Leurs rois, par des messages adressés des uns aux autres ainsi qu'aux peuples voisins, s'exhortent à faire la guerre aux Hébreux[3] ; une armée d'étrangers, disaient-ils, qui s'étaient dérobés à la servitude des Égyptiens, s'installait près d'eux pour leur nuire : « On aurait tort de les mépriser ; c'est avant qu'ils se fortifient et que leurs ressources augmentent, et qu'ils commencent à nous attaquer, se sentant encouragés en ne nous voyant opposer aucune résistance, qu'il est prudent et sage de les défaire en les punissant de leur agression et de ce qu'ils y ont commis, et non lorsqu'ils auront mis la main sur nos villes et nos richesses. Ceux qui tentent de ruiner la puissance naissante de leurs ennemis font preuve de plus de sagacité que ceux qui s’opposent à son accroissement après qu'elle a déjà progressé ; car ceux-ci semblent ne s'indigner que de l'excès de leurs avantages, mais ceux-là ne leur laissent jamais prendre barre sur eux ». Après ces avis adressés aux peuplades voisines ainsi qu'entre soi, on décida d'entrer en lutte avec les Hébreux.

[1] Exode, XVII, 8.

[2] Josèphe a déjà parlé précédemment (Antiquités, liv. II, I, 2) de la Gobolitide, habitée par les Amalécites. Ou ne trouve que chez lui cette expression géographique. Cependant on lit une expression analogue chez Stéphane de Byzance. Un passage de la Bible (Psaumes, LXXXIII, 8) fait mention d'une contrée nommée Gébal, dans la région de l'Arabie Pétrée ; elle est citée à côté d'Ammôn, d'Amalec et de Peleschet. C'est vraisemblablement la Gobolitide de Josèphe. Le terme paraît avoir été employé assez tard, et précisément le psaume précité ne paraît pas être plus ancien que l'époque macchabéenne. Pétra correspond à l'hébreu Séla (future capitale des Nabatéens).

[3] Cf. Mechilta (ad. loc.), sur l'explication des mots : « Et Amalec vint » (Exode, XVII, 8) d'après R. Yosé ben Halafta (Tanna du IIe siècle), Amalec serait « venu » avec un plan, c'est-à-dire qu'il aurait invité tous les peuples à s'associer avec lui pour combattre Israël ; d'ailleurs, les peuples auraient reculé devant les vainqueurs du roi d'Égypte.

Moïse encourage les Hébreux effrayés.

2. Comme Moïse ne s'attendait à aucune hostilité, il éprouva de l'embarras et de l'inquiétude devant cette attitude des gens du pays ; et, alors que ceux-ci étaient déjà prêts au combat et qu'il fallait affronter le péril, la foule des Hébreux se trouva dans une vive agitation ; manquant de tout, elle allait se battre avec des gens équipés de tout à merveille. Moïse alors entreprend de les consoler, les exhorte à reprendre courage en se fiant au suffrage de Dieu ; élevés par lui à la liberté, ils triompheraient de ceux qui se disposaient à les attaquer pour la leur disputer. Ils devaient considérer leur armée comme assez nombreuse et pourvue d'armes, d'argent, de vivres, de tout ce dont la présence enhardit l'homme qui va combattre, la seule assistance de Dieu leur donnait tout cela ; tandis que l'adversaire était peu nombreux, désarmé, faible, facile à vaincre même par de moins forts qu'eux, dès que Dieu le voulait[4]. Ils savaient quel secours Dieu procurait, d'après de nombreuses expériences, plus tragiques que la guerre ; car la guerre, on la fait contre des hommes ; mais les difficultés où ils s'étaient trouvés devant la faim et la soif, devant les montagnes et la mer quand ils ne savaient par où fuir, c'était grâce à la seule bienveillance divine qu'ils les avaient surmontées. Il les invitait aujourd'hui à montrer la plus grande ardeur, car ils auraient de tout en abondance s'ils triomphaient de leurs ennemis.

[4] Texte corrompu.

Il les prépare au combat.

3.[5] C'est par ces discours que Moïse rendait courage à la foule, et, appelant les chefs de tribu et les magistrats séparément et tous ensemble, il engageait les plus jeunes à obéir aux plus anciens et ces derniers à écouter leur général. Ceux-ci, dont les âmes s'exaltaient en vue du danger, et qui, prêts pour la terrible affaire, espéraient qu’un moment viendrait où l'on serait délivré de ces maux, priaient Moïse de les conduire sur l'heure et sans retard contre leurs ennemis, tout délai pouvant arrêter leur ardeur. Moïse, après avoir choisi dans la foule tous ceux qui pouvaient se battre, met à leur tête Josué (Jésoûs)[6], fils de Noun (Navèchos), de la tribu d'Éphraïm, un homme très courageux, qui supportait vaillamment les fatigues, qui savait fort bien réfléchir et parler, honorait Dieu d'une piété singulière que Moïse lui avait enseignée, et possédait l'estime des Hébreux. Il rangea quelques hommes armés autour de l'eau pour la garde des enfants et des femmes et de l'ensemble du camp. Ils passèrent toute la nuit en préparatifs, à réparer les armes endommagées, le regard tendu vers leur chef, tout prêts à s'élancer au combat quand Moïse leur en donnerait le signal. Moïse aussi passe la nuit à enseigner à Josué comment il rangera l'armée en bataille. Quand le jour commence à paraître, il exhorte à nouveau Josué à ne pas se montrer dans l'action inférieur aux espérances fondées sur lui et à s'acquérir dans son commandement la considération de ses troupes pour ses exploits, il exhorte encore, chacun à part, les plus notables d'entre les Hébreux, et bientôt il donne l'élan à toute la foule réunie sous les armes. Lui-même, après avoir animé l'armée par ses paroles et tout ce travail préparatoire, se retire sur la montagne en confiant l'armée à Dieu et à Josué.

[5] Exode, XVII, 9.

[6] En hébreu : Yehôschoua bin Noun. La mention de la tribu d'Éphraïm est tirée de Nombres, XIII, 8.

Victoire des Hébreux ; butin considérable.

4. Les adversaires en viennent aux mains, le combat s'engage avec acharnement et l'on s'anime les uns les autres. Tout le temps que Moïse tient les bras levés en l'air, les Amalécites faiblissent devant les Hébreux. Mais Moïse, ne pouvant supporter la fatigue de cette tension des bras, et constatant que chaque fois qu'il les laissait retomber, régulièrement les siens se trouvaient avoir le dessous, il ordonne à son frère Aaron et au mari de sa sœur Mariamme, Our(os)[7], de se tenir de chaque côté de lui pour soutenir ses mains et ne pas le laisser se fatiguer dans son intervention tutélaire. Cela fait, les Hébreux remportent une victoire écrasante sur les Amalécites. Et ceux-ci eussent tous péri, si la nuit survenant n'eût arrêté le carnage. C'était une très belle victoire et très opportune que remportèrent là nos ancêtres, car ils triomphèrent de ceux qui s'étaient jetés sur eux et ils effrayèrent les peuples voisins tout en se procurant de nombreuses et magnifiques richesses pour prix de leurs efforts. S'étant emparés, en effet, du camp des ennemis, ils acquirent des ressources considérables tant pour l'usage public que pour leur usage particulier, eux qui précédemment avaient manqué même du nécessaire. Et ce leur fut, non seulement pour le présent, mais encore pour l'avenir, une source de bienfaits que le succès de ce combat car ils n'asservirent pas seulement la personne de leurs assaillants, mais aussi leur moral ; et pour tous les peuples voisins, après la défaite de ces premiers adversaires, ils devinrent redoutables. En même temps, ils s'emparèrent d'une grande quantité de richesses. Car beaucoup d'argent et d'or fut saisi dans le camp, ainsi que des vases d'airain qui servaient pour les repas, profusion aussi d'or et d'argent monnayés[8], puis tous les tissus et les ornements servant aux armures, d'autres objets de parure et d'équipement, un butin varié de bêtes de somme et tout ce qui suit habituellement une armée en campagne[9]. Les Hébreux conçurent une haute idée de leur propre valeur et leur vertu se retrempa ; désormais ils ne reculèrent devant aucun effort, estimant que par l'effort tout peut se conquérir.

[7] En hébreu : Hour. Cette parenté entre Moïse et Hour est inconnue à la Bible ; la tradition fait de Hour, non le mari, mais le fils de Miriam, qui aurait épousé Caleb. C'est R Siméon b. Lakisch (dans Ex. Rabba, XL ; cf. Tanhouma, sur Ex., XXXI, 2) qui établit cette filiation (d'après II Chroniques, XI, 5, 19, 20, 24), pour expliquer la généalogie de Beçalel, petit-fils de Hour, et descendant de Juda (Ex., XXXI, 2).

[8] Plaisant anachronisme.

[9] L'Écriture ne parle pas de ce butin. Josèphe est probablement encore ici l'écho d'une tradition. Il s'agit pour lui d'expliquer comment plus tard les Hébreux auront à leur disposition les nombreux et riches matériaux nécessaires à l'érection du tabernacle.

Fêtes en l’honneur de cette victoire et arrivée au Sinaï.

5. C'est ainsi que se termina cette lutte. Le lendemain, Moïse fit dépouiller les cadavres des ennemis et réunir les armures laissées par les fuyards ; il distribua des récompenses aux vaillants et fit l'éloge de leur chef Josué, dont les exploits étaient attestés par l'armée tout entière. Chez les Hébreux personne n'avait péri, mais les ennemis avaient eu tant de morts qu'on ne pouvait même les compter. Après avoir offert des sacrifices d'actions de grâce, il érige un autel et appelle Dieu du nom de Donneur de victoire[10] et il prédit que les Amalécites périraient d'une ruine complète, que nul d'entre eux ne survivrait, parce qu'ils s'étaient jetés sur les Hébreux, alors qu'ils se trouvaient dans un pays désert, en pleine détresse ; puis il restaura l'armée par des festins.
Tel fut leur premier engagement, livré après leur sortie d'Égypte contre d'audacieux agresseurs. Après qu'ils eurent célébré la fête en l'honneur de leur victoire, Moïse, ayant attendu quelques jours, emmena, après ce combat, les Hébreux rangés en bon ordre. Déjà beaucoup d'entre eux étaient armés. Avançant par petites étapes, le troisième mois après la sortie d'Égypte, il arrive au mont Sinaï[11], où s'étaient passés le miracle du buisson et ses autres visions que nous avons déjà rapportés.

[10] Les mots de la Bible (Exode, XVII, 15) signifient « Dieu ma bannière » et s'appliquent non pas à Dieu, mais à l’autel.

[11] Exode, XIX, 1. Josèphe place, comme on voit, cette étape avant l'épisode de Jéthro. C'est qu'en effet, Jéthro vient retrouver Moïse (Exode, XVIII, 5) près de « la montagne du Seigneur », c'est-à-dire du mont Horeb ou Sinaï. Mais dans la Bible le départ de la station de Rephidim n'est relaté qu'après la visite de Jéthro. Josèphe évite la difficulté en transposant.

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