Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE III

CHAPITRE XI
Les lévites ; lois sur les aliments, les lépreux, l'impureté des femmes après l'accouchement, l'adultère.

Moïse intronise les Lévites.

1.[1] Moïse, après avoir séparé la tribu de Lévi de la communauté du peuple, pour en faire une tribu sacrée, la purifia avec de l'eau de source d'un cours intarissable et avec les sacrifices que la loi prescrit dans ces circonstances d'offrir à Dieu ; et il leur confia le tabernacle et les ustensiles sacrés et tout ce qu'on avait fabriqué pour couvrir le tabernacle, afin qu'ils fissent leur service sous le commandement des prêtres ; car ces objets avaient déjà été consacrés à Dieu.

[1] Nombres, III, 5.

Lois alimentaires.

2.[2] Au sujet des animaux, il distingua en détail ceux dont on se nourrirait et ceux, au contraire, dont on ne cesserait de s'abstenir. A ce sujet, lorsque nous aurons l'occasion d'en traiter, nous nous expliquerons tout au long, en proposant les raisons qui l'ont déterminé à nous déclarer les uns comestibles, et à nous prescrire de nous abstenir des autres. Mais le sang[3], il nous l'a tout a fait interdit en tant qu'aliment, car il pense qu'il est l'âme même et le souffle vital. Il nous a défendu également[4] la consommation de la chair d'une bête morte d'elle-même, et nous a prescrit de nous abstenir de la membrane qui couvre les intestins, ainsi que du suif des chèvres, des brebis et des bœufs[5].

[2] Lévitique, XI, 1 ; Deutéronome, XIV, 3.

[3] Lévitique, XVII, 10.

[4] Lévitique, XI, 39.

[5] Lévitique, VII, 22.

Lois relatives aux lépreux.

3.[6] Il bannit de la ville ceux qui ont le corps affligé de lèpre et ceux qui ont un flux séminal surabondant. Les femmes aussi chez qui surviennent des sécrétions naturelles, il les éloigne jusqu'au septième jour ; après quoi, considérées comme pures, elles peuvent revenir dans leurs maisons. Il en est de même pour ceux qui ont enseveli un mort[7] ; après le même nombre de jours, ils peuvent revenir au milieu des autres. Celui qui dépasse ce nombre de jours en état de souillure, la loi veut qu'il sacrifie deux agnelles, dont l'une doit être brûlée et dont l'autre est prise par les prêtres. On fait les mêmes sacrifices en cas de flux séminal[8] : celui qui a eu un flux séminal pendant le sommeil, sera, après s'être plongé dans l'eau froide, dans la même situation que ceux qui ont cohabité légitimement avec leurs femmes. Mais les lépreux, c'est d'une façon définitive qu'il les éloigne de la ville, sans qu'ils puissent avoir commerce avec personne ; ils ne sont pas autre chose que des cadavres[9]. Mais si quelqu'un par des prières adressées à Dieu est délivré de cette maladie et recouvre l'épiderme de la santé, il en remercie Dieu par divers sacrifices dont nous parlerons plus tard.

[6] Lévitique, XIII-XV. Mais, dans le texte, il n'est nullement question de chasser de la ville ou de leur maison les femmes menstruelles.

[7] Nombres, XIX, 14 ; XXI, 19 ; cf. C. Apion, II, 28. Cette prescription n'est pas dans le premier des passages bibliques indiqués, où on l'attendrait plutôt ; elle est promulguée incidemment, quand les Israélites reviennent de leur campagne contre les Madianites. Moïse dit à ceux qui ont versé le sang et touché des cadavres : « Et vous, demeurez hors du camp pendant sept jours ». C’est de ces mots que la Halacha tire la règle générale (Sifré sur Nombres, XIX, 14). Josèphe est conforme à la tradition.

[8] Lévitique, XV, 16.

[9] Cf. Nombres, XII, 12 : dans ce passage, Aaron dit à Moïse que sa sœur, frappée de lèpre, est comme une morte. Sur la législation des lépreux, cf. Kélim, I, 7-8.

Absurdité des légendes concernant la lèpre de Moïse et des Hébreux en Égypte.

4. Tout cela permet de rire des gens[10] qui prétendent que Moïse, frappé de la lèpre, dut s'enfuir lui-même de l'Égypte et, s'étant mis à la tête de tous ceux qu'on avait chassés pour le même motif, les conduisit en Chananée. Car, si c'était vrai, Moïse n'aurait pas édicté, pour sa propre humiliation, de pareilles lois, contre lesquelles il est vraisemblable qu'il eût protesté, si d'autres les avaient promulguées, surtout quand chez beaucoup de nations les lépreux jouissent des honneurs et non seulement échappent aux injures et à l'exil, mais même occupent les fonctions militaires les plus en vue, administrent les charges publiques et ont le droit de pénétrer dans les lieux saints et dans les temples. De sorte que rien n'empêchait Moïse, si ou lui ou le peuple qui l'accompagnait avait eu la peau détériorée par un accident de ce genre, d'instituer au sujet des lépreux une législation des plus favorables, sans les condamner à la moindre peine. Mais il est clair que, s'ils s'expriment ainsi sur notre compte, c'est l'esprit de dénigrement qui les y incite ; pour Moïse, c'est en homme indemne de ces choses-là, au milieu d'un peuple indemne, qu'il a fait des lois à propos de ce genre de malades, et c'est en l'honneur de Dieu qu'il en usait ainsi. D'ailleurs, sur ce sujet chacun juge comme il l'entendra.

[10] Allusion aux écrivains comme Manéthon, qui publiaient sur les origines des Juifs des relations injurieuses. Voir, d'ailleurs, le C. Apion, I, § 287, où Josèphe prend Manéthon directement à parti sur cette même question.

Impureté des femmes en couche.

5.[11] Aux femmes qui ont accouché il interdit d'entrer dans le sanctuaire et de toucher à quelque chose de saint jusqu'après quarante jours, si c'est un enfant mâle ; le nombre se trouvait doublé, si c'était une fille. Mais elles y pénètrent, passé le terme précité, pour offrir des sacrifices, que les prêtres consacrent à Dieu.

[11] Lévitique, XII, 2.

La femme adultère.

6.[12] Si quelqu'un soupçonne sa femme d'avoir commis un adultère, il apporte un assarôn d'orge moulue et, après en avoir répandu une poignée en offrande à Dieu, on en donne le reste à manger aux prêtres[13]. Quant à la femme, un prêtre la place aux portes, qui sont tournées en face du temple et, lui enlevant son voile de la tête, il commence par écrire le nom de Dieu sur une peau[14] et il l'invite à déclarer par serment qu'elle n'a aucun tort envers son mari, mais que, si elle a violé les bienséances, sa main droite se désarticule, que son ventre se consume et qu'elle périsse ainsi ; que si c’est par excès d’amour et conséquemment par jalousie que son mari s'est laissé entraîner témérairement à la soupçonner, qu'il lui naisse au dixième mois un enfant mâle[15]. Ces serments achevés, après avoir effacé le nom de Dieu de la peau, il la délaye dans une coupe, puis, prenant un peu de terre du sanctuaire, ce qu'il trouve sous la main, il l'y répand et le lui donne à boire. Alors, si elle a été injustement incriminée, elle devient enceinte et le fruit de ses entrailles parvient à terme ; mais, si elle a trompé son mari dans son mariage et Dieu dans son serment, elle pérît d'une mort ignominieuse, sa cuisse se déjetant et l'hydropisie gagnant ses entrailles. Voilà au sujet des sacrifices et de la purification qui s'y rapporte, ce que Moïse prescrivit à ceux de son peuple et voilà les lois qu'il leur a données.

[12] Nombres, V, 12.

[13] Selon la tradition (Sota, III, 1), cette offrande avait lieu après la cérémonie décrite plus loin ; mais on sait qu'à l'époque de Josèphe, toute cette procédure était abolie (Tosefta de Sota, éd. Zuckermandel, p. 320). Sur la date de l'abolition, cf. M. Olitzki, Fl. Josephus und die Halacha, p. 22, note 27.

[14] Le mot utilisé par Josèphe est cité, au contraire, dans la Mischna de Sota (II, 4) comme un des objets sur lesquels on ne doit point écrire. La confusion faite par Josèphe peut s'expliquer par cette circonstance que la procédure n'était plus usitée de son temps. Selon la Halacha, il fallait un rouleau de parchemin (meguilla) ; on n'y écrivait pas uniquement le nom de Dieu, comme le déclare Josèphe, mais bien les phrases même de l'imprécation ; voir Sota, II, 3.

[15] La Bible dit seulement (Nombres, V, 28) que la femme justifiée aura une prospérité. Le Sifré (ad loc.) rapporte une discussion entre R. Akiba et R. Ismaël (commencement du IIe siècle) : selon le premier, le verset signifierait que même la femme jusque là stérile deviendra féconde ; le second explique que si elle avait eu jusque-là un enfantement laborieux, dorénavant elle enfantera aisément et que si elle n'avait eu précédemment que des filles, elle aura désormais des enfants mâles.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant