Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE VII

CHAPITRE II
Après l'assassinat d'Isboseth, David, fait roi de tout Israël, vient à Jérusalem.

Assassinat d’Isboseth ; indignation de David ; il châtie les meurtriers.

1.[1] En apprenant la fin d’Abner, Isboseth, fils de Saül, ne fut pas médiocrement frappé. Privé d’un homme de son sang et qui lui avait assuré le trône, il s’abandonna à une vive émotion et conçut de cette mort un profond chagrin. Lui-même ne survécut pas longtemps à son général ; il périt victime d’un complot tramé par les fils de Yéremmôn[2] dont l’un s’appelait Banaotha et l’autre Thannos[3]. Ceux-ci, de race benjamite et du premier rang, s’étaient dit que, s’ils tuaient Isboseth, ils recevraient de grands présents de David et que leur acte leur vaudrait de sa part un commandement ou quelque autre marque de confiance. Ils vont donc surprendre Isboseth couché seul, comme il prenait son repos de midi. Il n’y avait point de garde auprès de lui ; la portière[4] elle-même, au lieu de veiller, s’était laissé gagner par le sommeil, vaincue par la fatigue de son labeur et par la chaleur du jour ; ils pénètrent ainsi dans la chambre où le fils de Saül se trouvait endormi et le tuent. Puis, lui avant tranché la tête, ils cheminent toute la nuit et tout le jour, pressés de fuir loin de leur victime pour se rendre chez celui qui accueillera leurs services et leur procurera toute sécurité. Ils arrivent ainsi à Hébron, montrent la tête d’Isboseth à David et se présentent à lui comme des amis, qui l’ont débarrassé de son rival et du compétiteur de son trône. Mais lui, loin d’applaudir leur acte comme ils l’espéraient, s’écria : « Scélérats que vous êtes et qu’un prompt châtiment attend, ne saviez-vous pas comment j’ai traité le meurtrier de Saül qui m’avait apporté sa couronne d’or, bien qu’il eût tué ce roi sur sa propre prière afin qu’il ne tombât point vivant aux mains de ses ennemis ? Avez-vous cru que j’avais changé de naturel et que je n’étais plus le même, que je sourirais à des malfaiteurs et appellerais « service » votre régicide, vous qui avez assassiné dans son lit un homme de bien, qui n’a jamais fait de mal à personne et qui vous comblait de bontés et d’honneurs ? C’est pourquoi vous subirez un châtiment qui sera à la fois une expiation envers votre victime et une réparation envers moi, pour avoir cru, en la tuant, que sa mort me serait agréable ; car vous ne pouviez pas outrager ma gloire plus vivement que par une pareille supposition. » Avant ainsi parlé, il leur infligea tous les supplices et les fit mourir[5] ; puis il ensevelit la tête d’Isboseth en grand honneur dans le tombeau d’Abner.

[1] II Samuel, IV, 1.

[2] Hébreu : Rimmon ; LXX : ‘Ρεμμών.

[3] Bible : Baana et Rèkhab ; on ne voit pas bien d’où provient la lecture Θάννος. Cf. Schlatter. op. cit., p. 103.

[4] A peu près comme les LXX : ή θυρωρός τοϋ οϊxου έxάθαιρε πυρούς (Josèphe parle d’un certain travail, sans préciser) xαί ένύσταξε xαί έxάθευδε. L’hébreu dit tout autre chose : « Ils pénètrent jusqu’au milieu de la maison, prenant des épis de froment » (v. 6).

[5] Dans la Bible, on les met à mort et on leur tranche ensuite les mains et les pieds.

Toutes les tribus reconnaissent David pour roi.

2.[6] Après ce dénouement, les premiers du peuple des Hébreux vinrent tous auprès de David, à Hébron, chiliarques et chefs, et se donnèrent à lui, en rappelant la bienveillance qu’ils lui avaient témoignée du vivant même de Saül et les honneurs qu’ils n’avaient cessé de lui rendre du temps où David était chiliarque ; ils représentaient que Dieu, par la voix du prophète Samuel, l’avait choisi pour régner ainsi que ses fils et lui avait accordé de sauver le pays des Hébreux en abattant les Philistins. David les loue de leur empressement, les invite à y persévérer, ajoutant qu’ils n’auront pas à s’en repentir, puis, après des festins et des marques d’amitié, il les charge de lui amener le peuple entier[7]. Il arriva, de la tribu de Juda, environ six mille huit cents guerriers armés du bouclier long et de la hallebarde ; c’étaient ceux qui étaient restés fidèles au fils de Saül, car le reste de la tribu de Juda avait choisi David pour roi. La tribu de Siméon fournit sept mille cent guerriers, celle de Lévi quatre mille sept cents[8], sous le commandement de Jodam(os)[9]. Avec eux se trouvait le grand-prêtre Sadoc ainsi que vingt-deux chefs, ses parents. La tribu de Benjamin fournit quatre mille guerriers[10], le reste de cette tribu se réservait, attendant encore quelque membre de la famille de Saül qui pût régner. De la tribu d’Ephraïm vinrent vingt mille huit cents des plus puissants et des plus robustes, de la demi-tribu de Manassé huit mille[11] de même valeur, de la tribu d’Isachar deux cents devins et vingt mille guerriers[12], de la tribu de Zabulon cinquante mille guerriers d’élite ; cette tribu fut la seule qui vint se joindre tout entière à David. Tous ceux-là avaient le même armement que ceux de la tribu de (Juda)[13]. La tribu de Nephtali donna un millier d’hommes d'élite et de chefs, ayant pour armes le bouclier long et le javelot ; ils étaient suivis de leur tribu, dont la multitude était innombrable[14]. La tribu de Dan fournit une élite de vingt-sept mille six cents hommes[15], la tribu d’Aser, quarante mille ; les deux tribus situées de l’autre côté du Jourdain[16] et le reste de celle de Manassé, cent vingt mille hommes armés de boucliers longs, de javelots, de casques et de glaives ; d’ailleurs, les autres tribus aussi faisaient usage du glaive. Tout ce peuple vint en foule à Hébron, auprès de David, avec de grandes provisions de pain, de vin, et toutes sortes de vivres et acclama tout d’une voix la royauté de David. Après trois jours passés par le peuple en réjouissances et en festins à Hébron, David partit de là avec tout le monde et s’en vint à Jérusalem.

[6] II Samuel, V, 1.

[7] I Chroniques, XII, 23-40. Tout ce dénombrement fantastique est emprunté à la Chronique.

[8] La Bible hébraïque et les LXX disent 4.600.

[9] Hébreu : Yehoyada ; LXX : Ίααδάς.

[10] Hébreu et LXX : 3.000.

[11] Hébreu et LXX : 18.000.

[12] La Bible ne donne ici aucun chiffre. La Bible de Josèphe avait peut-être un texte hébreu avec une expression obscure (v. 33).

[13] Les mss. portent τής Γάδου φυλής, mais la tribu de Gad ne sera mentionnée (sans son nom) qu’au § 60, le lecteur n’en connaît donc pas l’armement. Il faut corriger Γάδου en Ίούδα : l’armement de Juda a été défini § 55, et il n’y a de changement qu’avec Nephtali, § 58. (T. R.)

[14] Ici, c’est Josèphe qui est muet sur le chiffre ; dans la Bible : 1.000 chefs, 35.000 soldats.

[15] Comme l’hébreu ; LXX : 28.800.

[16] Gad et Ruben (Chroniques, XII, 37).

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