Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE VI

CHAPITRE II
Victoire des Hébreux sur les Philistins.

Exhortation de Samuel aux Hébreux : il les conduit à Masphaté.

1.[1] Pendant tout le temps où la ville des Kariathiarimites posséda l’arche, le peuple entier offrait des vœux et des sacrifices à Dieu et témoignait envers lui d’une piété et d’un zèle exemplaires. Le prophète Samuel, témoin de leur ardeur, trouva l’occasion belle, devant de telles dispositions, pour leur parler de la liberté et des bienfaits qu’elle apporte ; il leur tint le langage qu’il jugea le plus propre à lui concilier leurs esprits et à les persuader : « Hommes, leur dit-il, pour qui aujourd’hui encore les Philistins sont des ennemis pesants, mais à qui Dieu commence à devenir propice et bienveillant, vous ne devez pas vous contenter d’aspirer à la liberté, mais agir aussi de façon à la conquérir, ni vous borner à vouloir être délivrés de vos tyrans, tout en continuant à vous comporter de manière à perpétuer votre esclavage. Soyez donc justes et, en chassant le mal de vos âmes et en cultivant la vertu[2], tournez-vous vers la divinité de toute votre pensée et persévérez dans son culte : cette conduite vous vaudra le bonheur, l’affranchissement de la servitude et la victoire sur vos ennemis, avantages qu’on ne peut acquérir ni par les armes, ni par la vigueur physique, ni par le nombre des combattants : car ce n’est pas à ces mérites-là que Dieu promet de tels biens, c’est à une vie de vertu et de justice. C’est moi qui me porte envers vous garant de ses promesses[3]. » À ces paroles, le peuple répondit par des acclamations : heureux de cet encouragement, il promit de se conduire en sorte de plaire à Dieu. Samuel les mène alors dans une ville appelée Masphaté[4], ce qui signifie lieu en lieu dans la langue des Hébreux. Là, s’étant approvisionnés d’eau, ils font des libations à Dieu et, consacrant toute la journée au jeune, se livrent à la prière.

[1] I Samuel, VII, 2.

[2] Τήν πονηριαν έxβαλόντες τών ψυχών xαί θεραπεύοντες (ou θεραπεύσαντεv) αύτήν. Le mot αύτήν ne peut se rapporter grammaticalement qu’au mot πονηρια et n’offre aucun sens. Nous proposons de changer αύτήν en άρετήν, légère correction qui donne un sens satisfaisant.

[3] Ce délayage rend très mal le sens du discours de Samuel (VII, 3), qui demande aux Hébreux de prouver la sincérité de leur zèle en détruisant les idoles étrangères.

[4] Hébreu : Miçpa ; LXX : Μασοηοαθ.

Expédition des Philistins. Victoire des Hébreux.

2.[5] Cependant leur rassemblement en cet endroit ne passe pas inaperçu des Philistins ; ceux-ci, informés de leur réunion, marchent contre les Hébreux en forces considérables, dans l’espoir de les surprendre sans défiance et sans préparatifs. Cette attaque les bouleverse et les plonge dans la confusion et la terreur. Accourus auprès de Samuel, ils lui déclarent que leur courage est abattu par la peur et le souvenir de leur précédente défaite. « C’est pour cela, disent-ils, que nous restions tranquilles, de peur d’attirer sur nous les forces ennemies. Or, tandis que tu nous réunissais pour des prières, des sacrifices et des serments, voici que les ennemis tombent sur nous qui sommes nus et sans armes : aussi n’avons-nous d’espoir de salut qu’en toi seul et qu’en Dieu, si tu obtiens de lui que nous puissions échapper aux Philistins. » Samuel les engage à se rassurer, et leur annonce que Dieu les secourra. Et, avant pris un agneau de lait, il le sacrifie pour le salut du peuple et supplie Dieu d’étendre sa droite au-dessus d’eux pour les protéger dans la bataille contre les Philistins et ne pas leur laisser subir un second revers. Dieu daigne exaucer ses prières : il accepte le sacrifice dans une pensée propice et secourable, et leur promet la victoire et le triomphe. Dieu maintenait encore la victime sur l’autel et ne l’avait pas encore fait entièrement consumer par la flamme sacrée, quand l’armée ennemie sort de son camp et se range en bataille avec l’espoir de vaincre, croyant les Juifs[6] dans le désarroi, eux qui n’avaient pas d’armes et n’étaient pas venus là dans l’intention de combattre. Mais l’événement fut tel quel le leur eût-on prédit, les Philistins auraient eu peine à le croire. Tout d’abord, en effet, Dieu les trouble, par un tremblement de terre et rend le sol vacillant et incertain sous leurs pas, de sorte que ses ébranlements les faisaient chanceler sur leurs jambes, et quand le sol s’ouvrait, ils étaient engloutis dans les crevasses[7] : puis, avant fait retentir le tonnerre et brûler autour d’eux les flammes de la foudre comme pour leur brûler les yeux, enfin leur arrachant les armes des mains, il les met en déroute tout dépouillés. Mais Samuel marche contre eux avec le peuple et, après en avoir massacré beaucoup, les poursuit jusqu’à un certain endroit appelé Corraea[8]. Là, il érige une pierre, pour marque de la victoire et de la fuite des ennemis, et il l’appelle Pierre Forte[9], comme symbole de la force que Dieu leur avait prêtée contre leurs ennemis.

[5] I Samuel, VII, 7.

[6] Anachronisme fréquent pour Israélites (cf. Ant., IV. § 11 et plus loin, $ 30 et 40).

[7] La Bible ne parle que de tonnerre.

[8] Hébreu : Bêt-Car ; LXX : Βαιθχόρ.

[9] Hébreu : Eben-Haézer (Pierre d’assistance) ; LXX : Άβενέζρ traduit par λίθος τού Βοηθού. Peut-être Josèphe a-t-il mal lu l’hébreu (Michaëlis, Thénius, Siegfried).

Samuel reprend le pays précédemment conquis par les Philistins.

3. Ceux-ci, après cette défaite, n’osèrent plus attaquer les Israélites ; la crainte et le souvenir de leur désastre les firent demeurer en repos. Et l’assurance qui animait autrefois les Philistins contre les Hébreux passa dans le cœur de ces derniers après la victoire. Samuel, avant fait campagne contre eux, en fait périr beaucoup, humilie complètement leur orgueil et leur enlève le pays qu’ils avaient arraché précédemment aux Juifs après leur victoire ; c’était la région qui s’étend depuis la frontière de Gitta jusqu’à la ville d’Akkaron[10]. À cette époque-là, les Israélites vivaient en bonne amitié avec ce qui restait des Chananéens.

[10] Comme l’hébreu et l’Alexandrinus ; le Vaticanus a : d’Ascalon jusqu’à Azot.

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