Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE V

CHAPITRE X
Le grand-prêtre Éli et le jeune Samuel.

Le grand-prêtre Éli ; indignité de ses fils.

1.[1] Les Hébreux, dont les affaires avaient décliné, portent de nouveau la guerre chez les Philistins par la raison que voici. Éli, le grand-prêtre, avait deux fils, Ophnis et Phinéès(ès). Ceux-ci, violents envers les hommes et impies envers la divinité, ne reculaient devant aucune injustice. Ils prenaient une partie des offrandes à titre d'honoraires, les autres, ils s'en emparaient comme des voleurs ; les femmes qui venaient pour le culte divin, ils les déshonoraient, en violant les unes, en séduisant les autres par des présents ; bref, leurs procédés ne différaient en rien de la tyrannie. Aussi leur père s’en montrait-il très affecté et il n'était pas loin de s'attendre à voir fondre sur eux le châtiment de Dieu à cause de leur conduite ; le peuple aussi en était fort en peine. Et lorsque Dieu dit à Éli et à Samuél(os) le prophète, qui était encore enfant, le sort qui était réservé à ses fils, alors Éli porta ouvertement le deuil de ses enfants.

[1] I Samuel, II, 12.

Éli annonce à Anna la naissance d'un fils.

2.[2] Mais je veux d'abord rapporter en détail l'histoire du prophète, et ensuite seulement dire ce qui advint aux fils d'Éli et le désastre qui accabla tout le peuple des Hébreux. Alcanès[3], un Lévite de la classe moyenne, de la tribu d'Ephraïm, qui habitait dans la ville d'Armatha[4], avait deux femmes, Anna et Phénanna[5]. De cette dernière, il eut des enfants ; quant à l'autre, encore qu'elle fût stérile, il ne cessa pas de l'aimer. Comme Alcanès était venu avec ses femmes dans la ville de Silo pour y sacrifier — car c'était là que se dressait le tabernacle de Dieu, comme nous l'avons dit précédemment —, et que pendant le festin il avait distribué successivement les parts des viandes à ses femmes et ses enfants, Anna, apercevant les enfants de l'autre femme assis autour de leur mère, fondit en larmes et se lamentait de sa stérilité et de son isolement. Son chagrin étant plus fort que les consolations de son mari, elle alla dans le tabernacle, supplia Dieu de lui donner une progéniture et de la rendre mère, promettant que son premier-né serait consacré au service de Dieu et n'aurait pas le même genre de vie que le commun. Comme elle restait longtemps en prière, Éli, le grand-prêtre, qui était assis à l'entrée du tabernacle, la prenant pour une femme ivre, lui commanda de se retirer. Celle-ci ayant répondu qu'elle n'avait bu que de l'eau, mais que, dans son chagrin d'être stérile, elle suppliait Dieu, il l'exhorta à prendre courage, lui annonçant que Dieu lui accorderait des enfants[6].

[2] Ibid., I, 1.

[3] Hébreu et LXX : Elkana. Son origine lévitique ressort de I Chroniques, IV, 27.

[4] Hébreu : Ramathaïm-Çophim.

[5] Hébreu : Peninna.

[6] Selon l'Écriture, Éli dit seulement : « Que Dieu t'accorde ce que tu as demandé ! » Mais la tradition explique qu'Éli a parlé ici prophétiquement, le mot hébreu pouvant se traduire par le simple futur. C'est pourquoi le Sèder Olam compte Éli parmi les prophètes.

Naissance de Samuel ; il est consacré à Dieu.

3.[7] Revenue avec ce doux espoir auprès de son mari, dans sa joie, elle prit de la nourriture et, quand ils furent de retour dans leur ville, elle se sentit enceinte. Et il leur naît un fils qu'ils appellent Samuel, ce qu’on pourrait rendre par demandé à Dieu[8] (Théétète). Ils revinrent alors offrir un sacrifice à l'occasion de la naissance de ce fils, et apportèrent aussi leurs dîmes[9]. Et la femme, se souvenant du vœu qu'elle avait formé au sujet de l'enfant, le remit à Éli, pour le consacrer à Dieu afin qu'il devînt un prophète. Aussi laissa-t-on croître sa chevelure librement et il eut pour boisson de l'eau. Samuel vécut ainsi et fût élevé dans le sanctuaire, mais Alcanès[10] eut encore d'Anna d'autres fils et trois filles[11].

[7] I Samuel, I, 18.

[8] Dans le grec : « Parce que je l'ai demandé au Seigneur Dieu ».

[9] La Bible dit qu’Anna offrit trois taureaux, un êpha de farine et une outre de vin (I Samuel, I, 24).

[10] I Samuel, II, 21.

[11] Trois fils et deux filles, d'après la Bible.

Révélations faites par Dieu à Samuel.

4.[12] Dès que Samuel eut douze ans[13] accomplis, il commença à prophétiser. Et une nuit qu'il dormait, Dieu l'appela par son nom. Lui, croyant que c'était le grand-prêtre qui avait parlé, alla le trouver. Comme le grand-prêtre niait l'avoir appelé, Dieu recommença à trois reprises. Et Éli réveillé, lui dit : « En vérité, Samuel, moi, je me suis tu comme tout à l'heure, c'est Dieu qui l'appelle. Eh bien dis-lui : Je suis là ». Et Dieu ayant parlé encore une fois, Samuel, qui l'entendit, le pria de lui révéler ses oracles ; car il ne manquerait pas de le servir, quoi qu'il désirât. Dieu alors : « Puisque, dit-il, tu es là, apprends qu'un malheur va fondre sur les Israélites qui dépassera tout ce qu'on peut dire ou croire, que les fils d'Éli périront le même jour et que le pontificat passera dans la maison d'Eléazar[14], parce qu'à mon culte Éli a préféré ses fils, et les a chéris au détriment même de leurs intérêts ». Éli ayant contraint le prophète par serments de lui révéler tout — ce dernier ne voulant pas l'affliger en lui en parlant —, il s'attendit avec plus de certitude que jamais à la perte de ses fils. Quant à Samuel, sa renommée ne fit que s'accroître, parce qu'on voyait que toutes ses prophéties étaient véridiques.

[12] I Samuel, III, 1.

[13] L'Écriture ne donne pas son âge.

[14] Josèphe interprète conformément à la tradition rabbinique la prophétie contenue dans I Samuel, II, 30-36, accomplie plus tard sous Salomon, selon I Rois, II, 27, 35 (remplacement d'Ébiathar, de la souche d'Ithamar, par Zadok, de la souche d'Eléazar).

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant