Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE VII

CHAPITRE XII
Les Gabaonites se vengent des Hébreux en châtiant sept fils de la famille de Saül que David leur livre ; poursuite de la guerre contre les Philistins ; les instruments de musique utilisés par David ; exploits des guerriers de David.

David livre sept fils de la famille de Saül aux Gabaonites ; danger couru par David.

1.[1] Après ces événements, comme le pays était en proie à la famine, David supplia Dieu d’avoir pitié du peuple et de lui révéler la raison et le remède de ce fléau. Les prophètes[2] lui déclarèrent que Dieu voulait venger les Gabaonites que Saül avait commis l’iniquité de faire périr après les avoir trompés, violant ainsi les serments prêtés autrefois par le général Josué et les Anciens[3]. Si toutefois le roi accordait aux Gabaonites la réparation qu’il leur plairait pour les victimes, Dieu promettait de se réconcilier avec son peuple et de le délivrer de ses maux. Ainsi instruit par les prophètes de la volonté divine, David fait venir les Gabaonites et leur demande quelle satisfaction ils désirent. Ceux-ci avant réclamé qu’on leur livrât pour les châtier sept fils de la famille de Saül, le roi les fit rechercher et les leur remit, mais épargna toutefois Memphibosthos, fils de Jonathan. Les Gabaonites, s’étant saisis de ces hommes, les châtièrent à leur guise. Et sur-le-champ Dieu commença à faire tomber la pluie et à rappeler la terre à la production des fruits, la libérant de la sécheresse antérieure. Et de nouveau la contrée des Hébreux fut dans l’abondance[4].

[1] II Samuel, XXI, 1.

[2] Dans la Bible, le message de Dieu est direct.

[3] Bible : les enfants d’Israël. Cf. supra V, 55 (= Josué, c. 9).

[4] D’après II Samuel, XXI, 8 suiv., les descendants de Saül livrés par David sont 2 fils de Saül et de Riçpa, et 5 fils de Mérab, fille de Saül. Tous furent pendus au gibet par les gens de Gibéon. Il manque ici l’épisode touchant de Riçpa et le récit de l’ensevelissement des restes de Saül et de Jonathan.

Peu de temps après[5], le roi fit campagne contre les Philistins. Il leur livra bataille et, les ayant mis en fuite, se trouva seul pendant qu’il les poursuivait. Harassé, il fut aperçu par un des ennemis, nommé Acmôn(os), fils d’Araphos. Cet homme était un descendant des géants ; il portait une lance dont la poignée, dit-on, pesait trois cent sicles, une cuirasse à mailles[6] et une épée. Se retournant contre David il se jeta sur lui, espérant mettre à mort le roi des ennemis, tant celui-ci était abattu de fatigue. Mais Abesséos, frère de Joab, apparut subitement, protégea en le couvrant de son bouclier le roi qui gisait à terre et tua son adversaire. Le peuple fut péniblement ému du danger qu’avait couru David, et les chefs lui firent jurer de ne plus affronter le combat avec eux, de peur de s’exposer par sa bravoure et son ardeur à quelque malheur, privant ainsi le peuple des bienfaits qu’il leur avait déjà procurés et de ceux dont ils profiteraient encore s’il vivait longtemps.

[5] II Samuel, XXI, 16 (Josèphe a rationalisé ce récit fabuleux).

[6] Hébreu : « ceint d’(un glaive) neuf ». LXX : « ceint d’une massue ».

Exploits de guerriers Hébreux contre des Philistins.

2.[7] Les Philistins s’étant rassemblés dans la ville de Gazara[8], le roi, qui en fut informé, envoya une armée contre eux. Alors se distingua et acquit un grand renom Sobacchès le Cheltéen[9], un des plus valeureux guerriers de David : il tua, en effet, beaucoup[10] de ceux qui se vantaient d’être les descendants des géants[11] et se gonflaient de leur valeur, et ce fut lui qui procura la victoire aux Hébreux. Même après cette défaite, les Philistins recommencèrent la guerre ; David leur opposa une armée où se distingua Néphan(os)[12], un de ses parents. Il se mesura dans un combat singulier avec le plus brave de tous les Philistins[13], le tua et mit en fuite tous les autres ; beaucoup périrent dans la bataille. A peu de temps de là, ils vinrent camper près de la ville de Gitta, non loin des frontières du pays des Hébreux. Il y avait parmi eux un homme de six coudées de haut[14], et qui avait à chaque pied et à chaque main un doigt de plus que l’ordinaire. Or, un homme de l’armée envoyée contre eux par David, Jonathès, fils de Sama[15], l’affronta en combat singulier, mit à mort le colosse, et, ayant déterminé ainsi la victoire complète, en rapporta le prix de la bravoure : ce Philistin également se vantait d’être un rejeton des Géants. Après ce combat, ils n’osèrent plus faire la guerre aux Israélites.

[7] II Samuel, XXI, 18 ; I Chroniques, XI, 4.

[8] Hébreu : Gob ; LXX : Γεθ ; Chron. : Gezer.

[9] Hébreu : Sibbekhaï le Houschatite ; LXX : Σεδοχά ό Άστατωθί.

[10] La Bible donne ici un nom : Saph (LXX : Σέφ) ; Chron. : Sippaï.

[11] Hébreu : Harafa. Rata comme Anak était un nom de géants.

[12] Hébreu : Elhanan ben Yaaré Oreghim (?) le Bethléhémite ; LXX : Έλεανάν υίός Άριωργίμ. Dans les Chroniques, Elhanan ben Yaïr.

[13] Bible (Samuel, XXI, 19) : Goliath le Gitthéen. Josèphe évite de le nommer pour éviter le double emploi avec supra, VI, où Goliath est tué par David lui-même. Dans les Chroniques le mot hébreu de l’expression « le Bethléhémite » est devenu le nom de l’adversaire d’Elhanan, et il est donné comme le frère de Goliath.

[14] Hébreu : Isch Madôn (LXX : Άνήρ Μαδών). Isch Midda dans Chroniques. Josèphe s’est souvenu des dimensions de Goliath dans I Samuel, XVII.

[15] Neveu de David (II Samuel, XXI, 21).

Hymnes et instruments de musique de David.

3.[16] Affranchi des guerres et des périls et jouissant désormais d’une paix profonde, David composa des cantiques à Dieu et des hymnes en mètres variés, les uns en trimètres, les autres en pentamètres[17]. Et ayant fait fabriquer des instruments, il apprit aux Lévites à s’en servir pour célébrer Dieu au jour dit du sabbat ainsi qu’aux autres fêtes. Voici l’aspect de ces instruments. La kinyra, tendue à dix cordes, se frappe à l’aide d’un plectre ; la nabla[18], qui a douze sons, se pince avec les doigts. Il y avait aussi des cymbales larges et grandes, en airain. Qu’il nous suffise d’avoir donné ces indications, afin qu’on n’ignore pas complètement quels étaient ces instruments.

[16] Cf. I Chroniques, XVI et XXV.

[17] Assimilation un peu superficielle de la poésie hébraïque à la grecque. Toutefois les critiques modernes (Sievers, Duhm, etc.), reconnaissent p. ex. dans le grand psaume XVIII (= II Samuel, XXII) des « vers » à 3 « frappés ».

[18] Josèphe, comme les LXX, conserve les noms sémitiques de ces instruments de musique, on voit généralement dans le Kinnor, la cithare, et dans le Nèbel, la lyre ou la harpe.

Hauts faits de cinq guerriers Israélites.

4.[19] Tous ceux dont le roi s’entourait étaient des vaillants ; mais les plus remarquables d’entre eux, ceux qui avaient accompli les plus brillants exploits étaient au nombre de trente-huit[20]. Je ne rappellerai que les hauts faits de cinq d’entre eux : ils suffiront à faire deviner les exploits des autres : ces hommes étaient capables, en effet, de subjuguer des pays entiers et de triompher de grandes nations. Le premier était Iessamos, fils d’Achéméos[21], qui, à plusieurs reprises[22], se jeta dans les rangs des ennemis et ne cessa de lutter avant d’avoir abattu neuf cents[23] d’entre eux. Après lui, venait Éléazar, fils de Dodéias[24], qui fut avec le roi à Arasamon[25]. Celui-ci, un jour que les Israélites, consternés devant la multitude des Philistins, prenaient la fuite, resta seul à son poste et, tombant sur les ennemis, en fit un si grand carnage, que le sang fit se coller son épée à sa main droite. Les Israélites, voyant les Philistins mis en déroute par lui, descendirent des montagnes, les poursuivirent et remportèrent une victoire étonnante et mémorable, Éléazar continuant à massacrer les fuyards, pendant que la foule le suivait et dépouillait les morts. Le troisième, c’était le fils d’Ilos, nommé Késabéos[26]. Lui aussi s’illustra dans les luttes avec les Philistins, un jour qu’ils étaient rangés en bataille en un lieu appelé Siagon (Mâchoire)[27]. Voyant les Hébreux terrifiés de nouveau par leur force et pliant devant eux, il résista à lui seul comme une armée, abattit les uns et poursuivit les autres, qui n’ayant pu soutenir son énergie et son impétuosité avaient pris la fuite. Tels sont les exploits guerriers où ces trois héros illustrèrent leurs bras. Ce n’est pas tout. À l’époque où, le roi se trouvant à Jérusalem[28], l’armée des Philistins vint porter la guerre chez lui, David monta à la citadelle, comme nous l’avons déjà dit, pour consulter Dieu au sujet de la guerre. Le camp des ennemis se trouvait dans la vallée qui s’étend jusqu’à la ville de Bethléem, à vingt stades de Jérusalem. David dit alors à ses compagnons : « Nous avons de belle eau dans ma ville natale » ; et prônant surtout celle de la citerne située près de la porte, il ajoutait que si quelqu’un lui en apportait à boire, il y trouverait plus de plaisir qu’à un trésor. Ce qu’entendant les trois braves sortirent aussitôt en courant, s’élancèrent à travers le camp des ennemis, parvinrent à Bethléem et, ayant puisé de l’eau, s’en revinrent par le camp auprès du roi, si hardiment que les Philistins, stupéfaits de leur audace et de leur force d’âme, se tinrent cois [et ne tentèrent rien contre ces hommes, méprisant leur petit nombre][29]. Quant à cette eau qu’on lui avait apportée, le roi s’abstint d’y toucher et déclara que, puisqu’elle était le prix du danger et du sang de ses hommes, il ne convenait point qu’il la bût ; il en fit une libation à Dieu et lui rendit grâce pour le salut de ses braves. Après eux, il faut nommer le frère de Joab, Abesséos, qui, en un seul jour, mit à mort six cents ennemis[30]. Le cinquième était Banéas, de famille sacerdotale. Défié par des frères illustres[31] du pays de Moab, il triompha d’eux par sa valeur. Une autre fois, comme un homme de race égyptienne, de stature gigantesque, l’avait provoqué, il attaqua sans armes son ennemi, qui était armé, en le frappant de son propre javelot : il lui enleva, en effet, sa lance, le dépouilla, vivant encore et se débattant, et l’acheva de ses propres armes. Voici encore un trait qui surpasse ou égale la bravoure des exploits précédemment rapportés : comme Dieu faisait tomber de la neige, un lion glissa et tomba dans une citerne ; l’orifice était étroit et la neige l’obstruait encore. Le fauve allait disparaître, et ne voyant pas de moyen de s’échapper, il rugissait. Banéas, qui cheminait justement par là, entendit l’animal et accourut à ses cris. Il descendit par l’ouverture et frappant le lion, en train de se débattre, avec un bâton qu’il avait dans les mains, il le tua du coup. Tous les autres guerriers de David accomplirent des exploits semblables.

[19] II Samuel, XXIII, 8 ; I Chroniques, XI, 10. Josèphe a beaucoup délayé.

[20] La Bible (II Samuel, XXIII, 39) dit : trente-sept.

[21] Hébreu (Samuel) : Yoscheb baschebet Tahkemoni. Chroniques : Yaschob’am fils de Hakmoni. LXX : Ίεβόσθε ό Χαναναϊος.

[22] Πολλάxις. La Bible dit : « en une seule fois. » Les Chroniques, que suit ici Josèphe, ont seules un texte intelligible (Samuel a une leçon corrompue, et LXX : οΰτος έσπάσατο τήν ρομφαίαν).

[23] 800 dans Samuel, 300 dans Chroniques ; L a 900 aux deux endroits.

[24] Josèphe avait la même leçon que le Ketib de l’hébreu (Samuel). Les LXX ont lu comme les Massorètes, fils de son oncle.

[25] I Chroniques, XI, 13 : à Pas Damim ; II Samuel, XXIII, quand ils insultèrent (les Philistins) ; LXX : έν τώ όνειδίσαι... Josèphe témoigne en faveur d’une leçon indiquant ici une localité.

[26] Ou Sabéas, fils d’Elos, selon les mss. M, S, P. La Bible donne un nom tout différent : Schamma fils d’Agé. LXX : Σαμαϊα υίός Άσα. Késabeos, fils d’Ilos, présente une analogie curieuse avec le nom de Kabcéèl du verset 20.

[27] La leçon de Josèphe est une traduction du mot hébreu mâchoire.

[28] Josèphe a mal compris le texte hébreu (XXIII, 13) qui place la scène, non à Jérusalem, mais dans la caverne d’Adullam.

[29] Les mots entre crochets manquent dans les mss. R, O et sont très suspects.

[30] Hébreu : 300 (II Samuel, XXIII, 18 ; I Chroniques, XI, 20) ; Sept. B A. : id.. L et certains mss. des LXX (Chroniques) 600, comme Josèphe.

[31] Hébreu : les deux Ariel de Moab.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant