Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE VIII

CHAPITRE X
Histoire de Roboam ; le Pharaon Sésac pille le Temple de Jérusalem.

Villes fondées par Roboam ; ses mariages.

1.[1] Le fils de Salomon, Roboam, roi des deux tribus, comme nous l’avons dit plus haut, construisit[2] des villes fortes et grandes, à savoir Bethléem, Etamé[3], Thécoé, Bethsour, Sôchô, Odollam, Ipan[4], Iarissa, Zipha, Adoraim, Lachis, Azéca, Saram[5], Elôm[6] et Hébron. Ces premières villes furent bâties dans le territoire de Juda, mais il en construisit d’autres non moindres sur le territoire de Benjamin ; il les munit de remparts, plaça partout des garnisons et des gouverneurs, et mit dans chacune des villes quantité de blé, de vin et d’huile et une abondance de tous les vivres nécessaires ; il y ajouta des myriades[7] de boucliers et de hallebardes. Les prêtres qui se trouvaient dispersés chez tous les Israélites vinrent le rejoindre à Jérusalem ainsi que les Lévites et tout ce que le peuple comptait d’hommes justes et vertueux. Ils désertaient leurs villes pour venir adorer Dieu à Jérusalem ; car ils ne pouvaient souffrir d’être contraints d’adorer les génisses fabriquées par Jéroboam. Ils fortifièrent ainsi durant trois ans le royaume de Roboam. Après avoir épousé une femme de sa famille[8], qui lui donna trois enfants, il épousa encore dans la suite une fille de Thamar, fille d’Absalon, nommée Machané[9], qui lui était aussi apparentée. Il eut d’elle un fils, qu’il appela Abias. Il engendra encore des enfants de beaucoup d’autres femmes, mais c’est Machané qu’il chérit le plus de toutes. Il eut dix-huit femmes légitimes et trente concubines[10], qui lui donnèrent vingt-huit fils et soixante filles. Il désigna comme successeur de son trône Abias, né de Machané, et lui confia ses trésors et ses villes les plus fortes.

[1] II Chroniques, XI, 5. (Rien dans Rois.)

[2] L’hébreu ne dit pas qu’il les construisit, mais qu’il les fortifia ; en revanche la LXX a, comme Josèphe, ᾠκοδόμησε.

[3] Hébreu [hébreu] ; LXX : Αίτάμ (ou Αίτάν). C’est la même ville dont Josèphe a parlé plus haut à propos de Salomon.

[4] Hébreu : Gath ; LXX : rit. La mention de Gath (ville philistine) dans Chron. est suspecte, mais, chez Josèphe, la forme Ipan (Ἰπαν, Εἰπάν) est altérée ; les noms des autres localités se rapprochent de très près de ceux de la Bible.

[5] Hébreu : Çaréa ; LXX : Σαραά.

[6] Bible : ‘Ayalôn.

[7] Exagération coutumière de Josèphe. La Bible dit seulement « un grand nombre ».

[8] Mahalath, fille de Yerimot (fils de David).

[9] Bible : Maacha.

[10] Bible : 60. Josèphe, — ou sa source, — aurait-il lu un mot hébreu pour un autre, ou est-ce un changement volontaire ?

Expédition de Sésac, roi d’Égypte, contre Jérusalem.

2.[11] C’est souvent, je crois, une cause de malheurs et de dérèglement pour les hommes que la grandeur de leur pouvoir et le développement de leur prospérité. Grisé, en effet, par les progrès de sa royauté, Roboam se laissa entraîner à des actes illicites et impies et méprisa le culte de Dieu, si bien que le peuple se mit à imiter ses péchés. Car les mœurs des sujets se corrompent en même temps que la conduite de leurs maîtres : ils renoncent à une tempérance qui semblerait blâmer l’impudence de ceux-ci, et adoptent leurs vices comme si c’étaient des vertus ; en effet, il n’est pas possible de paraître approuver la conduite des rois, si l’on n’agit pas comme eux. C’est ainsi qu’il advint aux sujets de Roboam : témoins de ses impiétés et de ses débordements, ils s’efforcèrent de ne pas offenser le roi par leur attachement à la vertu. Cependant, pour châtier ses outrages, Dieu envoie le roi des Égyptiens, Sousac(os), dont Hérodote attribue par erreur les actes à Sésostris[12]. Ce Sousac marche contre Roboam, la cinquième année de son règne, avec de nombreuses myriades de combattants ; il était suivi de douze cents chars, de soixante mille cavaliers et de quatre cent mille[13] fantassins ; la plupart étaient tirés de Libye et d’Éthiopie[14]. Ayant donc fait irruption dans le pays des Hébreux, il s’empare sans coup férir des villes les plus fortes du royaume de Roboam, et, après les avoir munies de garnisons, marche sur Jérusalem.

[11] I Rois, XIV, 22 ; II Chroniques, XII, 1.

[12] Voir plus loin, à la fin du § 3.

[13] Bible : une foule innombrable.

[14] Hébreu (II Chroniques, XII, 3) : Loubim, Soukkiyim et Bouschim ; LXX : Αίβυες, Τρωγλοδύταε, Άίθίοπες.

Reddition de Roboam ; pillage du Temple.

3.[15] Roboam et le peuple, enfermés dans la ville, par suite de l’expédition de Sousac, suppliaient Dieu de leur donner la victoire et le salut, mais ils ne purent le persuader de soutenir leur cause. Le prophète Saméas leur déclara que Dieu menaçait de les abandonner, comme eux-mêmes avaient abandonné son culte. En entendant ces paroles, le découragement les envahit et, ne voyant plus de moyen de salut, ils s’empressèrent tous de confesser que Dieu aurait raison de les délaisser, puisqu’ils s’étaient montrés impies à son égard et avaient violé ses lois. Quand Dieu les vit ainsi disposés et s’avouant mutuellement leurs péchés, il dit au prophète qu’il ne voulait pas leur ruine, mais les assujettirait néanmoins aux Égyptiens, afin qu’ils connussent s’il était moins pénible de servir un homme que Dieu. Cependant Sousac, s’étant emparé sans coup férir de la ville, où Roboam, dans sa terreur, l’avait accueilli, ne respecta pas les conventions intervenues : il pilla le Temple, vida les trésors de Dieu et ceux du roi, emportant des sommes infinies d’or et d’argent sans rien ménager. Il enleva même les boucliers d’or, les longs comme les ronds, que le roi Salomon avait fabriqués. Il ne laissa même pas les carquois d’or que David avait voués à Dieu quand il les eut pris au roi de la Sophène[16] ; cela fait, il revint chez lui. Cette campagne est également mentionnée par Hérodote d’Halicarnasse[17], qui se trompe seulement sur le nom du roi ; il rapporte que ce roi attaqua beaucoup d’autres nations et qu’il asservit la « Syrie palestinienne » en s’emparant sans coup férir de tous les hommes qui s’y trouvaient. Il est évident que c’est notre nation qu’il veut désigner comme soumise par l’Égyptien. Il raconte, en effet, qu’il laissa dans le pays de ceux qui s’étaient rendus sans combat des colonnes où il avait figuré des organes sexuels féminins : or, Roboam, notre roi, lui rendit la ville sans combat. Et il ajoute que les Éthiopiens eux-mêmes ont appris la circoncision des Égyptiens : « car les Phéniciens et les Syriens de Palestine reconnaissent eux-mêmes l’avoir apprise des Égyptiens. » Or, il est certain que, parmi les Syriens de Palestine, nul autre peuple que nous ne pratique la circoncision. Mais là-dessus que chacun pense comme il lui plaira.

[15] II Chroniques, XII, 5 ; I Rois, XIV, 25.

[16] D’après LXX (I Rois, XIV, 26) ; l’hébreu ne contient pas cette donnée. Josèphe a seulement mis φαρέτρας au lieu de δόρατα (lances), conformément au passage parallèle Ant., VII, §§ 104-105 (φαρέτρας καὶ πανοπλίας), tandis que les LXX sur II Samuel, VIII, 7 ont χλιδῶνας.

[17] Hérodote, II, 102 et suiv. Cf. C. Apion, I, 22 (§ 169 suiv.). Voir sur ce texte d’Hérodote Th. Reinach, Textes, etc., p. 2. Il est extrêmement douteux qu’Hérodote ait en vue les Juifs ; son témoignage prouverait plutôt qu’à son époque les Philistins (comme les Phéniciens) pratiquaient la circoncision. (T. R.)

Mort de Roboam.

4.[18] Sousac s’étant retiré, le roi, pour remplacer les boucliers d’or longs et ronds, en fit faire de même nombre en cuivre qu’il confia aux gardiens du palais royal. Au lieu d’une vie d’expéditions glorieuses et d’exploits éclatants, il régna dans une complète inaction[19] mêlée de crainte, en hostilité continuelle avec Jéroboam. Il mourut à l’âge de cinquante-sept ans et après un règne de dix-sept ; homme d’un caractère fanfaron et irréfléchi, il avait perdu sa puissance pour n’avoir pas écouté les amis de son père. Il fut enseveli à Jérusalem dans les tombeaux des rois. La succession de la royauté échut à son fils Abias dans la dix-huitième année du règne de Jéroboam sur les dix tribus.

[18] I Rois, XIV, 27 ; II Chroniques, XII, 10.

[19] Cette prétendue indolence de Roboam ne trouve aucun point d'appui dans les textes ; Josèphe l'a simplement conclue du silence de l'Écriture sur les détails de son règne ; mais le livre des Rois renvoie expressément au « livre des Rois de Juda ». (T. R.)

Telle fut l’issue de ces événements. Nous avons à en exposer la suite en ce qui concerne Jéroboam et à dire comment il perdit la vie. Ce roi, sans trêve ni relâche, ne fit qu’offenser Dieu, persistant à construire chaque jour des autels sur de hautes collines et à choisir des prêtres d’entre le peuple.

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