Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE VI

CHAPITRE XIII
Saül poursuit à nouveau David ; mort de Samuel ; David épargne Saül pour la seconde fois.

Victoire de David sur les Philistins ; sa fuite dans le désert d’Engaddi.

1.[1] Sur ces entrefaites, informé que les Philistins avaient fait irruption dans le pays des Killaniens[2] et y commettaient un grand dégât, David s’offre à marcher contre eux, après avoir demandé à Dieu par l’intermédiaire du prophète s’il le lui permettait. Samuel ayant répondu que Dieu promettait la victoire, il s’élança contre les Philistins avec ses compagnons, en fit un grand carnage et remporta force butin. Comme il prolongea son séjour chez les Killites jusqu’à ce qu’ils eussent rentré leurs blés et leurs fruits, on dénonça sa présence au roi Saül. Car son exploit et son succès n’étaient pas restés le secret du canton qui en avait été le théâtre : la renommée les propagea de tous côtés et jusqu’aux oreilles du roi, en exaltant l’acte et l’auteur. Saül se réjouit de savoir David enfermé dans Killa. « Enfin Dieu l’a livré entre mes mains, dit-il, puisqu’il l’a forcé à s’arrêter dans une ville pourvue de murailles, de portes et de verrous », et il ordonna à tout le peuple de se ruer sur Killa, d’en faire le siège, et de n’en point partir qu’on n’eût pris et tué David. Cependant David s’était méfié de cette agression, et Dieu l’avait averti que s’il restait chez les gens de Killa, ils le livreraient à Saül ; il emmène donc ses quatre cents[3] hommes, et quitte la ville pour s’enfoncer dans le désert situé au-dessus d’Engedaïn[4]. Le roi, ayant appris qu’il s’était enfui de chez les Killites, renonça à son entreprise contre lui.

[1] I Samuel, XXIII, 1.

[2] Bible : Kéïla.

[3] Comme les LXX ; hébreu : six cents hommes environ.

[4] Dans la Bible, le désert de Ziph. Engedaïn correspond à l’hébreu, En-Ghedi (LXX : Ένγαδδί), mentionné plus loin, au chap. XXIV.

Rencontre de David et de Jonathan à Ziph ; les Ziphéniens offrent de livrer David ; fuite de ce dernier.

2. David, parti de là, arrive en un endroit appelé Kainé (La Nouvelle)[5] dans la Ziphène : là, Jonathan, fils de Saül, se rencontre avec lui, et, lui ayant donné l’accolade, l’exhorte à prendre courage, à bien espérer pour l’avenir et à ne pas se laisser accabler par le présent : David était appelé à régner et à tenir sous son pouvoir toutes les forces des Hébreux, et une si haute fortune exige volontiers de grandes épreuves. Puis, avant renouvelé ses serments d’affection et de confiance réciproque pour toute la vie, avant pris Dieu à témoin des malédictions qu’il appelait sur lui-même, s’il venait à transgresser leur alliance et à montrer des sentiments opposés, il laisse David un peu soulagé de ses soucis et de ses craintes et s’en retourne chez lui. Cependant les gens de Ziph, pour faire leur cour à Saül, lui révélèrent que David séjournait parmi eux et promirent de le livrer, si Saül marchait contre lui ; en effet, les défilés de la Ziphène une fois occupés, il ne pourrait plus se sauver ailleurs. Le roi loua leur fidélité, déclarant qu’il leur savait gré d’avoir dénoncé son ennemi et que ce service n’attendrait pas longtemps sa récompense. Puis il envoya des hommes pour rechercher David et fouiller le désert, assurant qu’il les suivrait bientôt lui-même. Ainsi ces méchants poussaient le roi à poursuivre et à saisir David, et s’empressaient non-seulement de lui dénoncer son ennemi, mais de le livrer entre ses mains pour lui prouver leur zèle d’une façon plus manifeste. Mais l’espoir impie de ces hommes fut déçu, d’autant plus pervers qu’ils n’auraient couru aucun risque en s’abstenant de faire ces révélations à Saül, et que, par flatterie et dans l’attente d’un salaire, ils calomnièrent et offrirent de trahir un homme cher à Dieu, dont la tête était injustement mise à prix et qui pouvait rester caché. En effet, David, informé des mauvais desseins des Ziphéniens et de l’approche du roi, quitte les défilés de leur pays et se réfugie auprès de la grande roche qui se trouve dans le désert de Simon[6].

[5] Josèphe suit les LXX, qui traduisent par έν τή Καινή Ζίφ les mots hébreux (I Samuel, XXIII, 15), lisant sans doute « nouvelle » au lieu du mot hébreu traduit communément par « forêt ».

[6] L’hébreu dit : « dans le désert de Maon, dans la plaine au midi du Yeschimôn ». LXX : έν τή έρήμφ τή Μαών.... έx δεξιών τοΰ Ίεσσαιμοϋ.

Saül arrêté dans sa poursuite par une invasion des Philistins.

3.[7] Saül l’y relance aussitôt. Ayant appris en route que David avait franchi les défilés, il se dirigea vers l’autre côté de la roche. Mais au moment où David allait être pris, Saül fut détourné de la poursuite par la nouvelle que les Philistins avaient derechef envahi le territoire des Hébreux ; il se retourna contre eux, estimant plus à propos de combattre l’ennemi héréditaire que de laisser dévaster son pays en pourchassant son ennemi personnel.

[7] I Samuel, XXIII, 25.

Saül poursuit de nouveau David : rencontre dans une caverne ; générosité de David ; repentir de Saül.

4.[8] David, ainsi échappé au danger par miracle, se retire dans les gorges du pays d’Engaddi[9]. A peine Saül eut-il chassé les Philistins, on vint lui annoncer que David séjournait sur les confins de l’Engadène. Alors, ayant pris trois mille hommes d’armes d’élite, il s’y dirige à marches forcées. Arrivé à proximité des lieux indiqués, il rencontre, au bord de la route, une caverne profonde et creuse, fort longue et large, où par hasard se trouvait caché David avec ses quatre cents hommes. Pressé par quelque besoin naturel, Saül pénètre seul dans la caverne. Un des compagnons de David l’aperçoit ; il dit à son chef que voilà l’occasion envoyée par Dieu de se venger de son ennemi et lui conseille de trancher la tête à Saül pour s’affranchir enfin de cette vie de vagabondages et de misères. David, se dressant debout, arrache le pan du manteau dont Saül était enveloppé, puis, s’étant aussitôt ravisé, pensa qu’il ne pouvait sans impiété assassiner son maître, l’homme que Dieu avait jugé digne de la royauté : « S’il se conduit mal envers moi, dit-il, ce n’est pas une raison pour que j’en use de même envers lui. » Quand Saül fut sorti de la caverne, David court devant l’entrée et pousse un cri, pour se faire entendre de lui. Et le roi s’étant retourné, il se prosterne devant lui, la face à terre, selon l’usage, et dit : « Ô roi, vas-tu continuer à prêter l’oreille aux méchants, aux calomniateurs, à leur faire l’honneur d’ajouter foi à leurs mensonges et à tenir en suspicion tes meilleurs amis ? C’est aux actes qu’il faut juger le caractère de chacun. La calomnie égare, les actes révèlent clairement les bons sentiments ; les paroles ont naturellement deux aspects, vérité ou mensonge, mais les faits mettent sous les regards l’intention à nu. Laisse-toi donc convaincre par ce qui vient de se passer : sois persuadé que je ne veux que du bien à toi et à ta maison, et, sans plus t’attacher à ceux qui m’accusent de desseins que je n’ai jamais conçus et qui ne peuvent pas avoir existé, cesse de persécuter ma vie et de n'avoir, jour et nuit, d’autre souci en tête que celui de ma perte, injustement méditée. Comment, en effet, ne reconnais-tu pas le mensonge de la rumeur à laquelle tu as donné créance, mon prétendu complot contre ta vie ? Comment ta conduite ne serait-elle pas un outrage envers Dieu, lorsqu’un homme qui aujourd’hui pouvait satisfaire sa rancune et tirer vengeance de toi, et qui n’a pas voulu le faire ni cherché à profiter d’une occasion que tu n’aurais pas, toi, laissé passer, si le sort l’avait livré en tes mains, lorsque cet homme-là, tu aspires à sa mort et tu le rêves ton ennemi ? Car lorsque j’ai coupé le pan de ton manteau, je pouvais aussi facilement te trancher la tête. » Et lui avant fait voir le morceau d’étoffe, en témoignage de la vérité de son discours : « Oui, dit-il, moi, j’ai renoncé à une légitime vengeance, et toi, tu ne rougis pas de nourrir contre moi une haine injustifiée. Que Dieu soit juge et prononce sur notre conduite à tous deux ! » Saül, surpris de la façon merveilleuse dont il venait d’être sauvé, frappé de la générosité et du caractère du jeune homme, poussa un soupir. Comme David en faisait autant : « C’est à moi de gémir, reprit-il[10], car toi, tu m’as fait du bien, tandis que je ne t’ai rendu que du mal. Tu as montré aujourd’hui que tu possédais cette droiture de nos anciens, qui ont recommandé de laisser la vie à un ennemi surpris dans la solitude. Dès maintenant je ne doute pas que Dieu te réserve la royauté et que l’empire sur tous les Hébreux sera ton partage. Mais donne-moi l’assurance par serment de ne pas anéantir ma famille, de ne pas faire périr, par rancune contre moi, mes descendants, de conserver et de sauver ma maison. » David prête le serment désiré et laisse rentrer Saül dans son royaume ; quant à lui, il monte en compagnie des siens dans le défilé de Masthéra[11].

[8] I Samuel, XXIV, 1.

[9] Hébreu : En-Ghedi ; LXX : Ένγαδδί.

[10] Ce jeu de scène n’est pas dans la Bible. Saül fond en larmes et proclame la générosité de David.

[11] Hébreu : Meçouda, tenu généralement pour un nom commun et traduit par « abri » : Josèphe est conforme aux LXX : είς τήν Μεσσερά στενήν.

Mort de Samuel.

5.[12] Vers ce temps-là, mourut le prophète Samuel, homme qui jouit chez les Hébreux d’une considération peu commune. L’éclat de ses vertus et l’affection dont la multitude l’entourait s’exprimèrent par le deuil que célébra longtemps le peuple, l’empressement unanime et le zèle qu’on montra à l’occasion de sa sépulture et pour l’accomplissement des rites légaux. On l’enterra dans sa patrie, Armatha, et on le pleura pendant de très longs jours ; ce n’était pas un deuil public, comme pour la mort d’un étranger : chacun individuellement le regretta comme son propre parent. Samuel fut un homme de naturel juste et bon, et par là même très aimé de Dieu. Il avait commandé et gouverné le peuple après la mort du grand-prêtre Éli pendant douze ans tout seul, et avec le roi Saül pendant dix-huit ans. Ainsi finit Samuel.

[12] I Samuel, XXV, 1. Cf. XXVIII, 3. Les chiffres donnés plus bas sont ajoutés par Josèphe.

Brutalité du Ziphénien Nabal.

6. Or, il y avait un certain homme du pays de Ziph, de la ville d’Emmà[13], qui était riche et possédait de nombreux troupeaux : il faisait paître, en effet, trois mille brebis et mille chèvres. Ces troupeaux, David avait recommander aux siens de les protéger contre tout dommage et tout dégât et de n’y porter aucune atteinte, quelque tentés qu’ils pussent être par le désir, le besoin, ou la solitude, quelque facilité qu’ils eussent d’échapper ; ils devaient placer au-dessus de toutes ces considérations la règle de ne léser personne et regarder comme un crime et un péché envers Dieu le fait d’attenter au bien d’autrui. En donnant ces ordres aux siens, David croyait obliger un homme de bien et digne de pareils égards. Mais Nabal(os), — tel était son nom — était un brutal, de caractère méchant, et qui pratiquait la manière de vivre des cyniques[14] ; en revanche, le sort lui avait donné pour compagne une femme excellente, vertueuse et, de plus, très belle. Dans le temps donc où Nabal faisait tondre ses brebis, David envoya dix de ses compagnons pour lui présenter ses hommages et lui souhaiter de continuer dans la prospérité pendant de longues années ; en même temps, il le priait de leur fournir un peu de ce qu’il avait en abondance : « Tu dois savoir, dirent-ils, par tes bergers, que nous ne leur avons causé aucun tort, qu’au contraire nous nous sommes faits les gardiens de leurs personnes et de leurs troupeaux, depuis le long temps que nous vivons dans le désert. Ton bienfait, d’ailleurs, ne sera pas perdu. » Les envoyés s’étant acquittés de leur mission auprès de Nabal, il les accueillit avec beaucoup d’inhumanité et de dureté. Il leur demanda d’abord qui était ce David, et apprenant qu’il était le fils de Jessée : « On voit prendre aujourd’hui de grands airs, s’écrie-t-il, à des fugitifs et s’enorgueillir des serviteurs qui ont planté là leurs maîtres. » Ces propos, rapportés à David, le mirent fort en colère ; il commande à quatre cents hommes de le suivre en armes, laissant deux cents autres pour garder les bagages — car il avait maintenant réuni six cents combattants — et marche contre Nabal, faisant serment d’anéantir, cette nuit même, sa maison et tout son bien : il lui en voulait non pas seulement de son accueil peu gracieux et de n’avoir pas répondu à la parfaite courtoisie de son adresse, mais en outre d’avoir injurié et outragé des gens dont il n’avait qu’à se louer.

[13] Hébreu : un homme du Maon.

[14] Le texte hébreu dit que Nabal était un kéleb (traduction usuelle : « un homme de Kaleb, un Kalébite »). Josèphe suit étourdiment les LXX, qui voient dans kéleb un nom commun : « chien » (xαί ό άνθρωπος xυνιxός).

Excuses d’Abigaïl, sa femme, à David.

7. Cependant un des esclaves qui gardaient les troupeaux de Nabal rapporte à sa maîtresse, la femme de Nabal, comment David avait envoyé un message à son mari, mais, loin de rencontrer de sa part un accueil courtois, n’en avait reçu que de grossiers outrages, et cela malgré ses égards envers eux et le soin qu’il avait pris de leurs troupeaux ; sûrement une telle attitude portera malheur à son maître. Au récit de l’esclave, Abigaïl (Abigaïa)[15], — tel était son nom, — fait sur-le-champ bâter des ânes et charger leurs bâts de toute sorte de présents, puis, sans mot dire à son mari, que l’ivresse empêchait de rien voir[16], elle va trouver David. Comme elle descendait les défilés de la montagne, elle rencontre celui-ci s’acheminant avec ses quatre cents hommes vers Nabal. Dès qu’elle l’aperçoit, la femme saute à terre, et, tombant sur sa face, le salue et le supplie de ne pas garder rancune des paroles de son époux : il ne devait pas ignorer en effet, que cet homme était ce qu’indiquait son nom ; — nabal dans la langue des Hébreux signifie démence[17] ; — quant à elle, elle s’excusait de n’avoir pas vu les envoyés de David. « C’est pourquoi, pardonne-moi, dit-elle, et rends grâce à Dieu qui t’empêche de tremper tes mains dans le sang humain. Si tu demeures pur, Dieu lui-même te vengera des méchants, et les malheurs dont tu menaçais Nabal fondront sur la tête de tes ennemis. Mais sois bon pour moi, en me faisant l’honneur de recevoir ces présents de mes mains, et renonce en ma faveur à l’indignation et à la colère que tu nourris contre mon mari et contre sa maison. Il te sied, en effet, de faire paraître de la mansuétude et de l’humanité, à toi qui dois régner un jour. » David accepte les présents et lui répond : « En vérité, femme, c’est Dieu, dans sa bonté, qui t’a menée vers nous aujourd’hui ; sans quoi tu n’eusses pas vu le jour de demain, car j’avais juré de détruire, cette nuit même, la maison de Nabal et de ne laisser vivre personne d’entre vous, tant cet homme s’est montré méchant et ingrat envers moi et mes compagnons. Mais tu m’as devancé et tu es arrivée à temps pour apaiser ma colère, puisque Dieu te protège. Quant à Nabal, il peut bien aujourd’hui, grâce à toi, retarder son châtiment, mais il n’évitera pas l’expiation ; sa perversité deviendra sa perte dans quelque autre occasion. »

[15] Comme les LXX.

[16] Détail ajouté ici par Josèphe, mais suggéré par I Samuel, XXV, 36.

[17] Les LXX traduisent aussi nabal par άφροσύνη. Le sens propre du mot est plutôt impie, brutal (Isaïe, XXXII, 6).

Mort de Nabal, David épouse Abigaïl.

8.[18] Cela dit, il congédie la femme. En rentrant chez elle, elle trouve son mari festoyant avec de nombreux convives et déjà pris de boisson, sur le moment, elle ne révéla rien de ce qui s’était passé, mais, le jour suivant, quand il était à jeun, elle lui raconta tout et le vit aussitôt défaillir ; l’effet de ses paroles et du dépit qu’il en ressentit lui rendit le corps tout perclus. Après avoir vécu encore dix jours, pas un de plus, Nabal mourut. Quand il fut instruit de sa fin, David déclara qu’il avait été justement puni par Dieu ; « Nabal, dit-il, a péri victime de sa propre dépravation, et je suis vengé de lui, sans m’être souillé de son sang. Il apprit par cet exemple que les méchants sont poursuivis par Dieu, à qui rien n’échappe de ce qui se passe chez les hommes, qui paie les bons selon leur mérite, et envoie aux méchants un prompt châtiment. Ensuite David adressa un message à la femme, pour l’inviter à vivre désormais comme épouse avec lui. Elle répondit aux messagers qu’elle n’était pas digne de toucher ses pieds ; mais elle vint cependant avec tout son équipage. Elle demeura donc avec David, et cet honneur lui échut parce qu’elle était à la fois de mœurs honnêtes et sages et parfaitement belle. David avait déjà une autre épouse, qu’il avait prise dans la ville d’Abisaros[19]. Quant à Michal, la fille du roi Saül qui avait été femme de David, son père l’avait unie ensuite à Pheltias, fils de Lisos[20], de la ville de Gethla[21].

[18] I Samuel, XXV, 36.

[19] I Samuel, XXV, 43. C’est Achima (infra, section 10). La Bible l’appelle Ahinoam de Jezreel ; LXX : Άχινάαμ έξ Ίεζραέλ.

[20] Hébreu : Palti, fils de Layisch ; LXX : Φαλτί υίώ Άμίς (A : Δαϊς).

[21] Hébreu : Gallim ; LXX : Ρομμά (A : Γαλλει ; L : Γολιαθ).

Nouvelles poursuites de Saül, David dans le camp de Saül : réconciliation.

9.[22] Un peu plus tard, quelques hommes de Ziph s’en vinrent donner avis à Saül que David était de nouveau dans leur pays et qu’ils pourraient s’emparer de lui s’il voulait les aider. Saül se mit aussitôt en campagne avec trois mille hommes d’armes, et, la nuit approchant, campa en un endroit nommé Sékéla[23]. David, averti que Saül marchait contre lui, envoya des espions chargés de reconnaître ses positions. Ceux-ci lui ayant rapporté que le roi passait la nuit à Sékéla, David, à l’insu des siens, se glisse jusqu’au camp de Saül, emmenant avec lui Abisaï (Abesséos)[24], fils de sa sœur Sarouya[25], et Achiméléch(os), le Chettéen. Saül dormait, ses hommes d’armes et le général Abner couchés en cercle autour de lui. David, ayant pénétré dans le camp du roi, s’abstient de tuer Saül, dont il avait reconnu la couche au javelot qui était liché en terre à son côté ; il ne laissa même pas faire Abisaï, qui voulait le tuer et s’élançait dans cette intention : il déclara qu’il était abominable de mettre à mort l’élu de Dieu, si coupable fût-il ; le temps viendrait où celui qui lui avait donné le pouvoir se chargerait de le châtier. Il arrêta donc le bras d’Abisaï, mais, pour bien marquer qu’il avait pu tuer le roi et ne l’avait pas voulu, il enleva le javelot ainsi que la cruche d’eau qui était posée près de Saül endormi, sans qu’aucun de ceux qui étaient dans le camp s’en aperçût, et, pendant que tout te monde sommeillait à terre, il s’en alla tranquillement, sa hardiesse et les circonstances lui ayant permis d’accomplir tout ce qu’il avait médité de l’aire aux yeux du roi. Après avoir repassé le torrent[26], il monte sur le sommet d’une colline d’où sa voix portait au loin, appelle à grands cris les gens de Saül et le général Abner, et les réveille en sursaut de leur sommeil, chef et soldats. Abner ayant entendu et demandé qui l’appelait, David répond : « C’est moi, le fils de Jessée, que vous avez chassé. Mais comment se fait-il que toi, un si haut personnage, qui tiens le premier rang auprès du roi, tu marques tant de négligence à veiller sur la personne de ton maître et que ton sommeil te soit plus précieux que son salut et sa sécurité ? Vous avez tous mérité la mort et le châtiment, pour n’avoir pas aperçu que tout à l’heure quelques hommes ont pénétré dans votre camp jusqu’auprès du roi et de tous ceux qui l’entourent. Vois ce que sont devenus le javelot du roi et sa cruche d’eau et juge par là quel danger était parmi vous sans que vous vous en doutiez. » Saül reconnaît la voix de David : il devine que celui-ci, l’ayant surpris sans défense, endormi et mal gardé par une escorte négligente, loin de l’assassiner, l’a épargné quand il aurait eu le droit de le tuer ; alors il s’écrie qu’il lui sait gré de son salut et l’engage à se rassurer et, sans plus craindre aucun mauvais traitement de sa part, à rentrer au foyer. Il était maintenant persuadé, ajoute-t-il, qu’il ne s’aimait pas lui-même autant que l’aimait David : cet homme lui aurait pu être sa sauvegarde[27] et qui lui avait fourni mille preuves de son attachement, il l’avait traqué, contraint de vivre longtemps en proscrit, tremblant pour son existence, sans amis ni parents, et cependant voilà que plusieurs fois il avait été sauvé par lui et avait reçu de ses mains une vie en danger manifeste. David alors envoya un homme rapporter le javelot et la cruche d’eau[28] et protesta que Dieu serait juge de leur caractère et de leurs actions, « Dieu qui savait qu’ayant eu le pouvoir aujourd’hui même de tuer Saül, il s’en était abstenu ».

[22] I Samuel, XXVI, 1.

[23] Hébreu : Hakila. Josèphe semble avoir confondu cette ville avec celle de Ciklag dont il est parlé un peu après (sect. 10). Les Septante (B et A) donnent Κεειλα, mais on trouve Σεxελαγ dans L (I Samuel, XXVI, 4).

[24] Hébreu : Abischaï ; LXX : Άβεσσά.

[25] Hébreu : Cerouya. Sa qualité de sœur de David est indiquée dans I Chroniques, II, 16.

[26] Ce torrent n’est pas mentionné dans la Bible : David passe seulement « de l’autre côté » (LXX : διέβη είς τό πέραν).

[27] Texte altéré.

[28] Dans la Bible, David dit : voici la lance du roi, qu’un des serviteurs vienne la prendre.

David chez Anchous, roi de Gitta ; il obtient Sékéla pour lieu de séjour.

10.[29] Saül, qui avait ainsi pour la seconde fois échappé aux mains de David, retourna dans son palais et sa patrie : mais David, craignant, en restant dans le pays, d’être pris par Saül, jugea préférable de descendre chez les Philistins pour y demeurer. Et avec les six cents hommes qui l’accompagnaient il arriva chez Anchous[30], roi de Gitta, une de leurs cinq villes. Le roi l’ayant accueilli, ainsi que ses hommes, lui assigna une habitation, pour lui et ses deux femmes Achima[31] et Abigaïl, et l’installa à Gitta. Saül, quand il l’apprit, ne parla plus d’envoyer ou de marcher contre David, car, par deux fois déjà, il avait failli tomber entre ses mains, en cherchant à le prendre[32]. Cependant David ne jugea pas bon de demeurer dans la ville des Gittiens ; il demanda à leur roi, puisque aussi bien il l’avait accueilli avec hospitalité, une grâce de plus : c’était de lui donner un endroit sur son territoire pour y habiter ; il craignait, en restant dans la ville, de lui être à charge et importunité. Alors Anchous lui donna une bourgade nommée Sékéla[33] que David aima tellement qu’une fois roi il en fit un domaine particulier pour lui et ses fils ; mais de ceci nous parlerons ailleurs. Le temps pendant lequel David demeura à Sékéla en Philistée fut de quatre mois et vingt jours[34]. Il passa ce temps à faire des incursions clandestines chez les peuples voisins des Philistins, les Serrites et les Amalécites[35]. Il ravageait leur pays et s’en retournait muni d’un butin abondant en bêtes de somme et chameaux ; quant aux hommes, il les épargnait[36] craignant qu’on ne le dénonçât au roi Anchous ; il envoyait d’ailleurs à ce dernier, en guise de présent, une part du butin. Comme le roi demandait à qui il s’était attaqué pour gagner tant de prises, il lui raconta que c’était à des gens de Juda, demeurant au midi de ce pays, dans la plaine, et réussit à le faire croire a Anchous. Celui-ci, en effet, avait conçu l’espoir que David tiendrait son propre peuple en haine et qu’il le garderait à son service, sa vie durant, établi dans ses états.

[29] I Samuel, XXVII, 1.

[30] Hébreu : Akhisen, roi de Gath.

[31] Hébreu : Ahinoam ; LXX : Άχινάαμ.

[32] La Bible dit seulement : « Saül cessa de le poursuivre ».

[33] Hébreu : Ciklag ; LXX : Σεxελάx.

[34] L’hébreu dit : des jours (on traduit communément par un an) et quatre mois ; les LXX ont : τέσσαρας μήνας (A : ημερας τεσσαρες μηνας).

[35] Hébreu : les Gheschourites, Ghezrites et Amalécites ; LXX : έπί πάντα τόν Γεσιρί (A : Γεσερει xαί Γεζρxνιν) xαί έπί τόν Άμαληxίτην.

[36] La Bible dit au contraire (I Samuel, XXVII, 9 et 11) qu’il les tuait tous, pour empêcher les dénonciations.

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